Minna Haapkylä, jeune actrice de 32 ans, a déjà, avec sept longs métrages à son actif, une longue carrière en Finlande. Dernièrement, elle a joué dans deux films français d’importance : Selon Charlie, de Nicole Garcia (2006) et Le serpent, d’Eric Barbier (2007). A l’occasion de la sortie du Serpent cet été en Finlande, nous avons rencontré Minna Haapkylä – la plus française des actrices finlandaises – qui nous fait partager ses expériences et nous livre ses impressions.

Actrice très connue en Finlande – une des plus en vue de votre génération –, vous êtes en train de conquérir le public français. Mais parlez-nous tout d’abord de votre première rencontre avec la langue et le cinéma français.
La première rencontre avec la langue, c’était ici, en Finlande, au Lycée franco-finlandais où j’ai fait toute ma scolarité. C’est également au lycée que j’ai eu mon premier contact avec le cinéma français : Jacques Tati… si je me souviens bien. Après, j’ai fait une année au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris, en 1994-95, en tant que stagiaire étrangère. A l’époque, les écoles de théâtre procédaient à des échanges. Pendant toute cette année-là, je n’ai eu aucun problème à occuper mon temps : si je n’étais pas à l’école, j’étais au cinéma. J’ai vu tout ce qu’il m’était possible de voir. C’était super. J’allais également au théâtre, mais surtout au cinéma. Jamais je n’aurais imaginé, d’ailleurs, que je jouerais, un jour, dans un film français. C’était un rêve. Alors que tous les autres ne pensaient qu’à jouer dans un grand film hollywoodien, moi, je rêvais de pouvoir jouer dans un film français. Et puis, un jour, on m’a appelée…

Racontez-nous comment vous avez été contactée et choisie pour le rôle de Nora dans Selon Charlie ?
C’est mon agent finlandais qui m’a informée qu’une réalisatrice française était en train de chercher une femme, la trentaine, de type nordique, mais pas spécialement finlandaise. Mon agent a alors envoyé quelques-uns de mes films à cette agence de casting. Nicole Garcia, la réalisatrice, a finalement sélectionné 4 ou 5 filles – dont je faisais partie – qu’elle a souhaité rencontrer. Je suis allée à Paris, et nous avons dîné ensemble. La semaine suivante, elle m’appelait pour me dire que c’était moi qu’elle avait choisie. La surprise était d’autant plus grande que je n’y avais pas cru une seule seconde. C’était super : mon rêve se réalisait.

C’est plutôt le scénario, le rôle proposé ou bien la manière de filmer de Nicole Garcia qui a motivé votre envie de faire partie du film ?
C’était surtout la possibilité de pouvoir jouer dans un film français. A vrai dire, je n’avais pas lu le scénario, mais j’avais déjà vu L’adversaire de Nicole Garcia, et je savais que le film allait être, de toute façon, quelque chose de bien. Comme je vous l’ai dit, c’était un rêve de pouvoir jouer dans un film français, et je n’allais certainement pas laisser passer l’occasion.

Nora dans Selon Charlie est entourée d’une pléiade d’hommes aux caractères tourmentés auxquels elle fait face avec placidité. Minna a-t-elle aussi bien vécu, hors caméra, les personnalités aussi diverses que hautes en couleur de ce fabuleux quatuor que forment Jean-Pierre Bacri, Vincent Lindon, Benoît Magimel et Benoît Poelvoorde ?
C’était extraordinaire d’être avec eux, parce qu’ils étaient tous tellement différents. Moi, j’ai, bien sûr, surtout joué avec Benoît Magimel et Vincent Lindon, mais j’ai aussi rencontré les autres. Benoît Magimel, qui est un super comédien, est en fait extrêmement timide. Quand on se voyait, au maquillage, par exemple, il ne parlait presque pas. Je le forçais, un petit peu plus chaque fois, à parler avec moi, car je pensais que ce serait beaucoup plus facile pour moi de jouer avec quelqu’un que je connais un peu. Au début, c’était dur, mais il s’est mis petit à petit à me parler, à s’ouvrir un peu. Par contre, Vincent Lindon n’arrêtait pas de parler. Il parlait et il parlait… surtout de Vincent Lindon, mais aussi des projets qu’il avait réalisés. Et il voulait répéter tout le temps ; il avait toujours de nouvelles idées à proposer à Nicole. Tout le contraire, en fait, de Benoît Magimel qui arrivait quand tout était prêt. On répétait une ou deux fois, et on commençait à tourner. Quant à Jean-Pierre Bacri, c’est lui qui, en fait, parlait le plus de la Finlande. Il semblait bien connaître le pays, il savait qui gouvernait, comment cela fonctionnait. Il parlait de beaucoup de choses, on pourrait dire « intellectuelles », même si ce n’était que des conversations de café. Il était drôle, mais à sa façon… précisément parce qu’il n’essayait pas d’être drôle. Je dirais plutôt cynique, comme dans ses films. Pour ce qui est de Benoît Poelvoorde, c’est également quelqu’un de très drôle. Il a une énergie incroyable. Et lui aussi, il parle tout le temps. Mais il ne parle pas de lui. Il parle de tout le monde, il fait des blagues. Très différent des autres.

Un an après, en 2006, vous signez à nouveau pour un rôle dans un film français Le serpent, d’Eric Barbier. Comment s’est passée cette fois la prise de contact ?
J’ai maintenant un agent français à V.M.A. C’est bien, parce que V.M.A. (N.D.L.R. : Voyez Mon Agent) est une grande agence artistique, et donc ils savent ce qui se passe en France. Pour moi, c’est très important parce qu’il n’y a pas beaucoup de rôles pour les étrangères, surtout pour les Nordiques. Il y en a davantage pour les Espagnoles ou les Italiennes. Il se trouve que dans le scénario du Serpent, il y avait un rôle pour une Allemande. Mon agent m’a donc appelée et m’a dit que je devais aller à Berlin pour un casting. Je lui ai dit que mon allemand était très rudimentaire mais, comme elle insistait, j’y suis donc allée. J’ai travaillé toute une journée, devant les caméras, avec le réalisateur Eric Barbier ; on s’entendait très bien. Je suis rentrée en pensant que, tout de même, ce rôle ne pouvait pas être pour moi puisque je n’étais pas allemande. Et, en fait, c’est moi qu’ils ont choisie. J’étais très honorée.

Deux films, somme toute, très masculins, mais d’un genre totalement différent : d’un côté, un film intimiste et, de l’autre, un thriller à l’histoire haletante. Comment avez-vous abordé ces deux rôles, et vous ont-ils permis d’explorer des émotions nouvelles ?
Je ne devrais peut-être pas dire ça, mais je préfère travailler avec Nicole Garcia, ou du moins dans ce genre de films parce qu’on travaille beaucoup plus sur les sentiments, sur ce qui résonne à l’intérieur de nous-mêmes. On passe beaucoup de temps à faire des scènes toutes simples. On découvre des émotions, et on essaie d’en faire naître d’autres. Nicole réfléchit beaucoup sur le texte, un texte toujours plein de nuances entre les lignes. Une fois qu’on recevait la dernière version avant de tourner, on ne changeait plus rien. Pour moi, c’était facile, car il me fallait juste apprendre mon texte. Mais, pour Benoît Poelvoorde, par exemple, qui voulait toujours improviser ceci ou changer cela, ce devait être un peu frustrant. Par contre, Eric Barbier est beaucoup plus libre et souple. Contrairement à Nicole, peu lui importait si je disais exactement le texte qui était écrit. Il lui suffisait que cela soit correct. Un thriller, c’est surtout l’action qui compte. Les scènes sont faites dans le film pour raconter l’histoire au public, annoncer ce qui va se passer après. On ne travaille pas sur les sentiments. Si, dans le scénario, il est marqué qu’ils se disputent, alors on ne va pas épiloguer sur la façon de se disputer : on s’engueule, on tourne, et on passe à la scène suivante.

Est-ce que la façon de travailler, de filmer, l’ambiance sur un plateau de tournage en France sont différentes de celles en Finlande ?
En fait, non. Et c’est justement cela qui est étonnant. Je m’attendais à ce que ce soit différent, mais le travail est exactement le même. S’il y a une différence, cela dépend du réalisateur, mais pas du pays. Tout ce qui touche directement au tournage d’un film, que ce soit devant ou derrière la caméra, c’est la même chose. Sauf que, bien sûr, il y a beaucoup plus d’argent. Cela veut dire qu’il y a beaucoup plus de gens sur le plateau. Pour prendre un exemple, il y a généralement, sur un tournage en Finlande, la maquilleuse et son assistante. En France, il y avait trois maquilleuses, tous les assistants des maquilleuses, et les assistants des assistants… Un nombre incroyable d’assistants ! En plus, il y avait toujours quelqu’un qui s’occupait de moi : si j’avais soif, on m’apportait immédiatement de l’eau. On nous la jouait plus stars, du style : « Reposez-vous ! Allez dans votre chambre ! » On nous ménageait beaucoup… ce qui n’est pas déplaisant de temps à autre.

Sans parler de difficultés, n’avez-vous tout de même pas eu des surprises ?

La surprise est venue justement du fait qu’il n’y avait pratiquement pas de différence, du moins sur le tournage. En fait, c’était plutôt tout ce qui était extérieur au tournage qui était différent, qui changeait beaucoup, comme, par exemple, les repas. En Finlande, on mange dans un coin, dans des assiettes en carton. En 20 minutes, on a terminé, et on reprend le tournage. En France, c’est une heure, voire une heure et demie, la plupart du temps au restaurant. C’était super, je dois dire. Je pense que cela fait du bien de faire un bon repas, de se vider la tête un petit peu. En plus, j’avais un chauffeur pour moi, je logeais dans un excellent hôtel. En Finlande, si je prends, par exemple, le film que je suis en train de tourner en ce moment – Raja 1918 (Frontière 1918) –, on se retrouve dans des petits villages où il n’y a même pas d’hôtels, et on est logés un peu n’importe où… chez les gens, dans des chambres d’hôtes. Pour le coup, les acteurs finlandais ne se prennent pas la tête ! Néanmoins, je trouve que c’est, tout de même, plus facile de jouer si on a créé autour de vous un environnement confortable, et qu’il ne vous reste plus qu’à vous concentrer sur votre travail.

Quelles étaient vos attentes ? Ont-elles été satisfaites ?
Avec Nicole Garcia, c’était exactement tout ce que j’attendais. C’était vraiment très français. Si je devais décrire Selon Charlie pour les Finlandais, je dirais que c’est un film français : on parle beaucoup, et il ne se passe rien. Et c’est vraiment tout ce que j’aime. Mais Le serpent, c’est plus américain : il se passe beaucoup de choses, et on parle peu. A vrai dire, cela m’intéresse moins. C’était, bien sûr, super de pouvoir jouer une fois dans un thriller, mais cela ne me tente pas trop de renouveler l’expérience. En plus, ce qui était dur, c’était d’être absente tout le temps. C’était plus dur que je ne me l’étais imaginé. Je pensais que quand je travaille – des fois quinze heures par jour ! –, je ne vais pas penser à mon fils ou à mon mari. C’était en fait très fatigant d’être entourée de gens qu’on ne connaît pas du tout. Et même si Paris est une ville où je me sens très à l’aise, c’était fatigant d’être ailleurs.

Quels sont vos projets immédiats et futurs ?
Comme projet immédiat, justement, « Raja 1918 » (Frontière 1918), un long métrage du réalisateur Lauri Törhönen. L’histoire se passe juste après la guerre civile. Les Blancs ont gagné, et il y a un officier blanc qui part en Carélie pour délimiter le tracé de la frontière entre la Russie et la Finlande. Et il y a bien sûr une femme – que j’interprète –, une institutrice, là-bas, à la frontière, qui a un fiancé, mais du côté des Rouges. Ils se rencontrent et tombent amoureux l’un de l’autre. En fait, c’est un drame entre ces trois personnages : la jeune femme, l’officier blanc et le fiancé rouge. C’est une histoire d’amour, mais aussi un film sur la difficulté de tracer une frontière dans la forêt, dans un endroit où il n’en a jamais existé, où les gens étaient des voisins pendant des années et des années et, tout à coup, quelqu’un est venu leur dire : « Vous, vous êtes russe, et vous, vous êtes finlandais. Et si vous venez de ce côté, on vous tue ! » La sortie du film est prévue pour fin novembre-début décembre – dans tous les cas, pour la Fête de l’Indépendance de la Finlande, le 6 décembre.

Propos recueillis en français
par Aline Vannier-Sihvola
A Helsinki, juin 2007