ENTRETIEN AVEC JEAN-BAPTISTE GARNERO
Archives françaises du film / CNC
Helsinki, Finlande
Mars 2010
Jean-Baptiste GARNERO, chargé d’études documentaires aux Archives françaises du film / Centre national de la cinématographie, était en Finlande ce mois de mars pour présenter – dans un premier temps au Festival du film de Tampere puis à la Cinémathèque Orion de Helsinki –, devant un public cinéphile et nombreux, les pionniers de l’animation en France, du praxinoscope au cellulo, et nous faire découvrir et partager les richesses des Archives françaises du film à travers une sélection d’œuvres originales sur un demi-siècle.
« Du praxinoscope au cellulo : un demi-siècle de cinéma d’animation en France (1892-1948) »
Cinémathèque Orion, du 15 au 21 mars 2010
A quelle époque et à quelle fin ont été créées les Archives françaises du film ?
Elles ont été créées en 1969, il y a donc un peu plus de quarante ans – on a fêté, du reste, notre 40e anniversaire l’année dernière. Les Archives françaises du film ont été créées par André Malraux qui, depuis son arrivée aux affaires culturelles, souhaitait procéder à un inventaire national des richesses patrimoniales. Ainsi, à l’image, par exemple, des richesses architecturales dont était dotée la France, il y avait aussi des richesses patrimoniales et nationales du cinéma. Les Archives ont donc été créées et basées au fort de Bois d’Arcy où il y avait déjà des installations, à l’origine dédiées à la Cinémathèque française, qui ont donc été attribuées à ce nouveau service dont la mission était de collecter et de faire un inventaire national du cinéma, de ce qui avait subsisté depuis l’histoire du cinéma, depuis les frères Lumière. Il faut préciser qu’il y avait eu beaucoup d’incendies, que beaucoup de films étaient perdus et que les soixante premières années du cinéma avaient été sur un support périssable qu’on appelle le film nitrate ou film « flamme » et que, même si on n’utilisait plus ce support depuis 1954 ou 1955, énormément de films importants de l’histoire du cinéma manquaient à l’appel ou étaient dans des laboratoires ou dans de mauvais états de conservation. Il fallait donc faire un inventaire, voire même de restauration déjà à l’époque, regrouper un peu tous ces films, tout ce matériau qu’était le nitrate afin de procéder à un inventaire des collections qui avaient subsisté jusqu’en 1969.
D’après ce que vous dites, l’intention de départ était d’inventorier et non pas de restaurer.
C’était déjà à des fins de collecte. Des producteurs, des distributeurs et même des réalisateurs ont été sollicités par le fondateur des Archives, Jean Vivié, qui était quelqu’un de plutôt technique, un spécialiste du cinéma et de ses techniques, et qui leur a donc demandé de venir déposer leur collection. Il faut dire, en plus, que tout le monde ne voulait pas forcément déposer des collections à la Cinémathèque française, pour des raisons diverses et variées. Ainsi, il y avait une partie du patrimoine qui était dans les collections de la Cinémathèque française et une autre – non négligeable – qui était tout simplement dans la nature. Il y avait aussi certains laboratoires qui n’étaient pas enclins à confier quoi que ce soit à un organisme privé et qui, en fait, avec la création par l’Etat français d’un organisme rattaché justement au Ministère des Affaires culturelles à l’époque, ont bien voulu confier aussi du matériel, notamment du matériel qui leur posait problème puisque c’était un matériau instable qui pouvait s’enflammer et qui avait déjà causé de nombreux incendies. Donc, ne serait-ce que pour la propre sécurité des laboratoires, il s’est avéré plus simple que tout ce matériel soit entreposé à Bois d’Arcy, dans des casemates au départ ou dans des bâtiments frigorifiques qui se sont, au fil des années, agrandis et modernisés, pour être conservé au mieux.
Connues pour détenir l’une des plus importantes collections de films dans le monde, quel est aujourd’hui le patrimoine cinématographique des Archives françaises du film ?
En fait, il faut préciser une chose. C’est que justement dans cette politique de collecte et de regroupement des films nitrate, les Archives ont officiellement dans leurs collections 100 000 titres, mais ces 100 000 titres ne leur appartiennent pas directement. Les collections propres des Archives sont estimées entre 65 000 et 70 000 titres, sachant que la différence est, en fait, apportée par les collections de films nitrate de la Cinémathèque française et les collections nitrate de la Cinémathèque de Toulouse. Ces deux cinémathèques sont également deux archives nationales mais, à des fins de sécurité, puisque c’est un matériau instable, et à des fins d’inventaire là aussi, il a été décidé de tout regrouper à Bois d’Arcy pour au moins centraliser cet inventaire, et principalement cet inventaire avant restauration.
Quelle est la proportion de films français et de films étrangers, de films de fiction et de documentaires ? De combien de films s’enrichit le patrimoine des Archives chaque année ?
Les collections des Archives françaises du film sont composées à parts égales de films de fiction de longs et courts métrages (dont plus de 50% sont français), et de films documentaires dont 90% appartiennent au patrimoine national. Par ailleurs, on s’enrichit d’environ 2 000 titres par an grâce au dépôt légal – c’est important de le dire –, et puis aussi au niveau des dépôts volontaires puisqu’on a des contrats avec des ayants droit comme Pathé, Gaumont ou de plus petites structures comme, par exemple, Les Films de l’équinoxe avec Yannick Bellon, ou Jean-Pierre Mocky, qui ont déposé l’intégralité de leur collection ou une partie et qui, au fur et à mesure, de l’exploitation de leur catalogue déposent des films qui sont en fin d’exploitation ou qu’ils préfèrent voir localisés dans nos collections. Le dépôt légal, qui est quand même une grosse exception française – car, au niveau cinématographique, elle est suivie par certains pays mais pas tous systématiquement –, permet effectivement de collecter tous les films qui sont sur le territoire national, aussi bien français qu’étrangers, d’abord depuis 1977 et ensuite depuis 1992, date à laquelle la loi a été élargie aux films étrangers. Ce qui veut dire que l’on a au moins une copie de long métrage et une copie de court métrage – donc, de tous les films qui sont sortis sur le territoire chaque année. Cela nous permet au moins d’avoir une trace de l’exploitation et de la production nationale.
Est-il donné à tout le monde de consulter ces collections ?
En cas de dépôt légal, cela ne pose aucun problème. Le film peut être consultable par n’importe quelle personne qui en fait la demande, à condition qu’elle ait plus de 18 ans, et qu’on garantisse l’accès au public. Pour ce qui est des consultations que l’on peut faire de films localisés à Bois d’Arcy dans nos collections, soit restaurés soit déposés, elles doivent être faites, comme pour le dépôt légal, sur demande, mais on n’accepte que les gens à partir maintenant de la licence, parce qu’on estime qu’avant cela les films sont accessibles pour les recherches sur lesquelles ils travaillent… ce ne sont pas des collections rares.
Outre la restauration et la conservation des œuvres, est-ce que les films sortent souvent à l’occasion de présentations, de prêts ou d’échanges ?
On est très sollicités parce que l’accès aux collections est important : d’une part, il y a l’accès aux collections auprès des ayants droit, ne serait-ce que par rapport au matériel qu’ils ont déposé, dans le cadre de ressorties en salles ou en DVD ou de ventes télé, donc il y a déjà ce premier accès qui n’est pas négligeable, qui est même la raison d’être des Archives, c’est-à-dire conserver pour le compte de professionnels, et puis il y a l’accès également, toujours vis-à-vis des ayants droit, aux collections qui ont été restaurées dans le cadre d’accords qu’on a avec eux. Les Archives prennent, en effet, en charge la restauration des films, le coût financier, et les ayants droit nous remboursent ensuite, tous les ans, selon l’exploitation qu’ils peuvent en faire à hauteur de 30 pour cent par an. C’est donc une sorte de prêt à taux zéro qu’on leur fait qui marche assez bien : le principe est assez égalitaire puisque, de cette façon, les ayants droits n’ont pas à débourser trop d’argent – d’autant qu’ils ont un gros catalogue –, et cela permet, par ailleurs, aux Archives de prêter des films. Et c’est justement ce qui constitue le deuxième volet de l’accès et de la valorisation en tant que telle, valorisation des collections restaurées voire même déposées dans le réseau de la FIAF, qui est le réseau des cinémathèques et archives du monde, c’est-à-dire la Fédération internationale des archives du film, et qui permet de présenter dans un cadre non commercial, faut-il le préciser, des collections qu’on a restaurées ou qui sont déposées chez nous. Et là, on a beaucoup de festivals en France et à l’étranger, des cinémathèques en France et à l’étranger également, des demandes de Carte blanche de la part de cinémathèques étrangères, voire même de festivals comme le Festival de La Rochelle. La Cinémathèque finlandaise a accueilli une Carte blanche des Archives françaises – en 2005, je crois bien – mais, en l’occurrence, il faut quand même dire qu’on a surtout la chance d’avoir Satu Laaksonen qui, à l’intérieur d’une cinémathèque qui n’est pas francophone, s’occupe justement de la francophonie du cinéma français. Je trouve que c’est très bien, mais sinon on travaille également avec la Cinémathèque suisse, la Cinémathèque royale de Belgique et la Cinémathèque québécoise avec qui on a aussi des liens très réguliers… sans oublier la Cinémathèque française qu’on alimente énormément en films.
Venu présenter à la Cinémathèque finlandaise Orion les pionniers de l’image animée en France, de 1892 à 1948, à qui attribuez-vous finalement l’invention du cinéma ?
En fait, je dirais – pour faire simple – que j’attribue l’invention du cinéma à Emile Reynaud. C’est tout à fait personnel. Effectivement, l’histoire a plutôt retenu l’invention du cinéma par les frères Lumière avec le cinématographe mais, si on fait abstraction de ce qui a précédé Emile Reynaud, c’est-à-dire tous ces jouets d’optique que ce soit les ombres chinoises, voire même l’art pariétal dans les grottes de la préhistoire – parce qu’il faut remonter aussi jusque-là avec les hommes préhistoriques qui, en fait, sur certaines parois ont donné par leurs dessins une impression de mouvement ou d’une certaine vitesse –, ou que ce soit les lanternes magiques du XVIIIe siècle, je pense effectivement que, plus proche de nous, c’est tout de même le nom d’Emile Reynaud qu’il faut retenir avec une invention qui est le praxinoscope qu’il fait considérablement évoluer vers le théâtre optique, et puis surtout, chose majeure, cette fameuse pellicule, cette bande perforée qu’il a inventée… et, en plus, une projection qui n’est plus individuelle, comme cela pouvait l’être auparavant, mais qui se partage dans une salle à plusieurs devant un écran sur lequel sont projetées des choses en mouvement. Il conçoit également un peu plus tard un appareil qui permet le relief stéréoscopique, qui aurait pu fort bien déboucher sur des projections avec des images, soit le cinéma en relief. Le gag de répétition, c’est encore lui. Donc, des films en couleur, sonorisés, avec une suite d’images assez importante, le gag de répétition, des projections en public… bref, on y est, et trois ans avant le cinématographe des frères Lumière. Sauf que, effectivement, le problème de Reynaud c’est que son art n’était pas une répétition mécanique ; il devait faire tout lui-même, tout créer de ses propres mains et, à mon avis, c’était là son talon d’Achille. Donc, à titre personnel, après tout ce que je viens de dire, je pense que c’est plutôt Emile Reynaud qui a inventé le cinéma.
Comment les Archives françaises ont-elles retrouvé et restauré des films aussi anciens ?
Déjà, pour commencer, on a bien voulu nous confier ces films. On a aussi démarché certaines personnes qu’on a convaincues de venir déposer leurs films chez nous. Et puis, surtout, il y avait au départ cette idée que 80 pour cent de la production mondiale était définitivement perdus par rapport au nitrate et au cinéma muet. Maintenant, pratiquement toutes les cinémathèques du monde ont fait l’inventaire de leurs fonds nitrate, et on sait donc – même si je n’ai pas d’estimation exacte – que c’est plutôt 50 à 60 pour cent qu’on a perdus, en précisant qu’on a quand même retrouvé des films absolument extraordinaires. Et puis, il faut saluer une bonne initiative : par exemple, le premier film d’animation que l’on voit inscrit au programme de ces quatre séances, intitulé « The Evolution of the Film », fait partie de la collection Wilfrid Day, collection qui avait été achetée par André Malraux en 1963 sur les conseils de Henri Langlois. C’est une collection énorme qui, en fait, ne concernait pas seulement que les films – des films primitifs anglais ou français –, c’était aussi une collection de lanternes magiques, de plaques de verre, une collection des tout premiers appareils cinématographiques. C’est donc l’Etat qui l’a achetée, confiée à la Cinémathèque, et c’est une collection maintenant que tout le monde nous envie parce qu’elle est d’une richesse absolument incroyable. On a pu aussi acheter des films, et on nous en a, par ailleurs, donné, pas uniquement déposé. Et puis, avec les écrits, les recherches sur le cinéma aussi, il y a des films qu’on a pu identifier – ce qui a également son importance. On a retrouvé, en effet, un John Ford inédit dans nos collections, un Tod Browning également inédit – des œuvres de jeunesse à chaque fois, mais des films considérés comme perdus et qui sont quand même intéressants car ils permettent à tout le monde de voir les premiers pas cinématographiques de ces deux auteurs, entre autres.
Quels sont les trésors que recèle cette collection ?
On a la chance d’être une archive nationale, et non pas une cinémathèque. La différence entre une archive et une cinémathèque, c’est qu’une cinémathèque va choisir certains fonds alors que nous on va plutôt aborder le cinéma par exhaustivité. Cela ne veut pas dire forcément qu’on va prendre tout et n’importe quoi ; on est obligés de faire des choix. Mais, effectivement, par rapport à la filmographie d’un auteur, il va nous paraître important, si on a un auteur dans notre collection comme, par exemple, René Clément, d’essayer d’avoir tous les films de René Clément. A ce propos, on a le premier film de René Clément, le tout premier film qu’il a réalisé avec son père en 1933, qui s’appelle « César chez les Gaulois » et qui est bizarrement un film d’animation, ce qui donne déjà un éclairage assez particulier sur la carrière de René Clément. Qui savait qu’il avait fait du cinéma d’animation avant de commencer ? Pratiquement personne, déjà pour commencer et, en plus, c’est un film dont malheureusement il manque une partie et qui est assez mauvais. Moi, personnellement, je n’aurais pas du tout misé sur un jeune réalisateur qui aurait fait un film aussi mauvais. Et pourtant René Clément a fait une carrière absolument extraordinaire. Historiquement, c’est très important d’avoir cette chose-là. Cela se serait produit dans une cinémathèque, au sens strict du terme, à savoir qui ne sélectionne que des choses nobles à regarder, on aurait complètement ignoré que René Clément avait fait un film comme ça. Donc, c’est cela aussi l’intérêt et, je pense, la richesse des archives. Ce n’est pas forcément d’avoir que des belles choses, c’est aussi avoir une certaine exhaustivité au niveau de la vérité historique pour permettre justement d’avoir un meilleur regard et un meilleur recul sur ce qui s’est fait.
Propos recueillis par Aline Vannier-Sihvola
à Helsinki, le 16 mars 2010
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