Anne Wiazemsky, écrivain, comédienne et réalisatrice, était attendue au Xe Salon du livre de Helsinki (28-31.10.2010) – point d’orgue de « Un Automne français » –, à l’occasion de la traduction en finnois de ses deux derniers livres « Jeune fille » et « Mon enfant de Berlin », respectivement « Nuori tyttö » et «Berliinin lapseni » (Artemisia edizioni). Par ailleurs, trois films dans lesquels elle a tourné sont inscrits au programme de la Cinémathèque Orion jusqu’à mi-novembre (voir détails du programme dans «Cinémathèque »). Malheureusement, en raison de grèves des transports aériens en France, Anne Wiazemsky n’a pu arriver jusqu’à Helsinki et participer au Salon du livre. Toutefois, elle a bien voulu accorder cette interview par téléphone.
Qu’est-ce qui vous a donné envie, quarante ans après le tournage de « Au hasard Balthazar » et la rencontre avec Robert Bresson, de raconter dans votre livre « Jeune fille » cette histoire inspirée de votre première expérience cinématographique ?
Eh bien, je pense que c’est parce que tant de temps a passé que cela redevient possible, que cela devient comme un roman justement, qu’en s’éloignant de ce temps-là on a envie de regarder en arrière. Ce n’est pas un livre que je pouvais écrire plus tôt. Et, sans doute, fallait-il aussi que Bresson meure… Il est mort en 1999, et il m’a donc fallu quelques années et deux livres entre pour que je m’y mette… Vous voyez, c’était le temps nécessaire jusqu’à la sortie du livre en 2007.
Vous avez, semble-t-il, suivi les conseils de votre grand-père, François Mauriac, et tenu un journal pendant toute la durée de ce tournage. Dans quelle mesure ce journal vous a aidée à écrire le livre ?
Il ne m’a pas aidée une seconde parce que j’avais pris comme règle du jeu de ne pas le regarder avant d’avoir terminé le livre de manière à laisser justement l’imagination complètement libre. J’ai donc respecté cette règle que je m’étais donnée à moi-même, et quand je l’ai relu, le livre terminé, j’ai vu que, d’abord, c’était beaucoup moins intéressant que le livre et, ensuite, à part quelques anecdotes en plus qui ne méritaient pas grand-chose, il y avait, par exemple, des choses sur lesquelles je m’étais complètement trompée : dans mon souvenir, c’est un moment tellement heureux de ma vie que j’ai l’impression qu’il faisait beau sans arrêt, que c’était un superbe été, or c’est un été où il a plu tout le temps. Et donc j’ai trouvé totalement inutile de tout réécrire sous la pluie. Le journal ne m’a, en fait, pas du tout aidée. Mais peut-être que de me dire qu’il était là était une sécurité…
En tout cas, vous avez tout de même gardé, après tant d’années, des souvenirs bien précis.
Au contraire… oui, et puis surtout la mémoire est une très bonne romancière. Il y a une phrase de Bresson que j’ai appliquée à la lettre. C’est une phrase très énigmatique – mais moi je la comprends – qui dit, en parlant à un de ses modèles, à un de ses interprètes : « Je vous invente, mais je vous invente tel que vous êtes. » Et voilà, j’ai fait la même chose avec lui.
S’il n’y avait pas eu cette rencontre de hasard – quelque peu programmée – avec Robert Bresson et ce tournage si particulier qui a déterminé le cours de votre vie, pensez-vous que, déjà à cette époque, vous étiez prédestinée à l’écriture ?
Non, je ne pensais rien. Je me demandais avec angoisse, comme beaucoup d’adolescents, ce que j’allais faire dans la vie. Dans quelle mesure votre grand-père, François Mauriac, a-t-il influé sur le choix de l’écriture ?
Il n’a pas influé du tout. Je pense qu’à cause de lui, à cause des écrivains dans ma famille, j’ai attendu très, très tard pour écrire, et il a fallu que je me fasse toute une vie d’abord pour oser me dire que j’avais envie d’écrire.
Robert Bresson aurait voulu que vous incarniez la Reine Guenièvre dans « Lancelot du lac » et que vous ne tourniez avec aucun autre cinéaste. Un an après « Au hasard Balthazar », on vous retrouvait dans « La Chinoise » de Jean-Luc Godard, film dans lequel vous teniez le premier rôle. Redoutiez-vous, malgré votre respect et votre admiration pour Robert Bresson, son emprise sur un autre tournage ?
Non, je ne redoutais rien du tout. Robert Bresson voulait une exclusivité de tournage avec moi, c’est vrai, mais c’était également le cas avec tous ses interprètes.
Comment la « jeune fille » de bonne famille se retrouve, un an après le tournage de « Au hasard Balthazar » et un an avant Mai-68, à décliner le marxisme-léninisme sous toutes ses formes dans « La Chinoise » de Jean-Luc Godard ?
L’origine, si vous voulez, c’est que je me suis retrouvée, en 1967, en première année de licence de philo à Nanterre et que, quelques mois auparavant, j’avais rencontré Jean-Luc [Godard]. On voulait vivre ensemble, et il souhaitait faire un film avec moi. Un an avant les événements de Mai-68, j’étais donc à Nanterre, un an avant je faisais la connaissance de Daniel Cohn-Bendit – leader, à ce moment-là, d’un groupe qui signait Les anarchistes –, mais je n’ai absolument pas compris ce qu’il allait se passer un an après. Là j’ai manqué de flair… complètement.
Vous avez également tourné avec Philippe Garrel dans « L’enfant secret » et Pier Paolo Pasolini dans « Théorème ». Quels souvenirs gardez-vous de ces metteurs en scène, de ces tournages ?
Oh la la… c’est 600 pages ! Je considère avoir fait avec eux deux grands films, j’ai aimé les faire, et je sais qu’ils vont vivre encore longtemps, ce qui est assez agréable.
Vous êtes aujourd’hui passée derrière la caméra et après deux documentaires, « Les anges 1943, histoire d’un film » (2003) et « Mag Bodard, un destin » (2005), vous en réalisez un troisième sur Nicole Garcia. Qu’est-ce qui vous a décidée, tout d’abord, à faire des films et qu’est-ce qui a déterminé le sujet de ces trois documentaires ?
Pour ce qui est du documentaire sur Nicole Garcia, c’est un documentaire qui effectivement a été fait, qui était très bien mais qui ne lui a pas plu. Alors elle l’a refait à sa façon… mais il y a déjà de ça un an et demi. C’est une très mauvaise histoire, mais lointaine. Les deux premiers sont vraiment de moi d’un bout à l’autre. Le Bresson, au départ, c’est une productrice qui est venue me chercher. J’ai beaucoup hésité, puis j’ai accepté son offre. En faisant ce film, j’ai adoré ça, et j’ai donc proposé un autre sujet, à savoir Mag Bodard. Mag Bodard est une très, très grande productrice qui a toujours souhaité être dans l’ombre et qui, entre autres, a produit « Au hasard Balthazar », « La Chinoise », tous les films de Jacques Demy, Agnès Varda, Jacques Doniol-Valcroze, Michel Deville. Dans les années 60-70-80, Mag Bodard est omniprésente. Comme je la connaissais, elle a accepté.
Quels sont vos projets d’écriture ou de films, tant devant que derrière la caméra ?
Pour l’instant je n’ai pas de projets de films, et personne ne me demande rien. C’est très épisodique. Mais si jamais j’ai une idée ou si quelqu’un m’en suggère une, je recommencerais volontiers.
Les films, les livres… je trouve que cela s’équilibre très bien : passer d’une grande solitude de l’écriture à un travail en petit groupe. Et dans l’avenir immédiat…
J’essaie d’écrire un livre…
Propos recueillis par
Aline Vannier-Sihvola,
le 29 octobre 2010
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