ENTRETIEN AVEC BRIGITTE BERG
Directrice des Documents cinématographiques – Fonds Jean Painlevé

Lors de la Xe édition du Festival du film documentaire de Helsinki – DocPoint, qui s’est déroulé du 25 au 30 janvier 2011, Brigitte Berg, directrice des Documents cinématographiques, est venue présenter trois séances d’une sélection de films de Jean Painlevé (1902-1989), pionnier du cinéma scientifique, biologiste, mais aussi artiste proche des milieux surréalistes.

Grâce au travail, au talent et à l’opiniâtreté de Brigitte Berg, le Fonds Jean Painlevé s’est élargi à d’autres archives cinématographiques, aujourd’hui restaurées et valorisées, et nous fait partager des trésors du patrimoine du cinéma français souvent oubliés ou disparus.
(www.lesdocs.com)

Avant toute chose, pouvez-vous nous dire qui était Jean Painlevé ?
C’est une vaste question, mais pour y répondre brièvement, je dirais que c’est un cinéaste scientifique français qui a commencé, dans les années 20, à faire des films avec le cinéma d’avant-garde. Toutefois, avant de commencer à faire des films lui-même, il se trouvait devant la caméra : il était acteur, durant une assez courte période. Après, il a fait un film dans le cadre de ses études – un film de recherche –, et ensuite il a fait des films pour l’extérieur, pour le grand public tout en continuant le travail de recherche. Il est né en 1902 et il est mort en 1989. Il a, donc, quasiment fait le siècle du cinéma – il a l’âge du cinéma, on peut dire. Le nom Painlevé, chez les gens d’une certaine culture, évoque surtout le père. Il y a, en effet, des équations Painlevé, mais ce n’est pas le fils, c’est le père qui était un grand mathématicien et homme d’Etat ; il y a, du reste, un square Paul Painlevé devant la Sorbonne, à Paris. Jean Painlevé est le fils unique de Paul Painlevé. Il a été élevé par son père, ou plutôt par sa tante qui était veuve, car sa mère est morte à sa naissance. Jean Painlevé n’était pas très doué pour l’école ; il s’y ennuyait. Il n’a pas fait Polytechnique comme il aurait dû le faire, mais a entamé des études de médecine qu’il a abandonnées pour finalement se tourner vers les sciences naturelles, ce qui était dans l’air du temps. A l’époque, on observe, en effet, un regain d’intérêt pour les sciences naturelles.

Et vous qui l’avez bien connu, quel était l’homme, quelle était sa personnalité ?
C’était quelqu’un qui était absolument, comment dire… en français, on a une expression que j’aime beaucoup : on dit qu’on a « l’étoile au front ». Cela veut dire qu’on est passionné, obsédé par ce que l’on fait. Et Painlevé avait l’étoile au front parce qu’il était quand même assez obsédé par ce qu’il faisait. Il n’avait pas une vie normale ; il ne s’est, d’ailleurs, jamais marié. Il avait une partenaire, Geneviève Hamon, dont on voit le nom au générique de tous ses films, qui s’occupait essentiellement de tout ce qu’il y avait autour du tournage d’un film scientifique. Il faut savoir que c’est quelque chose qui prend des années et des années. Il fallait, entre autres, veiller à ce que les animaux soient en bon état, leur procurer de l’eau de mer, car Painlevé filmait en aquarium, il ne filmait pas dans la mer – c’était impossible. Cela générait aussi d’autres problèmes : les animaux n’aimaient pas la lumière non plus, et pour tourner il fallait de la lumière, etc. Par ailleurs, il fallait être extrêmement méticuleux avec les pellicules. Et, en ce sens, Geneviève Hamon était la femme parfaite. Mais je pense que c’était aussi difficile pour elle d’être la femme de Painlevé car tout était investi dans le travail. C’était aussi une artiste, et elle s’est occupée de la fabrication du bijou hippocampe qui a vu le jour après le film. Painlevé a, en effet, lancé une fabrication de bijoux après la sortie de son film « L’hippocampe ». Il y avait des magasins partout en France, dont un Avenue de l’Opéra, un autre à côté du Fouquet’s, sur les Champs-Elysées. Les dessins avaient été confiés à Geneviève Hamon et la gestion de la fabrication à un tiers dont c’était le métier. Malheureusement, cela n’a pas continué après la guerre parce que la guerre a mis fin à beaucoup de choses. Donc, on peut dire que, pour Painlevé, Geneviève Hamon était la femme de sa vie… et elle est morte deux ans avant lui. Elle mérite qu’on lui prête attention, car elle était la plus jeune fille d’un couple d’anarchistes, Augustin et Henriette Hamon, qui habitaient à côté de Roscoff, en Bretagne, et qui étaient traducteurs de George Bernard Shaw. Ils avaient trois filles, et toutes les trois se sont intéressées aux sciences naturelles. Geneviève était autodidacte, les deux autres étaient universitaires, professeurs de sciences naturelles. Aucune ne s’est mariée, aucune n’a eu d’enfants, mais elles avaient une maison ouverte aux artistes : c’était un lieu de rencontre pour Calder, les Prévert, etc. Tout le monde se réunissait là. Et c’était aussi la maison de Painlevé quelque part, car il y avait créé son studio de tournage dans les années 20. Il était à côté de Roscoff où se trouvait la Station biologique. Donc, c’était formidable pour lui. C’est, du reste, là qu’il avait rencontré Geneviève lorsqu’il y avait été envoyé par la Sorbonne dans le cadre de ses études.

Quelle était à l’origine l’objet de la création des Documents cinématographiques ?
Les Documents cinématographiques, c’est le nom que Painlevé a donné à sa société en 1955. A l’origine, la société s’appelait la Cinégraphie documentaire, comme on peut le voir dans certains de ses films. Cette société de production a été créée en 1930 pour produire les films de Painlevé, parce que, pour lui, la production était une activité commerciale et que, donc, il fallait une société pour se donner les moyens de la mener à bien. Il était très en avance sur son temps. En même temps, il a créé l’Institut du cinéma scientifique pour distribuer les films des scientifiques, pour créer des congrès : tous les ans, il y avait un congrès où il réunissait des cinéastes scientifiques de tous pays pour qu’on puisse voir les films des autres. C’était un peu le festival d’antan… mais pour le cinéma scientifique.

Comment les Documents cinématographiques sont-ils financés ? Bénéficient-ils d’une aide de l’Etat ? Et quels sont aujourd’hui les activités et les objectifs du Fonds Jean Painlevé ?
Quand Painlevé était vivant, la question ne se posait pas parce qu’il ne dépendait de personne. Il était d’une indépendance farouche. Même financièrement. Il avait de la chance, et c’est pour cela que toute sa vie il a fait beaucoup de choses pour le bien public. Il s’estimait, du reste, très chanceux d’avoir eu un père qui l’ait laissé faire ce qu’il avait envie de faire. Pour autant, il ne gâchait pas l’argent ; il y faisait très attention. Par contre, quand c’était pour les films, il était très large d’esprit, notamment pour tout ce qui était technique. De son vivant, il n’y avait pas trop de problèmes ; il voulait rester indépendant. Mais le cinéma scientifique ne permet pas à quelqu’un de gagner sa vie ni même de restaurer les films. Donc, quand j’ai repris la société, j’ai décidé qu’on allait peut-être agrandir notre fonds, d’où Georges Rouquier qui était un copain de Painlevé. Aujourd’hui, on s’occupe de toutes les productions de l’Allier pour le fonds des ayants droit. Je m’occupe, en fait, de beaucoup d’ayants droit qui ont connu ou qui sont de la famille Painlevé. On a également acheté des fonds de documentaires qui, à l’époque, n’intéressaient personne et que j’ai eus pour pas très cher. Ainsi, on a beaucoup de documentaires dans notre fonds qui sont vraiment intéressants. Maintenant, on restaure avec, entre autres, Eric Le Roy des Archives françaises du film qui est un de nos partenaires très important. On est donc un fonds privé qui n’est pas subventionné par l’Etat, mais j’ai signé des conventions parce que je suis obligée… cela passe par là. Pour ce qui concerne les films Painlevé, disons qu’on a pratiquement tout restauré. On a, par ailleurs, sorti un livre aux Etats-Unis. Je dois dire que j’ai des amis là-bas… En France, je n’ai pas réussi mais, aux Etats-Unis, j’y suis parvenue parce qu’ils s’intéressaient beaucoup à Painlevé. C’est aussi un concours de circonstances : on connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un, et puis le hasard fait parfois bien les choses. Mais Painlevé, ça marche très bien : les musées d’art contemporain, les artistes sont extrêmement sensibles à Painlevé. Et ça, pour moi, cela a été une révélation… aussi parce que je me rappelle la première fois que j’ai vu les films moi-même, invitée par Jean Painlevé : je ne savais pas quoi faire de ces films car ils ne ressemblaient à rien d’autre que je connaissais du cinéma. La musique, les commentaires étaient extrêmement étonnants. Et je pense que ça, c’est le vrai signe que c’est de l’art.

Comment lui est venu ce besoin de faire des films ? Etait-ce le biologiste qui voulait faire partager ses connaissances, ses découvertes avec le plus grand nombre ou bien était-ce une vraie passion du cinéma ?
Je crois que c’est un concours de circonstances… C’est, en fait, beaucoup de choses et on ne peut lui attribuer un seul facteur. Il allait au cinéma avec sa nourrice, déjà à Saint-Michel, voir les serials américains. C’est quelqu’un qui a été élevé avec le cinéma. Donc, ça faisait partie de sa culture. Il avait vu en salle la bande à Bonnot aux Actualités – les Bonny et Clyde français de l’époque –, et il s’indignait devant l’injustice de voir ce couple arrêté. Il en parlait encore quand il était âgé. C’était quelque chose qui était en lui. Il était très friand de cinéma américain, les débuts de Griffith, et puis le cinéma pur, le cinéma d’avant-garde. Tout cela l’intéressait énormément. Après tout, c’est Painlevé qui a fourni l’étoile de mer à Man Ray. Quand ce dernier a fait son film « L’étoile de mer », il a demandé à Painlevé de lui fournir une séquence d’une vraie étoile de mer. Donc, il connaissait tout ce beau monde, Germaine Dulac aussi. Tous fréquentaient les mêmes personnes, les mêmes cinémas d’avant-garde.

Jean Painlevé est l’auteur de quelque 200 films (courts métrages documentaires), avec une prédilection pour la faune marine. Certains films datent des années 30, et on se demande comment il a pu tourner ces films avec aussi peu de moyens techniques.
C’est pour filmer les animaux qui ne supportent pas la lumière, qui ne supportent pas la chaleur, qui ont besoin d’eau de mer, et en 35 mm. Les animaux, on ne peut pas leur demander de copuler ou de faire ceci ou cela. Toutefois, il avait pris un technicien qui s’appelait André Raymond, dont on peut voir le nom dans les génériques, qui était un bricoleur de génie. Et Raymond savait adapter les caméras aussi. Donc, grâce à Raymond, il a pu faire des choses. Mais il fallait quand même être là, il fallait surveiller. Et il y avait aussi un gâchis considérable. Ainsi, il avait un opérateur, Eli Lotar, qui avait fait un film et qui était un bon photographe. Lotar avait oublié de mettre sur une bobine (qui devait être développée) la mention « panchromatique » ou « orthochromatique ». A vrai dire, je ne me souviens plus de laquelle mais, en tous cas, c’était l’une et pas l’autre. Toujours est-il que toute la séquence a été perdue parce qu’il n’avait pas mis la bonne mention. La séquence portait sur l’accouchement des caprelles, et ça on ne pouvait pas refaire. Painlevé a viré Lotar. Il pouvait prendre des colères aussi et être terrible quand quelque chose n’allait pas. Ainsi, toute la séquence, tout le temps qu’ils avaient passé à la tourner, à attendre… eh bien, il n’y avait plus rien. Du reste, il disait que les meilleures choses, c’est ce qu’il n’a pas pu filmer. C’est souvent comme ça.

Pourquoi la musique, bien qu’annoncée en générique, est-elle absente de la plupart de ses premiers films ?
Ses films n’étaient pas muets. Painlevé les passait souvent en muet, mais moi, j’ai rétabli les bandes sonores. On avait, en fait, convaincu Painlevé de mettre du son sur la plupart de ses premiers films où il y a des intertitres, mais Painlevé n’aimait pas le sonore au début. Il pensait que les paroles allaient se substituer à l’image, ce qui est vrai souvent. Mais il s’est quand même laissé convaincre qu’il fallait du son pour que les films passent dans les salles. Le directeur de la Salle Pleyel lui a dit un jour : « Venez, je vais vous présenter un homme de goût qui va vous plaire… » C’était Maurice Jaubert, et il n’avait pas tort. Maurice Jaubert était un merveilleux compositeur pour le cinéma français, entre autres. Ils sont devenus très amis, et c’est grâce à Painlevé que Jean Vigo a utilisé la musique de Maurice Jaubert pour « L’Atalante » et « Zéro de conduite ». C’est vraiment un tout petit monde. Jaubert a donc composé de la musique pour les films de Painlevé, mais Painlevé n’aimait pas trop ce qu’il faisait. C’était la mode de faire du Chopin… même la voix de Painlevé avait été intégrée, mais il ne le supportait pas. J’ai pris sur moi de les rétablir parce que je trouve que c’est intéressant quand même. Donc, les films n’étaient pas vraiment muets.

Quelle est aujourd’hui la proportion de films restaurés de Jean Painlevé ?
Il y a encore beaucoup de films de recherche à restaurer. Pour moi, c’est une chose terrible parce que, souvent, il n’y a pas de générique et c’est filmé au microscope. On ne sait pas, en fait, à quoi on a à faire. Et comme c’est dans des boîtes ou dans des petits sachets avec des morceaux de papier, je pense que je n’en finirai jamais. Mais je travaille maintenant avec Banyuls – les laboratoires de biologie marine – parce que les films sur la pieuvre, par exemple, les films de recherche ont été tournés là-bas. J’espère vraiment qu’ils vont pouvoir m’aider, mais on ne sait jamais, car comme ça ne rapporte rien, ce n’est pas sûr… Mais moi, je continuerai parce que c’est Painlevé et que ses films sont de véritables petits bijoux.

Est-ce que les films de Jean Painlevé sont destinés au grand public et connus de celui-ci – en France comme à l’étranger – et par quelles voies ?
A vrai dire, j’ai une certaine facilité car je suis de langue maternelle anglaise, même si je suis née au Danemark, et j’ai beaucoup de contacts aux Etats-Unis. C’est, du reste, un peu ce qui a sauvé Painlevé pour commencer, ce qui l’a lancé outre-Atlantique. Nul n’est prophète dans son pays, comme on le sait. Donc, grâce à mes amis aux Etats-Unis – j’ai une fille qui habite là-bas aussi et qui est artiste –, Painlevé a pris, et il se trouve qu’il est très souvent programmé là-bas. Je n’ai même pas besoin d’y aller car ils connaissent. Il y a des thèses qui ont été faites. Ainsi j’ai eu un jeune Américain qui est venu pendant un an à Paris faire sa thèse sur Painlevé, et il est prof maintenant. Par ailleurs, beaucoup de musées d’art contemporain sont très fidèles. Painlevé était aussi photographe. Il a fait de très belles photos comme le buste de l’hippocampe qui est une photo merveilleuse, et il y en a un tirage ancien au Musée d’art moderne du Centre Pompidou. Dans le livre que j’ai sorti aux Etats-Unis avec des amis, j’ai une petite section dédiée aux photos parce que j’ai le sentiment qu’on a un peu oublié que Painlevé était photographe. La photo et le cinéma sont quand même deux enfants de mêmes parents. Et il y a pas mal de photos de Painlevé ; on a, du reste, participé récemment à une exposition sur le surréalisme avec des tirages originaux de notre fonds.
En France, la Cinémathèque française montre de temps en temps les films, des courts métrages Painlevé, ou autres d’ailleurs. Ainsi on a fait une grande rétrospective Georges Rouquier en 2009. Nous avons également collaboré avec Arte… En fait, juste après la mort de Painlevé, il y a eu un intérêt très fort, et on a coproduit une série de 8 fois 26 minutes sur Painlevé. Dans cette série, il y a beaucoup de films de Painlevé, et ce dernier y raconte sa vie dans une interview qui a été faite un peu avant qu’il ne meure. C’était la Sept à l’époque, et maintenant je viens de racheter les droits de GMT qui était le producteur principal (nous avions alors une petite part). Je dois dire que c’est une série qui est très bien faite.
Le Centre Pompidou a fait également une très grande rétrospective après la mort de Painlevé. Jean-Michel Arnold (Secrétaire général de la Cinémathèque française et fondateur des Rencontres internationales Image et Science – N.D.L.R.) s’est félicité du travail que j’avais réalisé, que ce soit le livre sorti aux Etats-Unis, les DVDs chez Criterion ou édités par le British Film Institute (BFI). J’ai quand même fait beaucoup de choses à l’étranger parce que j’y avais plus de facilités. En France, c’est un peu plus difficile. Il faut dire qu’il y a des gens qui ne m’ont pas aidée, et j’ai dû pas mal me battre. Mais pourquoi pas !?

Et le livre, sortira-t-il dans une version française ?
J’essaie… Il y a beaucoup de textes, de très beaux textes de Painlevé sur les animaux aussi. Il y a des choses qui sont complètements inédites et que, je pense, on pourrait sortir. On vient de terminer un site Jean Painlevé qui devrait être très prochainement mis en ligne, parce qu’on a séparé Painlevé des documents. Pour une question d’identité, c’est important que Painlevé ait son site.

Le Festival DocPoint s’achève et les trois séances de films de Jean Painlevé ont fait, à chaque fois, salle comble avec un public de tous âges. Comment expliquez-vous le succès de films qui ont pour vedettes une crevette, une pieuvre ou un hippocampe?
Il faut remercier les organisateurs du Festival DocPoint, et surtout Mika Taanila (cinéaste finlandais entre film expérimental et documentaire – N.D.L.R.) et Antti Alanen (programmateur à la Cinémathèque finlandaise – N.D.L.R.).
C’est vrai, c’est étonnant. Du reste, j’ai rarement vu que les gens applaudissent après chaque film. J’ai vu ça l’autre soir, et j’étais émerveillée. Mais le mérite revient à Mika Taanila. Il connaît bien Painlevé et il sait aussi le présenter. Et puis, il ya beaucoup de hasard dans les choses, il y a des mystères. Mais je pense que Mika y est pour beaucoup, car c’est quelqu’un d’une grande sensibilité artistique ; il a bien compris les films et a su relayer ce qu’il a compris.
Painlevé est une sorte d’OVNI dans l’histoire du cinéma, et c’est bien de pouvoir faire ce qu’on a envie de faire l’étoile au front … c’est ça un artiste aussi. Et puis, les animaux… on n’est pas obligé de faire du photogénique comme Cousteau, on n’a pas besoin d’être nécessairement un homme d’affaires non plus, mais on peut, avec un peu d’argent, aussi réussir… Il n’y a pas une seule manière de vivre ou de créer, il y en a plusieurs, et Painlevé, c’en est une qui est très originale quelque part. On n’a pas besoin de parcourir les océans, de faire des grands voyages ; on peut filmer dans son aquarium de chambre. Un aquarium, c’est un peu comme un écran de cinéma justement. C’est dans le noir, on regarde, et c’est magique. Cela permet d’apprendre des choses en regardant… l’école sans murs, c’est-à-dire ouvrir ses yeux, utiliser son imagination aussi. J’aime beaucoup le parallèle entre l’aquarium et l’écran de cinéma parce que, pour moi, c’est un peu la même chose. Et Painlevé vient d’une époque où les artistes étaient très friands de tout ce qui était sciences naturelles. Si on prend quelqu’un comme, je ne sais pas, Max Ernst, enfin toute l’école du Bauhaus aussi, on trouve beaucoup de tableaux avec des œufs, il y a beaucoup d’œufs partout, et dans les films de Painlevé, il y a aussi beaucoup d’œufs. Il y a des diatomées, par exemple. Je sais que chez Kandinsky il y a un tableau qui s’appelle « Les petites douceurs » (Kleine Süßigkeit) mais, en fait, ce sont des diatomées. Dans ses cours au Bauhaus, Kandinsky faisait des références à beaucoup de dessins, surtout de sciences naturelles, de Ernst von Haeckel, grand chercheur mais aussi dessinateur talentueux, de magnifiques dessins de méduses, de toutes sortes de bêtes sous-marines. Donc, c’était aussi quelque chose qui était dans l’air. En fait, cela mène à beaucoup de pistes. Et on n’a pas épuisé les merveilles de ce monde sous-marin, qu’on est malheureusement en train de détruire.

Propos recueillis par Aline Vannier-Sihvola
à Helsinki, le 30 janvier 2011