ENTRETIEN AVEC TIMO TORIKKA
Acteur, réalisateur, scénariste

Timo Torikka est un acteur généreux qui ne boude pas son plaisir tant sur les écrans finlandais que sur les planches françaises. On le retrouve dernièrement à l’affiche du cinéma finlandais à l’occasion de la sortie en mars du dernier film de Mika Kaurismäki « Veljekset » (Frères), drame inspiré des «Frères Karamazov » de Dostoïevski.
Ainsi, après « Un conte finlandais » (« Kolme viisasta miestä ») et « Divorce à la finlandaise » (« Haarautuvan rakkauden talo»), Mika Kaurismäki brosse avec « Veljekset » un portrait satirique de trois frères (Dmitri/Timo Torikka, Ivar/Kari Heiskanen et Torsti/Pertti Sveholm) réunis pour les 70 ans de leur père. Issus de mères différentes, les trois frères aux personnalités fort contrastées vont affronter, à coup de tristes vérités et de souvenirs douloureux, leurs différentes conceptions de la vie et tenir leur père pour responsable de leur échec.
Au bord du gouffre, existe-t-il un espoir de rédemption ?

Tout d’abord, qu’est-ce qui vous a plu dans le scénario de « Veljekset » et dans le personnage que vous incarnez ?
En fait, il n’y avait pas de scénario… ! On avait un projet qui se rapprochait de « Un conte finlandais », film également de Mika Kaurismäki qu’on a tourné il y a deux ans. Quand on a fait ce film, à l’époque, l’idée était de trouver une méthode qui ne soit pas trop formatée, parce que maintenant toutes les productions de cinéma sont très planifiées… tout est calculé. On a alors voulu faire quelque chose qui soit un peu à notre façon, et c’est dans ce même ordre d’idées qu’on a continué à faire évoluer cette méthode d’improvisation avec « Veljekset ». En fait, j’adore travailler comme ça car on ne sait jamais ce qui se passe à chaque fois qu’on dit « Action »…
Quant au personnage de Mitja que j’interprète, qui se rapproche de Dmitri dans « Les frères Karamazov », c’est un personnage fascinant. C’est quelqu’un qu’il est difficile de décrire avec de simples mots… c’est quelqu’un qui aime bien la vie mais qui est, en même temps, très déprimé. C’est vraiment un personnage complexe, quelqu’un qui aime bien les femmes, la vie, le vin, qui incarne la joie de vivre et qui est, en même temps, quelqu’un de très tourmenté. Je trouve que cette combinaison de joie de vivre et de déprime a, en fait, quelque chose de très finlandais.

Sans parler de trilogie, avec « Veljekset » (sortie le 18.03.2011), c’est le troisième film que vous tournez d’affilée avec Mika Kaurismäki après « Un conte finlandais » (2009) et « Divorce à la finlandaise» (2010). Vous êtes, d’une certaine manière, un de ses acteurs fétiches. Est-ce à dire que vous ne tournez qu’avec ce réalisateur ?
En fait, je tourne en ce moment une série télévisée, et puis j’ai joué également un petit rôle dans le film « Elokuu » (Août) d’un jeune réalisateur finlandais, Oskari Sipula, film qui va sortir début avril. J’ai également un rôle parlé dans l’opéra « Aleksis Kivi » de Einojuhani Rautavaara qui se produit jusqu’au 8 avril à l’Opéra national de Finlande. Mais, je dois dire que, de tous les tournages avec Mika Kaurismäki, mes deux films préférés sont « Un conte finlandais » et « Veljekset » car, dans ces deux cas-là, c’était vraiment le travail qui était inventif.

Qu’est-ce qui vous plaît dans la manière de filmer de Mika Kaurismäki ? Est-ce le côté improvisation ? Est-ce vous retrouver associé au trio d’acteurs avec qui vous avez l’habitude de jouer ?
C’est la joie pure de travailler comme ça, avec une bande… de copains. C’est vraiment comme des musiciens lorsqu’ils trouvent quelqu’un avec qui ils s’accordent bien… c’est génial ! Car, à ce moment- là, on peut essayer plein de choses ; on peut se laisser aller quand on fait vraiment confiance au réalisateur, en l’occurrence Mika, et aux copains. Qui plus est, le tournage est rapide : on a tourné « Un conte finlandais » en six jours et « Veljekset » en cinq jours. C’est en partie pour des raisons budgétaires, mais c’est surtout une question de méthode : on essaye de faire du concentré, quelque chose de vraiment intensif.

Est-ce que ces méthodes d’improvisation vous les avez expérimentées aussi au théâtre ?
En fait, chaque acteur improvise chaque fois qu’il joue parce qu’il y a tellement de facteurs inconnus, des choses qui peuvent changer, qu’il faut toujours improviser. Mais vraiment créer… oui, j’ai eu, en fait, l’occasion de faire pas mal de choses où on créait toute une pièce de théâtre avec des scènes improvisées. Mais, dans l’univers cinématographique, c’est tout de même assez rare car c’est tellement cher. C’est, du reste, pour cette raison que c’est devenu très formaté et très calculé. En fait, parfois, on a la sensation que même le rôle est déjà joué avant le tournage… Mais là, en l’occurrence, avec « Veljekset », c’est le contraire ; on a toutes les possibilités de vraiment créer, et moi, j’adore ça.

Il semble y avoir toujours une petite part personnelle dans chaque film. Ainsi, dans « Un conte finlandais », vous êtes un comédien de théâtre qui joue en France et, cette fois-ci, dans « Veljekset », vous êtes un scénariste-réalisateur qui a le souhait de faire un film avec Johnny Depp et Juliette Binoche. Est-ce votre choix ou celui du metteur en scène d’ajouter à chaque fois ces petites touches personnelles?
Pour « Le conte finlandais », j’ai essayé de trouver quelque chose que je connaissais très bien et qui me touchait de près, de créer un mélange de quelque chose qui soit très près de moi et, à la fois, très éloigné. Voilà. Je pensais à quelque chose de similaire pour « Veljekset », et c’est spontanément que je me suis improvisé réalisateur et que j’ai lancé cette réplique.

On vous retrouve, certes, sur les écrans finlandais, mais aussi sur les planches de théâtres français. Pouvez-vous nous raconter brièvement comment tout cela a commencé et comment cela a évolué ?
J’ai toujours été un peu francophile dans ma jeunesse. En fait, à l’époque, quand j’étais jeune, il y avait des cinémathèques, et j’allais une fois par semaine au cinéma. J’ai vu tous les classiques du cinéma français. J’adorais tellement cette langue que je me suis dit qu’il fallait que je l’apprenne à tout prix, que je comprenne ce qui se disait, et c’est comme ça que tout a commencé. Après, je suis allé voir beaucoup de pièces de théâtre à Paris, un peu à Lyon, à Marseille aussi, puis je me suis mis à faire des ateliers en France. C’est peu à peu que l’occasion est venue de vraiment y travailler. Et maintenant, en fait, avec Guy Delamotte, metteur en scène de théâtre avec qui j’ai beaucoup travaillé en France, on est en train de préparer une production pour 2012 – « Les Frères Karamazov ». On commencera à Caen, puis on fera une tournée au mois de mars 2012. J’ai rencontré, il y a déjà pas mal d’années, Guy Delamotte qui a sa troupe, sa structure Le Panta-Théâtre basé à Caen. Ainsi, en fonction des opportunités, il y a des périodes finlandaises et des périodes françaises. Je me partage entre la France et la Finlande.

Vous maîtrisez fort bien la langue française, mais que vous apporte le fait de jouer en français, une langue qui n’est pas la vôtre ?
C’est bizarre, à vrai dire. Quand j’ai commencé avec la première pièce qui était « Plus loin que loin », en 2005 – on a commencé à Caen, puis on a continué à la jouer pendant deux ans –, au début, lors des répétitions, je sentais comme un certain handicap avec la langue. En fait, j’avais beaucoup de monologues, des textes assez compliqués, et j’avais quelques hésitations : je me demandais si ça allait marcher, ce que ça allait donner. Mais, en fait, un jour que j’étais assez fatigué, au moment où je suis monté sur scène, j’ai eu la sensation que c’était vraiment le dialecte du personnage, que c’était comme ça qu’il parlait et, tout d’un coup, c’est devenu ma langue. Après, je n’ai plus jamais eu de problèmes. Car c’est vraiment la manière de parler qui crée aussi une partie du personnage autant que sa manière de jouer. En fait, la langue ce n’est pas seulement des mots, c’est aussi des gestes, des pensées, toute la culture, toute l’histoire du pays qui est derrière. De cette façon, tout change quand on change la langue. C’est un peu comme quand on prend la note « la », par exemple, du piano, cela ne donne pas seulement le « la », cela donne des millions d’autres sons qui suivent. Et c’est pareil avec la langue, quand on dit un mot il y a toute l’histoire de la langue, du pays qui est là… c’est assez riche comme expérience.

En tant qu’artiste, vous avez plusieurs cordes à votre arc – cinéma, théâtre, télévision, opéra, voire même concert –, quelle est aujourd’hui votre actualité, quels sont vos projets ?
C’est vrai, je chante aussi un peu. J’ai du reste toujours le rêve de traduire les chansons françaises, par exemple Moustaki… Ferré aussi. Il y a tellement de chansons, surtout en France, qui sont en fait de la poésie, qui ne sont pas seulement des chansons mais qui ont vraiment réussi à combiner la musique et le théâtre… mais ça c’est un rêve. En fait, j’ai joué de la guitare classique avant de faire des études de théâtre.
Pour ce qui est, donc, de mon actualité et de mes projets, je tourne actuellement une série télévisée et, en même temps, je prépare un mini-festival – « Les dramaturgies du monde – Finlande/France » – qui se passe d’abord à Caen : trois auteurs finlandais vont travailler avec des acteurs français pour vraiment créer des pièces de théâtre en dix jours. Il y aura trois représentations publiques… Cela se passera au mois de mai. Et, au mois d’août, Guy Delamotte viendra, en retour, au Théâtre national de Finlande pour travailler avec des acteurs finlandais et mettre en scène « Juste la fin du monde » de Jean-Luc Lagarce. Par ailleurs, Michel Raskine viendra également à Helsinki travailler avec des acteurs du Théâtre KOM pendant dix jours pour faire une soirée avec des textes français… au mois d’août aussi. Mon rôle, cette fois, est de m’occuper de l’organisation. Voilà. En France, donc, ce projet des «Dramaturgies du monde » pour mai, et après, voire aussi dans le même temps, on prépare les Karamazov, car c’est un grand projet pour le Panta-Théâtre qui est une petite structure.

Propos recueillis en français
par Aline Vannier-Sihvola
Helsinki, 14.03.2011