Une étoile du Nord dans le ciel de Hollywood
Sodankylä, 15.06.2012

Danseuse, actrice finlandaise, Taina Elg a fait carrière à Hollywood dans les années 50. Invitée d’honneur au Festival du film du soleil de minuit, qui a eu lieu du 13 au 17 juin 2012 à Sodankylä, en Laponie finlandaise, cette « grand old lady » a séduit le public avec charme et élégance. Taina Elg est née à Helsinki, en 1930. Très jeune, elle s’initie à la danse et intègre l’Opéra national de Finlande (1940-46). Par la suite, elle est engagée dans des corps de ballet à Londres et à Monte-Carlo, dans la compagnie du fameux Marquis de Cuevas (1949-53). En 1953, elle part aux Etats-Unis où elle entame une carrière d’actrice à Hollywood. Elle tourne dans une douzaine de films, dont « Les Girls » de George Cukor où elle donne la réplique à Gene Kelly et où, surtout, ses talents d’actrice et de danseuse lui valent un Golden Globe de la Meilleure actrice (1958).
Elle revit pour nous ses années passées en France avec beaucoup de plaisir et d’émotion… dans un français impeccable !

Que pouvez-vous nous dire de ces années passées à Monte-Carlo et en France quand vous avez quitté la Finlande, toute jeune fille, un peu avant les années 50 ?
J’ai en effet rejoint, en tant que ballerine, la compagnie du Marquis de Cuevas, tout d’abord à Monte-Carlo qui était un endroit tellement agréable. C’est du reste là que les ballets russes avaient répété auparavant. Je suis restée quatre ans au sein de la compagnie du Marquis de Cuevas. C’était évidemment très intéressant car on voyageait beaucoup. Ainsi, nous sommes allés au Brésil et partout en Europe, même en Afrique du Nord, en Tunisie et en Algérie… Maintenant, c’est différent, mais c’était très intéressant à l’époque. J’ai beaucoup appris au sein de la troupe, et puis on travaillait dur. On a passé beaucoup de temps à Deauville pendant l’été où on présentait toujours des spectacles.
Vous avez, me semble-t-il, également dansé à Bordeaux – dont je suis moi-même originaire ?
C’était en 1951, une année très importante pour le Grand Théâtre de Bordeaux qui était tellement beau comme monument. Il n’y a eu qu’une seule représentation du Grand Ballet du Marquis de Cuevas au Grand Théâtre de Bordeaux et, si je me souviens bien, ce devait être à l’occasion du Mai musical de Bordeaux. On s’est, par ailleurs, pas mal déplacés en France, et aussi en Europe, pour des représentations diverses. Mais, avant cela, en 1947, j’étais dans la compagnie du Svenska Dansteatern en Suède, et nous sommes allés en Suisse et à Prague. A cette occasion, du reste, j’ai pris l’avion pour la première fois de ma vie ! On a également à cette époque dû traversé l’Allemagne, et je me souviens combien c’était triste car le pays était en ruines après la guerre. Nous sommes aussi allés danser aux Pays-Bas, en Belgique et, avant cela, on a fait des tournées en Norvège, en Suède et au Danemark du temps où j’étais au Svenska Dansteatern – donc, avant d’avoir rejoint la troupe du Marquis de Cuevas.

Vous avez à peine 20 ans, vous empruntez juste assez pour un billet aller et 3 jours de séjour à Monte-Carlo, et vous partez vous faire engager au Ballet du Marquis de Cuevas. Vous étiez très déterminée et sûre de vous…
J’étais effectivement partie avec de l’argent pour juste trois jours, mais on m’a annoncé que le Marquis de Cuevas voulait me faire passer lui-même une audition, et j’ai dû attendre une semaine. Ce dernier voulait me voir aussi car il estimait qu’il avait assez de danseuses déjà et n’avait pas vraiment besoin d’en engager d’autres. Mais le maître de ballet de la compagnie m’a invitée à venir au cours avec la troupe, et il s’est trouvé que je me suis bien débrouillée – il est vrai que je venais du Royal Ballet Theater de Londres, à l’époque le Sadler’s Wells Ballet School. On m’a alors engagée dans la compagnie et j’y suis restée pendant quatre ans. Au cours de ces quatre années, j’ai vécu beaucoup en France. On avait toujours le stage à Paris, on allait l’été à Deauville, on se produisait à Biarritz.

A propos de Biarritz, le Marquis de Cuevas y a organisé, en 1953, le Bal du siècle où quelque 3 000 invités étaient attendus en tenue XVIIIe siècle. Mais vous veniez juste de quitter le Ballet suite à une blessure à la cheville. Parlez-nous de la personnalité du Marquis, de ses extravagances…
Il aimait le luxe, et comme sa femme était une Rockefeller… cela aidait ! Mais c’était un homme très gentil, et il nous organisait toujours des fêtes. Quand on ouvrait la saison, où que ce soit, et qu’il était avec nous, il nous offrait toujours ce qu’il y avait de meilleur à manger et à boire, souvent du champagne. Il était très amusant et gentil.
Etait-il lui-même un professionnel de la danse ou bien un mécène ?
Il a tout d’abord, pendant la guerre, en 1943, fondé une compagnie de danse à New York, le Ballet International. Cette compagnie a duré quelques années. En 1947, lorsque le marquis a quitté les Etats-Unis pour s’installer en France, il a racheté le Nouveau Ballet de Monte-Carlo qu’il a alors rebaptisé le Grand Ballet de Monte-Carlo. Quelques danseuses du Ballet International de New York l’ont du reste suivi pour faire partie de la troupe à Monte-Carlo.

En 1953, c’est l’accident. Vous tombez et vous vous blessez à la cheville. C’est la fin de votre carrière de ballerine. Le médecin vous prescrit des mois de repos que vous n’observez pas vraiment…
Oui, effectivement, je pars au Maroc faire des photos pour le magazine « Elle ». C’était une expérience assez extraordinaire. Je me souviens qu’on a été invités chez le Caïd qui était marié à une Française… l’actrice Cécile Aubry. Elle était très belle, mais on ne la voyait quasiment jamais. Il semblait la cacher (N.D.L.R. : en fait, le mariage a été tenu secret jusqu’à la naissance en 1956 de leur fils Mehdi, le héros de l’inoubliable feuilleton télévisé des années 60 « Belle et Sébastien »). En tout cas, on a été très bien reçus dans son palais. Il était le fils aîné du pacha de Marrakech… je crois me souvenir.

Vous avez travaillé ainsi comme mannequin et fait la couverture de « Elle » à quatre reprises, également celle de « Vogue ».
Tout dernièrement, justement, j’ai vu que j’avais fait la couverture de Noël 1952 du magazine « Elle ».

C’est à cette époque, en 1953, que Taina Elg quitte l’Europe pour partir aux Etats-Unis et entamer une carrière d’actrice à Hollywood.

Taina Elg a publié son autobiographie en 1991 (texte original en anglais traduit en finnois) où elle décrit sa jeunesse et parle de sa carrière de ballerine en Europe. Elle termine son livre à Paris, en 1953, avant son premier mariage et sa carrière à Hollywood.

Propos recueillis en français
par Aline Vannier-Sihvola
Sodankylä, 15.06.2012