Dans le cadre de la rétrospective du Cinéma fantastique français présentée à la Cinémathèque de Finlande, Eric Le Roy, chef du service « accès, valorisation et enrichissement des collections » aux Archives françaises du film du CNC et président de la Fédération internationale des Archives du film (FIAF), a donné, comme annoncé, une conférence sur le cinéma fantastique français à la Cinémathèque Orion.

Ci-dessous quelques extraits de sa présentation :

Le cinéma fantastique français

Le Fantastique est un genre que l’on n’associe guère spontanément à la production cinématographique en France. Quelles sont ses frontières ? A-t-il une esthétique propre ? Autant le genre existe en tant que tel dans les pays anglo-saxons, autant il est difficile d’en cerner les contours dans le paysage du cinéma français. Peut-être faut-il voir dans cette réticence la marque du cartésianisme ; bien qu’à travers les décennies, producteurs comme critiques et historiens lui aient souvent préféré les termes de « fantasmagorie », « féerie », « épouvante » ou « merveilleux », cette profusion typologique elle-même atteste de l’existence dans notre cinématographie de ces oeuvres relevant peu ou prou de la définition forgée par Jean-Claude Romer : « On peut parler de Fantastique lorsque, dans le monde du réel, on se trouve en présence de phénomènes incompatibles avec les lois dites « naturelles ». Ce constat remonte aux débuts mêmes du Cinématographe, depuis qu’un enchanteur nommé Georges Méliès, eut la géniale intuition de tourner ce procédé nouveau vers l’illusion, et à proprement parler la magie. Diables et prestidigitateurs, fées et sorcières peuplent bon nombre des cinq cents films qu’il tourne en quinze ans, dans ses studios de Montreuil, et qui, pour le spectateur de l’époque, sont autant de merveilleux cauchemars. En donnant naissance au spectacle cinématographique, le propriétaire du Théâtre Robert-Houdin inventait dans le même geste la mise en scène et le genre fantastique.

Une définition du fantastique
Celui-ci, malgré cet ancrage précoce en France, met pourtant plusieurs décennies à dire son nom. Il faudra attendre l’orée des années 1970 pour qu’un regard cinéphile singulier se pose sur lui et jette un pont entre le surréalisme et ce que l’on n’appelle pas encore le cinéma « bis », tout en relisant la politique des auteurs à la lumière de Mai-68 pour qu’il se constitue en « genre ». La mythique revue Midi-Minuit Fantastique, aujourd’hui disparue, tient une place prépondérante dans son développement. « Midi-Minuit », c’est aussi le nom de la salle de cinéma parisienne qui, à la même époque, diffusa en version française les films venant des principaux pays (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Italie, Espagne) où le Fantastique est un véritable genre d’exploitation, un secteur en soi de l’industrie cinématographique locale. C’est enfin le titre d’un film culte de Pierre Philippe, longtemps invisible. Cette veine proprement onirique naît donc avec Méliès, mais aussi Segundo de Chomon ou encore Gaston Velle, moins célèbre…
…Mais le genre trouve sa véritable origine dans la littérature, du conte au feuilleton populaire, avec lesquels il traverse modes et courants. Le conte et ses thématiques sont récurrents du genre en France, comme en témoigne Le Petit Poucet, adapté par bon nombre de réalisateurs : l’un des premiers titres qu’il a inspirés remonte à 1909, le dernier à 2009. De même, Alice au pays des merveilles est présent avec un film de 1949, curiosité tournée avec le procédé couleur Anscocolor, et mêlant prises de vue réelles et animation. Quant aux sortilèges, pourquoi pas une plongée dans l’enfer du jeu avec deux des adaptations cinématographiques de La Dame de pique d’Alexandre Pouchkine, celle de Fédor Ozep en 1937 et celle de Léonard Keigel en 1965.

Un univers poétique peuplé d’êtres surnaturels
Pour qualifier les oeuvres de ce cycle, il est sans doute plus pertinent de parler de « films français fantastiques » dont les dimensions surnaturelles, si elles servent le plus souvent à véhiculer un discours romantique ou parfois politique, constituent un fil rouge, discret mais qui ne se rompt pas. Dès les années 1920, le cinéma français voit surgir des oeuvres morbides et cruelles (dont La Main, d’Edouard-Emile Violet, qui en fait une de ses spécialités), parfois des films se rapprochant de la bluette, mais dans l’ensemble, jusque dans les années 1970, le cinéma français ne connaît pas de franche violence, ni de films mièvres. Il opère plutôt une fusion de ces deux aspects antagonistes. Contrairement aux cinémas américain ou britannique qui ont très vite intégré des personnages « monstrueux », souvent néfastes, le cinéma français a préféré favoriser une esthétique poétique au travers d’êtres surnaturels. Les fantômes, fées et sorcières sont donc omniprésents à l’écran. Certains revenants sont plutôt attachants et sympathiques, tel celui de Sylvie et le fantôme, la charmante comédie de Claude Autant-Lara. Grâce à lui, Sylvie peut ainsi prolonger son enfance et garder son innocence. Sans compter l’inoubliable Micheline Presle dans la Nuit fantastique de Marcel L’Herbier. Mais d’autres sèment la terreur, ainsi les personnages inquiétants du Manoir de la peur d’Alfred Machin ou le sorcier du François 1er de Christian-Jaque. Les sorcières peuvent être aussi des victimes et connaître une fin tragique, telle Marina Vlady, dont c’est le premier rôle au cinéma, dans La Sorcière d’André Michel, dont le cinéaste a également tourné une fin heureuse. Tous s’inscrivent dans un imaginaire marqué par les figures folkloriques du Mal que sont démons, revenants et autres créatures de l’au-delà…

Peurs primales et interdits en question
Au gré des époques, des films d’inspiration aussi différente que Le testament du Docteur Cordelier (Jean Renoir) ou Les Créatures d’Agnès Varda intègrent les éléments de la théorie psychanalytique qui, dans les mythes propres au genre, voit précisément certaines figures de « l’inquiétante étrangeté ». Ainsi en est-il de la double figure de Docteur Jekyll et de Mr Hyde, revisitée par l’effrayant Jean-Louis Barrault dans le film de Jean Renoir, ou Jean-Claude Pascal dans le méconnu Chevalier de la nuit de Robert Darène. Pour autant, toutes ces oeuvres procèdent du même corpus de conventions qui régissent le fantastique qui, comme tous les genres, constitue une promesse : quel que soit le mode choisi, le spectateur sera interpelé sur ses peurs les plus primales et ses interdits les plus profonds – rencontrer son double ou être confronté à l’image, enregistrée pour l’éternité, de sa propre mort. Formellement parlant, c’est du coté des surimpressions, flous, brouillards, diffusions de lumière, ralentis, dédoublement, apparitions et disparitions, cadrages insolites beaucoup plus que de celui des effets spéciaux qu’il faut aller chercher l’expression du merveilleux, du rêve et de la féerie ou des tourments de l’âme. Certains voudront y voir le signe de productions financièrement peu dotées, nous préférons y lire des choix stylistiques suggérés par les univers explorés par les réalisateurs.

Enfin, certains films célèbres et représentatifs du fantastique français sont absents de cette programmation. En effet, il s’agissait pour nous de faire un choix parmi les oeuvres présentées lors du cycle de trois semaines à la Cinémathèque française et présentes dans les collections des Archives françaises du film du CNC, et surtout de mettre en exergue quelques-unes d’entre elles oubliées, et non de dresser un panorama exhaustif. Cette programmation a pour but de proposer une promenade à travers un paysage méconnu du cinéma français qui recèle cette « beauté terrible » chère à André Pieyre de Mandiargues.

Eric Le Roy
Cinémathèque Orion, Eerikinkatu 15
Helsinki, le 6 novembre 2013

Au nombre des films de la programmation proposée par les Archives françaises du film du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée), restent à voir jusqu’au 4 décembre 2013 :

Alain Jessua
TRAITEMENT DE CHOC

France / Italie (1972), 89 min
Avec Alain Delon, Annie Girardot, Robert Hirsch
Le 20.11. à 21 h 00 et le 23.11. à 16 h 45

Jean Cocteau
ORPHÉE

France (1949), 95 min
Avec Jean Marais, Maria Casarès,
François Périer, Juliette Gréco
Le 21.11. à 19 h 30 et le 24.11. à 18 h 00

Léonard Keigel
LA DAME DE PIQUE

France (1965), 97 min
Avec Dita Parlo, Michel Subor, André Charpak
Le 26.11. à 17 h 00 et le 29.11. à 19 h 00

Pierre Philippe
MIDI MINUIT

France (1969), 105 min
Avec Sylvie Fennec, Béatrice Arnac, Daniel Emilfork
Le 27.11. à 19 h 00 et le 30.11. à 21 h 00

Claude Autant-Lara
SYLVIE ET LE FANTÔME

France (1945), 101 min
Avec Odette Joyeux, François Périer
Gabrielle Fontan, Jacques Tati
Le 03.12. à 19 h 00 et le 06.12. à 18 h 15

Julien Duvivier
LA CHARETTE FANTÔME

France (1939), 96 min
Avec Louis Jouvet, Pierre Fresnay, Micheline Francey
Le 04.12. à 17 h 00 et le 07.12. à 17 h 00