Katherine Pancol, écrivain dont la renommée a dépassé les frontières de la France (traduite dans une trentaine de pays), était invitée, début octobre, au Salon du livre de Turku (Finlande) – dont le pays à l’honneur était la France – pour présenter son dernier ouvrage « Muchachas » traduit dernièrement en finnois sous le titre « Mimmit » (tome 1/Ed. Bazar). Sa venue annonçait également la sortie en salles à Helsinki, fin novembre, du film « Les yeux jaunes des crocodiles » réalisé par Cécile Telerman, adaptation du premier tome éponyme de sa trilogie sorti en 2006 et suivi des deux autres tomes « La valse lente des tortues » et « Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi ».
Très populaire en France et dans le monde, vous avez écrit une douzaine de romans avant la parution de votre première trilogie qui regroupait crocodiles, tortues et écureuils et qui a été traduite dans une trentaine de pays, dont la Finlande où c’est votre deuxième visite. A quoi, selon vous, est due cette popularité ? Et comment se fait-il que les personnages très français de cette saga touchent les lecteurs de pays aux cultures aussi différentes que celles du Liban, de la Finlande, du Japon… ?
De la Chine, aussi… Un des premiers mails que j’ai reçus de Chine était celui d’un soldat de vingt ans qui était dans l’armée chinoise, célibataire, et qui m’a écrit : « I am Joséphine. » Et, en fait, ce que je crois c’est que les gens n’en peuvent plus de cette vie. On se fait rouler dessus tout le temps, on nous balance des modèles d’hommes ou de femmes magnifiques, sveltes, musclés, souriants… et nous, on a juste les bras qui tombent en se disant qu’on ne va jamais y arriver. La vie économique est quand même de plus en plus difficile, et c’est partout pareil. Ce n’est pas seulement en Finlande ou en France, c’est pareil dans tous les pays où je vais. On est dans un monde où les gens se battent pour vivre. Et Joséphine, c’est ça. Joséphine, c’est une femme qui se bat pour vivre ; tout ce qu’elle a, elle l’arrache, elle l’obtient à la force du poignet. Mais, en même temps, cette espèce de labeur incessant, on peut en faire une richesse ; on peut apprendre tellement de choses. Quand on est heureux, on n’apprend rien ; quand on est malheureux, on apprend des choses. On apprend l’importance d’un moment, d’une relation, d’un regard… Et je pense que c’est ce qui fait que le personnage de Joséphine marche dans tous les pays. Elle est française, mais les gens s’en fichent. Les cinq premiers mails que j’ai reçus des Etats-Unis pour « Les yeux jaunes des crocodiles » provenaient de cinq hommes, 35 ans, disant aussi qu’ils n’y arrivaient plus. On demande trop de choses à l’humain. Et le monde devenant de plus en plus mécanique, dur, anonyme, les gens ne s’y retrouvent pas. Tout le monde se précipite dans la même direction, et je crois que les gens se sentent comme Joséphine, écrasés par ce monde qu’ils ne comprennent pas bien. Il n’y a plus de gratuité, il n’y a plus de plaisir… les choses sont très violentes. Donc, les gens ont envie qu’on leur fiche la paix. C’est Voltaire : laissez-moi cultiver mon jardin… mais on n’y arrive même plus. Et je crois que c’est ça le dénominateur commun. Par contre, chez les jeunes – parce que j’ai quand même un lectorat qui est très jeune –, c’est Hortense. Et Hortense, pour eux, symbolise le fait qu’on peut y arriver… à force de travail, certes – parce qu’elle bosse Hortense –, à force de culot et d’audace. C’est le contraire de sa mère, et elle, elle a décidé que ce monde-là dans lequel elle vit, qui finit et qu’il va falloir réinventer, autant qu’elle le construise toute seule. Elle n’attend rien des autres. Alors que Joséphine est très en relation avec tout le monde. C’est un personnage qui est en empathie, donc qui souffre, qui reçoit la souffrance des autres. Et je crois que c’est surtout le personnage de Joséphine qui a eu le plus de succès.
Le premier tome de votre trilogie « Les yeux jaunes des crocodiles » a été adapté au cinéma. Le film est sorti en France en avril 2014, sa sortie en Finlande est programmée pour fin novembre de cette année. D’où vous est venue cette histoire ? Est-ce que ses personnages sont entièrement fictifs ?
D’abord, les personnages sont complètement fictifs. Je ne suis pas Joséphine, je ne suis pas Iris, Hortense, Antoine ou Gary, mais ce qui est vrai, c’est que tout ce qu’on a vécu enfant, c’est du matériel à roman. C’est-à-dire que, même si vous ne le savez pas, tout ce qui vous a impressionné enfant, est imprimé en vous. Bien sûr, tout dépend de quel enfant vous avez été, et c’est pour ça que je cite toujours la phrase de Hemingway : « Qu’est-ce qu’il faut pour être écrivain ? Une enfance malheureuse. » Parce que, lorsque vous êtes une enfant malheureuse, vous devenez hyper sensible à tout et, donc, tout s’imprime en vous. Et, des années plus tard, quand vous allez vous mettre à écrire, tous ces souvenirs, vous allez en faire de l’or pour écrire. En fait, c’est ce qui se passe. Moi, quand j’ai commencé à écrire – d’abord, j’étais extrêmement jeune –, j’ai écrit « Moi d’abord » (1979). J’ai raconté ma vie, et ma principale occupation c’était de tomber amoureuse, et après de voir si je pouvais retomber amoureuse. Et puis, par la suite, la vie a fait son travail, et je crois que toute la première partie de mes livres, à part quelques-uns, c’étaient des autobiographies. Mais une fois que vous avez raconté, pas vraiment tout ce qui vous est arrivé parce que ce n’est pas possible, mais une grande partie des choses qui vous sont arrivées, vous faites alors ce qui est, à mon avis, la recette du bonheur : vous vous tournez, vous regardez les autres et vous racontez les histoires des autres. Mais comme vous avez à l’intérieur de vous suffisamment d’empathie, de sensibilité pour ressentir ce que ressentent les gens et parce que vous avez aussi cette espèce de mobilité que vous avez apprise de l’enfance où il fallait toujours faire attention, vous développez des antennes. Et je pense que c’est ça – et beaucoup d’écrivains, comme Virginia Woolf, Balzac, l’ont dit aussi –, je pense que c’est le meilleur moyen pour être un artiste après. Comme vous développez une sensibilité incroyable, vous photographiez tout dans la vie. Vous ne le savez pas, mais vous photographiez tout.
Comment cela se passe ? Un producteur de film – en l’occurrence Manuel Munz – vous appelle, vous achète les droits et vous n’avez plus rien à dire ?
Ce n’est pas comme ça que ça s’est passé. Manuel Munz a appelé mon éditeur. En fait, il n’y a pas d’agent en France, et c’est la raison pour laquelle ça passe par l’éditeur. L’éditeur m’a ensuite appelée pour me dire qu’on avait un producteur qui était intéressé, qu’il avait déjà fait « La vérité si je mens », « Un deux trois quatre »… donc, qu’il avait du background. A ce moment-là, j’étais en train d’écrire les « Muchachas » et j’étais déjà ailleurs. Car, moi, quand j’écris, le monde peut s’écrouler, sauf mes deux enfants que je sauve dans ce cas-là, mais tout le reste m’est complètement égal. Donc, j’ai fait confiance à l’éditeur, qui est un très bon éditeur et avec lequel je m’entends très bien. Et après, la machine s’est mise en marche. La seule chose que j’ai demandée dans mon contrat, c’est de voir le film avant qu’il sorte et que, si je n’aimais pas le film, je pourrais enlever mon nom et le titre du livre. Et ça, comme je l’avais déjà fait une fois, je savais que je pouvais le faire une deuxième fois. Mais tout cela s’est quand même passé en dehors de moi, car j’étais dans « Muchachas ».
Dans le cas d’un remake (comme parfois aux Etats-Unis), vous achète-t-on à nouveau les droits – à moins, bien sûr, d’avoir vendu des droits exclusifs auparavant ?
Ah, ça, je ne sais pas du tout. En France, l’éditeur c’est comme un agent. Donc, moi, j’ai un éditeur et c’est lui qui s’occupe de tout. Le problème, c’est que tout ça est extrêmement compliqué. Entre les droits des livres électroniques, les droits de télévision, les droits de film, les droits… comment les définir ?… de tout ce qui est oral, c’est-à-dire que, par exemple, on a fait des « Yeux jaunes des crocodiles » une pièce de théâtre, puis ça a été enregistré par petits bouts pour la radio. Donc, il y a une multitude de contrats et, moi, je ne m’occupe pas de ça.
C’est, bien sûr, une libre adaptation du roman, mais que se passe-t-il si on utilise mot pour mot les dialogues du livre ? Dans ce cas précis, c’est votre fille Charlotte de Champfleury qui est la scénariste du film – et la question ne se pose pas –, mais qu’en est-il en règle générale ?
Moi, je suis très contente s’ils reprennent mes dialogues… ça veut dire qu’ils sont bons. Les dialogues populaires étaient malheureusement absents, car tous les personnages du livre n’étaient pas dans le film. Il est vrai que le livre fait 650 pages. Ça, c’est toujours le problème des adaptations. Ou alors vous faites « Autant en emporte le vent » deux fois trois heures. Il y a eu, toutefois, un projet, et j’étais plutôt favorable à ce projet mais, encore une fois, comme je ne m’en suis pas occupée, je n’ai rien dit : C’était le projet d’un metteur en scène que j’aime beaucoup qui s’appelle Philippe Lioret qui, lui, voulait adapter « Les yeux jaunes des crocodiles » en six fois une heure pour la télévision. Je pense que cela aurait été vraiment bien… mais le producteur voulait faire un film pour le cinéma.
A propos des dialogues très travaillés, avec des échanges piquants à la Audiard – notamment pour ce qui concerne le parler populaire de Marcel avec René, Josiane/Choupette, Chaval –, cette écriture-là vous vient-elle facilement ?
Assez facilement. Le plus difficile quand on écrit, c’est de faire les personnages. Les personnages de gens comme Marcel, Josiane, René, Ginette appartiennent à un milieu populaire, et c’est un milieu que je connais bien. Mon gros avantage aussi, c’est que je vais dans tous les milieux et que je suis partie d’en bas. Donc, là aussi, l’oreille elle s’est habituée. Depuis que je suis toute petite, j’ai entendu les gens parler comme ils parlent dans le livre. C’est vrai, le vocabulaire a changé, mais j’ai tordu l’argot français pour en faire une autre couche d’argot, pour que ce soit justement un peu intemporel. Parce que si vous collez à l’argot d’aujourd’hui, au bout de six mois c’est démodé. Donc, j’ai pris de l’argot, et j’en ai fait autre chose, c’est-à-dire que j’ai encore remis une torsade supplémentaire. Les traducteurs s’arrachent, du reste, les cheveux parce qu’ils achètent tous les dictionnaires d’argot et ils ne trouvent pas les expressions que j’utilise. Et pour cause… ce sont encore des trucs que j’ai fabriqués pour que justement ce soit intemporel. Et là, c’est du boulot. Mais l’oreille, elle est là depuis que je suis petite. Je suis née au Maroc ; j’ai vécu partout en France ; j’ai vécu en Suisse, en Italie. J’ai vécu à Londres, à New York ; je suis allée en Amérique du Sud… Donc, je sais comment les gens parlent, et comme j’ai cette espèce de mémoire qui photographie tout, je retiens tout. Donc, après, c’est là quand vous faites les personnages. Et je dis toujours aux gens : « Quand vous écrivez, faites vos personnages. Vivez avec eux, voyez comment ils vont parler, comment ils vont se gratter les couilles pour Marcel, comment la Josiane va se faire son chignon, comment elle va se mettre son rouge à lèvres… Après, ça roule, Raoul ! » Dès que vous les avez bien, vous pouvez les lâcher sur scène. Je pense vraiment que tout vient des personnages.
A-t-on sollicité votre contribution, votre aide pour le scénario, sur le tournage du film ?
Non, je ne m’en suis pas occupée… d’autant que c’était ma fille qui écrivait le scénario. D’abord, on n’a trouvé personne qui voulait faire le scénario, pour être tout à fait honnête. Parce que les gens trouvaient que c’était énormément de travail, ce qui n’était pas faux. Ils ne savaient pas ce qu’il fallait couper ou pas, les personnages qu’il fallait favoriser ou pas, tandis que mes enfants – j’en ai deux –, ils ont vécu avec Joséphine. Ils connaissent par coeur les personnages et ils n’en peuvent plus de Joséphine. Aujourd’hui, ils ont 25 et 26 ans, mais à l’époque de la sortie du livre en 2006, il y a donc huit ans, ils avaient 14 et 15 ans, un âge très intéressant… et, en plus, ce sont des littéraires. Donc, moi, je me suis inspirée de leurs copains. Pour faire Hortense et Gary, c’est évident que j’ai piqué dans le tas, pas tellement chez mes enfants, parce qu’ils ne sont pas comme ça, quoique Clément, mon fils, ressemble beaucoup à Gary, la même dégaine et le même esprit, assez British finalement, mais Hortense, elle vient d’assemblages à force de voir toutes ces gamines à la maison. Donc, eux, ils ont grandi avec Joséphine et toute la clique. C’est, en fait, le producteur qui un jour a eu l’idée. Il m’a dit qu’il avait appelé ma fille et lui avait demandé si elle voulait écrire le scénario. Et ma fille a dit qu’elle allait essayer. Charlotte sortait juste de l’université du cinéma à Londres ; elle avait fait deux courts métrages – elle a commencé très tôt – et, donc, ça a très bien marché. Elle m’a proposé de lire le scénario à la fin histoire de la rassurer, et je l’ai trouvé très bien. Mais pour le reste, je ne m’en suis pas occupée du tout.
Comment avez-vous trouvé le film ? Estimez-vous que les acteurs choisis correspondent bien à vos personnages ?
Julie Depardieu, c’est évident que ce n’est pas Joséphine physiquement, mais c’est une actrice incroyable parce qu’elle devient Joséphine à cent pour cent. Moi, j’avais l’impression de voir Joséphine. Or Joséphine est plutôt ronde, châtain et « poum-poum ». Les acteurs, je trouve, ils font un boulot extraordinaire. Patrick Bruel, c’est incroyable ce qu’il fait. On lit l’histoire dans ses yeux, c’est-à-dire qu’il est le grand témoin de l’histoire. Emmanuelle Béart, elle est pile-poil pour le rôle. La petite Hortense, elle est géniale ; la petite Zoé, trop mignonne. Jacques Weber, qui a remplacé au pied levé Gérard Depardieu, est très bien ; Karole Rocher aussi. Pour ce qui me concerne, j’ai trouvé les acteurs absolument formidables… vraiment. Il n’y a que la réalisation qui était un peu plan-plan, un peu trop collé au roman. Je pense que ça intimide quand un livre a trop de succès. Parce que je pense que les gens, ils ont tous dans la tête déjà les personnages et ils ne sont pas libres par rapport à eux. A un moment, j’avais du reste dit qu’il faudrait prendre un étranger qui n’est au courant de rien. Il lit le bouquin et il fait le film à son idée. « Les yeux jaunes des crocodiles », c’était partout en France, partout, partout. J’ai vendu, je crois, 3 millions de copies en France, c’est énorme. Et ça pèse quand même dans l’imaginaire des gens. Scarlett O’Hara, ils ont pu la faire exister parce qu’il y avait un fou furieux de producteur mégalo derrière, et il y a eu trois metteurs en scène géniaux. Mais là, dans le cas des « Yeux jaunes », on peut dire que la réalisatrice a fait un bon travail scolaire.
Qu’est-ce qui était pour vous absolument essentiel de retrouver à l’écran ?
L’émotion. Moi, je voulais que les gens pleurent en sortant. Je voulais qu’on parle d’émotion. Je ne voulais pas qu’on en fasse un film intello, de toute façon ça n’aurait pas été possible. Je ne voulais pas qu’on fasse prendre des poses aux acteurs, je voulais que ça vienne du coeur. Et la réalisatrice a très bien réussi en ce sens ; elle a très bien dirigé les acteurs.
Comment faites-vous pour être aussi moderne, pour que la fiction soit si proche du réel ? Quelle est la part de l’imaginaire ?
L’imaginaire, c’est très important. Ce que je fais – en tout cas, ce que je continue à faire –, c’est refuser d’être isolée. Quand j’étais journaliste à Paris-Match, à Elle, j’étais une sorte de journaliste vedette, mais j’ai toujours eu une vie comme tout le monde. Et là, aujourd’hui, je pourrais très bien avoir une vie complètement isolée de la réalité – parce que c’est quand même plus facile qu’avant –, mais je continue à avoir la vie de tout le monde. C’est-à-dire que je prends le métro, je prends l’autobus, je fais mon ménage, je vais faire mes courses, je sais combien coûte une baguette, je sais si on me refile des fraises pourries. J’écoute les gens ; je ne me suis pas du tout isolée, quitte, quelquefois, à ne pas m’isoler assez. Mais je ne veux pas prendre en considération l’énorme succès qui m’est arrivé pour m’isoler. Parce qu’il y a ça. Le gros danger, c’est que le succès isole. Et ça, moi, tout de suite quand j’ai senti que ça commençait à déferler, je me suis dit que je ne me laisserai pas avoir par le succès. D’ailleurs, la première fois, après avoir écrit « Moi d’abord » qui a eu un succès hallucinant, je suis partie à New York. Je n’ai pas voulu me faire avoir. C’est très dangereux, stérilisant le succès. Donc, il faut juste continuer à être comme avant et, donc, ça, c’est du boulot. Ne serait-ce que, par exemple, répondre aux mails… ça veut dire que je me lève vachement tôt le matin. Et quand je pars 4 jours pour venir en Finlande, et après 12 jours pour aller en Espagne, quand je rentre, j’ai 150 mails par jour, alors vous imaginez au bout de 2 semaines ! Donc, voilà, c’est assez dur mais, en même temps, ce contact avec les gens est formidable. Les gens sont tellement géniaux. Vous prenez chaque personne… Les gens, ils ont une richesse en eux dont ils ne sont même pas conscients. C’est ça qui me frappe, sauf qu’on leur fout tellement d’épaisseurs sur la tête. Il y a aussi le fait que les gens ont peur, et qu’il faut prendre un risque. Moi, le jour où je me suis dit que j’arrêtais d’être prof, j’ai fait plein de petits boulots avant de devenir journaliste, mais j’ai pris le risque. J’ai fait plein de petits boulots de rien du tout, quand j’y pense, mais qui me servent quand il faut conduire un van dans le hangar de Marcel (« Les yeux jaunes des crocodiles ») ou quand Stella (« Muchachas ») conduit son camion. J’ai conduit des camions et je me rappelle du bras qui tremble sur le levier, des trucs comme ça, mais il faut prendre le risque d’aller au devant de ce qu’on a envie de faire. Et ça, les gens sont un peu tassés par le monde actuel qui va trop vite… et puis ils ont peur et, du coup, ils n’y vont pas. Mais j’ai vu trop d’écrivains, trop d’actrices, trop de gens qui se faisaient bouffer par le succès, et moi, je ne veux pas ça.
On est frappé de lire des pages entières de descriptions physiques et psychologiques détaillées, d’un vocabulaire très riche, que vous affinez par touches successives un peu comme chez Balzac. Quels sont les écrivains qui vous ont nourrie ?
Pour moi, c’est Balzac, Zola, Victor Hugo, Colette. Après, il y a les écrivains étrangers mais, petite fille, ce sont ces écrivains que j’ai lus auxquels j’ajouterais les Russes : Tolstoï et Tourgueniev. Mais Balzac… et même Victor Hugo, quel bonheur ! L’été dernier, j’ai relu « Les misérables », c’est magnifique. « Le bonheur des dames », « Germinal » de Zola, c’est tellement intelligent. Et ce que faisait Zola – j’ai acheté ses gros carnets de notes quand il faisait « Germinal » –,eh bien, moi, je fais la même chose. Quand je vais à la ferraille, je m’installe quinze jours là-bas, et je prends des tas des notes : je marque les sons, les odeurs, je demande le prix des échantillons, et c’est pareil. Moi, je suis marquée par tous ces gens-là, c’est sûr.
Avec « Muchachas », votre dernier ouvrage, vous avez complètement changé de registre et traité de problèmes graves, notamment celui des femmes battues. Comment cela a-t-il été perçu par vos fidèles lecteurs ?
Quand j’ai raconté l’histoire à l’éditeur, il m’a dit : « Tout le monde va partir ! » Je l’ai rassuré. Ce sont des humains, et ça arrive à plein de gens. Il faut savoir que, tous les deux jours en France, il y a une femme qui meurt sous les coups de son mari… mais c’est pareil en Italie, en Espagne. Je ne sais pas dans les pays nordiques.
Cela peut paraître un paradoxe mais, dans les pays nordiques, pourtant plus égalitaires, il semblerait que la violence conjugale soit plus élevée.
Avez-vous déjà des propositions d’adaptation pour les deux tomes qui font suite aux « Yeux jaunes des crocodiles », voire pour votre dernier ouvrage « Muchachas » ?
Non. Pour l’instant, « La valse lente des tortues », c’est en discussion pour faire suite aux « Yeux jaunes »… parce qu’il faut les faire dans l’ordre. Quant à « Muchachas », c’est sorti quand même au mois de février. Donc, c’est un peu récent, et puis c’est un gros morceau. Pour le coup, si les deux autres étaient durs à adapter, les « Muchachas », c’est 1 500 pages ! Donc, là, on va avoir le même problème. Moi, je m’en fiche mais… Manuel Munz a une option sur les deux autres tomes de la trilogie, et je ne sais pas ce qu’il va faire. Quand il s’agit d’un livre, c’est un travail d’adaptation. Et je sais que ma fille, elle ne veut plus. Elle l’a fait une fois parce qu’on ne trouvait personne, mais c’est vrai que l’adaptation d’un livre au cinéma, c’est un boulot énorme.
Propos recueillis par Aline Vannier-Sihvola
Helsinki, le 3 octobre 2014
LES YEUX JAUNES DES CROCODILES
KROKOTIILIN KELTAISET SILMÄT
Cécile Telerman
France (2014), 122 min
Avec :
Julie Depardieu (Joséphine)
Emmanuelle Béart (Iris)
Patrick Bruel (Philippe)
Jacques Weber (Marcel)
Karole Rocher (Josiane)
Actuellement en salles à Helsinki
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