ENTRETIEN AVEC DIASTÈME
FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM DE HELSINKI – AMOUR & ANARCHIE
Helsinki, 17-27 septembre 2015

Musicien, journaliste, écrivain, dramaturge, scénariste, metteur en scène… et réalisateur français, Diastème – de son vrai nom Patrick Asté – était l’invité du Festival international du film de Helsinki – Amour & Anarchie où il est venu présenter pour la première fois dans un pays européen son deuxième long métrage « Un Français », sorti en juin dernier en France. Le film raconte l’histoire et l’itinéraire sur trente ans d’un skinhead d’extrême-droite repenti.
[Sortie du film en DVD, Blu-Ray et VOD fin octobre 2015]

Musicien de formation, journaliste, vous avez écrit un grand nombre de pièces de théâtre et réalisé un premier long métrage en 2008, « Le bruit des gens autour », sur le Festival d’Avignon. Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce deuxième film, « Un Français », sur ce thème précis d’un skinhead repenti. Y a-t-il eu un événement déclencheur ?
Oui, effectivement, il y a eu un événement déclencheur. En juin 2013 – il y a donc un peu plus de deux ans maintenant –, un jeune homme du nom de Clément Méric qui faisait partie d’une bande d’antifascistes, une espèce de petit mouvement d’extrême-gauche, a été assassiné dans la rue par une bande de skinheads. L’histoire est un peu compliquée : ils ne voulaient pas vraiment l’assassiner ; disons qu’il y a eu une bagarre qui a dégénéré. Il s’est pris deux trois mauvais coups de poing, et comme il n’était pas en très bonne santé, il est mort. Et cette mort suivait de quelques semaines les manifestations qu’il y avait eu en France contre le mariage homosexuel où j’avais revu dans les rues des gens hystériques qui prenaient vraiment la haine. On a en France une ministre de la Justice qui est noire, et les gens défilaient dans la rue en poussant des cris de babouins, en proférant son nom, et je me suis dit que c’était vraiment le moment de parler de ce sujet, qui me semblait, en tout cas à ce moment-là, le plus important… et qui me semble, du reste, toujours aussi important en France en ce moment. En plus, il se trouve que j’ai grandi dans une banlieue parisienne où ont grandi aussi les premiers skinheads français. C’est-à-dire que je les connaissais quand j’étais petit ; j’ai vu toute cette histoire grandir, et je me suis dit qu’il fallait raconter cette histoire en France aujourd’hui.

Pourquoi ce titre « Un Français » ? Est-ce un Français comme les autres, un Français parmi tant d’autres ou encore un Français de la “France aux Français” avec connotations lepénistes ?
J’aime bien ce titre parce que c’est un peu l’histoire de quelqu’un qui passe d’une France à une autre, c’est-à-dire, pour être très schématique, que c’est quelqu’un qui passe de la France de Pétain à la France des droits de l’homme. Il y a deux visions de la France : il y a une France très ouverte, très généreuse, très accueillante, le pays des droits de l’homme, et puis il y a une France très conservatrice, réactionnaire. Et donc, c’est l’histoire d’un homme qui passe d’une France à une autre, sachant que, et c’est la même histoire aussi dans tous les pays – d’ailleurs, je sais qu’en Finlande le parti d’extrême droite s’appelle les Vrais Finlandais –, ce qui les définit le plus c’est le côté français, ils revendiquent d’être français. Alors qu’on sait très bien que la France n’est qu’un melting pot de plein d’origines.

Pour revenir brièvement sur la polémique qu’a suscitée la sortie de votre film mi-juin 2015 en France, dans combien de salles a finalement été projeté « Un Français » ? Et il en était prévu combien à l’origine ?
Il en était prévu autour de 150 et le film est sorti dans 65 salles.
A quoi étaient dues ces défections ?
En fait, ça a démarré un mois et demi avant la sortie. La bande-annonce a été mise en ligne et, en l’espace de deux heures, il y a eu un déferlement de messages sur Youtube, sur Facebook, partout. Et quand je dis un déferlement, c’est un déferlement d’une violence assez ignoble, avec des termes qui sont réprimandés par la loi. Mon comédien a eu des menaces de mort. Pour ce qui me concerne, j’ai eu des menaces essentiellement via Internet, mais des lettres aussi, des lettres adressées à mon agent – ce que je trouve aujourd’hui, avec le recul, assez comique. Et puis, les distributeurs ont commencé à recevoir aussi des mails dans les salles de cinéma, des mails qui disaient qu’ils allaient brûler le cinéma s’ils projetaient le film. Tout cela était un peu ridicule, très mal écrit et, honnêtement, moi, cela ne me faisait pas très peur, mais certains distributeurs ont pris peur. Pas tous, heureusement. Il y a plein d’exploitants – donc 65, comme je viens de le mentionner – qui, au contraire, étaient fiers de projeter le film, et d’autres qui ne voulaient pas avoir d’ennuis, qui se sont dit qu’ils allaient avoir des descentes de gens d’extrême droite et qu’ils verraient plus tard.

Vous avez dit hier, au cours du débat qui a suivi la projection de « Un Français », que le financement du film avait été très facile à trouver, ce qui est tout de même un peu surprenant.
Très simple, oui. Tout le monde m’a suivi sur le scénario, en fait. J’ai eu l’avance sur recettes, qui est une manière de financer le cinéma en France, via le Centre national du cinéma (CNC) qui avance de l’argent à certains films sur les scénarios. Et on a eu l’avance sur recettes tout de suite. J’ai montré le scénario du film à deux chaînes de télévision, Canal + et France 3, qui avaient déjà coproduit – pour Canal + – mon premier film et qui m’ont suivi aussi tout de suite. On a trouvé un distributeur dans la foulée. Le film n’est pas très cher, moins de trois millions, mais il n’y a eu aucun problème pour le financer.

Comment aujourd’hui le film est-il distribué ?
Le film doit être actuellement dans quelques salles, mais très peu. Maintenant, le film va commencer sa deuxième vie le 21 octobre et sortir en DVD, Blu-Ray et VOD – quatre mois après sa sortie en salles. Le délai a été ramené de 6 mois à 4 mois, car ils se sont rendu compte que, maintenant, l’essentiel de la vision d’un film ne passait plus par la salle. La salle n’est qu’un tout petit pourcentage de vision du film. Pour un film comme le mien, la salle va représenter peut-être 5 ou 10 pour cent, à peine, puisque le film va sortir en DVD, en VOD beaucoup et en Blu-Ray, sachant qu’il y avait des régions entières en France où le film n’avait pas été projeté. Donc, comme il y a eu un gros soutien du film sur Internet, il y a des gens qui pourront le découvrir en VOD. Par la suite, le film va passer à la télévision sur deux chaînes – Canal + et France 3 – où là, évidemment, les audiences vont être encore plus fortes. Pour le premier diffuseur, en l’occurrence Canal +, il faudra attendre 9 mois après la sortie du film en salles, et pour France 3, je crois que c’est un peu plus d’un an et demi. C’est la loi.

Comment a été reçu le film en France, à l’étranger ?
Ici, à Helsinki, en Finlande, c’est la première sortie du film en Europe. Mais la semaine dernière, je présentais le film à Toronto – sa première sortie internationale, donc. C’était absolument formidable. C’était impressionnant, émouvant. Tout s’est très bien passé, et maintenant le film est demandé un peu partout. Ici, en Finlande, c’est la première fois que le film est projeté dans un autre pays européen que la France. On le montre en Belgique la semaine prochaine, au Portugal la semaine d’après. Là, il est demandé à Rio ; il va partir à New York ; il est aussi à Florence. Mais je ne vais pas suivre le film partout. Pour l’instant, je l’accompagne un peu car c’est intéressant pour moi quand même de voir aussi quelles peuvent être les réactions. Je vais aller à Namur, en Belgique, la semaine prochaine, non seulement parce que j’aime beaucoup ce festival, mais aussi pour accompagner les sorties belges car, après, il faut vendre le film. Pour l’instant, il est présenté dans les festivals, mais il faut aussi qu’il sorte dans les salles à l’étranger, et ça dépend beaucoup de comment le film vit dans les festivals. Hier, à Helsinki, après la projection, c’était extrêmement touchant ; il y avait beaucoup de questions, mais j’ai appris aussi des choses… On m’a raconté hier ce qui se passait un peu ici sur cette problématique-là, et j’ai senti des gens extrêmement concernés par le sujet. Donc, forcément, ça m’intéresse. Même au Canada, par exemple, où normalement à Toronto, ville où il y a 156 nationalités qui vivent ensemble, il n’y a pas tellement ces problèmes-là, mais il y avait aussi des gens de Montréal, du Québec, qui étaient là et qui me racontaient que, depuis 3 ou 4 ans, il y avait un racisme très fort qui montait au Québec, et ils voulaient que le film sorte aussi chez eux parce qu’ils étaient très inquiets.

Comment avez-vous recruté les acteurs, notamment Alban Lenoir, très convaincant, bluffant dans le rôle principal ?
Tout simplement, avec mon directeur de casting, on a lancé un grand casting. On a rencontré une centaine d’acteurs. Comme le film suit Marco/Alban de 18 à 48 ans environ, j’ai donc vu des acteurs qui avaient une trentaine d’années – des acteurs inconnus et des acteurs très connus. Et on avait ce deal avec mon producteur de prendre le meilleur, qu’il soit connu ou inconnu. Et, très vite, j’ai vu Alban et, très vite, c’est devenu l’image de Marco pour moi. Quant aux autres rôles, il y a des comédiens que je connaissais, il y en a qui travaillent beaucoup, d’autres qui travaillent moins, des comédiens avec qui j’ai travaillé au théâtre… donc, c’est un mélange de plein de gens. Mais cela a été assez étrangement très simple parce que j’ai rencontré Alban très vite, et très vite je me suis dit que c’était lui, et il n’y avait pas de question à se poser.

C’est une histoire vécue ?
Tous les personnages sont des personnages de fiction, mais ils sont inspirés de personnages ayant existé. C’est un mélange de plein de parcours, et tous les faits qui se passent dans le film sont inspirés de faits réels. Tout est inspiré de faits réels, mais je ne voulais pas faire un documentaire ; je voulais faire une fiction. Donc, j’ai ensuite, moi, en tant que scénariste, réécrit et fait en sorte que ce soit des personnages fictionnels. Mais, oui, il y a plusieurs skinheads, dont un que je connaissais qui était allé très loin dans la haine et la violence et qui, aujourd’hui, est éducateur pour enfants dans la banlieue où j’ai grandi. C’est un type très bien. Il y en a qui sont devenus pères de famille, qui ont complètement quitté la politique et la haine et qui vivent très paisiblement. Il y en un qui est, du reste, assez connu en France qui est devenu moine bouddhiste au Havre. Il y en a beaucoup qui ont vraiment changé de vision du monde. Et il y en a qui sont restés exactement les mêmes trente ans plus tard et qu’on continue à voir avec la même haine, la même violence alors qu’ils avaient 18 ans et qu’ils en ont 50 aujourd’hui… ce que je trouve moi assez fou.

C’est courageux de faire un film comme ça, de même pour les acteurs aussi de jouer certains rôles. Récemment, l’un des acteurs de « Much Loved », film du réalisateur Nabil Ayouch dont la sortie a été interdite au Maroc, a été poignardé et d’autres ont été menacés. Vous disiez précédemment que votre acteur principal, Alban Lenoir, a reçu des menaces de mort.
Alban, en plus, c’est quelqu’un qui n’était pas du tout politisé, mais ça peut être un acte citoyen de faire ce film. Oui, c’est courageux. Après, ce sont des rôles… et pour des comédiens, ces rôles-là où il y a beaucoup de choses à jouer, sur une période de 30 ans qui plus est, tout acteur aime ça. Je pense qu’Edward Norton n’a pas regretté d’avoir fait « American History » (Tony Kaye, 1998) pas plus que Tim Roth qu’on a découvert avec « Made in Britain » (Alan Clarke, 1982). [Deux films sur la résurgence de l’extrémisme, pour l’un aux Etats-Unis et pour l’autre en Grande-Bretagne – N.D.L. R.]

Avez-vous été jusqu’à vous immiscer au sein d’un groupe de skinheads pour arriver à rendre ce parler si juste ?
Non. Mais je vous le dis encore une fois, j’ai grandi avec eux et ensuite, quand je suis allé en faculté à Nanterre, j’ai continué de les voir puisqu’ils y faisaient des descentes. Et donc, c’est un milieu que je connais bien. Après, l’avantage c’est que c’est un film historique mais qui se passe sur les trente dernières années. Il y a donc beaucoup de témoignages, beaucoup de choses sur Internet, beaucoup de films. En 1985, ils se filmaient déjà car c’est un mouvement qui a une espèce de passion de la représentation très poussée. Ils adorent se prendre en photo, se filmer. Le physique est très important, et il y a quelque chose d’assez troublant même, parce qu’ils ont le culte du corps. Il y a donc énormément de documentaires, de reportages. Et j’ai tout lu, tout regardé en un espace de temps assez restreint. L’autre avantage, c’est qu’ils ont exactement mon âge – c’est-à-dire que je parle vraiment de choses de ma génération. Et comme j’ai eu la chance de ne pas grandir dans des milieux bourgeois, de ne pas grandir dans des milieux en dehors du monde, mais dans des cités, des endroits assez pauvres et sans culture, je n’ai pas un regard d’historien. C’est mon enfance, c’est ma banlieue.
Même d’un milieu modeste, on voit que Marco, en effet, est quelqu’un de très soigné.
Historiquement, les skinheads se sont créés contre les punks en Angleterre. L’ennemi était le punk ; l’ennemi était l’anarchiste. C’est en quelque sorte aussi basé aussi sur quelque chose de très militaire. A l’armée, par exemple, vous êtes toujours absolument nickel, les cheveux, l’uniforme… et donc, il y a ça dans cette pensée. Mais c’est historique puisqu’à l’origine, c’est vraiment pour aller contre les punks qui étaient considérés en Angleterre comme des petits bourgeois qui s’encanaillaient, alors que les skinheads sont un mouvement à la base absolument prolétaire, sauf que ce n’est pas du tout un mouvement d’extrémisme de droite. Le phénomène skinhead est un mouvement qui vient de la Jamaïque, avec le skinhead reggae à la fin des années 60, et qui a été dévoyé ensuite en Angleterre par un leader, chanteur d’un groupe, qui a transformé le mouvement skinhead en mouvement nazi fasciste, alors qu’à la base ce n’était pas ça. Et c’est aussi pour ça qu’il y a toujours dans le monde deux sortes de skinheads : il y a les skinheads nazis, qu’on appelle communément les skinheads, et il y a ceux qu’on appelle en France les redskins, ceux qui ont retourné leur blouson bomber avec la doublure orange vers l’extérieur et qui, eux, sont antifascistes (antifas), antiracistes. Et les fas et les antifas, les deux mouvances, continuent à se battre entre eux.

Quels sont les choix cinématographiques que vous avez dû faire pour raconter les 30 ans de la vie de Marco et sa conversion idéologique progressive ?
Il fallait que je raconte cette histoire d’une manière qui ne soit pas trop spectaculaire, à l’américaine, avec la grande rencontre qui fait qu’on devient quelqu’un d’autre. Je ne raconte pas l’histoire de quelqu’un qui a vu la vierge à un moment ; je raconte l’histoire de quelqu’un qui, petit à petit, se débarrasse de la haine et de la violence qu’il a en lui. On ne devient pas absolument quelqu’un d’autre du jour au lendemain ; il faut du temps, il faut des rencontres. Je voulais essayer de raconter ça avec un peu de délicatesse et de finesse, enfin si possible, sachant que le sujet n’était pas très fin. Et donc, voilà, j’ai choisi de raconter cette vie, 30 ans de vie, en 20 séquences, en 20 moments de vie. Evidemment, dedans, il y a des sous-entendus, des ellipses. Le spectateur doit imaginer ce qui a pu se passer pendant certaines années. Je ne voulais pas en faire un documentaire ; je ne voulais absolument rien faire de théorique. Je voulais que ce soit ressenti, que ce soit aussi de la part du spectateur quelque chose qui est plus ressenti qu’expliqué.

Le propos du film n’est pas moralisateur. Il n’y a pas de happy end non plus. Marco ne s’épanouira pas dans sa nouvelle vie, pas plus qu’il n’a pris de plaisir dans la violence. C’est assez ambigu. Qu’avez-vous cherché à montrer, à démontrer en faisant ce film ?
Moi, je ne cherche pas à montrer ou démontrer quoi que ce soit. Je raconte une histoire. Mon métier, c’est de raconter des histoires ; je ne suis pas philosophe, je ne suis pas penseur. Non, il n’y a pas de message. Je voulais juste raconter l’histoire d’un homme qui se débarrasse de la violence et de la haine qu’il a en lui et, éventuellement, émouvoir et faire réfléchir le spectateur. Mais mon métier, c’est de raconter des histoires, pas de délivrer des messages.

Quels sont vos projets actuels ?
Je viens de terminer le tournage d’un film qui n’a absolument rien à voir avec « Un Français » ; c’est même le contraire absolu. Le film s’intitule « Pimpette », et c’est une histoire de soeurs. C’est une comédie, quelque chose d’un peu léger qui se passe au soleil, avec des gens extrêmement sympathiques et, j’espère, un peu drôles. C’est à la fois une comédie sociale, familiale. L’histoire de deux soeurs, une petite et une grande. Le film devrait sortir en juin 2016.
Et vous aviez besoin de ça, peut-être, après « Un Français » ?
Oui, je ne vous cache pas que je n’allais pas retourner là-dedans tout de suite. En plus, j’ai toujours fait ça… même au théâtre. J’aime le drame, j’aime la comédie, j’aime les choses différentes, et je n’ai aucune envie de m’interdire quoi que ce soit. Peut-être que le prochain film sera un peu moins divertissant, mais j’aime beaucoup cette idée de pouvoir passer d’un genre à un autre.
Et le théâtre, vous y reviendrez un jour ?
Pour ce qui est du théâtre, j’ai un gros projet pour l’année 2017. C’est comme pour le cinéma, c’est quelque chose de très différent : une pièce musicale que je fais avec Alex Beaupain – c’est lui qui a fait toutes les musiques des films de Christophe Honoré, dont « Les chansons d’amour ».

[Sortie du film « Un Français » en DVD, Blu-Ray et VOD à partir du 21 octobre]

Propos recueillis
par Aline Vannier-Sihvola
Helsinki, le 22 septembre 2015