Satu Laaksonen, programmatrice à la Cinémathèque de Finlande (KAVI) depuis plus de 30 ans, quitte ses fonctions cet automne 2016. On lui doit énormément de rétrospectives françaises, italiennes mais aussi – entre autres – des cycles arabes, africains, mexicains ou russes. Satu Laaksonen a su nous faire partager son amour du cinéma, sa passion. Mission accomplie !
Elle nous livre ici, dans cet entretien, les moments forts qui ont jalonné sa carrière, les rencontres, les événements qui ont compté pour elle. La Cinémathèque lui a accordé cet automne une Carte blanche (voir ci-dessous) et Satu Laaksonen nous parle de certains des 18 films sélectionnés – en grande partie des films français – pour le plus grand plaisir des cinéphiles français et francophones.
Comment avez-vous été amenée au cinéma ? Quels sont les auteurs, les films qui ont tout de suite compté pour vous ?
Ma première rencontre avec le cinéma s’est faite très petite parce que mes parents allaient souvent au cinéma dans le village où on a vécu, en Finlande centrale. Je pense, autant que je puisse m’en souvenir, que je devais avoir 5 ans quand je suis allée pour la première fois au cinéma. Et mes parents aimaient surtout, paraît-il, le cinéma français et italien. Cela a dû m’influencer. Et le premier film dont j’ai des souvenirs très précis, c’est « Les vacances de Monsieur Hulot » de Jacques Tati, qui reste un des souvenirs les plus heureux de mon enfance… la projection et ce qui se passait après la projection, par un soir d’été lumineux.
Comment êtres-vous rentrée à la Cinémathèque ? Etait-ce l’époque où Peter von Bagh en était le directeur ?
J’ai été membre de la Cinémathèque à partir, je pense, de 1970 quand je suis venue étudier à Helsinki. Peter n’en était plus directeur, mais dirigeait la programmation et demeurait extrêmement important ; tout le monde le suivait. Il portait vraiment en lui cet enthousiasme, cette énergie incroyable. Par la suite, j’ai voulu faire mon mémoire de maîtrise en français sur le sous-titrage des films. Et pour cela, je suis allée à la bibliothèque de la Cinémathèque pour chercher du matériel. C’est comme ça que j’ai vu sur la visionneuse des films comme « La règle du jeu », « Une partie de campagne » ou « La voie lactée » pour mon mémoire de maîtrise. J’ai ainsi connu des gens là-bas comme Aito Mäkinen, fondateur de la Cinémathèque avec Björn Donner, qui m’a alors proposé de sous-titrer des films français. C’était vraiment une surprise. Je me souviens du premier sous-titrage que j’ai fait, c’était « Blanche » de Walerian Borowczyk. Et, entretemps, j’ai été boursière à Besançon, ce qui m’a marquée profondément parce que là il y avait des étudiants d’une centaine de pays différents. Il y avait de tout : des Asiatiques, des Sud-Américains, des Africains, des Arabes, de tout. Et c’est là que je me suis intéressée au cinéma d’Afrique noire après être tombée sur un pamphlet des cinéastes d’Afrique noire qui était extrêmement passionnant. Dès mon retour en Finlande, j’ai bien sûr continué mes études à l’université, mais là il y avait un institut des pays en voie de développement (Kehitysmaa Instituutti). J’ai tout d’abord assisté à un cours, puis j’ai fait un exposé sur le cinéma d’Afrique noire. Et celui qui dirigeait le cours m’a proposé qu’on fasse un festival autour du cinéma d’Afrique noire. Mais ni lui ni moi n’avions jamais vu un film d’Afrique noire. On a alors travaillé ensemble pour avoir le financement, puis on a proposé l’idée à la Cinémathèque de Finlande, qui était une association privée à l’époque dotée de très peu de moyens. Peter von Bagh, qui en était le directeur de la programmation, a accepté notre proposition. On a fait le travail et ils ont pris la programmation dans leur programme de printemps 1978. Cela a été un énorme succès et c’est ainsi que j’ai connu encore mieux les gens de la Cinémathèque. Par la suite, on m’a proposé des traductions de films, de l’interprétariat quand il y avait des visites de Français comme Georges Rouquier, Anatole Dauman, etc. Et c’est comme ça que, peu à peu, je suis entrée par la petite porte à la Cinémathèque. Puis, un jour, on m’a téléphoné et on m’a dit qu’il y avait un poste de libre, de venir et d’essayer. C’était en 1984. Peter von Bagh venait de quitter la Cinémathèque, car il avait eu une sorte de bourse d’Etat pour quinze ans relative au travail artistique, et il lui fallait quitter le poste. Ce n’était plus une association privée mais une cinémathèque d’Etat, et on ne pouvait pas être en même temps fonctionnaire d’Etat et boursier. Et Eeva Kurki, qui travaillait avec lui, avait quitté la Cinémathèque en même temps. Il y avait là, pour ainsi dire, un « trou ». Et c’est alors qu’on m’a proposé un poste. J’ai commencé exactement à y travailler en février 1985, voilà plus d’une trentaine d’années.
En quoi consiste le métier de programmateur ? Parlez-nous aussi des difficultés ou non d’obtenir les droits, des coûts, des négociations peut-être parfois longues, des refus, etc. ?
C’est extrêmement varié parce que, d’abord, il y a la partie qui est du reste la plus intéressante, la plus joyeuse, qui consiste à faire des projets : on se propose, parce qu’on est une équipe, des projets, des cycles pour lesquels chacun a des collaborateurs qui nous proposent, en amont, des choses et on les présente aux autres. Par ailleurs, tout en travaillant sur des projets et sur des rêves, il faut assurer le bon fonctionnement de la salle. Et ça, c’est souvent extrêmement difficile. Bien sûr, la Cinémathèque a ses propres collections, mais on ne peut pas tout faire à partir de ces collections, alors on travaille avec d’autres cinémathèques du monde, des distributeurs finlandais, des distributeurs étrangers, avec des ambassades, avec les instituts culturels. Leur nombre est considérable, c’est un vrai réseau et il faut trouver le plus vite possible les bonnes connexions, les sources des copies sûres et le bon format, parce qu’on veut toujours, autant que possible, le format authentique. Jusqu’à aujourd’hui, c’était 35 mm mais maintenant c’est très souvent des copies numériques. Mais ça ne suffit pas toujours parce que parfois, et même très souvent, s’il s’agit de cinémathèques, il nous faut contacter d’autres personnes pour avoir les droits. Et là il faut vraiment négocier, c’est-à-dire essayer d’abord d’atteindre les personnes qui ne répondent pas toujours tout de suite. Maintenant, c’est beaucoup plus facile avec les moyens technologiques qu’on a à notre disposition : sur Internet, on peut trouver énormément de choses ; on a les portables, les e-mails, etc. Avant, c’était incroyable. On n’avait même pas de télex quand j’ai commencé. C’était vraiment effrayant quand on y pense. Mais aujourd’hui, même avec tous les moyens techniques actuels, ça peut prendre du temps avant d’avoir les bonnes réponses, et très souvent on nous propose des prix qu’on ne peut pas accepter. Alors commencent les négociations, et il arrive parfois qu’on soit obligé de laisser tomber carrément. En d’autres occasions, on continue, on change un peu les programmes, on laisse tomber certains films pour avoir quelque chose qu’on veut vraiment avoir. Et ça ne s’arrête pas là puisqu’il faut aussi organiser le transport du matériel et des boîtes, et parfois c’est à la dernière minute qu’on reçoit le matériel. Alors, les gens qui attendent dans la salle ne peuvent pas savoir toute la panique qui se trouve souvent derrière les projections. Et si la copie n’est pas sous-titrée en finnois ou en anglais, il faut assurer aussi la bonne traduction et le matériel au traducteur. C’est un très grand puzzle et ça peut être très compliqué. Pour nous, c’est un festival toute l’année. Ce n’est pas seulement une ou deux semaines, c’est tout le temps, et sur plusieurs niveaux. Par ailleurs, les droits, le transport du matériel, les traductions, etc., tout cela coûte cher. C’est pour ça qu’il faut essayer de négocier le plus possible, et maintenant avec les coupes budgétaires qui existent… Cela a toujours été strict, c’est-à-dire qu’on a toujours suivi où allait l’argent, mais maintenant il faut être encore plus rigoureux.
Quels ont été vos proches collaborateurs, vos interlocuteurs tant en Finlande qu’à l’étranger, surtout en France et en Italie ?
En Finlande, il y en a eu beaucoup bien sûr, si on considère que je suis restée plus de trente ans à la Cinémathèque, mais j’ai aussi beaucoup travaillé avec le Centre culturel français – aujourd’hui l’Institut français –, vraiment beaucoup. Des collaborations également importantes avec l’Institut italien, avec plusieurs ambassades comme, par exemple, l’ambassade du Japon, l’ambassade du Portugal et aussi avec les Allemands. Cela dépendait, bien sûr, des programmes. A l’étranger, Stockholm est très important pour nous, et on travaille beaucoup avec la Cinémathèque de Stockholm, avec les pays nordiques, avec l’Allemagne, avec l’Angleterre, à Londres, et bien sûr avec la France, la Cinémathèque française, les Archives françaises du film – et là il s’agit d’amis, de vraies amitiés. Ce sont des endroits formidables, mais ce sont aussi des gens que j’adore, je tiens à le dire, comme Eric Le Roy, Emilie Cauquy, et tant d’autres. Il y a aussi la Cinémathèque de Toulouse avec qui j’ai pas mal travaillé, et là encore ce sont des gens formidables. Il y a également des festivals, comme le Festival de La Rochelle avec qui j’ai énormément collaboré, le Centre Pompidou, ainsi que plusieurs autres. Il y a la Cinémathèque du Portugal, la Cinémathèque de Madrid qui sont des endroits très importants tout autant que les gens qui y travaillent. En Italie, la Cinémathèque de Rome, la Cinémathèque de Bologne où là je pourrais dire que j’ai aussi mon coeur. Il y a plusieurs cinémathèques en Italie, et je n’oublierai pas, bien sûr, la Cinémathèque de Turin. Et je mentionnerai particulièrement l’Institut italien ici en Finlande, qui a vraiment été très important pour moi, dans mon travail.
Vous avez mentionné précédemment une collaboration avec l’ambassade du Japon. Est-ce à dire que vous avez aussi fait des programmations hors des frontières de l’Europe ?
En effet, j’ai fait des cycles japonais, des cycles russes, mais aussi plusieurs cycles mexicains. J’ai beaucoup travaillé avec la Cinémathèque nationale du Mexique. J’ai oublié aussi de mentionner une collaboration active avec deux autres pays francophones que sont la Belgique et la Suisse. J’ai fait également des cycles un peu exotiques qui me viennent de ma jeunesse bisontine (lors d’études effectuées à Besançon – N.D.L.R.) et des influences que j’ai eues là-bas, mais déjà avant je m’intéressais beaucoup aux pays en dehors de l’Europe.
Pour ce qui est des collaborateurs finlandais, j’ai bien sûr beaucoup travaillé avec Peter von Bagh, Kai Vase, qui était notre photographe, avec l’Université de Helsinki, l’Université Aalto et son école de cinéma. Mais aussi, par exemple, – il y a tellement de collaborations ! – j’ai travaillé pas mal avec l’Eglise luthérienne qui a proposé des cycles comme en l’an 2000, pour les 2000 ans de Jésus-Christ, mais aussi on a fait une séance de cinéma dans l’église de Kallio : c’était un film américain, accompagné à l’orgue. C’était formidable. J’ai donc fait plusieurs cycles avec l’Eglise luthérienne qui m’ont beaucoup marquée parce que là il y avait une grande ouverture, une grande liberté et on a pu traiter de questions pertinentes. Et juste avant de quitter la Cinémathèque, j’ai pu commencer la collaboration avec la bibliothèque du Mouvement ouvrier qui se trouve dans le même bâtiment que nos locaux à Sörnäinen. Ainsi, l’année dernière, on a eu « La brière », film réalisé par Léon Poirier en 1924, un film qu’on a retrouvé dans nos collections et qui a été acheté dans les années 20 par le Parti social-démocrate. Et là, cette séance, accompagnée d’une musique composée par les musiciens finlandais, a suscité des moments très forts. Et ce printemps, en avril, dans notre petite salle Tulio, on a pu organiser la projection de deux films : un film documentaire sur l’écrivain Alpo Ruuth, qui a vécu à Kallio et qui est aujourd’hui décédé, ainsi qu’un film de fiction basé sur son premier roman qui avait été réalisé pour la télévision. Ces deux films étaient dans nos collections. J’ai, pour ma part, un peu connu Alpo Ruuth dans ma jeunesse ; c’était lors d’un voyage des écrivains et des artistes à Paris et je me trouvais là comme interprète. Et quand j’ai vu ces films, j’ai voulu faire quelque chose autour de lui, et cette bibliothèque du Mouvement ouvrier a tout de suite été d’accord. On a présenté les deux films chez nous, dans notre salle. Cela a été un immense succès et, après la projection des films, il y a eu une table ronde, à laquelle participait la présidente de la Finlande Tarja Halonen. Elle avait vécu sa jeunesse à Kallio, et je ne sais pas si elle avait connu personnellement Alpo Ruuth, mais il y avait, en tout cas, des écrivains qui l’avaient bien connu comme Hannu Mäkelä et d’autres. C’était incroyable. C’était vraiment un grand succès et il y a eu beaucoup de moments forts qu’on a pu partager.
Quelles évolutions, quels changements majeurs au cours de ces 30 « glorieuses » années passées à la Cinémathèque vous inquiètent le plus : le passage de l’argentique au numérique, la conservation des copies, les droits de passage, le téléchargement illégal, etc. ?
Je pense que les temps changent et il nous faut suivre les changements et faire confiance aux gens qui travaillent maintenant. Ce n’est sûrement pas facile, mais je pense qu’il n’y a pas de raisons de s’inquiéter. Je ne peux pas dire que j’ai aimé le passage au numérique, mais je vois que ceux qui sont aux manettes font un bon travail chez nous. Ils sont ambitieux, ils travaillent bien et je ne peux qu’avoir confiance. On est en train de numériser le patrimoine finlandais, par contre on n’a pas le droit de toucher aux films étrangers qui sont chez nous. Par exemple, on a montré cette semaine dans notre salle « Le renne blanc », qui est un grand film finlandais de Erik Blomberg, et, paraît-il, le résultat est très bon. On restaure les plus grands films avant de les numériser et on scanne les autres films, du moins tous ceux dont les copies sont bonnes voire acceptables.

Quels ont été les événements marquants, les rencontres qui on jalonné votre carrière ?
Oh la la ! Je viens de presque finir de ranger, vider mon bureau qui est un musée et j’ai retrouvé tellement de choses. Et, en plus, comme je travaille avec le Festival du film du soleil de minuit de Sodankylä depuis sa fondation, j’ai là aussi rencontré beaucoup de cinéastes et des gens très importants. Mais si on parle de cinéastes qui sont venus invités par la Cinémathèque, je dirais que Ousmane Sembène reste quelqu’un d’extrêmement important pour moi comme pour chaque personne qui l’a rencontré. Il y avait aussi à la fin des années 90, en 1997, une exposition des dessins de Jean Cocteau que j’ai montée avec Kai Vase dans nos anciens locaux à Pursimiehenkatu, et il y avait sa petite nièce, Dominique Marny, écrivain, qui est venue ainsi qu’une chercheuse française, et c’était une semaine extrêmement intéressante et importante pour tout le monde qui était avec nous. Et aussi la famille Méliès que j’ai bien connue déjà en 1984. Même si je n’y avais pas encore de poste, je travaillais pour la Cinémathèque à cette époque, et c’est Madeleine Malthête-Méliès qui est venue pour ouvrir la salle Orion et j’ai été son interprète. C’était extrêmement intéressant et après j’ai connue Marie-Hélène Méliès et son fils Lawrence qui sont même venus deux fois à Helsinki. Ce sont des moments inoubliables et des séances extraordinaires. La salle était comble. Quelle joie ! Il y a eu aussi le photographe et cinéaste William Klein qui est venu à la fin des années 80 pour son exposition de photos – que nous avions aussi à Pursimiehenkatu – et une rétrospective de ses films à Orion. Autre exposition très importante, celle de Denise Bellon. A cette occasion, Eric Le Roy des Archives françaises du film et la réalisatrice Yannick Bellon, fille de Denise Bellon, sont venus à Helsinki, alors qu’on montrait, en même temps, une rétrospective des films de Yannick Bellon à Orion. Avec eux, ce sont tissés des liens très forts et c’est une amitié qui continue. Plus récemment, il y a trois ans, est venu à Helsinki le cinéaste égyptien Yousry Nasrallah, très sympathique et très intéressant, pour le séminaire sur le Printemps arabe et aussi pour la rétrospective des films des pays arabes. Avant lui étaient venus à l’automne 2004 le réalisateur tunisien Ferid Boughedir et le professeur algérien Ahmed Djebbar également pour un séminaire et un très grand cycle de 25 films des pays arabes ainsi que des films muets accompagnés musicalement qui représentaient des films français du temps de l’époque coloniale – soit la vision européenne de ces pays exotiques et soumis. Autre chose aussi qui a été très important pour moi : la rétrospective du cinéaste cambodgien Rithy Panh. Ce dernier n’a malheureusement pas pu venir en Finlande mais, pour moi, c’était très important de montrer ses films parce que j’ai connu dans ma jeunesse des Cambodgiens, et c’était justement l’année où Pol Pot avait pris le pouvoir au Cambodge. Cela m’a tellement marqué dans ma jeunesse que j’ai toujours suivi et continue de suivre les événements dans ce pays, et Rithy Panh est très important comme cinéaste et comme témoin de ce qu’il s’est passé. Mais il y a aussi l’Amérique du Sud et le Mexique et j’ai aussi un attachement personnel à ce pays. On a eu en 1998 un grand cycle mexicain avec le directeur de la Cinémathèque nationale, et ça a été aussi quelque chose de très fort et de très intéressant, suivi par une invitation au Mexique où je me suis rendue avec des films finlandais pour présenter, entre autres, « Le renne blanc » de Erik Blomberg et « Louise » de Valentin Vaala.
Par quoi sont essentiellement motivés vos choix de programmation ? Se portent-ils essentiellement sur des classiques ou bien pariez-vous aussi sur de plus jeunes talents ou des auteurs peu connus ?
Les classiques, j’adore, mais c’est très important pour moi de montrer aussi des films qui ne sont pas si connus, qu’il n’est pas si facile de connaître. Il nous faut ouvrir des fenêtres parce que le cinéma c’est une excellente fenêtre sur un pays, sur une culture, sur une époque, etc. C’est vraiment un excellent outil, une joie et un art. Et nous, on a encore la possibilité d’ouvrir ces fenêtres. Et, justement, il est essentiel qu’un lieu comme la cinémathèque existe pour faire connaître l’Histoire, et pas seulement l’histoire officielle mais aussi l’histoire un peu non officielle et pas si connue. Et c’est très important aussi de suivre ce qui se passe, par exemple, en France parce que chez nous on voit quand même les choses plutôt d’un angle anglo-américain, et en France on montre d’autres choses. Il faut, selon moi, un peu montrer des aspects différents et ne pas suivre un seul cinéma parce qu’il y a tellement de chemins et tellement de sentiers et, surtout, tellement de découvertes à faire.
Avez-vous fait souvent « voyager » des rétrospectives de réalisateurs finlandais à l’étranger ?
Oui, parce qu’une partie de mon travail consistait à m’occuper des films finlandais sous-titrés qu’on demandait à l’étranger, c’est-à-dire qu’il y avait des festivals, des instituts, des cinémathèques, des associations amicales, des ambassades, etc. qui faisaient des programmations finlandaises et qui demandaient des films finlandais, alors j’ai beaucoup travaillé là-dessus. Cela s’est produit assez souvent, mais maintenant c’est plus calme car, comme c’est le cas un peu partout dans le monde, les fonds viennent à manquer. Et, en plus, on a fait tellement de grandes rétrospectives que c’est aussi un peu à cause de ça que maintenant la demande est moindre, mais je pense que l’année prochaine, année du centenaire de la Finlande, il y aura sûrement à nouveau des demandes. Par ailleurs, Aki Kaurismäki est en train de tourner un nouveau film, et il y aura sûrement des rétrospectives de Kaurismäki et toutes sortes d’événements de la sorte. Certes, il y a eu de grandes demandes à l’étranger, mais c’était aussi du fait de Peter von Bagh qui était un grand ambassadeur du cinéma finlandais. Il était tellement connu à l’étranger et il y avait tellement de cinémathèques qui le connaissaient et qui travaillaient avec lui que, à cause de lui… ou devrais-je dire grâce à lui, on nous demandait souvent des cycles et il allait les présenter ou alors il en choisissait, pour une grande partie, les films. C’est pour cela que j’ai tellement travaillé avec lui. Et j’ai aussi beaucoup travaillé avec l’Institut finlandais à Paris qui a sa propre salle de cinéma. Mais il me faut citer plus en détail le Festival de La Rochelle qui travaille depuis des décennies avec la Cinémathèque finlandaise – et même avant que moi je n’y travaille – et qui a fait plusieurs grands cycles, notamment Teuvo Tulio en 2012, mais aussi Anastasia Lapsui et Markku Lehmuskallio en 2007, et en 2008 je leur ai fait une Carte blanche de nos collections parce que c’était la Saison finlandaise. Mais déjà en 1996, ils avaient fait une rétrospective Valentin Vaala qui avait été très bien accueillie. Hormis le Festival de La Rochelle, la Cinémathèque de Toulouse a aussi fait des cycles finlandais, dont un cycle finlandais il y a trois ans. Je m’y trouvais avec Peter von Bagh et Elina Salo. C’est un très grand souvenir. La Cinémathèque française a également fait un cycle Teuvo Tulio en 2008 à l’occasion de la Saison finlandaise. Et le Festival du film nordique de Rouen, qui n’existe plus, affichait un très grand nombre de programmations finlandaises. J’ajouterai, pour finir, que la Cinémathèque suisse, à Lausanne, a aussi fait des programmations finlandaises, de même que la Cinémathèque de Belgique et la Cinémathèque italienne, surtout Bologne.
En guise de dernière programmation de votre longue carrière, à la veille de votre départ à la retraite, la Cinémathèque vous a octroyé une Carte blanche : 18 perles rares – si l’on compte les 8 films de Rivette « OUT 1 » déclinés sous le même titre – pour la plus grande joie des cinéphiles francophones et francophiles de Helsinki. Comment avez-vous procédé pour arriver à une sélection de cette qualité ?
C’était très difficile parce que, quand même, j’ai travaillé sur des programmations depuis plus de trente ans. J’ai fait ma première programmation sur le cinéma d’Afrique noire en 1978 ; j’ai alors pu réaliser tellement de rêves. Et puis, maintenant, on me dit Carte blanche… mais c’est que j’en ai déjà fait des cartes blanches ! Qui plus est, cette fois-ci, comme je savais très bien qu’on n’a pas trop d’argent, qu’il ne faut pas faire trop difficile, je me suis dit que pour ce qui était des rêves ou des perles rares, j’allais devoir en laisser tomber certains. Par ailleurs, comme il y avait déjà beaucoup de films muets cet automne dans notre programmation, j’ai dû aussi y renoncer… alors que j’adore les films muets. Donc, les films que j’ai sélectionnés, ce sont des films qui ont compté pour moi comme « Les vacances de Monsieur Hulot », « La règle du jeu » ou d’autres, ou bien qui me touchent comme « Marius » que j’ai revu à Cannes l’année dernière. Ce film m’a parlé, ou plutôt reparlé de beaucoup de choses car, avec le temps, je l’ai revu différemment aujourd’hui. « Sur » de Solanas m’a rappelé mes amis latinos-américains, beaucoup de choses aussi tragiques de ma vie ou de leur vie ; ça m’a aussi parlé de plusieurs façons. Pour ce qui est de « Gare centrale » de Youssef Chahine, je voulais absolument un film arabe et comme j’ai connu Youssef Chahine à l’occasion du Festival du film du soleil de minuit à Sodankylä, je me suis dit que j’allais prendre cet excellent film. « La Noire de… », c’était bien sûr pour Sembène Ousmane, d’autant que je savais qu’il y avait une nouvelle copie numérisée à Bologne. Quant à « Un mauvais fils » de Claude Sautet, j’ai connu Claude Sautet et sa femme à Sodankylä, des gens adorables. J’ai, par ailleurs, eu l’occasion de sous-titrer « Un mauvais fils » quand j’étais jeune sur demande de Aito Mäkinen avec qui j’ai commencé de travailler à la Cinémathèque et qui a été extrêmement important pour moi. Il m’a alors parlé de ce film, je m’en souviens, quand j’étais jeune, et il m’a dit pourquoi il l’avait choisi, pourquoi il l’avait acheté. C’est, du reste, un film qu’on ne voit pas si souvent et qui fait partie de nos collections. Aito Mäkinen a importé énormément de films français qui se trouvent maintenant dans les collections de la Cinémathèque, mais aussi beaucoup de films indiens et japonais. Et puis, il y avait aussi un film que je n’avais jamais vu, c’est « Le mouton enragé » de Michel Deville. Je l’ai trouvé par hasard dans nos collections et il y a dans ce film des acteurs comme Romy Schneider et Jean-Louis Trintignant, acteurs que j’aime beaucoup et dont j’ai, du reste, déjà fait des rétrospectives. Il y a aussi la toute jeune Jane Birkin qui y tient un rôle non négligeable. J’ai voulu sélectionner également ce film pour montrer qu’on peut toujours trouver des choses dans nos collections. Donc, cette Carte blanche, je dirais que c’est assez capricieux, c’est beaucoup de moi, mais c’est aussi beaucoup de hasards, et j’espère que les gens y trouveront de quoi satisfaire leurs attentes. Et pour ce qui est de « OUT 1 » (1971) que j’ai inscrit également dans la rétrospective de Jacques Rivette, tout vient d’un article que j’ai lu l’année dernière dans « Le Monde », qui annonçait enfin la sortie du film en salles et en DVD. C’est alors que je me suis dit : « Mais quel rêve ! »… toutefois cela me semblait un rêve impossible que je ne pourrai jamais réaliser. Et puis, peu à peu, j’ai pu voir qu’il y avait là quand même un intérêt et, heureusement, à l’Université Aalto, il y avait même cet automne tout un programme autour de ce film, et c’est par hasard que je l’ai appris. On a pu alors travailler ensemble et faire que ce rêve devienne une réalité… tout de même 13 heures de films réparties en 8 épisodes pour la version intégrale de ce film colossal. Une gageure !
Propos recueillis en français
par Aline Vannier-Sihvola
Helsinki, le 09.09.2016
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