ALVAR AALTO Architecte avec un grand A – Documentaire de VIRPI SUUTARI

  • Documentaire de Virpi Suutari (Finlande, 2020, 52 min) – Coproduction : ARTE GEIE, Euphoria Film OY, YLE, Avrotros
  • ARTE – Mercredi 10 février à 22 h 45 (heure française) / 23 h 45 (heure finlandaise)
  • Disponible sur arte.tv jusqu’au 11 mars 2021

Alvar Aalto (1898-1976) est un architecte, dessinateur, urbaniste et designer finlandais, adepte du fonctionnalisme et considéré comme le père fondateur du design organique. Tout comme son architecture qui s’intègre de façon harmonieuse dans le paysage environnant, son mobilier aux lignes courbes et fluides, tel le célèbre fauteuil Paimio en bois courbé (1932), ses créations en verre, tel le mythique vase Savoy (1936) – aussi appelé vase Aalto (« vague » en finnois) – ou encore ses lampes en laiton aux formes arrondies, toutes ses réalisations se caractérisent par leurs formes organiques.

La Maison Carré est la seule construction de l’architecte finlandais en France et une des rares résidences privées à l’étranger. Elle a été créée ainsi que tout son mobilier par Alvar Aalto en 1959 pour Louis Carré, collectionneur et marchand d’art influent de l’après-guerre. Il s’agit d’un « gesamtkuntswerk » ou « oeuvre d’art totale » puisque Aalto a non seulement dessiné la maison mais conçu également les meubles, les luminaires, les tapis… jusqu’aux poignées de porte. Cette maison, située à Bazoches-sur-Guyonne, dans les Yvelines, est un modèle d’intégration dans le paysage.

Vase Aalto (1936) sur fond de l’Institut de retraite nationale / Kansaneläkelaitos Helsinki (1956)

Alvar Aalto – Architecte avec un grand A
Dans ce film, la réalisatrice Virpi Suutari nous livre un regard très personnel sur ce couple aussi peu conventionnel que charismatique que formait ce duo de créateurs Alvar Aalto et son épouse Aino Aalto.
Si le film nous présente les plus emblématiques ouvrages d’Alvar Aalto – de la Finlande à la Russie, en passant par la France et les Etats-Unis – en dialoguant avec des experts et des témoins, il a surtout la particularité de se pencher pour la première fois sur l’histoire d’amour de ce couple d’architectes pionniers et sur leur étroite collaboration dans le processus de création
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Virpi Suutari
© Euphoria Film

Virpi Suutari est une documentariste finlandaise au talent reconnu et récompensé à maintes reprises Elle a étudié à l’École des arts et du design de Helsinki, où elle a ensuite enseigné de 2012 à 2016. En 2012, elle a fondé avec son mari Martti Suosalo, acteur finlandais, la société de production Euphoria Film Oy. Virpi Suutari a réalisé à ce jour une dizaine de documentaires, dont « Alvar Aalto » est son tout dernier opus et qui vient d’être nommé dans la catégorie Meilleur documentaire au Gala des Jussi (les César finlandais) qui se déroulera cette année, en raison de la pandémie, à l’automne prochain.

Pour plus d’informations sur Alvar Aalto, le plus célèbre architecte et designer finlandais :

Coup de projecteur sur EMILY ATEF

Le fils perdu

Le fils perdu

Téléfilm dramatique de Emily Atef

Arte

Mardi 25 août
14 h 35 (heure française) / 15 h 35 (heure finlandaise)

REPLAY jusqu’au 20 août : https://www.arte.tv/fr/videos/083875-000-A/le-fils-perdu/

Durée : 90 mn.
Titre original : Macht Euch keine Sorgen
Année de réalisation : 2018 (Allemagne)
Avec Jörg Schüttauf (Stefan), Ulrike C Tscharre (Simone ), Leonard Carow (Jakob), Leonard Scheicher (David), Emilia Borisch (Marie), Rainer Sellien (Mathias), Eva Meckbach (Evelyn), Adrian Zwicker (Oliver).

En Allemagne, le douloureux parcours d’un couple de parents catholiques face à la radicalisation de leur fils Jakob, parti rejoindre les rangs de l’État islamique en Syrie alors qu’ils le croyaient en vacances en Espagne. Passé le choc, et malgré les angoisses, le père part le chercher.
Un drame familial, pudique et bouleversant, sur la détresse des parents d’enfants radicalisés, tiraillés entre douleur et interrogations.

Une occasion de lire ou relire l’entretien ci-dessous avec Emily Atef accordé à l’occasion de la sortie de son précédent film « 3 jours à Quiberon » (2018) lors du Festival international du film de Helsinki – Amour & Anarchie en septembre 2018.

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ENTRETIEN AVEC EMILY ATEF
EMILY ATEF
Emily Atef, réalisatrice franco-iranienne, était l’invitée du Festival international du film de Helsinki – Amour & Anarchie dont la 31édition s’est déroulée cette année du 20 au 30 septembre 2018. Elle est venue présenter son 4e long métrage, « 3 jours à Quiberon », qui relate les 3 jours qu’a passés l’actrice Romy Schneider en 1981 lors de sa cure à Quiberon où elle a accordé une interview exceptionnelle au magazine allemand Stern. Emily Atef signe un portrait émouvant de cette incroyable actrice, embelli par une magnifique photographie en noir et blanc. La caméra à fleur de peau nous permet de nous approcher au plus près de la femme sensible, fragile mais aussi lumineuse qu’était Romy Schneider à cette période de sa vie. Interprétée par Marie Bäumer, dont la ressemblance avec la star est troublante, on est pris dans l’illusion et l’émotion de voir revivre sans fard et sans filtre Romy Schneider à l’écran.

Qu’est-ce qui vous a tout d’abord amenée à vous intéresser d’aussi près à Romy Schneider et d’où est venue l’idée de vous focaliser sur ces 3 jours à Quiberon ?
Tout d’abord, j’ai vécu un peu partout – 7 ans à Berlin, 7 ans à Los Angeles – et à 13 ans, alors que j’étais dans le Jura en France, c’est là que j’ai rencontré Romy Schneider à travers ses films. J’ai, en fait, rencontré la Romy Schneider française, la Romy de ses films français. Pour ce qui est de « Sissi », je dois dire que je n’ai vu le film que pour la préparation de « 3 jours à Quiberon ». Je n’ai jamais vu ses films allemands. « Sissi », même en tant qu’ado, ne m’a jamais tellement intéressée. Qui plus est, les films historiques, ce n’est pas trop mon truc, et il y avait tellement d’autres films surprenants qu’elle avait faits. Donc, j’ai toujours trouvé cette actrice incroyable dans son jeu, très authentique. Et du fait que quand j’étais en France, elle était allemande, c’était aussi quelque chose qui me correspondait, mais je n’aurais jamais eu l’idée de faire un film sur elle. Tous mes films sont, du reste, complètement fictifs. Et c’est un producteur français, Denis Poncet – malheureusement décédé –, ami de l’actrice Marie Bäumer dont il ne revenait pas de sa ressemblance avec Romy Schneider, qui a pensé qu’il fallait qu’on fasse quelque chose. Marie Bäumer a toujours refusé en Allemagne de faire quoi que ce soit parce qu’on lui proposait toujours des biopics, c’est-à-dire des films où on racontait la vie d’une personne en 90 minutes. Déjà, rien qu’en tant que spectatrice, j’ai pour ma part toujours été extrêmement frustrée. Mais le fait qu’il arrive avec cette idée d’un zoom sur Quiberon – au départ, on ne savait pas combien de jours, mais quelques jours à Quiberon – et la dernière interview allemande avec pour interprète Marie Bäumer qui a maintenant plus de 40 ans, c’était autre chose. Quand Denis Poncet m’a donc appelée pour me demander si ça m’intéressait, la première chose que j’ai faite c’est de taper sur Internet « Romy Schneider – Quiberon » et j’ai vu alors ces photos de Robert Lebeck. Ça m’a extrêmement touchée parce que ces photos n’étaient pas les photos d’une star, des photos d’un mythe, des photos posées. C’étaient des photos d’une femme comme vous et moi, sans maquillage, complètement ouverte dans la crise qu’elle traversait et dans cette envie incroyable de vivre. Après, j’ai lu l’interview du Stern et j’ai été bouleversée par le fait qu’elle s’ouvre autant face à l’audace du journaliste qui va très loin dans ses questions. Qui plus est, ce sont trois jours où on a vraiment le temps, et le public a le luxe d’être avec elle. Et puis, le fait que c’était un film choral m’a aussi intéressée. Je ne voulais pas me focaliser uniquement sur Romy. Il y avait sa relation avec son amie, cette intimité féminine. Comment est-ce possible d’être amie avec une star ? Il y avait le journaliste qui était l’antagoniste mais qui, en fait, en trois jours allait évoluer incroyablement. Et puis, aussi, cette amitié qu’elle avait eue avec le photographe Robert Lebeck. Une amitié difficile. De tous les quatre, on se demande, du reste, qui manipule qui (!?)

On sent un film très documenté. Combien de temps vous a-t-il fallu – entre recherche et écriture – pour faire aboutir ce projet ?
Je dirais un an. Mais si on part depuis le tout début jusqu’à l’aboutissement, cela fait plusieurs années : j’ai reçu l’appel de Denis Poncet en 2013 et on a tourné fin 2016/2017. Entretemps, j’ai fait aussi trois films, des films de télé, etc. Mais comme je n’avais jamais fait de film sur quelqu’un de réel, j’ai vraiment pris le temps pour faire les recherches et surtout parler avec les gens. Robert Lebeck était assez connu – lui aussi malheureusement décédé à 84 ans – mais j’ai eu la chance de pouvoir le rencontrer trois fois. J’ai rencontré le journaliste Michael Jürgs un grand nombre de fois, de même mon actrice a pu le rencontrer. Je pouvais l’appeler quand je voulais dans le processus d’écriture en lui demandant toutes sortes de détails dont il ne savait pas, du reste, ce que j’allais en faire. D’ailleurs, il a été assez choqué quand il a lu le scénario car il est vrai que son rôle n’est pas très flatteur. J’ai aussi rencontré la copine deux fois, mais elle n’a pas voulu être immortalisée à l’écran. C’était pour moi un grand problème et, à vrai dire, je ne sais pas si j’aurais fait le film sans le personnage de Hilde, la copine. Je voulais montrer autre chose que Romy et les hommes, Romy et la presse. Je suis alors retournée la voir et je lui ai demandé si je pouvais créer une amie qui n’a rien à voir avec elle, pas le même nom, même pas la même nationalité, pas la même situation familiale ni le même métier. Elle a accepté et j’ai ainsi pu créer Hilde complètement. Mais il y avait vraiment une amie qui était là, qui la protégeait. On retrouve, du reste, beaucoup de choses similaires entre Hilde et cette véritable amie. Elle ne supportait pas non plus cette presse, ces gens qui accaparaient Romy.

Est-ce que le choix de l’actrice Marie Bäumer – dont la ressemblance avec Romy Schneider, jusqu’à la voix, le rire, est troublante – s’est tout de suite imposé ?
Oui. Et de toute manière, c’est plutôt elle qui m’a choisie. Même s’ils étaient venus avec ce projet et une autre actrice, pour moi le choix des acteurs est primordial. Il fallait que ça marche, sinon je n’aurais pas fait le projet. On trouve aussi beaucoup d’actrices en Allemagne qui ont des ressemblances avec Romy Schneider. Marie Bäumer lui ressemble, certes, mais elle a surtout beaucoup de talent, et c’est ça qui est le plus important. Il se trouve que c’est un rôle extrêmement difficile dans les excès de joie comme de peine, dans toutes les subtilités.

Mais elle qui avait jusque-là toujours refusé d’incarner Romy Schneider, qu’est-ce qui l’a finalement décidée à accepter ce rôle ?
Le fait que ce soit un zoom sur seulement trois jours, qu’il ne faille pas faire une mission impossible de raconter toute une vie. Pour une actrice, c’est ridicule. Comment faire ? En général, la plupart engagent jusqu’à quatre acteurs pour les différentes périodes de vie. Par ailleurs, elle avait beaucoup aimé les films que j’avais faits précédemment. Elle avait vu « L’étranger en moi » qui était à Cannes. Elle avait donc vu mes films qui sont presque tous des films sur des crises existentielles de femmes qui sortent toujours dans la lumière.

Hormis la ressemblance physique, Marie Bäumer fait revivre, à travers une interprétation bouleversante, la star mais surtout la femme qu’était Romy Schneider. Comment l’avez-vous dirigée ?
C’était pour elle un travail très émotionnel parce que depuis qu’elle a l’âge de 16 ans, on n’arrête pas de lui parler de sa ressemblance. Et c’est quelque chose de difficile parce qu’elle exerce le même métier que Romy Schneider. Et donc elle a eu très peur de ne pas arriver à transpercer le mythe pour arriver à la femme. Et le premier travail, c’était la confiance. Comme c’était un projet qui a duré et qu’il n’y avait pas de stress pour le faire, on est devenues amies. Elle vit en France depuis 11 ans, donc j’allais la voir en France et elle venait me voir à Berlin. Et c’est ainsi que s’est établie la confiance entre nous. Au départ, elle ne supportait pas vraiment qu’on parle du projet, mais quelques mois avant le tournage elle s’est lancée à 100 pour cent. Elle a travaillé la voix, légèrement teintée d’un accent de la bourgeoisie viennoise, accent qu’elle a d’ailleurs énormément travaillé avec Birgit Minichmayr, la comédienne autrichienne qui jouait Hilde. Elle a beaucoup travaillé aussi sur le physique, sur la respiration. On a regardé beaucoup d’interviews. Romy Schneider était souvent nerveuse dans les interviews. Parfois elle n’écoutait pas et parlait comme dans un tunnel ; elle se répétait souvent. On a vu, par exemple, comment elle fumait. Elle avait plutôt une façon masculine de fumer, qui est plus féminine chez Catherine Deneuve. Marie Bäumer a regardé tous ces aspects. Elle avait ainsi quelques esquisses. J’ai, pour ma part, beaucoup parlé psychologie, plutôt de la femme qu’était Romy, parce que pour moi c’est une femme universelle. Il n’y a pas eu d’improvisation et on a beaucoup répété, même si parfois, comme la scène du bar, on pourrait croire que c’est improvisé avec de longs plans-séquences, mais tous les dialogues sont écrits. J’ai écrit moi-même le scénario et après j’ai retravaillé tout le texte avec mes acteurs. S’ils trouvaient, bien sûr, qu’une phrase ne marchait pas, je n’avais aucun problème à la changer. L’important, c’était qu’ils arrivent à transmettre ce que, moi, je voulais voir.

Votre mise en scène est sobre et vous nous offrez un portrait délicat et pudique de cette femme déchirée à un certain moment de sa vie. Comment avez-vous évité le piège du pathos, tout en posant les prémices de la tragédie ?
C’est vraiment ce que j’essaie de faire dans tous mes films. Mon but, c’est d’arriver à aller au plus profond, au coeur même d’une crise pour ensuite en sortir mais sans utiliser le pathos. Il faut réussir à se maintenir sur un fil extrêmement fragile. Pour ça, j’ai besoin de beaucoup de silence, mais c’est vraiment aussi le talent des acteurs qui permet d’y arriver. Et puis, c’est à moi de fixer la limite, de continuer à chercher une manière plus sobre d’y parvenir. Mais aussi, parfois, Romy sombre tout d’un coup, puis Lebeck arrive, fait des photos, ils écoutent de la musique et ça repart. On ne sait jamais ce qu’il se passe. En fait, c’est Lebeck qui m’a raconté que c’était très fatigant parfois avec Romy parce qu’elle avait des changements d’humeur extrêmes et subits. D’ailleurs, il m’a dit que pendant ces trois jours il avait été très heureux que la copine soit là parce que parfois c’était assez imprévisible. Et donc, il faut garder cette fraîcheur de l’immédiat et ne pas rentrer dans le pathos.

Pourquoi Romy Schneider qui traverse en ce printemps 1981 – et c’est peu de le dire – une période de turbulences [suicide de son précédent mari en 1979, en plein divorce, séparée de ses enfants, criblée de dettes] accepte-t-elle de donner cette interview au magazine Stern plus connu pour la recherche du scoop que pour le sérieux de ses textes ?
C’est vraiment la première question que je me suis posée après avoir lu cette interview. Pourquoi a-t-elle fait ça ? En fin de compte, avec toutes les recherches que j’ai faites, je dirais qu’on a l’impression dans le film qu’elle est victime mais je ne le pense pas : d’après moi, elle a choisi. C’est elle qui choisit de faire cette interview et, à la fin, quand on la retrouve avec sa fille à Paris, elle est sereine et accepte de tout faire imprimer à part quelques phrases sur sa mère. C’est comme ça que ça s’est passé. Michael Jürgs m’a dit qu’il y avait des pages et des pages d’interview et que c’est plutôt lui qui a évité certaines choses – parce que parfois il prenait des tangentes –, mais elle a tout accepté de dire, y compris : « Je suis Romy Schneider, j’ai 42 ans, je suis malheureuse, ma vie aurait pu être mieux… ». Romy Schneider ne donnait pas beaucoup d’interviews en Allemagne et, à mon avis, elle en avait assez que les Allemands la comparent – aussi ridicule que cela puisse paraître – à un personnage historique de 15 ans alors qu’elle en avait 42. Ils voulaient garder leur pure et belle Sissi qui apportait la lumière dans cette Allemagne d’après-guerre. Ils ne supportaient pas qu’elle fasse des films français où elle se dévêtait, où elle accouchait comme, par exemple, dans « Une femme simple », ou bien alors dans « Le train » ou « Le vieux fusil » où elle jouait une victime du nazisme. Romy Schneider était une grande artiste et elle en avait marre. Et, à mon avis, elle a eu envie de leur dire qui elle était, qu’elle n’était pas Sissi mais Romy Schneider, qu’elle avait 42 ans et qu’elle était comme elle était maintenant.

Les questions du journaliste dans le film sont très frontales, agressives. On sent chez lui une volonté de dégrader l’image de Romy Schneider, de s’engouffrer dans les failles de cette femme. Quelle était la teneur de l’ensemble de l’entretien publié par Stern que vous avez déclaré n’avoir reproduit qu’en partie ? Et pourquoi ce choix ?
En fait, beaucoup vient de cette interview. Du reste, on peut la lire en allemand, en ligne. Rien que la première phrase avec les termes « madone » ou « pute », c’est quand même assez incroyable ce que le journaliste pouvait lui dire. J’ai repris la plupart des éléments de l’interview, sinon il y avait aussi d’autres tangentes qui n’étaient pas très intéressantes pour mon film où le journaliste parlait, par exemple, très longuement de son beau-père. Par ailleurs, j’ai aussi utilisé beaucoup de citations d’autres interviews qu’elle avait faites. Et après, j’ai essayé de trouver ma trame. Par exemple, Michael Jürgs m’a raconté beaucoup de choses que je lui ai fait dire dans le film. Il a, du reste, été estomaqué quand il a vu ça. Mais je lui ai dit que c’était une fiction et que j’avais besoin de mon antagoniste. Ça n’aurait servi à rien d’avoir un gentil journaliste, un gentil photographe pour mon film. D’autant que, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’était pas un enfant de coeur. On peut le lire dans son interview dans laquelle il va très loin. Et il le reconnaît lui-même maintenant. Il a vu le film et il a été extrêmement bouleversé parce qu’il s’est revu là-bas. Et puis il a dit que tout le monde était mort sauf lui, et qu’il était désolé d’avoir été ce type-là. Mais, d’un autre côté, c’est lui qui à la fin du film aura le plus évolué. Michael Jürgs sait que cette interview va lui faire faire un grand bond dans sa carrière, parce qu’il avait alors seulement 35 ans, et pourtant il dit plus ou moins à Romy Schneider que, si elle le souhaite, elle peut jeter l’interview à la poubelle. Mais elle ne le fait pas. D’ailleurs, l’interview s’est vendue près d’1 million de fois et, à moins de 40 ans, Michael Jürgs s’est retrouvé rédacteur-en-chef du Stern.

« 3 jours à Quiberon » est votre 4e long métrage et à chaque fois vous vous penchez dans vos films sur la solitude d’une femme qui semble échapper au bonheur tout en y atteignant presque. Pouvez-vous y donner une raison ?
Pourquoi les femmes ? Je ne serais pas contre de faire un film sur un homme. J’ai, du reste, fait une relation père-fils dans mon dernier film de télévision mais je dois dire que, déjà en tant que spectatrice, j’ai toujours été un peu frustrée car je ne trouvais pas qu’il y avait beaucoup de films sur les femmes et, bien sûr, ça m’intéresse davantage. Par ailleurs, je suis quelqu’un de très optimiste, et ce voyage de sortie d’une crise que ce soit dans mes précédents films « Tue-moi », « L’étranger en moi » ou « Molly’s Way », j’adore ce voyage. C’est un voyage qui m’intéresse parce que je cherche toujours la lumière, et dans n’importe quelle vie. Et pour « 3 jours à Quiberon », je savais que c’était la pire année de sa vie, parce qu’après Quiberon, tout s’enchaîne dans vraiment le négatif. Et si Denis Poncet m’avait dit qu’il aimerait bien qu’on finisse le film après la mort de son fils David, je n’aurais jamais accepté. Et donc, alors que je cherchais comment sortir de cette nuit-là vers la lumière, c’est de nouveau Robert  Lebeck qui m’a donné la clé quand je suis allée le voir en disant que c’était affreux, que Romy avait tellement de dettes et qu’en plus voilà qu’elle se cassait le pied et ne pouvait pas faire le film. Et c’est là qu’il m’a dit qu’en fait c’était la meilleure chose qui avait pu lui arriver. Il a dit que – et je l’ai, du reste, mis dans son dialogue – quand il est arrivé cet après-midi-là à Paris lui apporter l’interview, faire des photos avec elle et sa fille, jamais il ne l’avait vue – et pourtant il l’avait vue et photographiée souvent – aussi en paix avec elle-même, aussi sereine et aussi belle que cet après-midi-là. Et pour moi, c’était ça. Peu importe, peut-être que ce n’était qu’un après-midi, peut-être que c’était pendant les trois semaines qu’elle était restée clouée au lit, en tout cas, personne ne peut lui prendre ce moment de grâce qu’elle s’est donné.

Vos films sont généralement en langue allemande. Dans « 3 jours à Quiberon », Romy Schneider parle essentiellement allemand mais aussi français – comme elle le faisait dans la vie. Est-ce que cette alternance très importante est respectée dans les versions distribuées en France et en Allemagne, pays que l’on sait très attachés au doublage ?
Personne ne doublera ce film, ni en Russie, ni en Chine. Il y aura des sous-titres en Allemagne comme en France. Le seul endroit où il sera doublé, ce sera peut-être quand il sortira à la télévision… encore qu’Arte, étant une chaîne franco-allemande, aura, je l’espère, recours aux sous-titres.

Les images splendides en noir et blanc qui évoquent le souvenir de Romy Schneider et qui sont inspirées, semble-t-il, des clichés du photographe Robert Lebeck – un véritable storyboard ! – contrastent toutefois avec l’omniprésence de la cigarette, de l’alcool et la fébrilité surtout avec laquelle l’actrice s’y adonne. Pourquoi tant d’insistance sur cet aspect-là et comprenez-vous que Sarah Biasini, la fille de Romy Schneider, soit gênée par ce portrait ?
Ce film est une fiction. Quand vous regardez les photos de Robert Lebeck sur Internet, il y en a une vingtaine. Lui et sa veuve m’ont donné quelque 600 photos, tout ce qu’il a pris, même les photos complètement floues, des clichés très intimes. Et ces photos m’ont beaucoup inspirée mais, bien sûr, il n’y a pas de dialogues dans ces photos. Après 35 ans, elles ne vont pas me dire de quoi ils ont parlé. Tous les dialogues, c’est ce que, moi, je me suis imaginé en passant des heures et des heures devant ces photos. Mais Romy ne fait pas que boire, comme on dit. Jusqu’à la scène du bar, qui survient après 30 minutes, elle ne boit pas une goutte d’alcool. A la fin du film, après avoir passé la nuit avec Lebeck, elle ne boit pas non plus. Mais quand elle boit, elle boit. Et il faut arrêter de dire n’importe quoi, parce que ce n’est pas vrai. Pour ce qui est de la cigarette, c’est connu. Sur chaque photo, on la voit en train de fumer. Michael Jürgs, lui aussi, fumait beaucoup. Et surtout, quand on connaît mes autres films, on sait très bien que jamais je n’aurais fait quelque chose pour la noircir. Du reste, on m’aurait assignée en justice, car on n’a pas le droit de faire de la diffamation. Bien sûr, Sarah Biasini, qui avait 5 ans à l’époque, a dû avoir une autre image de sa maman. Je comprends que cela la peine. D’ailleurs, elle a eu le scénario avant qu’on tourne. Elle savait ce que ça allait être. Je comprends qu’elle ne veuille pas voir ça, mais de dire qu’avec ce film j’essaie de noircir sa mère, c’est complètement faux parce qu’en fait, dans le film, les seuls auxquels je m’attaque c’est la presse allemande qui a toujours attaqué Romy. Et puis, sa fille n’y était pas, son mari n’y était pas. Les seules personnes avec qui j’ai parlé, c’étaient des gens qui étaient présents. Je ne vais pas dire qu’elle a bu du thé si elle n’en a pas bu. Ils étaient là, et puis ça se voit. Et vraiment si elle m’avait demandé à voir ces photos, bien sûr que je lui aurais tout montré. Heureusement qu’on est encore libre dans l’art de raconter des choses.

La musique qui accompagne notamment Romy Schneider dans la séance photos sur les rochers est très belle, lui correspond tout à fait comme celle d’alors des « Choses de la vie » (film de Claude Sautet). Est-ce que la musique a pour vous un rôle important à jouer ?
Ce sont deux compositeurs allemands, Christoph Kaiser et Julian Maas, qui sont géniaux. Ce n’était pas évident de trouver la musique de ce film parce qu’on s’est dit qu’il fallait que ce soit quand même une musique moderne mais, d’un autre côté, il est, pour moi, toujours important de parler de la femme. Mais, dans ce cas-là, on parle quand même d’un monstre du cinéma et, surtout, si on prend cette séance de photos sur les rochers, c’est la seule séance où on voit vraiment la comédienne. S’il y avait une sorte d’hommage rendu à Romy, ce serait la séance des rochers parce qu’elle joue comme une comédienne devant l’objectif de Lebeck. Alors là, on s’est donné à fond même si on s’est dit qu’on espérait qu’on n’allait pas tomber dans le pathos. Christoph Kaiser et Julian Maas ont alors composé une valse.

Ce 23 septembre 2018, Romy Schneider aurait eu 80 ans. Sa fille Sarah Biasini lui rend hommage dans un livre intitulé « Romy ». Par ailleurs, Alice Schwarzer révèle, 36 ans après sa mort, les confidences que Romy Schneider lui a faites une nuit de 1976 dans un livre « Romy Schneider intime » en même temps qu’Arte diffusait récemment un documentaire sur ces mêmes révélations. Qu’apprenez-vous que vous ne sachiez déjà et cela jette-t-il un nouvel éclairage sur votre film ?
A vrai dire, je n’ai rien vu de tout ça. J’ai, bien sûr, lu en allemand le livre d’Alice Schwarzer il y a assez longtemps. Maintenant, je crois qu’elle l’a réédité avec une nouvelle préface et puis, il y a donc sa publication récente en français. D’ailleurs, Alice Schwarzer a beaucoup aimé « 3 jours à Quiberon » et elle m’a parlé aussi de ce documentaire. Il faut absolument que je le voie. Par contre, je ne savais même pas que Sarah avait écrit un livre sur sa mère. Cela me fait penser que Michael Jürgs a écrit un livre superbe qui s’appelle « Der Fall Romy Schneider » pour lequel il a fait des recherches vraiment incroyables. Je trouve que c’est le meilleur livre sur Romy et je crois, du reste, qu’il a été traduit en français. Il parle de son ex-mari Daniel Biasini et de tous les hommes qui se sont servis d’elle. De notre côté, on a été très bien lotis. On a eu une belle presse en Allemagne, mais en France aussi. Heureusement, la fille de Romy Schneider, Sarah Biasini, n’a parlé qu’après la sortie du film, et la presse a été neutre. Par ailleurs, en Allemagne, le film a décroché 7 Lola (les César allemands) dont le Lola du Meilleur film.

De ce huis clos, avec toutefois des bolées d’air salvatrices sur les rochers de la côte bretonne, se dégage une formidable charge émotionnelle. Pendant tout le film, acteurs comme spectateurs sont tiraillés entre rires et larmes, intérieur/extérieur, ombres et lumières, manipulateurs/manipulés. Mais au final, grâce à une mise en scène tout en finesse, les rôles pourraient bien être redistribués voire inversés. Etait-ce votre intention dès le départ de conduire votre film vers la lumière ?
Oui. Comme je l’ai dit précédemment, c’était ma grande recherche, qui l’est, du reste, toujours dans tous mes films. Je suis optimiste en tant que personne et je ne peux pas finir dans le sombre.

Avez-vous déjà d’autres projets cinématographiques ?
Mon prochain film de cinéma sera mon premier film français. Il s’appelle « Mister » et va se jouer un tiers à Paris et deux tiers en Norvège. Ce sera un film bilingue français-anglais, avec un peu de norvégien, parce que le personnage principal est français. Et il y aura de nouveau une femme dans une grande crise existentielle et qui va vers la lumière. Encore une fois  la même chose, mais complètement fictif. Pour l’instant, on est sur le scénario et le casting… j’espère grand casting. Si tout se passe bien, on tournera pendant l’été 2019, et la sortie est prévue pour 2020.

Propos recueillis par Aline Vannier-Sihvola
Helsinki, le 29 septembre 2018

https://www.youtube.com/watch?v=iUpEcSPo1Qc
Disponible en DVD & Blu-Ray

Eté 2020… SUR NOS ÉCRANS !

Alors que les salles de cinéma ont enfin réouvert (voir actualisation des nombreux films français en salles dans la colonne de droite latérale), encadrées par un protocole sanitaire strict, et que rien ne remplacera jamais le grand écran, restent néanmoins les incontournables du petit écran qui, en termes de diversité, qualité et disponibilité, offre de quoi se divertir !

LES SÉRIES ET FILMS FRANÇAIS À VOIR SUR AREENA :

On peut enfin voir en Finlande, dans son intégralité, la célèbre série télévisée française « Le bureau des légendes » qui a rencontré un énorme succès en France mais aussi à l’international.
Bureau des légendes
Au sein de la Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE), un département appelé le Bureau des légendes (BDL) dirige à distance les clandestins, qui sont les agents les plus importants des services du renseignement français – avec Mathieu Kassovitz (photo).

Alors qu’en France Canal+ diffusait début mai 2020 la 5e saison, Areena offrait alors la possibilité de voir les 4 saisons qui avaient précédé, composées chacune de 10 épisodes de 52 min, soit un total de 40 épisodes et de quoi se changer les idées. Depuis lors, la Finlande a également acquis les droits de la Saison 5 et offre ainsi l’intégralité de la série sur le site de Areena :
LE BUREAU, VAKOOJAVERKOSTO
https://areena.yle.fi/1-50272209 (disponible jusqu’à janvier 2021)

Autres séries françaises encore disponibles :

SPEAKERINE / KUULUTTAJA (2018)
6 épisodes
https://areena.yle.fi/1-50104485 (disponible jusqu’au 5 octobre 2020)

MANON
TROIS FOIS MANON (2013)
Saison 1 : 3 épisodes
https://areena.yle.fi/1-4253884 (disponible jusqu’au 13, 20 & 27 août 2020)
MANON (2017)
Saison 2 : 3 épisodes
https://areena.yle.fi/1-4253888 (disponible jusqu’au 27 août, 3 & 9 septembre 2020)

EGALEMENT SUR AREENA

SÉRAPHINE (2008)
Martin Provost
https://areena.yle.fi/1-1483890  (disponible jusqu’au 30 août 2020)

MUTAFUKAZ (2018)
Shoujirou Nishimi et Guillaume « Run » Renard
Long métrage d’animation franco-japonais
https://areena.yle.fi/1-4457853 (disponible jusqu’au 9 septembre 2020)

LEA TSEMEL, AVOCATE / OIKEUDENPALVELIJA (2019)
Philippe Bellaïche, Rachel Leah Jones
https://areena.yle.fi/1-4315550 (disponible jusqu’à mi-septembre 2020)
(version originale en hébreu avec sous-titres en finnois)
Lire ENTRETIEN AVEC PHILIPPE BELLAÏCHE sur cinefinn.com

VARDA PAR AGNÈS / VARDA, AGNÈSIN SILMIN (2019)
Le dernier film documentaire réalisé par AGNÈS VARDA qui nous a quittés en mars 2019
https://areena.yle.fi/1-50268299 (disponible jusqu’à mai 2021 !)

LE HAVRE (2011)
Aki Kaurismäki
https://areena.yle.fi/1-2133261
(version originale en français avec sous-titres en finnois !)

UNE HISTOIRE FINLANDAISE / SUOMEN TARINA RANSKALAISITTAIN (2017)
Olivier Horn
https://areena.yle.fi/1-3703411 (disponible jusqu’en 2022 !)
(version originale en français avec sous-titres en finnois)
Lire l’article UNE HISTOIRE FINLANDAISE de OLIVIER HORN (03.12.2017)

Retrouvez toute la programmation sur :
https://areena.yle.fi/tv

UN PETIT GUIDE DU CINÉMA CHEZ SOI

LES FILMS FRANÇAIS À VOIR EN CES TEMPS DE CONFINEMENT SUR AREENA

On peut enfin voir en Finlande la célèbre série télévisée française « Le bureau des légendes » qui a rencontré un énorme succès en France mais aussi à l’international.
Bureau des légendes
Au sein de la Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE), un département appelé le Bureau des légendes (BDL) dirige à distance les clandestins, qui sont les agents les plus importants des services du renseignement français – avec Mathieu Kassovitz (photo).

Alors qu’en France Canal+ diffuse la 5e saison, Areena vous offre la possibilité de voir les 4 saisons qui ont précédé, composées chacune de 10 épisodes de 52 min, ce qui fait un total de 40 épisodes et de quoi se changer les idées :
LE BUREAU, VAKOOJAVERKOSTO
https://areena.yle.fi/1-50272209

EGALEMENT SUR AREENA

Le dernier film réalisé par AGNÈS VARDA qui nous a quittés il y a un an déjà, en mars 2019 :

VARDA PAR AGNÈS / VARDA, AGNÈSIN SILMIN (2019)
https://areena.yle.fi/1-50268299 (disponible jusqu’à mai 2021 !)

LEA TSEMEL, AVOCATE / OIKEUDENPALVELIJA (2019)
Philippe Bellaïche, Rachel Leah Jones
https://areena.yle.fi/1-4315550 (disponible encore 3 jours)
(version originale en hébreu avec sous-titres en finnois)
Lire ENTRETIEN AVEC PHILIPPE BELLAÏCHE sur cinefinn.com

LE HAVRE (2011)
Aki Kaurismäki
https://areena.yle.fi/1-2133261
(version originale en français avec sous-titres en finnois !)

UNE HISTOIRE FINLANDAISE / SUOMEN TARINA RANSKALAISITTAIN (2017)
Olivier Horn
https://areena.yle.fi/1-3703411 (disponible jusqu’en 2022 !)
(version originale en français avec sous-titres en finnois)
Lire l’article UNE HISTOIRE FINLANDAISE de OLIVIER HORN (03.12.2017)

Retrouvez toute la programmation sur :
https://areena.yle.fi/tv

Coup de projecteur ! Entretien avec OUTI NYYTÄJÄ

Rediffusion sur AREENA du film « LAINA-AIKA » (2000)  long métrage de fiction de Timo Humaloja, écrit par Outi Nyytäjä.
Disponible jusqu’au 19 mai sur :
https://areena.yle.fi/1-1690918

Une occasion surtout de retrouver OUTI NYYTÄJÄ, qui nous a malheureusement quittés en avril 2017, dans une interview accordée en 2003 époque à laquelle elle partageait sa vie entre la Bretagne et la Finlande. On y retrouve toute la gouaille, l’enthousiasme, l’humour qui dévoilent les multiples facettes d’une personnalité au caractère bien trempé.
Outi Nyytäjä, une femme de grande culture et d’esprit.
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ENTRETIEN AVEC OUTI NYYTÄJÄ
On ne présente plus Outi Nyytäjä : dramaturge, scénariste, écrivain, chroniqueuse, traductrice – elle a plusieurs cordes à son arc, et tout ce qu’elle fait, elle l’entreprend avec savoir-faire, dynamisme et sérieux. Outi Nyytäjä n’a certes pas les deux pieds dans le même sabot (la même « galoche », comme on dit en pays breton), et le seul repos, répit qu’à la rigueur elle s’accorde, c’est de bêcher le potager de sa maison du Conquet, à l’extrême pointe de la Bretagne.

Lauréate du Prix du Meilleur Livre de l’Année : Récits de voyage (2002) avec son livre « Maailman laidalta » (Aux confins du monde – chroniques de Bretagne), Outi Nyytäjä partage sa vie, depuis 15 ans déjà, entre ces deux terres étranges que sont la Finlande et la Bretagne où elle s’est installée et vit la majeure partie de l’année avec son mari Kalevi.

Tout d’abord, qu’est-ce qui a motivé le choix de la France comme terre d’adoption, et pourquoi la Bretagne, pas vraiment réputée pour la clémence de son climat ?
La France, parce que c’est un pays dont je parle la langue. Je déteste vivre dans un pays dont je ne maîtrise pas la langue. J’ai fait des études de français et je connais très bien la culture française. De plus, j’ai pas mal d’amis en France. Pour ce qui est du choix de la Bretagne, c’est une amie alsacienne qui, à l’origine, m’a incitée à venir découvrir cette région de France que je ne connaissais pas du tout. Il se trouve qu’à l’époque, j’avais reçu un peu d’argent d’une maison de production pour écrire un scénario. J’ai alors pensé aller en Bretagne. J’ai réservé un petit hôtel au Conquet, sur la côte, et j’ai entrepris le voyage. En ce temps-là, on mettait sept heures et demie en train depuis Paris, puis on prenait l’autobus jusqu’au Conquet. J’ai passé presque un mois à écrire ce scénario, puis j’ai commencé à regarder autour de moi. Comme mon mari n’aime pas tellement la grosse chaleur ni le grand soleil, pas plus que la foule, du reste, Le Conquet m’a soudain paru réunir toutes ces conditions. Je suis alors tombée sur cette maison, que j’ai trouvée jolie. Comme je ne voyais rien, je ne me suis pas rendu compte de l’état de la toiture ni des fenêtres ! On l’a eue pour une bouchée de pain. En Finlande, pour le même prix, on aurait eu à peine un studio, et encore en banlieue… On a donc acheté la maison et on s’est installés. On a fait des rénovations, et on continue encore !

Quelles sont les caractéristiques bretonnes qui, selon vous, pourraient s’appliquer à la mentalité finlandaise ?
D’abord, je trouve que les Bretons ont un esprit ouvert, comme souvent les gens du bord de mer. Ils ne sont pas aussi récalcitrants qu’on le dit. Ainsi, on n’a eu aucune difficulté à s’intégrer. Je me comporte de la même manière en Bretagne qu’en Finlande. Et on m’accepte comme je suis. Je crois qu’on voit si une personne s’adapte, s’intéresse aux gens, aux choses. C’est un peu comme dans nos campagnes en Finlande : on est respectés si on sait travailler de ses mains. Moi, je sais très bien cultiver mon jardin, faire des confitures et des cornichons aigres-doux, faire des composts… et jaser. En plus, ils ont un sens de l’humour qui est un peu diffèrent de celui des Français, si tant est qu’il y ait un humour français (!?) Ils ont un humour qui est, non pas anglo-saxon, mais plutôt noir, très marrant et absurde. Je trouve que les Finlandais et les Bretons sont des gens absurdes.
On a les mêmes manières, et on ne se précipite pas sur les choses. En plus, les Bretons sont des gens gentils, même s’ils sont parfois têtus, comme les Finlandais. On peut leur faire confiance. Tout compte fait, je ne trouve pas qu’il y ait tellement de différences. Par ailleurs, les gens sont curieux ; ils lisent beaucoup comme en Finlande, et ils n’ont pas de préjugés. Ils acceptent les étrangers comme ils sont. Moi, je ne me sens pas étrangère en Bretagne ; c’est chez moi. C’est peut-être parce que je n’ai pas tellement de racines en Finlande. Je suis née ici, mais je ne me sens pas particulièrement finlandaise, vu que mes parents ont vécu un peu partout en Finlande. C’est donc la première fois dans ma vie, et c’est peut-être un peu sentimental, que je sens que j’ai des racines. Helsinki, j’aime bien, mais j’ai la nostalgie de Brest.

Dans quelle mesure un Finlandais vivant en Bretagne peut-il se reconnaître dans la culture de cette région ?
La Finlande et la Bretagne, ce sont les mêmes fêtes. Et il y en a tout autant – un peu trop même, parfois. On lance, par exemple, la charentaise (huopatohveli) – 32 mètres le record. Moi, j’aime bien ça. C’est absurde, mais c’est rigolo. Il y a le lancer de la crêpe, de la charentaise, de n’importe quoi. Tout est occasion de faire la fête. Et puis, chaque année, il y a la fête des moissons, des fêtes de quartier auxquelles on participe nous aussi. Il y a de grandes fêtes en costumes où on joue du biniou (säkkipilli). Dans tous les coins en Finlande, en été, il y a des fêtes comme ça. Et puis, il y a les fameuses courses de moissonneuses-batteuses (leikkuupuimuri) ; on ne peut trouver ça qu’en Bretagne. Il y avait aussi, l’année dernière à Saint-Renan, un concours de beauté de vaches où l’on honorait les vieilles vaches qui avaient donné plus de 50 000 litres de lait. Dans quel concours de beauté de femmes honore-t-on les femmes qui ont donné le meilleur d’elles-mêmes !?

Y a-t-il un moment dans la vie où la part étrangère du “je” prend le dessus sur le “je” originel ?
Je ne me sens pas française, mais je ne sais pas si je me sens davantage finlandaise. Je crois que je reste finlandaise dans l’âme, mais étant donné que la nature bretonne est tellement proche, la différence n’est pas très marquée. Il est, toutefois, une chose essentielle qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’on vit dans sa langue. Moi, j’écris la plupart du temps en finnois, et je ne veux pas perdre ma langue maternelle. Je veux même la développer, approfondir ma vue sur la Finlande et sa culture, la littérature finlandaise, pas seulement moderne mais aussi classique. Cela donne une distance très salutaire, je pense. Mais ce n’est pas uniquement la langue en tant que telle, ce sont les codes. Il y a des codes qu’on doit connaître, et ça doit devenir instinctif. C’est-à-dire qu’on vous accepte mieux si vous adoptez les codes qui régissent la façon de se comporter, de parler, etc. Les Finlandais aiment ça. On doit être ferme, on doit faire rire les gens et on doit oser dire ce qu’on pense. Et ça fonctionne tellement bien en Finlande, surtout chez les femmes.

Est-ce que cette intégration, assimilation pourrait aller jusqu’à l’écriture en français ?
Je ne crois pas. J’ai perdu maintenant un peu la vue. Je ne peux, sans aide spéciale, ni lire ni écrire. Je vais donc avoir recours à une bibliothèque sonore. Toutefois, il m’est venu l’idée que, si j’écoute suffisamment, je peux peut-être écrire en français… Qui sait ?

C’est un souhait, en tout cas ?
C’est un souhait. Mais il faut pouvoir bien s’exprimer, c’est-à-dire avoir toutes les nuances et trouver le mot juste. J’aime bien, par exemple, le style de Daniel Schneidermann dans sa chronique du Monde audiovisuel. J’aime aussi l’écriture de Marguerite Duras ; elle n’est pas fleurie. Parmi les philosophes, ma préférence va à Maurice Blanchot, qui est quelqu’un de très bien. Malheureusement, il est mort récemment. Il y a des idéaux, comme ça. Bernard-Marie Koltès, également, pour le théâtre. Mais j’aimerais bien avoir… En fait, j’avoue franchement, j’aimerais bien avoir une chronique audiovisuelle ; par exemple, une chronique dans un journal français. Mais je ne sais pas si j’ai assez de talent, si je maîtrise suffisamment la langue pour le faire.
Je rêve également d’écrire un scénario en français. On a commencé avec des cinéastes brestois un film sur Helene Schjerfbeck (1862-1946), qui faisait quand même partie du groupe de Pont-Aven où il y avait beaucoup de femmes peintres finlandaises. On a écrit le traitement en français, bien sûr, parce qu’on travaillait en français. Oui, c’est un rêve : écrire directement en français, pas traduire.

Peut-on surfer durablement sur deux cultures sans pour autant perdre son identité ?
Oui, je le pense. D’abord, parce que je ne suis plus toute jeune. Et puis, j’ai moi-même, maintenant, une identité beaucoup plus forte depuis qu’on est en Bretagne. C’est plus facile d’être vieux en France qu’en Finlande. En plus, ce qui me donne tellement de plaisir, c’est cette capacité – et les Français ne l’ont pas perdue –, d’analyser les choses, de parler et de discuter, de penser. La pensée est toujours très vivante en France. Par exemple, les bonnes revues françaises sont formidables. Mais il n’y a pas énormément de romans qui m’attirent ; c’est plutôt la philosophie, la sociologie, des revues. Après le Nouveau Roman, il n’y a guère plus maintenant que des femmes qui écrivent bien – à part Houellebecq, qui a un humour un peu nordique.
Pour ce qui est de la touche finlandaise, on aura peut-être contribué à ce que les gens, dans ce petit coin de Bretagne, se fréquentent sans plus attacher trop d’importance à la position sociale. La hiérarchie en France, c’est quelque chose que je ne comprends pas très bien. Ici, en Finlande, tout le monde est accessible, même les ministres, même la Présidente. C’est du reste la seule chose dont j’ai, de temps en temps, la nostalgie. Mais moi, je traite les gens de la même manière en France, et finalement ils deviennent plus accessibles.

Si vous deviez vous installer définitivement en Bretagne, quels objets emporteriez-vous en priorité ?
Il faut réfléchir. Naturellement, si je n’avais pas déjà tellement de livres finlandais, j’emporterais toute l’oeuvre, par exemple, deVeijo Meri et de Paavo Haavikko, de Maria Jotuni. Mais un objet… (?) Un bon sécateur Fiskars… et des ciseaux de cuisine Fiskars, que j’ai, du reste, offerts à toutes mes amies bretonnes. Comme je suis malvoyante et que je me suis coupé plusieurs fois le bout du doigt, elles les ont baptisés « ciseaux tueurs » (tappajasakset) !

Quelle est votre actualité culturelle, audiovisuelle de ce printemps ?
Quels sont vos projets pour la rentrée prochaine ?

J’ai écrit trois pièces radiophoniques sur trois soeurs – Hanna, Asta, Lotta –, qu’on va monter à la radio et dont on va faire également une mini-série pour la télévision. Maintenant, je travaille sur un long métrage avec un jeune réalisateur-producteur finlandais ; et puis après, je vais faire une adaptation radiophonique du livre de Robert Musil « L’homme sans qualités ». J’ai également deux livres en cours sur la vieillesse, et puis un livre d’essais plus approfondis. Par ailleurs, j’aimerais bien continuer ma chronique audiovisuelle dans le quotidien Helsingin Sanomat, ainsi que la chronique dans la revue Anna. Mais il y a trop. Pour commencer, je prends des vacances, et je travaille doucement.
Maintenant, j’ai écouté Gogol pour me distancer un peu de tout ce matériau que j’ai sous la main – « Les âmes mortes » – et, dès mon arrivée en Bretagne, je vais tout de suite à la bibliothèque sonore de Brest. J’espère que la collection sera aussi riche qu’ici. Car plus on écoute, plus on développe sa mémoire. Et cela permet de faire beaucoup plus attention à la langue ; c’est pour ça que je pense être capable, peut-être un jour, d’écrire en français.

Propos recueillis en français
par Aline Vannier-Sihvola
Helsinki, mai 2003

« 3 jours à Quiberon » de EMILY ATEF

3 jours à Quiberon Affiche
3 JOURS À QUIBERON (2018), 115 min
Emily Atef
Langues : français, allemand (sous-titres français)
Rediffusion jeudi 23 avril sur ARTE :
– 01 h 25 (heure française)
– 02 h 40 (heure finlandaise)

Disponible en replay du 15 au 21 avril sur :
https://www.arte.tv/fr/videos/070722-000-A/3-jours-a-quiberon/

Emily Atef signe tout en délicatesse un portrait bouleversant de la grande actrice mais aussi de la femme complexe et fascinante qu’était Romy Schneider, formidablement incarnée dans le film par Marie Bäumer, troublante de ressemblance.

Pour tout savoir, entre autres, sur le tournage, le choix et la direction des acteurs, lire ou relire l’ENTRETIEN AVEC EMILY ATEF (ci-dessous), venue en 2018 présenter « 3 jours à Quiberon » dans le cadre du Festival international du film de Helsinki – Amour & Anarchie.

Voir également un documentaire non moins intéressant sur Romy Schneider « Conversation avec Romy Schneider », réalisé à partir des enregistrements sonores de son interview avec la journaliste Alice Schwarzer.
Disponible en replay du 8 avril au 1er juin sur :
https://www.arte.tv/fr/videos/074559-000-A/conversation-avec-romy-schneider/

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ENTRETIEN AVEC EMILY ATEF
EMILY ATEF
Emily Atef, réalisatrice franco-iranienne, était l’invitée du Festival international du film de Helsinki – Amour & Anarchie dont la 31édition s’est déroulée cette année du 20 au 30 septembre 2018. Elle est venue présenter son 4e long métrage, « 3 jours à Quiberon », qui relate les 3 jours qu’a passés l’actrice Romy Schneider en 1981 lors de sa cure à Quiberon où elle a accordé une interview exceptionnelle au magazine allemand Stern. Emily Atef signe un portrait émouvant de cette incroyable actrice, embelli par une magnifique photographie en noir et blanc. La caméra à fleur de peau nous permet de nous approcher au plus près de la femme sensible, fragile mais aussi lumineuse qu’était Romy Schneider à cette période de sa vie. Interprétée par Marie Bäumer, dont la ressemblance avec la star est troublante, on est pris dans l’illusion et l’émotion de voir revivre sans fard et sans filtre Romy Schneider à l’écran.

Qu’est-ce qui vous a tout d’abord amenée à vous intéresser d’aussi près à Romy Schneider et d’où est venue l’idée de vous focaliser sur ces 3 jours à Quiberon ?
Tout d’abord, j’ai vécu un peu partout – 7 ans à Berlin, 7 ans à Los Angeles – et à 13 ans, alors que j’étais dans le Jura en France, c’est là que j’ai rencontré Romy Schneider à travers ses films. J’ai, en fait, rencontré la Romy Schneider française, la Romy de ses films français. Pour ce qui est de « Sissi », je dois dire que je n’ai vu le film que pour la préparation de « 3 jours à Quiberon ». Je n’ai jamais vu ses films allemands. « Sissi », même en tant qu’ado, ne m’a jamais tellement intéressée. Qui plus est, les films historiques, ce n’est pas trop mon truc, et il y avait tellement d’autres films surprenants qu’elle avait faits. Donc, j’ai toujours trouvé cette actrice incroyable dans son jeu, très authentique. Et du fait que quand j’étais en France, elle était allemande, c’était aussi quelque chose qui me correspondait, mais je n’aurais jamais eu l’idée de faire un film sur elle. Tous mes films sont, du reste, complètement fictifs. Et c’est un producteur français, Denis Poncet – malheureusement décédé –, ami de l’actrice Marie Bäumer dont il ne revenait pas de sa ressemblance avec Romy Schneider, qui a pensé qu’il fallait qu’on fasse quelque chose. Marie Bäumer a toujours refusé en Allemagne de faire quoi que ce soit parce qu’on lui proposait toujours des biopics, c’est-à-dire des films où on racontait la vie d’une personne en 90 minutes. Déjà, rien qu’en tant que spectatrice, j’ai pour ma part toujours été extrêmement frustrée. Mais le fait qu’il arrive avec cette idée d’un zoom sur Quiberon – au départ, on ne savait pas combien de jours, mais quelques jours à Quiberon – et la dernière interview allemande avec pour interprète Marie Bäumer qui a maintenant plus de 40 ans, c’était autre chose. Quand Denis Poncet m’a donc appelée pour me demander si ça m’intéressait, la première chose que j’ai faite c’est de taper sur Internet « Romy Schneider – Quiberon » et j’ai vu alors ces photos de Robert Lebeck. Ça m’a extrêmement touchée parce que ces photos n’étaient pas les photos d’une star, des photos d’un mythe, des photos posées. C’étaient des photos d’une femme comme vous et moi, sans maquillage, complètement ouverte dans la crise qu’elle traversait et dans cette envie incroyable de vivre. Après, j’ai lu l’interview du Stern et j’ai été bouleversée par le fait qu’elle s’ouvre autant face à l’audace du journaliste qui va très loin dans ses questions. Qui plus est, ce sont trois jours où on a vraiment le temps, et le public a le luxe d’être avec elle. Et puis, le fait que c’était un film choral m’a aussi intéressée. Je ne voulais pas me focaliser uniquement sur Romy. Il y avait sa relation avec son amie, cette intimité féminine. Comment est-ce possible d’être amie avec une star ? Il y avait le journaliste qui était l’antagoniste mais qui, en fait, en trois jours allait évoluer incroyablement. Et puis, aussi, cette amitié qu’elle avait eue avec le photographe Robert Lebeck. Une amitié difficile. De tous les quatre, on se demande, du reste, qui manipule qui (!?)

On sent un film très documenté. Combien de temps vous a-t-il fallu – entre recherche et écriture – pour faire aboutir ce projet ?
Je dirais un an. Mais si on part depuis le tout début jusqu’à l’aboutissement, cela fait plusieurs années : j’ai reçu l’appel de Denis Poncet en 2013 et on a tourné fin 2016/2017. Entretemps, j’ai fait aussi trois films, des films de télé, etc. Mais comme je n’avais jamais fait de film sur quelqu’un de réel, j’ai vraiment pris le temps pour faire les recherches et surtout parler avec les gens. Robert Lebeck était assez connu – lui aussi malheureusement décédé à 84 ans – mais j’ai eu la chance de pouvoir le rencontrer trois fois. J’ai rencontré le journaliste Michael Jürgs un grand nombre de fois, de même mon actrice a pu le rencontrer. Je pouvais l’appeler quand je voulais dans le processus d’écriture en lui demandant toutes sortes de détails dont il ne savait pas, du reste, ce que j’allais en faire. D’ailleurs, il a été assez choqué quand il a lu le scénario car il est vrai que son rôle n’est pas très flatteur. J’ai aussi rencontré la copine deux fois, mais elle n’a pas voulu être immortalisée à l’écran. C’était pour moi un grand problème et, à vrai dire, je ne sais pas si j’aurais fait le film sans le personnage de Hilde, la copine. Je voulais montrer autre chose que Romy et les hommes, Romy et la presse. Je suis alors retournée la voir et je lui ai demandé si je pouvais créer une amie qui n’a rien à voir avec elle, pas le même nom, même pas la même nationalité, pas la même situation familiale ni le même métier. Elle a accepté et j’ai ainsi pu créer Hilde complètement. Mais il y avait vraiment une amie qui était là, qui la protégeait. On retrouve, du reste, beaucoup de choses similaires entre Hilde et cette véritable amie. Elle ne supportait pas non plus cette presse, ces gens qui accaparaient Romy.

Est-ce que le choix de l’actrice Marie Bäumer – dont la ressemblance avec Romy Schneider, jusqu’à la voix, le rire, est troublante – s’est tout de suite imposé ?
Oui. Et de toute manière, c’est plutôt elle qui m’a choisie. Même s’ils étaient venus avec ce projet et une autre actrice, pour moi le choix des acteurs est primordial. Il fallait que ça marche, sinon je n’aurais pas fait le projet. On trouve aussi beaucoup d’actrices en Allemagne qui ont des ressemblances avec Romy Schneider. Marie Bäumer lui ressemble, certes, mais elle a surtout beaucoup de talent, et c’est ça qui est le plus important. Il se trouve que c’est un rôle extrêmement difficile dans les excès de joie comme de peine, dans toutes les subtilités.

Mais elle qui avait jusque-là toujours refusé d’incarner Romy Schneider, qu’est-ce qui l’a finalement décidée à accepter ce rôle ?
Le fait que ce soit un zoom sur seulement trois jours, qu’il ne faille pas faire une mission impossible de raconter toute une vie. Pour une actrice, c’est ridicule. Comment faire ? En général, la plupart engagent jusqu’à quatre acteurs pour les différentes périodes de vie. Par ailleurs, elle avait beaucoup aimé les films que j’avais faits précédemment. Elle avait vu « L’étranger en moi » qui était à Cannes. Elle avait donc vu mes films qui sont presque tous des films sur des crises existentielles de femmes qui sortent toujours dans la lumière.

Hormis la ressemblance physique, Marie Bäumer fait revivre, à travers une interprétation bouleversante, la star mais surtout la femme qu’était Romy Schneider. Comment l’avez-vous dirigée ?
C’était pour elle un travail très émotionnel parce que depuis qu’elle a l’âge de 16 ans, on n’arrête pas de lui parler de sa ressemblance. Et c’est quelque chose de difficile parce qu’elle exerce le même métier que Romy Schneider. Et donc elle a eu très peur de ne pas arriver à transpercer le mythe pour arriver à la femme. Et le premier travail, c’était la confiance. Comme c’était un projet qui a duré et qu’il n’y avait pas de stress pour le faire, on est devenues amies. Elle vit en France depuis 11 ans, donc j’allais la voir en France et elle venait me voir à Berlin. Et c’est ainsi que s’est établie la confiance entre nous. Au départ, elle ne supportait pas vraiment qu’on parle du projet, mais quelques mois avant le tournage elle s’est lancée à 100 pour cent. Elle a travaillé la voix, légèrement teintée d’un accent de la bourgeoisie viennoise, accent qu’elle a d’ailleurs énormément travaillé avec Birgit Minichmayr, la comédienne autrichienne qui jouait Hilde. Elle a beaucoup travaillé aussi sur le physique, sur la respiration. On a regardé beaucoup d’interviews. Romy Schneider était souvent nerveuse dans les interviews. Parfois elle n’écoutait pas et parlait comme dans un tunnel ; elle se répétait souvent. On a vu, par exemple, comment elle fumait. Elle avait plutôt une façon masculine de fumer, qui est plus féminine chez Catherine Deneuve. Marie Bäumer a regardé tous ces aspects. Elle avait ainsi quelques esquisses. J’ai, pour ma part, beaucoup parlé psychologie, plutôt de la femme qu’était Romy, parce que pour moi c’est une femme universelle. Il n’y a pas eu d’improvisation et on a beaucoup répété, même si parfois, comme la scène du bar, on pourrait croire que c’est improvisé avec de longs plans-séquences, mais tous les dialogues sont écrits. J’ai écrit moi-même le scénario et après j’ai retravaillé tout le texte avec mes acteurs. S’ils trouvaient, bien sûr, qu’une phrase ne marchait pas, je n’avais aucun problème à la changer. L’important, c’était qu’ils arrivent à transmettre ce que, moi, je voulais voir.

Votre mise en scène est sobre et vous nous offrez un portrait délicat et pudique de cette femme déchirée à un certain moment de sa vie. Comment avez-vous évité le piège du pathos, tout en posant les prémices de la tragédie ?
C’est vraiment ce que j’essaie de faire dans tous mes films. Mon but, c’est d’arriver à aller au plus profond, au coeur même d’une crise pour ensuite en sortir mais sans utiliser le pathos. Il faut réussir à se maintenir sur un fil extrêmement fragile. Pour ça, j’ai besoin de beaucoup de silence, mais c’est vraiment aussi le talent des acteurs qui permet d’y arriver. Et puis, c’est à moi de fixer la limite, de continuer à chercher une manière plus sobre d’y parvenir. Mais aussi, parfois, Romy sombre tout d’un coup, puis Lebeck arrive, fait des photos, ils écoutent de la musique et ça repart. On ne sait jamais ce qu’il se passe. En fait, c’est Lebeck qui m’a raconté que c’était très fatigant parfois avec Romy parce qu’elle avait des changements d’humeur extrêmes et subits. D’ailleurs, il m’a dit que pendant ces trois jours il avait été très heureux que la copine soit là parce que parfois c’était assez imprévisible. Et donc, il faut garder cette fraîcheur de l’immédiat et ne pas rentrer dans le pathos.

Pourquoi Romy Schneider qui traverse en ce printemps 1981 – et c’est peu de le dire – une période de turbulences [suicide de son précédent mari en 1979, en plein divorce, séparée de ses enfants, criblée de dettes] accepte-t-elle de donner cette interview au magazine Stern plus connu pour la recherche du scoop que pour le sérieux de ses textes ?
C’est vraiment la première question que je me suis posée après avoir lu cette interview. Pourquoi a-t-elle fait ça ? En fin de compte, avec toutes les recherches que j’ai faites, je dirais qu’on a l’impression dans le film qu’elle est victime mais je ne le pense pas : d’après moi, elle a choisi. C’est elle qui choisit de faire cette interview et, à la fin, quand on la retrouve avec sa fille à Paris, elle est sereine et accepte de tout faire imprimer à part quelques phrases sur sa mère. C’est comme ça que ça s’est passé. Michael Jürgs m’a dit qu’il y avait des pages et des pages d’interview et que c’est plutôt lui qui a évité certaines choses – parce que parfois il prenait des tangentes –, mais elle a tout accepté de dire, y compris : « Je suis Romy Schneider, j’ai 42 ans, je suis malheureuse, ma vie aurait pu être mieux… ». Romy Schneider ne donnait pas beaucoup d’interviews en Allemagne et, à mon avis, elle en avait assez que les Allemands la comparent – aussi ridicule que cela puisse paraître – à un personnage historique de 15 ans alors qu’elle en avait 42. Ils voulaient garder leur pure et belle Sissi qui apportait la lumière dans cette Allemagne d’après-guerre. Ils ne supportaient pas qu’elle fasse des films français où elle se dévêtait, où elle accouchait comme, par exemple, dans « Une femme simple », ou bien alors dans « Le train » ou « Le vieux fusil » où elle jouait une victime du nazisme. Romy Schneider était une grande artiste et elle en avait marre. Et, à mon avis, elle a eu envie de leur dire qui elle était, qu’elle n’était pas Sissi mais Romy Schneider, qu’elle avait 42 ans et qu’elle était comme elle était maintenant.

Les questions du journaliste dans le film sont très frontales, agressives. On sent chez lui une volonté de dégrader l’image de Romy Schneider, de s’engouffrer dans les failles de cette femme. Quelle était la teneur de l’ensemble de l’entretien publié par Stern que vous avez déclaré n’avoir reproduit qu’en partie ? Et pourquoi ce choix ?
En fait, beaucoup vient de cette interview. Du reste, on peut la lire en allemand, en ligne. Rien que la première phrase avec les termes « madone » ou « pute », c’est quand même assez incroyable ce que le journaliste pouvait lui dire. J’ai repris la plupart des éléments de l’interview, sinon il y avait aussi d’autres tangentes qui n’étaient pas très intéressantes pour mon film où le journaliste parlait, par exemple, très longuement de son beau-père. Par ailleurs, j’ai aussi utilisé beaucoup de citations d’autres interviews qu’elle avait faites. Et après, j’ai essayé de trouver ma trame. Par exemple, Michael Jürgs m’a raconté beaucoup de choses que je lui ai fait dire dans le film. Il a, du reste, été estomaqué quand il a vu ça. Mais je lui ai dit que c’était une fiction et que j’avais besoin de mon antagoniste. Ça n’aurait servi à rien d’avoir un gentil journaliste, un gentil photographe pour mon film. D’autant que, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’était pas un enfant de coeur. On peut le lire dans son interview dans laquelle il va très loin. Et il le reconnaît lui-même maintenant. Il a vu le film et il a été extrêmement bouleversé parce qu’il s’est revu là-bas. Et puis il a dit que tout le monde était mort sauf lui, et qu’il était désolé d’avoir été ce type-là. Mais, d’un autre côté, c’est lui qui à la fin du film aura le plus évolué. Michael Jürgs sait que cette interview va lui faire faire un grand bond dans sa carrière, parce qu’il avait alors seulement 35 ans, et pourtant il dit plus ou moins à Romy Schneider que, si elle le souhaite, elle peut jeter l’interview à la poubelle. Mais elle ne le fait pas. D’ailleurs, l’interview s’est vendue près d’1 million de fois et, à moins de 40 ans, Michael Jürgs s’est retrouvé rédacteur-en-chef du Stern.

« 3 jours à Quiberon » est votre 4e long métrage et à chaque fois vous vous penchez dans vos films sur la solitude d’une femme qui semble échapper au bonheur tout en y atteignant presque. Pouvez-vous y donner une raison ?
Pourquoi les femmes ? Je ne serais pas contre de faire un film sur un homme. J’ai, du reste, fait une relation père-fils dans mon dernier film de télévision mais je dois dire que, déjà en tant que spectatrice, j’ai toujours été un peu frustrée car je ne trouvais pas qu’il y avait beaucoup de films sur les femmes et, bien sûr, ça m’intéresse davantage. Par ailleurs, je suis quelqu’un de très optimiste, et ce voyage de sortie d’une crise que ce soit dans mes précédents films « Tue-moi », « L’étranger en moi » ou « Molly’s Way », j’adore ce voyage. C’est un voyage qui m’intéresse parce que je cherche toujours la lumière, et dans n’importe quelle vie. Et pour « 3 jours à Quiberon », je savais que c’était la pire année de sa vie, parce qu’après Quiberon, tout s’enchaîne dans vraiment le négatif. Et si Denis Poncet m’avait dit qu’il aimerait bien qu’on finisse le film après la mort de son fils David, je n’aurais jamais accepté. Et donc, alors que je cherchais comment sortir de cette nuit-là vers la lumière, c’est de nouveau Robert  Lebeck qui m’a donné la clé quand je suis allée le voir en disant que c’était affreux, que Romy avait tellement de dettes et qu’en plus voilà qu’elle se cassait le pied et ne pouvait pas faire le film. Et c’est là qu’il m’a dit qu’en fait c’était la meilleure chose qui avait pu lui arriver. Il a dit que – et je l’ai, du reste, mis dans son dialogue – quand il est arrivé cet après-midi-là à Paris lui apporter l’interview, faire des photos avec elle et sa fille, jamais il ne l’avait vue – et pourtant il l’avait vue et photographiée souvent – aussi en paix avec elle-même, aussi sereine et aussi belle que cet après-midi-là. Et pour moi, c’était ça. Peu importe, peut-être que ce n’était qu’un après-midi, peut-être que c’était pendant les trois semaines qu’elle était restée clouée au lit, en tout cas, personne ne peut lui prendre ce moment de grâce qu’elle s’est donné.

Vos films sont généralement en langue allemande. Dans « 3 jours à Quiberon », Romy Schneider parle essentiellement allemand mais aussi français – comme elle le faisait dans la vie. Est-ce que cette alternance très importante est respectée dans les versions distribuées en France et en Allemagne, pays que l’on sait très attachés au doublage ?
Personne ne doublera ce film, ni en Russie, ni en Chine. Il y aura des sous-titres en Allemagne comme en France. Le seul endroit où il sera doublé, ce sera peut-être quand il sortira à la télévision… encore qu’Arte, étant une chaîne franco-allemande, aura, je l’espère, recours aux sous-titres.

Les images splendides en noir et blanc qui évoquent le souvenir de Romy Schneider et qui sont inspirées, semble-t-il, des clichés du photographe Robert Lebeck – un véritable storyboard ! – contrastent toutefois avec l’omniprésence de la cigarette, de l’alcool et la fébrilité surtout avec laquelle l’actrice s’y adonne. Pourquoi tant d’insistance sur cet aspect-là et comprenez-vous que Sarah Biasini, la fille de Romy Schneider, soit gênée par ce portrait ?
Ce film est une fiction. Quand vous regardez les photos de Robert Lebeck sur Internet, il y en a une vingtaine. Lui et sa veuve m’ont donné quelque 600 photos, tout ce qu’il a pris, même les photos complètement floues, des clichés très intimes. Et ces photos m’ont beaucoup inspirée mais, bien sûr, il n’y a pas de dialogues dans ces photos. Après 35 ans, elles ne vont pas me dire de quoi ils ont parlé. Tous les dialogues, c’est ce que, moi, je me suis imaginé en passant des heures et des heures devant ces photos. Mais Romy ne fait pas que boire, comme on dit. Jusqu’à la scène du bar, qui survient après 30 minutes, elle ne boit pas une goutte d’alcool. A la fin du film, après avoir passé la nuit avec Lebeck, elle ne boit pas non plus. Mais quand elle boit, elle boit. Et il faut arrêter de dire n’importe quoi, parce que ce n’est pas vrai. Pour ce qui est de la cigarette, c’est connu. Sur chaque photo, on la voit en train de fumer. Michael Jürgs, lui aussi, fumait beaucoup. Et surtout, quand on connaît mes autres films, on sait très bien que jamais je n’aurais fait quelque chose pour la noircir. Du reste, on m’aurait assignée en justice, car on n’a pas le droit de faire de la diffamation. Bien sûr, Sarah Biasini, qui avait 5 ans à l’époque, a dû avoir une autre image de sa maman. Je comprends que cela la peine. D’ailleurs, elle a eu le scénario avant qu’on tourne. Elle savait ce que ça allait être. Je comprends qu’elle ne veuille pas voir ça, mais de dire qu’avec ce film j’essaie de noircir sa mère, c’est complètement faux parce qu’en fait, dans le film, les seuls auxquels je m’attaque c’est la presse allemande qui a toujours attaqué Romy. Et puis, sa fille n’y était pas, son mari n’y était pas. Les seules personnes avec qui j’ai parlé, c’étaient des gens qui étaient présents. Je ne vais pas dire qu’elle a bu du thé si elle n’en a pas bu. Ils étaient là, et puis ça se voit. Et vraiment si elle m’avait demandé à voir ces photos, bien sûr que je lui aurais tout montré. Heureusement qu’on est encore libre dans l’art de raconter des choses.

La musique qui accompagne notamment Romy Schneider dans la séance photos sur les rochers est très belle, lui correspond tout à fait comme celle d’alors des « Choses de la vie » (film de Claude Sautet). Est-ce que la musique a pour vous un rôle important à jouer ?
Ce sont deux compositeurs allemands, Christoph Kaiser et Julian Maas, qui sont géniaux. Ce n’était pas évident de trouver la musique de ce film parce qu’on s’est dit qu’il fallait que ce soit quand même une musique moderne mais, d’un autre côté, il est, pour moi, toujours important de parler de la femme. Mais, dans ce cas-là, on parle quand même d’un monstre du cinéma et, surtout, si on prend cette séance de photos sur les rochers, c’est la seule séance où on voit vraiment la comédienne. S’il y avait une sorte d’hommage rendu à Romy, ce serait la séance des rochers parce qu’elle joue comme une comédienne devant l’objectif de Lebeck. Alors là, on s’est donné à fond même si on s’est dit qu’on espérait qu’on n’allait pas tomber dans le pathos. Christoph Kaiser et Julian Maas ont alors composé une valse.

Ce 23 septembre 2018, Romy Schneider aurait eu 80 ans. Sa fille Sarah Biasini lui rend hommage dans un livre intitulé « Romy ». Par ailleurs, Alice Schwarzer révèle, 36 ans après sa mort, les confidences que Romy Schneider lui a faites une nuit de 1976 dans un livre « Romy Schneider intime » en même temps qu’Arte diffusait récemment un documentaire sur ces mêmes révélations. Qu’apprenez-vous que vous ne sachiez déjà et cela jette-t-il un nouvel éclairage sur votre film ?
A vrai dire, je n’ai rien vu de tout ça. J’ai, bien sûr, lu en allemand le livre d’Alice Schwarzer il y a assez longtemps. Maintenant, je crois qu’elle l’a réédité avec une nouvelle préface et puis, il y a donc sa publication récente en français. D’ailleurs, Alice Schwarzer a beaucoup aimé « 3 jours à Quiberon » et elle m’a parlé aussi de ce documentaire. Il faut absolument que je le voie. Par contre, je ne savais même pas que Sarah avait écrit un livre sur sa mère. Cela me fait penser que Michael Jürgs a écrit un livre superbe qui s’appelle « Der Fall Romy Schneider » pour lequel il a fait des recherches vraiment incroyables. Je trouve que c’est le meilleur livre sur Romy et je crois, du reste, qu’il a été traduit en français. Il parle de son ex-mari Daniel Biasini et de tous les hommes qui se sont servis d’elle. De notre côté, on a été très bien lotis. On a eu une belle presse en Allemagne, mais en France aussi. Heureusement, la fille de Romy Schneider, Sarah Biasini, n’a parlé qu’après la sortie du film, et la presse a été neutre. Par ailleurs, en Allemagne, le film a décroché 7 Lola (les César allemands) dont le Lola du Meilleur film.

De ce huis clos, avec toutefois des bolées d’air salvatrices sur les rochers de la côte bretonne, se dégage une formidable charge émotionnelle. Pendant tout le film, acteurs comme spectateurs sont tiraillés entre rires et larmes, intérieur/extérieur, ombres et lumières, manipulateurs/manipulés. Mais au final, grâce à une mise en scène tout en finesse, les rôles pourraient bien être redistribués voire inversés. Etait-ce votre intention dès le départ de conduire votre film vers la lumière ?
Oui. Comme je l’ai dit précédemment, c’était ma grande recherche, qui l’est, du reste, toujours dans tous mes films. Je suis optimiste en tant que personne et je ne peux pas finir dans le sombre.

Avez-vous déjà d’autres projets cinématographiques ?
Mon prochain film de cinéma sera mon premier film français. Il s’appelle « Mister » et va se jouer un tiers à Paris et deux tiers en Norvège. Ce sera un film bilingue français-anglais, avec un peu de norvégien, parce que le personnage principal est français. Et il y aura de nouveau une femme dans une grande crise existentielle et qui va vers la lumière. Encore une fois  la même chose, mais complètement fictif. Pour l’instant, on est sur le scénario et le casting… j’espère grand casting. Si tout se passe bien, on tournera pendant l’été 2019, et la sortie est prévue pour 2020.

Propos recueillis par Aline Vannier-Sihvola
Helsinki, le 29 septembre 2018

https://www.youtube.com/watch?v=iUpEcSPo1Qc
Disponible en DVD & Blu-Ray

En rapport avec Cannes 2019…

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Le 72e Festival de Cannes, qui s’est déroulé du 14 au 25 mai 2019, vient de se clôturer avec la remise de la Palme d’Or par le jury présidé par Alejandro González Iñárritu au réalisateur coréen Bong Joon-ho pour son film « Parasite ». Parmi les 21 films en compétition officielle figurait « Roubaix, une lumière »*, le tout dernier film du metteur en scène français Arnaud Desplechin qu’il viendra présenter en personne, ainsi que quatre autres de ses longs métrages, au Festival du film du soleil de minuit qui se déroule à Sodankylä, en Laponie finlandaise, du 12 au 16 juin 2019 – rendez-vous incontournable, s’il en est, des cinéphiles avant le solstice d’été dans un cadre des plus estivals et dépaysants.

L’affiche du 72e Festival de Cannes rend hommage à la réalisatrice passionnée qu’était Agnès Varda qui nous a quittés en mars dernier à l’âge de 90 ans. Cannes lui avait remis une Palme d’honneur en 2015 et le Festival du film du soleil de minuit l’avait reçue comme invitée d’honneur en 1991 (Jacques Demy en 1987). Son dernier film « Varda par Agnès »* fait partie de la programmation du Festival du film du soleil de minuit.

Du côté finlandais, deux films cette année à Cannes qui n’ont pas, cette fois-ci, été récompensés mais que l’on retrouvera également au Festival du film du soleil de minuit en avant-première :
J.-P. Valkeapää, réalisateur primé et prisé par la critique, a présenté son dernier long métrage « Koirat eivät käytä housuja » / « Dogs Don’t Wear Pants » à la Quinzaine des réalisateurs. Un film culotté, même si les chiens ne portent pas de pantalon !
Teemu Nikki a présenté, quant à lui, son court métrage intitulé « All Inclusive » en compétition officielle. Même si le film n’a pas été récompensé par le jury présidé par Claire Denis, rien que le fait de se retrouver parmi les 11 sélectionnés (dont 9 fictions, 1 documentaire et 1 animation) sur les 4 240 visionnés par le comité de sélection est déjà en soi une victoire !

Par ailleurs, dans la section Un certain regard, Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec ont présenté le film d’animation « Les hirondelles de Kaboul » adapté du roman éponyme (2002) de Yasmina Khadra. De sa trilogie consacrée au malentendu entre l’Orient et l’Occident – « Les hirondelles de Kaboul » (2002), « L’attentat » (2005) et « Les sirènes de Bagdad » (2006) -, deux romans ont été adaptés au cinéma, soit « L’attentat » par Zied Douéri en 2013 et « Les hirondelles de Kaboul »* par Zabou Breitman en 2019. Mais avant cela, deux autres romans de Yasmina Khadra ont été portés au grand écran : « Morituri » par Okacha Touita en 2007 et « Ce que le jour doit à la nuit » par Alexandre Arcady en 2012.

Une occasion de lire ci-dessous l’interview accordée par Yasmina Khadra en juin 2007, à Mukkula, sur les bords du lac Vesijärvi, en Finlande lors de la Rencontre internationale des écrivains qui a lieu tous les deux ans à Lahti.
Intitulé : Entretien avec YASMINA KHADRA

* « Varda par Agnès » : en salles en France et en Finlande
* « Roubaix, une lumière » : sortie en France le 21 août 2019
* « Les hirondelles de Kaboul » : sortie en France le 4 septembre 2019

Entretien avec YASMINA KHADRA

EN RAPPORT AVEC CETTE RENTRÉE 2019 :
Sortie en France ce mercredi 4 septembre du très beau film d’animation « Les hirondelles de Kaboul » de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec, adapté du roman éponyme (2002) de Yasmina Khadra.
Présenté au Festival de Cannes 2019 dans la section Un certain regard, le film d’animation « Les hirondelles de Kaboul » vient d’être primé à la 12e édition du Festival du film francophone d’Angoulême (20-25 août 2019) en remportant le Valois de diamant (meilleur long métrage).

De sa trilogie consacrée au malentendu entre l’Orient et l’Occident « Les hirondelles de Kaboul » (2002), « L’attentat » (2005) et « Les sirènes de Bagdad » (2006) , deux romans ont été adaptés au cinéma, soit « L’attentat » par Zied Douéri en 2013 et « Les hirondelles de Kaboul » par Zabou Breitman en 2019. Mais avant cela, deux autres romans de Yasmina Khadra ont été portés au grand écran : « Morituri » par Okacha Touita en 2007 et « Ce que le jour doit à la nuit » par Alexandre Arcady en 2012.

Une occasion de (re)découvrir l’interview accordée par Yasmina Khadra en juin 2007, lors de la 23e Rencontre internationale des écrivains de Lahti (Finlande).

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Yasmina Khadra, écrivain algérien au parcours atypique, pose, à travers une écriture maîtrisée, à la fois lyrique et dépouillée, un regard juste et lucide sur la réalité et les événements douloureux qui traversent, notamment, les romans de sa dernière trilogie – consacrée au malentendu entre l’Orient et l’Occident : « Les hirondelles de Kaboul », « L’attentat » et « Les sirènes de Bagdad ». Interviewé en juin dernier à Mukkula, Lahti (Finlande), à l’occasion de la 23e Rencontre internationale des écrivains, qui avait pour thème « La beauté et l’horreur »,Yasmina Khadra, de son vrai nom Mohamed Moulessehoul, fait l’actualité en cette rentrée littéraire de septembre 2007 avec la sortie en finnois du dernier volet de sa trilogie « Les sirènes de Bagdad » (Bagdadin kutsu).

Qu’est-ce qui a fait que l’homme qui se cachait derrière Yasmina Khadra, un pseudonyme de femme, écrit aujourd’hui à visage découvert ?
C’est très simple. J’ai été soldat à l’âge de neuf ans, et toute ma vie j’ai écrit. Beaucoup de gens pensent que j’ai commencé à écrire en quittant l’armée, mais j’avais écrit déjà treize livres alors que j’étais dans les rangs. J’ai commencé par écrire sous mon vrai nom en Algérie, puis j’ai eu des problèmes avec la hiérarchie militaire qui trouvait que la place d’un militaire n’était pas dans la littérature. Elle a commencé alors à me chercher noise et m’a imposé un comité de censure. Pour éviter ce comité de censure, j’avais le choix entre deux choses : soit arrêter définitivement d’écrire, soit opter pour un pseudonyme. Et c’est ma femme qui m’a donné le courage d’opter pour ce pseudonyme – d’où l’empreinte de ces prénoms Yasmina Khadra qui sont les prénoms de ma femme. J’attendais depuis très longtemps de quitter l’armée pour me consacrer à la littérature, et je voulais vraiment rencontrer mes lecteurs, les gens qui s’intéressaient à ce que je faisais. Donc, dès que l’occasion s’est présentée, en septembre 2000, alors que j’étais arrivé à la fin de ma carrière d’officier et que j’avais à choisir entre une carrière de général ou celle d’un écrivain, j’ai opté pour la littérature. Et aujourd’hui, j’écris à visage découvert. J’ai gardé le pseudonyme qui m’a fait connaître, ne serait-ce que par respect et par gratitude, et aussi pour que je n’oublie jamais que derrière le succès que j’ai eu il y a une femme, la mienne.

Qu’est-ce qui a suscité l’envie, la nécessité de l’écriture ? Comment s’est révélé votre talent d’écrivain ?
Je suis né pour être écrivain. Je suis né dans le Sahara, dans une tribu de poètes, et les gens de ma famille ont toujours eu un faible mystique pour le verbe, pour la poésie, pour la littérature et, donc, c’est tout à fait naturel que j’aie hérité de cette tribu ce gène – on peut l’appeler aussi toxine – qui fait que je ne peux pas rester insensible au monde qui m’entoure et qu’il me faut impérativement le transcrire quelque part. Je suis très heureux que cette réaction se fasse à travers les lettres et dans la littérature.

Estimez-vous que votre écriture a changé après l’« exil » ?
Moi, je ne me sens pas exilé. Je n’ai pas été forcé politiquement de quitter l’Algérie. Cela a été un choix délibéré, un choix que j’ai jugé raisonnable pour pouvoir m’épanouir. Il me fallait m’instruire, il fallait que je sorte un peu de ce ghetto qu’est l’Algérie où la culture est totalement sinistrée, et aller vers un monde capable de m’enrichir davantage. Je ne suis pas en exil, je suis un émigré.

Comment connaissez-vous si bien la société de tous ces pays que traverse votre trilogie, que ce soit l’Afghanistan, Israël ou l’Irak ?
C’est très simple. Pour moi, connaître un pays ce n’est pas forcément le visiter, c’est accéder à la mentalité des gens qui le peuplent. Et c’est à travers la mentalité qu’un pays se construit. Donc, si vous réussissez à percer la mentalité d’un peuple, vous pouvez très bien l’imaginer dans cette société. Et ce qui m’a toujours interpellé, depuis que je suis venu au monde, n’a jamais été ce que je vois, jamais les monuments, les lacs ou les déserts, cela a toujours été l’homme, sa façon de voir, sa façon de concevoir le monde, sa façon de rêver ou de renoncer à quelque chose. J’ai toujours cherché la philosophie du monde à travers la philosophie de l’homme. Donc, c’est pour cela que, lorsque j’écris sur Israël, les gens sont complètement sidérés : ils n’arrivent pas à croire que je n’y ai jamais mis les pieds. Pour ce qui est de l’Afghanistan, je ne me sens pas dépaysé dans ce pays. Pour aller en Afghanistan, je peux très bien aller dans le sud de l’Algérie, dans le Sahara et retrouver pratiquement les mêmes réflexes, les mêmes rituels, les mêmes approches et la même conception du monde, parce que ce sont des pays où la religion fait et défait l’univers autour d’eux. C’est comme ça qu’en écrivant sur l’Afghanistan je m’imaginais dans ce pays, et je n’ai eu, à aucun moment, le sentiment de m’égarer. J’ai rendu ce que j’estimais être intéressant pour le lecteur du monde entier : l’aspect terrible qui frappe cette société, qui frappe surtout la femme, et c’est pour cette raison que le livre a eu un succès retentissant à travers le monde.

Avez-vous rencontré les personnages de vos romans ? Sinon, comment avez-vous pénétré aussi bien l’âme de tous ces êtres en désarroi, en déroute, surtout de ces deux femmes dans « Les hirondelles de Kaboul » à qui la beauté intérieure donnent des ailes ?
Je ne peux pas répondre à cela. C’est ma nature. Ce sont des choses qu’on n’acquiert pas à l’université ; c’est en nous… c’est viscéral. Moi, je suis l’enfant de l’exclusion, et tout ce qui frappe les autres, tout ce qui est marginalisation, tout ce qui est arbitraire, tout ce qui est souffrance me touche en premier ; je réagis spontanément à ça. A l’âge de neuf ans, j’ai été ravi à ma famille. J’étais un enfant qui commençait à peine à rêver, à prendre goût à ses jeux, à gambader, et qui s’est retrouvé enfermé dans une caserne et traité comme un adulte. Puis, dans cette même institution, j’ai été exclu parce que je ne pensais pas comme les autres ; je voulais devenir écrivain. Et quand je suis devenu écrivain, j’ai été exclu, y compris par la caste des officiers. Par la suite, quand j’ai quitté l’armée – qui me considérait comme un intellectuel, et donc comme quelqu’un de suspect, une anomalie – puis l’Algérie pour m’installer en France, là encore j’ai été rejeté par les chapelles bien pensantes, par les milieux littéraires parce que j’avais été soldat. Donc, ma vie c’est l’histoire de l’exclusion, et c’est cela qui me rapproche profondément des gens qui sont exclus, mis en quarantaine, bafoués, qui n’arrivent pas à s’exprimer. Et je trouve dans la littérature une chance pour moi, et pour les autres, de leur prêter une voix et de les faire entendre.

Yasmina Khadra
Même si on sent la révolte à l’origine de tous vos livres, on est frappé par cette grande douceur, cette humanité qui enveloppe la plupart de vos personnages et semble les protéger de l’extrême violence à laquelle ils sont confrontés ; vous faites cohabiter le beau et l’insoutenable – le thème même de la Rencontre des écrivains à Lahti.
Là, je peux dire que c’est à travers mon éducation que j’ai acquis ces réflexes, cette aisance à parler de la laideur et de la beauté, de la violence et de la douceur. Quand j’étais petit, j’ai été élevé par deux sortes d’individus : d’abord, l’encadrement de l’école qui était confié à des militaires. Ces militaires, ils n’étaient pas méchants ; leur vocation était d’être sévères. Et en même temps, parallèlement à ce formatage, à cette éducation militaire, j’avais les autres : les écrivains qui me construisaient fibre par fibre. Et ces gens-là me parlaient justement de ce qu’il y a de meilleur chez l’homme, même lorsqu’il fait montre de ce qu’il a de pire. C’est-à-dire que, parallèlement à la violence qui est en train de gérer cet univers, parallèlement au mensonge, au chahut, au spectacle, à la désinformation, il se trouve toujours une intelligence en état de faction, en état de vigilance, et c’est ça qui m’a interpellé quand j’étais enfant. Je me suis dit que je veux devenir écrivain pour prouver que je suis capable de vivre autrement le destin qu’on m’impose. C’est une chance inouïe que j’ai eue. Tous les coups que j’ai reçus ne m’ont pas construit, ils m’ont aguerri.

Le fil conducteur, et même pourrait-on dire, le détonateur des histoires de cette trilogie, c’est l’humiliation. Les personnages basculent tous vers la vengeance, la haine, la mort pour surmonter une humiliation, laver une infamie. Vous faites dire au héros des « Sirènes de Bagdad » que « la dignité ne se négocie pas ».
Ce n’est pas le détonateur. Le véritable détonateur de cette trilogie, c’est la méconnaissance que j’ai observée en Occident. C’est ce snobisme intellectuel qui empêche les gens d’aller vers les autres et qui les maintient dans une relative quiétude et une relative distance par rapport à l’univers qui les entoure. Et c’est ça qui m’a interpellé. Je me suis demandé comment les gens qui vivent au XXIe siècle peuvent encore croire que leur monde est protégé, qu’il suffit de s’enfermer dans sa bulle pour faire abstraction des chahuts et de toutes les horreurs qui sont en train de défigurer les rapports humains. C’est ça le véritable détonateur. Comment secouer cet Occidental et lui dire : tu n’es pas la vérité et tu n’es pas l’excellence. Tu n’es qu’une pièce dans un puzzle, et il te faut impérativement regarder et t’ouvrir aux autres. Et même si tu es heureux, essaie au moins de faire en sorte que cette quiétude, que ce bonheur qui est en toi puisse servir aux autres qui n’ont pas encore compris comment tu as pu être heureux dans un monde aussi médiocre. Par ailleurs, je voyage beaucoup en tant qu’écrivain, et j’ai pu voir que le discours politique et la manipulation médiatique ont atteint des proportions absurdes. Et, parallèlement à cela, je constate qu’il y a une sorte d’embourgeoisement intellectuel, c’est-à-dire que les gens n’essaient plus de se remettre en question. Donc, j’écris pour d’abord essayer d’aider les gens à recouvrer leur lucidité, et surtout pour me battre contre ces stéréotypes qui nous défigurent, ces raccourcis, ces clichés qui, au lieu de créer une sorte de solidarité planétaire, engendrent au contraire une sorte de méfiance. Et plus on est méfiant, plus on préfère garder ses distances mais, à ce moment-là, on isole les gens dans leur tragédie.

Les femmes quasi inexistantes dans « Les Sirènes de Bagdad » sont au centre des deux premiers volets de votre trilogie. Vous rendez un hommage bouleversant aux femmes humiliées dans « Les hirondelles de Kaboul » et, dans « L’attentat », l’acte d’une femme kamikaze va susciter l’incompréhension, voire la colère d’un homme humilié et remettre toute sa vie en question.
Moi, je suis persuadé que l’homme est malheureux parce qu’il n’a jamais accédé à la générosité de la femme. Et j’ai dit quelque part que le malheur établit ou installe sa patrie là où la femme est bafouée. Et quand je ne parle pas de la femme dans « Les sirènes de Bagdad », ce n’est pas un oubli mais un acte politique. Je suis en train de dire que, dans ce pays, la femme, elle n’existe pas véritablement, et je n’ai pas le droit de la faire exister juste pour qu’elle fasse de la figuration. Quand j’accorde un rôle à une femme, il faut que cela soit à la hauteur de mon engagement et de ma sincérité d’écrivain. Je ne le fais pas pour plaire, je le fais pour convaincre. Dans le monde arabe, souvent, la femme veut prouver à l’homme qu’elle est capable d’être son égal. Mais le problème, c’est qu’elle essaie de l’égaler dans le meilleur et dans le pire. Et quand, dans « L’attentat », elle choisit ce geste kamikaze, ce geste terrifiant, absurde, elle est en train de lui dire qu’elle est capable aussi d’exceller dans l’horreur, et dans l’exercice de l’horreur et de l’aberration. Donc, c’est une sorte de revendication existentialiste. C’est malheureux, mais c’est comme ça. J’ai toujours dit que si les Arabes sont en retard, c’est parce que la femme est exclue. Le jour où cette femme retrouvera sa place dans la société et dans l’épanouissement d’une société, lorsqu’elle retrouvera sa place dans la chaîne sociale, la chaîne économique, la chaîne culturelle du pays, moi je suis absolument convaincu que beaucoup de frustrations, beaucoup de malheurs disparaîtront.

Avec l’achèvement de cette trilogie, que souhaitiez-vous éveiller chez le lecteur en l’entraînant au coeur des conflits les plus brûlants de notre époque ?
Sa citoyenneté. Il faut que chaque individu comprenne qu’on a le choix entre deux choses : soit on sombre dans l’animalité et, bien sûr, par définition, on rejoint ce que disait Jean-Jacques Rousseau : « L’animal est cette créature dont la souffrance se limite à sa propre douleur. », soit on est dans l’humanité, et là la souffrance ne se limite pas exclusivement à notre propre douleur, mais pourrait aussi s’étendre à la douleur des autres. Et, par delà, on peut faire alors appel à l’empathie, à la solidarité, à l’intelligence. C’est pour cela que j’écris. Et je suis très heureux de recevoir des mails d’un peu partout – de Chine, d’Inde, des Etats-Unis, d’Europe, d’Afrique –, de gens qui me disent merci pour mes livres parce que j’ai éveillé quelque chose en eux. Je crois que ce que j’essaie de secouer, c’est juste notre part d’humanité.

A la fin des « Sirènes de Bagdad », c’est un romancier qui vient troubler la conscience du Dr Jalal qui, à son tour, va installer le doute dans l’esprit du jeune héros. Pensez-vous que c’est le rôle, voire le devoir, de l’écrivain d’alerter l’opinion sur les dangers qui nous menacent, d’opposer à la violence du monde la force de ses mots ?
C’est un devoir, mais ce n’est pas une responsabilité. C’est un devoir moral. Et ce Dr Jalal explique un peu cette difficulté que rencontre la minorité intellectuelle musulmane à assagir les islamistes. Les intellectuels musulmans sont seuls ; ils ne sont pas soutenus et ne sont pas respectés. A titre d’exemple, je prends mon cas. Je n’ai pas le sentiment d’être pris au sérieux, alors que tout ce que j’ai écrit a été d’une clarté, d’une lucidité exceptionnelle. J’ai été le premier à parler des islamistes universitaires, bourgeois. Avant, on pensait que les islamistes étaient des sauvages, des gens qui venaient de la misère, des bas-fonds de la société, qu’ils étaient complètement incultes, alors que dans « A quoi rêvent les loups » [paru en 1999 – NDLR], par exemple, mes terroristes ce sont des universitaires, des enfants issus de familles bourgeoises qui vivent très bien, qui ne manquent de rien et qui, un jour, décident d’aller combattre pour un idéal. Puis est venu le 11 septembre : ce sont mes personnages qui ont quitté « A quoi rêvent les loups » pour monter dans l’avion ! Tout cet apport philosophique et moral n’est pas perçu comme il se doit par l’Occident. On reste toujours marginalisé. Les institutions, les milieux, littéraires, les gens qui sont censés nous supporter, nous défendre et nous imposer trouvent qu’on ne mérite pas le détour. Le Dr Jalal, c’est aussi cette impuissance qu’ont certains intellectuels à accéder à la reconnaissance, mais pas pour la reconnaissance. Vous savez, aujourd’hui, le monde auquel j’appartiens a besoin de quelqu’un de fort. Il a besoin d’un écrivain fort, reconnu mondialement pour qu’il puisse passer son message en direction des siens. Et pour beaucoup de gens, je ne suis qu’un auteur de best-sellers. Peut-être ont-ils raison de le penser (?) Après tout, je ne suis soutenu par personne. Le Dr Jalal s’est retourné contre l’Occident parce qu’il a été humilié, parce que son érudition n’a servi à rien ; il a été manipulé, il a été obligé d’accepter un statut d’Arabe de service alors qu’il était un grand humaniste et un grand visionnaire.

Pensez-vous qu’un jour tous ceux à qui on a confisqué le monde dans lequel ils vivaient pourront le récupérer, ou bien ne leur restera-t-il vraiment que les rêves pour le réinventer ?
Moi, je pense que, lorsqu’on a la foi, pas seulement côté religieux, mais la foi en ce monde, malgré toutes les difficultés, on peut accéder à ses voeux les plus pieux. Prenons une fois de plus mon cas – parce que je suis quand même un écrivain atypique : j’étais enfant et, à l’âge de neuf ans, j’ai été enfermé dans une caserne. Depuis cet enfermement, je n’ai jamais cessé de rêver de devenir écrivain. Je n’ai pas rencontré d’écrivains dans ma vie, je n’ai pas vécu dans un milieu universitaire ou intellectuel. Au contraire, j’ai grandi, évolué dans un monde aux antipodes de la vocation d’écrire. Et regardez ce que je suis devenu aujourd’hui : sans aide – je ne suis soutenu par aucun réseau dans le monde –, je suis l’un des rares écrivains qui n’est pas parrainé, qui n’est pas soutenu, qui n’est pas consacré, et pourtant je suis celui qui, chaque année, écrit un livre qui fait l’événement à l’échelle internationale. Pourquoi ? Parce que je crois en la beauté de ce rêve ; je veux l’incarner, et je finis par l’incarner.

Vos romans sont traduits dans 32 pays, vous donnez des interviews, tenez des conférences dans le monde entier. Comment vit-on cette popularité quand on sort d’un univers quasi carcéral sur le plan professionnel et d’une semi-clandestinité sur le plan littéraire ?
Je vais peut-être vous étonner, mais je le vis naturellement. Depuis que j’étais enfant, je vivais dans cet univers, dans mon imaginaire, c’est comme ça que je voyais les choses. Et j’ai le sentiment d’avoir rejoint justement cette projection de moi-même à travers l’espace et le temps. Et aujourd’hui, je suis très content de voir que j’ai réussi à convaincre pas mal de gens. Même si je n’ai pas réussi à convaincre les chapelles bien pensantes, j’ai touché quand même des gens sur les cinq continents. Je suis traduit en indien, et quand mon livre est sorti au Kerala, il a été soutenu par les plus grands romanciers et intellectuels de cette région de l’Inde. Et là je me dis : tu es un homme, tu n’es pas un Algérien ; tu es d’abord un homme puisque tu sais toucher tous les hommes de la terre. Je suis allé à New York, et j’ai appris que j’avais un club de fans, un club Khadra à New York. C’était des femmes du troisième âge qui étaient venues me voir à New York, et elles étaient tellement heureuses qu’elles m’ont contaminé ! Et c’est ça… Moi, j’ai été élevé par des écrivains, et je vous assure qu’à l’époque la radio était interdite. La télévision on n’en avait pas, les journaux étaient interdits ; donc, notre seul rapport avec un écrivain c’était le texte. On n’avait pas besoin de nous le présenter, nous le découvrions pas nous-mêmes. Et ces gens-là, ce n’étaient pas pour moi des Américains, ce n’étaient pas des Russes, pas des Scandinaves, pas des Africains : c’étaient des hommes, c’étaient mes maîtres. Et ils ont dépassé ces conventions stupides qui font qu’un homme peut devenir quelqu’un d’autre juste en se mettant de l’autre côté d’une frontière. Et les écrivains, ils ont balayé les frontières, ils ont réinstallé l’humanité en chacun de nous. J’aime avec la même passion Gogol, Dostoïevski, John Steinbeck, Camus, Naguib Mahfouz. Pour moi, chaque écrivain m’enrichit.

Quel sera votre prochain roman ?
J’espère offrir à mon lectorat une histoire d’amour. J’essaie de ne pas m’installer dans la violence, car je suis capable de raconter le monde autrement. Je vais essayer de proposer à mes lecteurs une histoire qui va les faire rêver… comme ça, ils me pardonneront peut-être de les avoir fait souffrir. Cela va se passer en Algérie. L’histoire commence dans les années trente et va finir en 1962 avec l’indépendance de l’Algérie ; puis, il y aura un épilogue qui parlera de ces événements quarante ans plus tard.

Propos recueillis
par Aline Vannier-Sihvola
Au Manoir de Mukkula, Lahti – Juin 2007

* Yasmina Khadra fait l’actualité en cette rentrée 2019 du fait de l’adaptation de son roman « Les hirondelles de Kaboul » au cinéma. En effet, Zabou Breitman vient de réaliser et de présenter au dernier Festival de Cannes 2019 le film d’animation « Les hirondelles de Kaboul », dont la sortie en France est annoncée pour le 4 septembre 2019.

Entretien avec GUILLAUME MAIDATCHEVSKY

Guillaume M.

Guillaume Maidatchevsky est un réalisateur français spécialisé dans les documentaires animaliers mais il préfère se définir comme un conteur d’histoire… animalière, en l’occurrence. Après avoir réalisé cinq films, il signe en cette fin d’année 2018 son dernier opus « Aïlo, une odyssée en Laponie », un conte animalier qui suit les aventures d’un petit renne, de la naissance à l’âge adulte, dans ses pérégrinations à travers les paysages grandioses de Laponie. Dans ce film, les animaux ne sont pas perçus comme les membres d’une espèce mais comme des personnages à part entière, des individus avec leur caractère propre, différents les uns des autres.
[« Ailo – pienen poron suuri seikkailu » – sortie en Finlande le 21 décembre 2018
« Aïlo, une odyssée en Laponie » – sortie en France le 13 mars 2019]

Vous avez réalisé à ce jour six longs métrages – y compris « Aïlo » –, tous des films documentaires animaliers, d’évidence votre spécialité. Quel a été votre parcours qui vous a orienté vers le genre documentaire, et plus spécifiquement le film animalier ?
J’ai fait beaucoup de documentaires animaliers – je ne filme, du reste, que de l’animalier – et, surtout, j’ai cherché à trouver un autre moyen d’intéresser un public plus large. Vu que le public de documentaires animaliers est déjà intéressé par le genre et ira donc voir le film, ce qui m’intéressait c’était de toucher une audience beaucoup plus large et, en ça, utiliser les codes de la fiction. Cela m’a paru intéressant pour toucher le plus de gens possible et sensibiliser le plus de gens possible à l’environnement et à la protection de la nature. Et donc, je pense et j’espère que le fait d’utiliser les codes du conte va attirer beaucoup plus de gens.

Quel est, dans la vie, votre rapport à la nature, aux animaux ?
Il est au quotidien. En tout cas, mon rôle dans la vie par rapport aux animaux, il est au jour le jour. Je vis à la campagne, entouré de moutons, de coqs, de chiens et de petits chevaux. Et donc, pour moi, le fait d’être entouré d’animaux est quelque chose de tout à fait naturel.

D’où vous est venue l’idée de « Aïlo, une odyssée en Laponie », de filmer un petit renne, de la naissance à l’âge adulte ?
L’idée de filmer « Aïlo » est une commande de mes enfants, leur commande au Père Noël. En fait, j’ai réalisé qu’ils connaissaient mieux la nature de l’Afrique, mieux les lions et les éléphants que, finalement, les animaux proches de chez eux. Les rennes, ce n’est pas si loin que ça de Paris. Toutefois, ils avaient des idées préconçues ou, du moins, ils ne connaissaient pas grand-chose sur les rennes. Donc, c’est pour cela aussi que j’ai voulu leur en apprendre plus par rapport à la vie sauvage tout près de chez nous, en utilisant les codes de la fiction.

Tournage Aïlo

Connaissiez-vous la Laponie, le Grand Nord, et était-ce la première fois que vous filmiez dans des conditions extrêmes ?
C’était la première fois que je filmais dans des conditions aussi extrêmes. J’ai beaucoup filmé en Afrique, par des températures très positives, très chaudes et passer, tout d’un coup, de l’Afrique à + 40° à la Laponie à – 40°, cela a été un vrai gap pour moi. Après, mes origines nordiques font que je préfère le froid au chaud, mais ça a été plus compliqué pour le matériel. De plus, je trouve que filmer dans des conditions extrêmes, ça apporte à l’image une émotion encore plus forte.

Le scénario – que vous avez écrit – a-t-il nécessité beaucoup de recherche, un séjour préalable sur place, une mise en condition ?
En fait, pour le scénario, je me suis beaucoup documenté avant, beaucoup informé sur les rennes, sur la façon dont ils vivent, sur le décor, sur la Laponie en général. Et, ensuite, j’ai écrit le scénario. Toutes ces recherches m’ont amené à écrire quelque 80 pages avant de tourner. Après, le maître-mot, c’est s’adapter. On s’adapte à la nature. J’ai beau avoir écrit le plus précisément possible, l’animal fait ce qu’il veut au final. Il vit sa vie, et c’était très important pour moi que l’animal vive sa vie. Je ne le contrains à aucun moment. Il vit dans son environnement et c’est lui qui m’invite dans cet environnement-là. Moi, je suis là pour capter sa vie.

Un conte animalier, un film familial, certes, mais ne compte-t-il pas, comme « Bambi », des scènes dures à voir ? Par ailleurs, le texte – qui évite l’écueil du commentaire anthropomorphique – est, par endroits, poétique, avec des réflexions philosophiques, et ne s’adresse pas forcément à un tout jeune public. Pourquoi ce choix ?
Comme c’est aussi le cas dans beaucoup de films d’animation, il y a, en fait, deux niveaux de lecture. En tant que parent, qu’est-ce que j’ai envie d’aller voir avec mes enfants ? Si c’est uniquement un film enfantin, je vais m’ennuyer pendant 1 heure 20. Donc, il fallait que je trouve des codes qui puissent intéresser à la fois les enfants, par la narration, par la façon de filmer, par le jeu des animaux et également intéresser les adultes par un texte peut-être plus philosophique, par plus de réflexions sur la nature. Mais les enfants ne sont pas stupides. Je pense que c’est important de leur montrer la nature telle qu’elle est, même si parfois elle est cruelle. Si on prend des Walt Disney, ils sont parfois très durs. L’enfant les voit à son niveau à lui, quand il a 4 ou 5 ans. Bien souvent, un enfant de cet âge-là ne perçoit pas forcément la cruauté. C’est plus tard qu’il va comprendre en fonction de ce qu’il a vu. C’est à mes enfants, d’abord, que je ne voulais pas mentir. Je voulais leur montrer que la nature, elle peut être cruelle, difficile, mais elle peut aussi être drôle, émouvante.

Le texte est lu par un narrateur – unique voix humaine du film – qui n’est autre que le chanteur Aldebert. Est-ce que ce choix s’est imposé dès le départ ? Et pourquoi ce choix ?
Non, il ne s’est pas imposé dès le départ. Mes enfants – toujours mes enfants – sont fans d’Aldebert. On connaît tous par coeur ses chansons, en tout cas à la maison, mais il ne s’est pas forcément imposé au départ. A vrai dire, c’est une commande de ma femme. Que des commandes, ce film ! C’est mon cadeau de Noël à la Laponie. Par contre, ce que j’ai aimé, c’est qu’Aldebert a aussi ce double niveau de lecture dans ses chansons. Je suis allé plusieurs fois à ses concerts et les parents ne s’ennuient pas. Ils ne sont pas assis en train d’attendre. Les parents dansent, chantent, car les parents connaissent aussi les paroles. J’aimais bien ce double langage. Il parle aux enfants, il parle aussi aux parents. Et je trouvais que c’était assez raccord avec le film.

La musique semble jouer un rôle important dans tous vos films. Dans « Aïlo », la musique est quasi omniprésente et fait partie intégrante du récit.
La musique, c’est un personnage. Elle n’est pas là pour appuyer, c’est vraiment un personnage de l’histoire. J’ai l’habitude de dire que le sound design, c’est-à-dire tout ce qui est bruitage, amène l’immersion dans le film, mais la musique amène l’émotion. C’est un personnage à part entière, comme l’est la narration, comme le sont les images, la façon de filmer. Je tenais vraiment à ce que la musique prenne cette place-là.

Aïlo + sa mère

Comment avez-vous fait pour apprivoiser tout d’abord la mère d’Aïlo – jusqu’à filmer au plus près la naissance du petit renne – et approcher d’aussi près tous ces animaux sauvages ?
Ce qui s’est passé pour la mère d’Aïlo, c’est qu’on essayait de filmer des naissances, ce qui est très compliqué parce que les femelles veulent garder leur intimité – ce que je respecte totalement –, mais on n’y arrivait pas. Elles mettaient bas assez loin de nous et je tenais à respecter cette distance parce qu’on appelle ça le cercle de confiance. On fait en sorte qu’il n’y ait pas de stress à la naissance pour la mère. Ethiquement parlant, c’est important pour moi et aussi, artistiquement parlant, si je filme un animal qui est stressé, ce n’est bon ni pour lui ni pour moi. Mais, tout d’un coup, une femelle qui depuis 6 jours nous suivait partout – limite elle dormait collée à la caméra ! – a décidé de s’éloigner de nous et est allée mettre bas à 20 mètres de la caméra. Ce qui est super, c’est qu’elle a transmis la confiance qu’elle avait en nous à son petit, à Aïlo, et ça m’a permis de filmer les scènes de naissance de façon très respectueuse. Elle n’avait pas de stress et le petit n’était pas stressé. Une confiance s’était vraiment instaurée à la naissance, parce que si la mère est stressée, le petit sera stressé, c’est sûr. Je ne sais pas si c’est pareil chez les humains, mais chez les animaux, c’est très présent. Et voilà, ça a été pour nous un moment de grâce, cette naissance, parce qu’elle a mis bas tout près de nous. Elle aurait pu mettre bas très loin, mais son choix était de mettre bas tout près, et on a pu filmer cette scène.

Certaines scènes sont assez incroyables, notamment lorsqu’Aïlo est poursuivi par des loups. Comment avez-vous fait, tout en vous attachant à ne pas déformer « la réalité naturelle », pour filmer cette course-poursuite dans la forêt ? Avez-vous du matériel très sophistiqué, des techniques spécifiques ?
On a des techniques spécifiques pour filmer ce genre de scène, tout en assurant la sécurité pour les animaux, pour les deux espèces – surtout pour Aïlo, parce qu’on n’a filmé qu’avec Aïlo. On tenait vraiment à ce qu’Aïlo soit le plus en sécurité possible. Donc, il y a des techniques, mais je ne vais pas tout dévoiler. On a un côté magicien, et je garderai mes « tricks » pour moi. En tout cas, Aïlo n’avait rien à craindre des loups par rapport à la scène que vous rapportez.

AÏLO tournage

De combien de personnes, de nationalités se composait votre équipe de tournage, que l’on imagine réduite et aguerrie aux conditions extrêmes ?
On était une équipe de cinq sur le terrain, cinq Français. Et, au quotidien, tous les jours, il y avait deux ou trois Finlandais, des techniciens, soit un assistant-caméraman finlandais, et Tuire qui était là pour nous aider, pour assurer la sécurité aussi des animaux quand on avait besoin d’elle. Du fait de son expérience de la nature, du comportement animalier, elle pouvait aussi nous prévenir si elle sentait quelque chose d’un peu angoissant pour l’animal. Donc, Tuire a été une vraie aide pour nous à ce niveau-là, parce que quand on se met à filmer – j’étais souvent à la caméra aussi – parfois on oublie qu’il y a peut-être quelque chose de dangereux pour l’animal, et donc Tuire était là pour s’assurer que l’animal n’avait pas de stress, était bien. Donc, en général, on était cinq, au mieux huit et au pire deux.

Combien de temps a duré le tournage ? Et quelles en ont été les principales difficultés comme les bonnes surprises ?
On a tourné plus de 125 jours, ce qui veut dire beaucoup plus si on compte le temps en transport et autres, comme les repérages. Les bonnes surprises, c’est l’animal, son comportement. Il faut dire que quand je suis parti tourner, il y avait quand même ce côté aléatoire. Qu’est-ce qu’on va voir ? J’avais beau avoir écrit un scénario de 80 pages, tout aurait pu exploser très vite. Et c’est là que l’on se rend compte, comme je l’ai déjà mentionné, que l’adaptabilité est primordiale. Je m’adapte à l’animal, comme un réalisateur de fiction s’adapterait à son acteur. Le comédien, il a un rôle et il est là pour ça ; il a une façon de jouer et le réalisateur ne va pas forcer le comédien à la changer. Je pense que c’est pareil pour un animal. L’animal, on le prend parce qu’il a son caractère, qu’il se différencie des autres. Je suis là pour capter. Je suis un grand voleur d’idées. Et un réalisateur a, selon moi, un peu ce côté-là.

Vous êtes-vous jamais senti en danger ?
Une seule fois. Alors que nous dormions sous la tente, j’ai entendu et senti le souffle de la mère ourse, tout près, sur la toile de la tente. Il aurait suffi d’un coup de patte, de griffe…

Comment, par exemple, survit-on pendant des mois sans sanitaires ? Comment se passent les nuits en hiver, l’approvisionnement en nourriture ? A partir de combien de degrés la technique commence à faillir ?
Les sanitaires, c’est important. Même si on est une équipe de garçons, à part mon assistante, c’est un problème au quotidien, surtout quand il fait très froid. C’est vrai que lorsqu’il fait – 30°/- 40°, la moindre petite envie devient cruciale, ça devient un gros problème. Il faut s’astreindre à ne pas boire de café et apprendre à se retenir. Pour la nourriture, on nous approvisionnait. Quant au matériel, des batteries qui tiennent normalement 1 heure, là, sous ces températures extrêmes, au bout de 10 minutes, il n’y avait plus de batterie. Il faut donc avoir de gros chargeurs et beaucoup de batteries. Pour ce qui est des écrans, on les a climatisés, c’est-à-dire qu’ils ont été mis d’abord en chambre froide pour les préparer. Je ne vous en dirai pas plus car je ne maîtrise pas bien cette partie technique.

Avez-vous filmé le même renne dans le rôle d’Aïlo du début jusqu’à la fin ? Vous dites dans le film que la moitié des rennes ne survivent pas à leur premier anniversaire. Avec tous ces prédateurs naturels, n’y avait-il pas un risque à parier au départ sur un seul renne ? Ou bien avez-vous joué un rôle de protecteur dans le processus du film ?
C’est un conte. Donc, on a eu des façons de travailler différentes de celles utilisées pour un documentaire. Dans le cas de figure d’un documentaire, je n’aurais pas pu faire ce film parce que j’aurais été obligé de filmer un grand nombre de rennes. C’est vrai qu’Aïlo aurait pu mourir très tôt, c’est pourquoi on a été obligés, du moins au départ, de filmer plusieurs petits rennes. C’était une obligation. Mais très vite, le choix d’Aïlo, notre petit renne, s’est imposé parce que, comme je le disais, il a un vrai caractère, il est tout de suite sorti du lot. Au départ, je voulais un renne tout blanc – une sorte d’idéal dans ma tête de Français – mais, en fait, il y a très peu de rennes blancs. Donc, par rapport à la couleur du pelage, on s’est retranchés sur des rennes marron. C’était tout aussi bien, car ils sont vraiment mignons, on dirait des petites peluches. Mais, au départ, forcément, on était obligés de filmer plusieurs rennes.

Aïlo4

Pour ce qui est des partenaires coproducteurs du film, comment convainc-t-on Gaumont de s’embarquer dans l’aventure et comment un producteur finlandais, Marko Röhr (MRP Mätila Röhr Prod.) s’est retrouvé associé au projet ?
On convainc Gaumont parce qu’il y a une histoire. Ils avaient vu mes précédents films qui étaient quand même assez mis en scène eux aussi, même si c’était étiqueté « documentaire ». Donc, on arrive avec une histoire. Je ne sais plus qui a dit ça, mais « un bon film, c’est une bonne histoire, une bonne histoire et encore une bonne histoire ». Si on avait dit à Gaumont qu’on allait faire un film sur les animaux en Laponie, ça n’aurait intéressé personne. Par contre, quand on leur dit qu’on va faire un film sur l’aventure d’un petit renne confronté aux épreuves de sa première année de vie, ils ont vu, tout d’un coup, que c’était une histoire avec un début, une fin, une narration particulière. J’ai vraiment construit ce film comme une fiction. C’est en ça qu’ils étaient intéressés. Quant à Marko Röhr, c’était parce qu’il avait fait « Tale of a Lake » et comme on cherchait un coproducteur nordique, c’est lui qui s’est imposé par rapport à son parcours et par rapport à sa sensibilité aussi. Je ne tenais pas à avoir un producteur juste pour les fonds qu’il pouvait apporter, je tenais à quelqu’un qui soit vraiment impliqué dans l’environnement, dans la nature, et il n’y en a pas beaucoup. Donc, Marko s’est imposé.

Combien avez-vous d’heures de rushes et comment s’est opérée la sélection ?
On a eu 600 heures de rushes. La sélection a été extrêmement compliquée. Pourquoi y a-t-il eu 600 heures de rushes ? Tout simplement parce que, quand je filme, je veux sentir le petit détail à l’image. Je veux me dire que ce regard-là m’intéresse, que cette attitude-là, ce petit mouvement de patte, il m’intéresse. Et tout ça implique qu’il faut beaucoup filmer. Je ne me suis pas contenté de faire un plan large, un plan serré, et puis de me dire que ça suffisait. Non. On a beaucoup filmé, de plein de façons différentes pour avoir justement ce petit détail qui fait qu’on rentre dans l’intimité de l’animal. Et le montage a été un moment à la fois jouissif et hyper compliqué parce qu’il faut passer 600 heures de rushes vraiment en un temps record par rapport au film, par rapport au temps qu’on a eu de tournage et de production. Mais je pense qu’on peut être hyper fiers – et c’est peut-être très prétentieux ce que je dis – mais, comparé à des documentaires plus classiques, je pense qu’ « Aïlo » est une sorte d’OVNI et moi, j’aime bien les OVNIs.

Le film est-il déjà vendu à l’étranger ? La sortie du film en Finlande est prévue le 21 décembre. Pourquoi le choix du mois de mars pour sa sortie en France ?
Le film est déjà vendu dans plus de trente pays. Quant à sa sortie en mars en France, je dirais qu’un conte, c’est universel, intemporel. Et on n’a pas filmé qu’à Noël, en hiver, on a filmé pendant toutes les saisons. La vérité aussi, c’est que, pour la période des fêtes, il y avait du lourd en face, de la concurrence, des gros blockbusters, et si on voulait se différencier et ne pas disparaître au bout de 15 jours, il fallait être stratège. Mais, en même temps, j’aurais aimé que « Aïlo » se confronte à « Superman ».

Hormis la promotion de « Aïlo, une odyssée en Laponie » en France et à l’étranger, travaillez-vous déjà à un autre projet de film ?
Oui, mais je ne peux pas en parler. Disons qu’il y aurait un projet de film potentiellement en Chine.

Propos recueillis par Aline Vannier-Sihvola
Helsinki, le 3 décembre 2018

FILMOGRAPHIE
J’ai marché sur la terre – Costa Rica (2014)
J’ai marché sur la terre – Inde (2015)
Le babouin qui voulait être roi (2015)
Une ferme sauvage (2016) – Green Award d’Or/Deauville (2016)
Vivre avec les loups (2016) – remporte le Prix de la protection des espèces animales ainsi que le Prix du meilleur montage au FIFA 2017 (Festival international du film animalier)
La bande originale du film, composée et interprétée par Julien Jaouen, est élue Meilleure bande originale de documentaire au Prix de la création musicale CSDEM (2017)
Aïlo, une odyssée en Laponie (2018)

POHJOLAN ENKELI de JEAN MICHEL ROUX nommé au GALA des JUSSI comme Meilleur film documentaire

POHJOLAN ENKELI / L’ANGE DU NORD, film documentaire en finnois du Français Jean Michel Roux, est nommé à la 71e cérémonie des Jussi (les César finlandais) dans la catégorie Meilleur film documentaire. Les prix seront décernés lors de la soirée de Gala des Jussi qui se déroulera le 23 mars 2018.

Ange blessé

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