Hiver 2022-2023 – Frissonner au chaud dans les salles obscures de la cinémathèque KINO REGINA

Les films français en programmation pour la saison hiver 2022-2023

kino regina
kino regina 1

Bibliothèque Oodi / Keskustakirjasto Oodi
Töölönlahdenkatu 4 – Helsinki

KINO REGINA – 251 places face à un écran géant de 11 mètres – a réouvert ses portes dans l’enceinte de la bibliothèque OODI, élue meilleure bibliothèque au monde en 2019. La cinémathèque offre en cette fin d’année 2022 et début 2023 une programmation riche de films aux registres variés, dont une sélection des meilleurs films français.

KINO REGINA continue de rendre hommage cet hiver au scénariste et réalisateur français Jean Renoir, considéré à la veille de la Seconde Guerre mondiale comme l’un des plus grands cinéastes français, avec neuf films supplémentaires (qui font suite à la dizaine déjà programmés cet automne), dont quatre en langue anglaise réalisés à Hollywood du fait de son exil aux Etats-Unis pendant la guerre.

RÉTROSPECTIVE JEAN RENOIR

LA RÈGLE DU JEU / PELIN SÄÄNNÖT
France (1939), 107 min
Le 02.12. à 17 h 00
Le 04.12. à 15 h 30

THIS LAND IS MINE / TÄMÄ MAA ON MINUN
Etats-Unis (1943), 103 min
Le 06.12. à 13 h 00
Le 09.12. à 17 h 00

THE SOUTHERNER / ETELÄN MIES
Etats-Unis (1945), 91 min
Le 13.12. à 18 h 50
Le 17.12. à 14 h 00

THE DIARY OF A CHAMBERMAID / KOTIAPULAISEN PÄIVÄKIRJA
Etats-Unis (1946), 86 min
Le 19.12. à 17 h 00
Le 23.12. à 15 h 00

THE RIVER / JOKI
Inde / Etats-Unis (1951), 98 min
Le 27.12. à 19 h 00
Le 30.12. à 17 h 00

LE CARROSSE D’OR / KULTAISET VAUNUT
France / Italie (1952), 98 min
Le 02.01. à 17 h 00
Le 06.01. à 13 h 00

FRENCH CANCAN / RANSKALAINEN CANCAN
France / Italie (1954), 102 min
Le 10.01. à 17 h 00
Le 13.01. à 19 h 00

ELENA ET LES HOMMES / ELENA JA MIEHET
France / Italie (1956), 87 min
Le 17.01. à 19 h 10

LE DÉJEUNER SUR L’HERBE / AAMIAINEN RUOHIKOLLA
France (1959), 92 min
Le 24.01. à 19 h 00
Le 28.01. à 14 h 00

________________________________________________________________
À NE PAS MANQUER ÉGALEMENT :

MURIEL, OU LE TEMPS D’UN RETOUR
Alain Resnais
France / Italie (1963), 112 min
Le 19.12. à 20 h 50
Le 10.02. à 16 h 45

L’ARMÉE DES OMBRES / TUNTEMATTOMAT SANKARIT
Jean-Pierre Melville

France / Italie (1969), 145 min
Le 20.01. à 19 h 30
Le 21.01. à 18 h 30

VIVRE SA VIE / ELÄÄ ELÄMÄÄNSÄ
Jean-Luc Godard

France (1962), 82 min
Le 31.01. à 17 h 00

L’IMPORTANT C’EST D’AIMER / TÄRKEINTÄ ON RAKASTAA
Andrzej Zulawski

France / Italie / Royaume-Uni (1974), 110 min

COSMOS
Andrzej Zulawski
France / Portugal (2015), 103 min
Le 08.02. à 19 h 40
Le 12.02. à 17 h 15

Retrouver toute la programmation : http://www.kinoregina.fi

FESTIVAL LOUD SILENTS à la cinémathèque KINO REGINA – 14-16.10.2022

CINÉ-CONCERTS EXCEPTIONNELS

Vendredi 14 octobre à 20 h 15
LE SANG D’UN POÈTE / RUNOILIJAN VERI (1930)
Jean Cocteau
Avec Lee Miller, Enrique Rivero, Pauline Carton
France – 53 min
Intertitres français, sous-titres anglais et finnois
Mis en musique par le trio jazz-rock lituanien SHEEP GOT WAXED

Samedi 15 octobre à 19 h 30
DANS LA NUIT (1929)
Charles Vanel
Avec Charles Vanel, Sandra Milovanoff
France – 90 min
Intertitres français, sous-titres anglais
Accompagné par le légendaire groupe finlandais CLEANING WOMEN

Consulter l’ensemble de la programmation sur kinoregina.fi

Rentrée d’automne de la cinémathèque KINO REGINA

Les films français en programmation pour la saison automne-hiver 2022

kino regina
kino regina 1

Bibliothèque Oodi / Keskustakirjasto Oodi
Töölönlahdenkatu 4 – Helsinki

KINO REGINA – 251 places face à un écran géant de 11 mètres – a réouvert ses portes dans l’enceinte de la bibliothèque OODI, élue meilleure bibliothèque au monde en 2019. La cinémathèque offre en ce début d’automne 2022 une programmation riche de films aux registres variés, dont une sélection des meilleurs films français.

KINO REGINA rend hommage cet automne à l’un des plus grands cinéastes de tous les temps, le scénariste et réalisateur français Jean Renoir, avec la programmation de dix de ses meilleurs films.

RÉTROSPECTIVE JEAN RENOIR

LA GRANDE ILLUSION / SUURI ILLUUSIO
France (1937), 117 min
Le 07.09. à 19 h 00
Le 10.09. à 15 h 50

LA CHIENNE / YÖPERHONEN
France (1931), 100 min
Le 27.09. à 19 h 10
Le 01.10. à 14 h 00

LA NUIT DU CARREFOUR / TIENRISTEYKSEN YÖ
France (1932), 75 min
Le 11.10. à 17 h 00
Le 20.10. à 20 h 45

BOUDU SAUVÉ DES EAUX / BOUDU ELI MITEN VÄTTYÄ HUKKUMASTA
France (1932), 84 min
Le 18.10. à 17 h 00
Le 22.10. à 15 h 45

TONI
France (1935), 84 min
Le 26.10. à 19 h 05
Le 29.10. à 14 h 00

LE CRIME DE MONSIEUR LANGE / HERRA LANGEN RIKOS
France (1935), 79 min
PARTIE DE CAMPAGNE / VIRTA
France (1936), 41 min
Le 03.11. à 18 h 30
Le 06.11. à 15 h 30

LES BAS-FONDS / POHJALLA
France ( 1936), 92 min
Le 09.11. à 19 h 35
Le 12.11. à 16 h 00

LA MARSEILLAISE / MARSELJEESI
France (1938), 138 min
Le 18.11. à 19 h 00
Le 20.11. à 16 h 00

LA BÊTE HUMAINE / IHMISPETO
France (1938), 100 min
Le 24.11. à 17 h 00
Le 27.11. à 15 h 45

________________________________________________________________
À NE PAS MANQUER ÉGALEMENT :

LES GLANEURS ET LA GLANEUSE / ELÄMÄ ON KAUNIS
Agnès Varda
France (2000), 82 min
Le 15.09. à 19 h 05

Le film du mois
TITANE
Julie Ducournau

France / Belgique (2021), 108 min
Le 14.09. à 21 h 05
Le 28.09. à 19 h 00

GRAVE / RAW
Julie Ducournau

France / Belgique / Italie (2016), 99 min
Le 04.10. à 20 h 15
Le 07.10. à 20 h 45

____________________________________________________________________

Dans le cadre du Festival LOUD SILENTS
14–16 octobre

LE VOYAGE DANS LA LUNE / MATKA KUUHUN
Georges Méliès

France (1902), 14 min
Il y a 120 ans, l’enchanteur Méliès nous offrait la lune !
Le Festival en proposera une projection dans sa version restaurée et colorisée.

___________________________________________________________________________

Dans la série HISTOIRE DU CINÉMA MONDIAL,
deux ciné-concerts :

ALICE GUY (1896-1907)
Courts métrages réalisés entre 1896 et 1907.
Ciné-concert le 01.11. à 17 h 00

GEORGES MÉLIÈS
Le voyage de Gulliver (1902), Quat’cents farces diable (1906), Le chaudron infernal (1903), Le royaume des fées (1903), Le voyage dans la lune (1902)
France (1902-1906), 53 min
Ciné-concert le 08.11. à 17 h 00

Retrouver toute la programmation : http://www.kinoregina.fi

LA CINÉMATHÈQUE KINO REGINA fait sa rentrée estivale dès ce week-end !

Les films français en programmation pour la saison estivale 2022

kino regina
kino regina 1

Bibliothèque Oodi / Keskustakirjasto Oodi
Töölönlahdenkatu 4 – Helsinki

KINO REGINA comporte 251 places qui font face à un grand écran de 11 mètres. Dans les conditions actuelles, la salle est actuellement ouverte en entier, à 100% de sa capacité par séance.
KINO REGINA a réouvert ses portes dans l’enceinte de la bibliothèque OODI, élue meilleure bibliothèque au monde en 2019. La cinémathèque offre en ce début d’été 2022 une programmation riche de films aux registres variés, dont une sélection des meilleurs films français.

KINO REGINA met cet automne à l’honneur l’acteur français Jean-Pierre Léaud dès ce premier week-end de juin (4-5.06.) dans le rôle d’Antoine Doinel, personnage de fiction cinématographique dans cinq films écrits et réalisés par François Truffaut. Le personnage d’Antoine Doinel apparaît, adolescent, dans Les Quatre Cents Coups, puis grandit, découvre les affres de l’amour, se marie et divorce.

RÉTROSPECTIVE JEAN-PIERRE LÉAUD

LES QUATRE CENTS COUPS / 400 REPOSTA
François Truffaut

France (1959), 98 min
Le 04.06. à 14 h 00
Le 08.06. à 19.00

BAISERS VOLÉS / VARASTETTUJA SUUDELMIA
L’AMOUR À VINGT ANS / ANTOINE ET COLETTE
François Truffaut

France (1968) – France (1962)
Le 04.06 à 15 h 50
Le 15.06. à 19 h 00

DOMICILE CONJUGAL / NUORI PARI
Francois Truffaut

France / Italie (1970), 97 min
Le 05.06. à 17 h 30
Le 20.06. à 16 h 30

L’AMOUR EN FUITE / RAKKAUS KARKUTEILLÄ
François Truffaut

France (1979), 94 min
Le 05.06. à 19 h 30
Le 28.06. à 17 h 00

MASCULIN, FÉMININ / MASKULIINI FEMINIINI
Jean-Luc Godard

France / Suède (1966), 105 min
Le 07.07. à 19 h 00
Le 09.07. à 14 h 00

LE DÉPART / LÄHTÖ
Jerzy Skolimowski

Belgique ( 1967), 93 min
Le 12.07. à 19 h 15
Le 15.07. à 17 h 00

PORCILE / SIKOLÄTTI
Pier Paolo Pasolini

Italie / France (1969), 97 min
Le 19.07. à 19 h 00
Le 21.07. à 21 h 00

LA MAMAN ET LA PUTAIN / ÄITI JA HUORA
Jean Eustache

France (1973), 215 min
Le 31.07. à 16 h 30

I HIRED A CONTRACT KILLER
Aki Kaurismäki

Finlande / Suède (1990), 78 min
Le 09.08. à 17 h 00

IRMA VEP
Olivier Assayas

France (1996), 98 min
Le 16.08. à 19 h 10
Le 19.08. à 16 h 45

LE PORNOGRAPHE
Bertrand Bonello

France / Canada (2001), 108 min
Le 23.08. à 17 h 00
Le 30.08. à 19 h 00

LA MORT DE LOUIS XIV
Albert Serra

France 7 Espagne / Portugal (2016), 115 min
Le 31.08. à 16 h 30
Le 04.09. à 16 h 05

____________________________________________________________________

Dans la série IL Y A 50 ANS : l’année 1972

UN FLIC / YÖN SUDET
Jean-Pierre Melville

France / Italie (1972), 99 min
Le 11.06. à 16 h 15

L’AMOUR L’APRÈS-MIDI / RAKKAUS ILTÄPÄIVÄLLÄ
Eric Rohmer

France (1972), 97 min
Le 07.07. à 21 h 05
Le 12.06. à 14 h 00

ETAT DE SIÈGE / HÄLYTYSTILA
Constantin Costa-Gavras

France / Italie / RFA (1972), 121 min
Le 02.08. à 18 h 30
Le 07.08. à 14 h 00

_______________________________________________________

Dans la série LES PÉPITES DE SODANKYLÄ : Le voyage à travers un film

COPIE CONFORME / ILTÄPÄIVÄ TOSCANASSA
Abbas Kiarostami

France / Italie / Belgique (2010), 108 min
Le 16.07. à 18 h 00
Le 21.07. à 19 h 00

SANS TOIT NI LOI / KUIN TAIVAAN LINTU
Agnès Varda

France (1985), 104 min
Le 02.08. à 16 h 30
Le 05.08. à 16 h 45

________________________________________________
Ne pas manquer également dans la série DOUBLE BILL :

CLOUDS OF SILS MARIA
Olivier Assayas

France / Suisse / Allemagne (2014), 123 min
Le 08.07. à 18 h 50

Retrouver toute la programmation : http://www.kinoregina.fi

Coup de projecteur sur OUSMANE SEMBÈNE avec la projection de « Moolaadé » ce jour, mardi 26 avril, à 17 h 00 – Cinémathèque KINO REGINA

A l’occasion de la projection ce jour, mardi 26 avril, à 17 h 00, à la cinémathèque Kino Regina de « Moolaadé », dernier opus du réalisateur sénégalais Ousmane Sembène (disparu en juin 2007), lire ou relire un entretien réalisé en avril 2006 avec celui que l’on considérait comme « le père du cinéma africain ».

« Moolaadé », point d’orgue de l’oeuvre d’Ousmane Sembène, est un véritable plaidoyer contre l’excision féminine. Mais au-delà de la dénonciation de cette pratique, c’est aussi une plongée dans les traditions et le quotidien africains. Un récit riche et puissant qui allie la fable et le combat politique.

Ousmane Sembène, homme de convictions, que l’on nommait aussi « l’Aîné des Anciens », a mené les combats essentiels de son temps et considéré comme une question importante la place de la femme dans la société africaine. « Le père du cinéma africain » a, jusqu’à pratiquement la fin de sa vie, sillonné son pays, le Sénégal, de village en village, pour dialoguer avec son peuple à travers le cinéma.

___________________________________________

Ousmane Sembène, écrivain et cinéaste sénégalais, est un conteur… mais un conteur d’histoires pas comme les autres. Témoin de son temps, le « père du cinéma africain » signe une oeuvre post-coloniale et sociale militante qui donne corps à l’histoire du peuple africain et lui permet d’aller à la rencontre de son image. Cinéaste politiquement et socialement engagé, il dénonce depuis plus de cinquante ans, non sans humour mais avec lucidité et sans concession aucune, la colonisation, la corruption des gouvernements africains, la cupidité et la vanité des hommes, les religions catholique et musulmane, l’armée française, la duperie de l’aide internationale, les inégalités sociales, l’excision, etc. Infatigable, il continue de revendiquer un cinéma militant et sillonne, aujourd’hui encore, le continent africain, de village en village, pour dialoguer avec « son » peuple. Pour lui, seuls les insoumis, femmes en tête, portent l’avenir de l’Afrique. Dans son triptyque intitulé « L’héroïsme au quotidien », il rend hommage dans ses derniers films aux femmes africaines avec Faat Kiné (2000) et Moolaadé, véritable plaidoyer contre l’excision, récompensé par le prix « Un certain regard » au Festival de Cannes 2004.
De passage le mois dernier à Helsinki pour une rétrospective de ses films à la cinémathèque Orion, nous avons rencontré celui qu’on surnomme en Afrique « l’Aîné des Anciens ».

Qu’est-ce qui a fait qu’un jour l’écrivain que vous êtes a choisi de s’exprimer avec une caméra ?
Le cinéma est tout simplement plus accessible, plus direct. Il me permet de prendre un raccourci pour mieux parler à mon peuple. En fait, quand j’ai constaté que la littérature, que je préfère personnellement au cinéma, ne me permettait pas de toucher un public nombreux, j’ai décidé d’aller apprendre le cinéma (Il part étudier le 7e art à Moscou, en 1961 – N.D.L.R.). J’écrivais alors des livres dans une langue qui n’était pas mienne, et la majorité des gens auxquels je m’adressais étaient des analphabètes en français. De toute façon, le problème aurait été le même en arabe. Par contre, j’ai constaté qu’avec le cinéma je pouvais faire parler les acteurs dans leur langue et rester authentique. Les films m’ont permis de circuler à travers le continent et de dialoguer avec tout le monde. En ce sens, le visuel, l’oralité l’emportent quand même sur le littéraire. C’est aussi simple que ça. Ceci dit, cela ne m’empêche pas de continuer à écrire.

Les personnages féminins ont évolué tout au long de vos films. La femme africaine dominée et, d’une certaine façon, soumise dans La Noire de… prend quarante ans plus tard son destin en main dans Faat Kiné et relève la tête pour résister à tout un village dans Moolaadé. Est-ce à dire que le long processus d’émancipation de la femme est désormais en bonne voie et irréversible ?
Vous dites que la femme noire était soumise. C’est l’analyse que les ethnologues ont donnée par rapport à leur propre société. Dans la civilisation rurale africaine, il y avait deux pouvoirs : le domaine des femmes et le domaine des hommes. Il est vrai que dans tous les pays, ce sont les hommes qui décident de la guerre et qui la font. Mais lorsqu’ils font la guerre, qui décide, qui dirige à l’arrière ? Ce sont les femmes. Et les femmes ne sont pas soumises. Elles ont cette force, je ne dirais pas d’inertie, cette force intérieure qui laisse à l’homme l’illusion que c’est lui qui décide. Mais dans toutes les maisons, quel que soit le rôle de l’homme, que ce soit un grand marabout, un grand chef, il y a, derrière, la puissance des femmes. Ce que femme veut, Dieu le veut, dit-on. Et quand la femme dit non, je vous assure, que ce soit en Afrique ou ici, les hommes suivent. Actuellement, il y a au Kenya un petit village que j’ai visité et qui n’est habité que par des femmes qui se sont rebellées contre toute forme d’oppression. Elles ont constitué leur village et se retrouvent là pour se libérer des hommes. Elles n’ont pas de chef, elles sont collégiales… mais les hommes n’y sont pas autorisés. Dès que ce groupement de femmes s’est constitué, les hommes se sont retrouvés esseulés, abandonnés. Les femmes ont fait alors quelque chose de magnifique : comme elles ne peuvent pas vivre sans homme, chacune est libre d’aller trouver son homme ailleurs, de faire ce qu’elle a envie de faire, et puis de revenir. Quand on voit ça, on se rend compte qu’on a là une société complètement différente de la société chrétienne ou même de la société asiatique. La femme africaine, je vous assure, a toujours été libre.

Dans le 2e volet de votre trilogie sur l’émancipation de la femme africaine, Moolaadé, vous abordez le sujet de l’excision. Pourquoi avoir attendu si longtemps pour en parler ?
Mais l’évolution ne peut pas se décider du jour au lendemain ! On en parlait déjà, même si ce n’était pas si populaire. Moi-même, dans mon premier livre, « O Pays, mon beau peuple ! », déjà j’en parlais. Ça existait. Mais les choses ne viennent pas aussi vite que vous le souhaitez, vous, en Europe… Et votre révolution sociale, pourquoi vous ne l’avez pas finie ? Pourtant ce n’est pas faute de guerres, de grèves, de mouvements ! Toujours est-il que vous n’avez pas achevé votre révolution sociale. En apparence, vous avez une démocratie, c’est tout. Depuis quand, en Finlande, la femme a le droit de vote ? Cela fait plus de cent ans. Et c’est la première fois que vous avez une femme présidente. Donc, il a fallu 100 ans, près de 100 ans. Mais est-ce que maintenant le fait d’avoir une femme présidente a amélioré les conditions sociales ou non ? Voilà la question.

Etes-vous un des rares cinéastes africains à vous ériger contre l’excision, ou bien est-ce que vous êtes suivi par plusieurs autres ?
Nous sommes nombreux. Il y a des femmes cinéastes qui défendent cette position, qui luttent contre l’excision. L’une d’entre elles a même été arrêtée il y a quelques années. Nous nous sommes battus pour qu’on la libère. En fait, nous menons de l’intérieur un combat qui n’est pas connu de la presse ou des médias de l’Occident, mais nous menons notre petit combat. Je suis content que Moolaadé ait été bien reçu en Europe, qu’on comprenne qu’il y a en Afrique des groupements féminins et des hommes qui luttent contre cette situation. Mais, pour moi, Moolaadé est un outil de travail pour réveiller les consciences. Je fais des projections foraines dans les villages qui sont suivies de discussions avec les femmes. Cela soulève souvent des débats passionnés. Les femmes comparent leur situation à ce qu’elles ont vu dans le film. Faut-il ou non abandonner l’excision ? Ce ne sont pas des suffragettes, elles veulent seulement élargir leur base de liberté.

Quelles sont les réactions des hommes à vos films quand vous leur faites perdre la face, vous vous moquez d’eux ?
Mais je ne me moque pas des hommes. Les préjugés que les hommes avaient, à savoir qu’ils sont les maîtres, les seuls détenteurs du savoir, les seuls à pouvoir diriger, se trouvent de nos jours confrontés à autre chose. Les femmes ont été à l’école avec les hommes, ont les mêmes valeurs, ont des responsabilités comparables à celles des hommes. Bien sûr, pour quelques hommes attardés, mes films font mal. Mais, sinon, les hommes, en général, réagissent plutôt bien. Il y a certaines vérités qu’on n’aime pas dire en société, mais quand c’est devenu public, on en rit.

D’où vous vient qu’en tant qu’homme, et à fortiori en tant qu’Africain, vous n’hésitez pas à prendre le parti de la femme ?
Notre société, la société africaine est plus féminine que masculine. Défendre la femme, protéger la femme, c’est protéger le substrat culturel d’une société comme l’Afrique.

Les femmes sont-elles, selon vous, l’avenir de l’Afrique ?
Mais c’est la conviction du quotidien… ce que j’appelle « l’héroïsme au quotidien ». Les femmes africaines ont subi beaucoup plus les méfaits de l’esclavage, de la colonisation, du néo-colonialisme et de la main-mise des hommes, sans compter le poids des religions. Ce sont elles-mêmes qui se révoltent. Ce n’est pas qu’elles sont femmes, mais elles sont capables de nous montrer autre chose de plus paisible, de plus sociable. Le monde n’a rien d’autre que ça, la sociabilité. Dans les villes, que ce soit à Dakar, Bamako, Abidjan, Cotonou, Libreville, il y a combien de familles, de sociétés dirigées par les femmes qui, aujourd’hui, les nourrissent, les gèrent. Ce n’est plus l’Afrique rurale. Il faut faire la part des choses. Autrefois, il y avait l’Afrique médiévale rurale où on était dans les champs ; aujourd’hui, nous sommes dans les villes où la seule valeur, c’est l’argent. Et ces femmes travaillent, nourrissent leurs enfants, les amènent à l’école, les soignent.

Après Faat Kiné et Moolaadé, que pouvez-vous nous dire du troisième volet de votre triptyque « Héroïnes au quotidien » ?
On ne peut rien dire, il faut le faire d’abord… Je viens de finir l’écriture, et je suis en train de revoir. Voilà.

En dépit de tous les maux qu’inlassablement vous dénoncez, sans ménagement mais avec lucidité, vous ne décrivez pas un monde manichéen ; il y a même beaucoup d’humour dans vos films. Qu’est-ce qui vous permet cette distance ?
Mais c’est ma société. Je la connais. Nous avons beaucoup de misère, mais nous avons le sens de l’humour le plus aigu, même à notre détriment. Ce n’est pas une faiblesse, c’est une force. Nous rions de nous-mêmes. Ça aussi, c’est notre culture. Imaginez la misère qu’il y a en Afrique : si les Africains, avec cette misère, ces maladies devenaient tristes, mais ce serait la fin de tous les peuples africains. Quand on prend, par exemple, les guerres qu’il y a en Afrique, les tueries, quand on regarde les réfugiés, la majorité d’entre eux sont des femmes. Mais où sont les hommes, comme moi ? Est-ce que dans ces cas-là l’homme a la dignité de dire « Je suis un homme », lui qui fuit, qui se cache pendant que la mère et les enfants sont en train de souffrir ? Et ça, j’ai le droit de le dire à mon peuple. Vous savez que les chefs d’Etat africains, avec leur armée, en 50 ans d’indépendance, ont plus tué d’Africains que 100 ans de colonisation. Mais il faut que je le dise… et nous devons le savoir.

Est-ce que le cinéma est vraiment accessible à tous dans les pays africains ?
Le cinéma est très accessible. Moi, je me dis toujours que le cinéma n’a pas été inventé par nous mais a été fait pour nous. Car il rejoint ici une vieille tradition que toutes les sociétés ont eue, à un moment donné, avant l’écriture : l’oralité. Quand je présente Moolaadé ou Faat Kiné aux femmes, je vous assure que, moi, j’apprends. Une femme m’a dit après la projection de Faat Kiné, et c’était en public : « C’est bien ce que vous avez fait, mais vous êtes en dessous de la vérité. » Mais au-delà, on m’aurait censuré. Il y a toutefois des Etats africains qui n’ont pas interdit le film mais qui ne peuvent pas le projeter à cause d’une pression de la féodalité africaine. Du fait qu’on donne la parole aux femmes, et qu’elles ont beaucoup à dire sur la société, sur les hommes qui les dirigent, ce film ne peut pas être vu dans tel ou tel endroit, mais le film n’est pas officiellement interdit. Ces projections foraines dans les villages sont très intéressantes. C’est agréable parce qu’il n’y a aucun profit. Ça ne paye parfois même pas l’essence, mais vous participez à quelque chose. Il n’y a pas de salle de cinéma, car il n’y a même pas d’électricité. En Afrique, nous avons beaucoup de problèmes d’eau et d’électricité. Le développement est là, mais quel développement ? L’économie libérale n’est pas une bonne économie. Tout le monde a entendu parler de coton, le produit du coton. Ce n’est pas seulement le coton, mais il faut le transformer sur place. Nous avons actuellement, et ce qui est encore plus grave, la friperie. Des ONG – des organisations non gouvernementales – s’occupent de la vente de friperie en Afrique. Des haillons européens qu’on vient nous vendre, et des Européens qui surveillent cela ! Et alors, où est la dignité de ceux qui nous gouvernent, où est l’orgueil de la mère, où est la fierté de l’oncle ? Voilà la question que je dois poser à ma société. Je ne la pose pas pour faire plaisir à l’Europe, je la pose pour ma société, pour moi-même.

Comment financez-vous vos films ? Bénéficiez-vous d’une aide de l’Etat ?
Nous en avons parfois dans les accords que nous avons avec l’Union européenne. L’UE ne finance pas à 100 %, elle participe. Nous essayons aussi de trouver d’autres partenaires en Amérique ou sur place. J’ai beaucoup travaillé avec le Maroc. Maintenant, nous allons peut-être davantage collaborer avec l’Afrique du Sud.

Existe-il une coopération francophone au niveau du cinéma ?
Oui, nous sommes obligés. Nous sommes presque une « mafia ». Nous essayons de nous soutenir. Par exemple, le film Moolaadé, je l’ai tourné dans un petit village du Burkina Faso, avec des acteurs maliens, ivoiriens, béninois et burkinabais ; des techniciens béninois, sénégalais et burkinabais, ainsi que des Français. Nous sommes obligés de collaborer. Prochainement, il y aura une grande réunion de tous les cinéastes africains – plus de 250 – en Afrique du Sud, à Pretoria. Vous voyez, nous sommes obligés de nous connaître. Nous sommes 800 millions d’habitants, mais nous ne sommes que 250 cinéastes et techniciens. Ce n’est pas beaucoup.

Estimez-vous que le jeune cinéma africain est prêt à assurer la relève et à s’engager dans les traces de ses aînés ?
Je ne sais pas, mais ils font de leur mieux. Le problème vraiment, ce n’est pas une baguette magique. C’est un engagement individuel, et dans le lot, il y en a beaucoup qui essaient. Les outils de tournage et supports de diffusion dont on dispose aujourd’hui sont nombreux : il y a les Super 8, les DVD. On peut utiliser tout ce qu’il y a. Tout moyen de communication est bon.

Quel message auriez-vous à faire passer aux jeunes générations de cinéastes ?
Ne pas oublier le passé, mais s’ouvrir aux autres. Le problème qui se pose aux jeunes cinéastes africains se pose de la même façon aux cinéastes européens. Si ces derniers ne sont pas dans de grandes compagnies de majors qui décident, ils ne font pas de films, ou alors des films très limités. Dans le cinéma, c’est le marché américain maintenant qui contrôle. Quel que soit le cinéaste, il faut faire de l’argent. Moi, je dis : il ne faut pas en perdre, mais il faut faire des films qui s’intéressent à votre société. La société et la communauté. Ça mettra du temps, mais les gens vont regarder les films. C’est pourquoi il y a des DVD. Je n’ai jamais vu autant de diffusion en Afrique que maintenant. Je peux dire que dans beaucoup de villes, dans chaque maison, il y a mes coffrets. Les gens ont beaucoup plus de coffrets de DVD que de livres ! Et ça c’est intéressant. C’est aussi une façon de susciter une prise de conscience, de leur faire comprendre que notre avenir est entre nos mains, car ce n’est ni l’Europe, ni l’Amérique, ni la Chine qui feront de nous des hommes, mais c’est nous-mêmes. Voilà l’important. Il n’y a rien d’autre, rien d’extraordinaire, rien d’autre.

Propos recueillis par Aline Vannier-Sihvola
A Helsinki, avril 2006

Coup de projecteur sur ANNE WIAZEMSKY dans « Au hasard Balthazar » de Robert BRESSON à la cinémathèque KINO REGINA

Retrouver ce printemps ANNE WIAZEMSKY dans « Au hasard Balthazar » de Robert Bresson réalisé en 1966, film qui raconte les tribulations d’un âne dans les Pyrénées des années 1960 et qui, à travers lui, dépeint les travers et les drames humains.

KINO REGINA – Oodi
Au hasard Balthazar (1966), 96 min
Film de Robert Bresson
Avec Anne Wiazemsky, François Lafarge
Mercredi 04.05. à 19 h 20

Lire également ci-dessous un entretien avec Anne Wiazemsky réalisé en octobre 2010 dans lequel elle explique les raisons pour lesquelles elle a voulu, quarante ans après le tournage de « Au hasard Balthazar », raconter dans son livre « Jeune fille » cette histoire inspirée de sa première expérience cinématographique.

_______________________________________________

ENTRETIEN AVEC ANNE WIAZEMSKY

Anne Wiazemsky, écrivain, comédienne et réalisatrice, était attendue au Xe Salon du livre de Helsinki (28-31.10.2010) – point d’orgue de « Un Automne français » –, à l’occasion de la traduction en finnois de ses deux derniers livres « Jeune fille » et « Mon enfant de Berlin », respectivement « Nuori tyttö » et «Berliinin lapseni » (Artemisia edizioni). Par ailleurs, trois films dans lesquels elle a tourné sont inscrits au programme de la Cinémathèque Orion jusqu’à mi-novembre (voir détails du programme dans «Cinémathèque »). Malheureusement, en raison de grèves des transports aériens en France, Anne Wiazemsky n’a pu arriver jusqu’à Helsinki et participer au Salon du livre. Toutefois, elle a bien voulu accorder cette interview par téléphone.

Qu’est-ce qui vous a donné envie, quarante ans après le tournage de « Au hasard Balthazar » et la rencontre avec Robert Bresson, de raconter dans votre livre « Jeune fille » cette histoire inspirée de votre première expérience cinématographique ?
Eh bien, je pense que c’est parce que tant de temps a passé que cela redevient possible, que cela devient comme un roman justement, qu’en s’éloignant de ce temps-là on a envie de regarder en arrière. Ce n’est pas un livre que je pouvais écrire plus tôt. Et, sans doute, fallait-il aussi que Bresson meure… Il est mort en 1999, et il m’a donc fallu quelques années et deux livres entre pour que je m’y mette… Vous voyez, c’était le temps nécessaire jusqu’à la sortie du livre en 2007.

Vous avez, semble-t-il, suivi les conseils de votre grand-père, François Mauriac, et tenu un journal pendant toute la durée de ce tournage. Dans quelle mesure ce journal vous a aidée à écrire le livre ?
Il ne m’a pas aidée une seconde parce que j’avais pris comme règle du jeu de ne pas le regarder avant d’avoir terminé le livre de manière à laisser justement l’imagination complètement libre. J’ai donc respecté cette règle que je m’étais donnée à moi-même, et quand je l’ai relu, le livre terminé, j’ai vu que, d’abord, c’était beaucoup moins intéressant que le livre et, ensuite, à part quelques anecdotes en plus qui ne méritaient pas grand-chose, il y avait, par exemple, des choses sur lesquelles je m’étais complètement trompée : dans mon souvenir, c’est un moment tellement heureux de ma vie que j’ai l’impression qu’il faisait beau sans arrêt, que c’était un superbe été, or c’est un été où il a plu tout le temps. Et donc j’ai trouvé totalement inutile de tout réécrire sous la pluie. Le journal ne m’a, en fait, pas du tout aidée. Mais peut-être que de me dire qu’il était là était une sécurité…

En tout cas, vous avez tout de même gardé, après tant d’années, des souvenirs bien précis.
Au contraire… oui, et puis surtout la mémoire est une très bonne romancière. Il y a une phrase de Bresson que j’ai appliquée à la lettre. C’est une phrase très énigmatique – mais moi je la comprends – qui dit, en parlant à un de ses modèles, à un de ses interprètes : « Je vous invente, mais je vous invente tel que vous êtes. » Et voilà, j’ai fait la même chose avec lui.

S’il n’y avait pas eu cette rencontre de hasard – quelque peu programmée – avec Robert Bresson et ce tournage si particulier qui a déterminé le cours de votre vie, pensez-vous que, déjà à cette époque, vous étiez prédestinée à l’écriture ?
Non, je ne pensais rien. Je me demandais avec angoisse, comme beaucoup d’adolescents, ce que j’allais faire dans la vie.
Dans quelle mesure votre grand-père, François Mauriac, a-t-il influé sur le choix de l’écriture ?
Il n’a pas influé du tout. Je pense qu’à cause de lui, à cause des écrivains dans ma famille, j’ai attendu très, très tard pour écrire, et il a fallu que je me fasse toute une vie d’abord pour oser me dire que j’avais envie d’écrire.

Robert Bresson aurait voulu que vous incarniez la Reine Guenièvre dans « Lancelot du lac » et que vous ne tourniez avec aucun autre cinéaste. Un an après « Au hasard Balthazar », on vous retrouvait dans « La Chinoise » de Jean-Luc Godard, film dans lequel vous teniez le premier rôle. Redoutiez-vous, malgré votre respect et votre admiration pour Robert Bresson, son emprise sur un autre tournage ?
Non, je ne redoutais rien du tout. Robert Bresson voulait une exclusivité de tournage avec moi, c’est vrai, mais c’était également le cas avec tous ses interprètes.

Comment la « jeune fille » de bonne famille se retrouve, un an après le tournage de « Au hasard Balthazar » et un an avant Mai-68, à décliner le marxisme-léninisme sous toutes ses formes dans « La Chinoise » de Jean-Luc Godard ?
L’origine, si vous voulez, c’est que je me suis retrouvée, en 1967, en première année de licence de philo à Nanterre et que, quelques mois auparavant, j’avais rencontré Jean-Luc [Godard]. On voulait vivre ensemble, et il souhaitait faire un film avec moi. Un an avant les événements de Mai-68, j’étais donc à Nanterre, un an avant je faisais la connaissance de Daniel Cohn-Bendit – leader, à ce moment-là, d’un groupe qui signait Les anarchistes –, mais je n’ai absolument pas compris ce qu’il allait se passer un an après. Là j’ai manqué de flair… complètement.

Vous avez également tourné avec Philippe Garrel dans « L’enfant secret » et Pier Paolo Pasolini dans « Théorème ». Quels souvenirs gardez-vous de ces metteurs en scène, de ces tournages ?
Oh la la… c’est 600 pages ! Je considère avoir fait avec eux deux grands films, j’ai aimé les faire, et je sais qu’ils vont vivre encore longtemps, ce qui est assez agréable.

Vous êtes aujourd’hui passée derrière la caméra et après deux documentaires, « Les anges 1943, histoire d’un film » (2003) et « Mag Bodard, un destin » (2005), vous en réalisez un troisième sur Nicole Garcia. Qu’est-ce qui vous a décidée, tout d’abord, à faire des films et qu’est-ce qui a déterminé le sujet de ces trois documentaires ?
Pour ce qui est du documentaire sur Nicole Garcia, c’est un documentaire qui effectivement a été fait, qui était très bien mais qui ne lui a pas plu. Alors elle l’a refait à sa façon… mais il y a déjà de ça un an et demi. C’est une très mauvaise histoire, mais lointaine. Les deux premiers sont vraiment de moi d’un bout à l’autre. Le Bresson, au départ, c’est une productrice qui est venue me chercher. J’ai beaucoup hésité, puis j’ai accepté son offre. En faisant ce film, j’ai adoré ça, et j’ai donc proposé un autre sujet, à savoir Mag Bodard. Mag Bodard est une très, très grande productrice qui a toujours souhaité être dans l’ombre et qui, entre autres, a produit « Au hasard Balthazar », « La Chinoise », tous les films de Jacques Demy, Agnès Varda, Jacques Doniol-Valcroze, Michel Deville. Dans les années 60-70-80, Mag Bodard est omniprésente. Comme je la connaissais, elle a accepté.

Quels sont vos projets d’écriture ou de films, tant devant que derrière la caméra ?
Pour l’instant je n’ai pas de projets de films, et personne ne me demande rien. C’est très épisodique. Mais si jamais j’ai une idée ou si quelqu’un m’en suggère une, je recommencerais volontiers.
Les films, les livres… je trouve que cela s’équilibre très bien : passer d’une grande solitude de l’écriture à un travail en petit groupe.
Et dans l’avenir immédiat…
J’essaie d’écrire un livre…

Propos recueillis par
Aline Vannier-Sihvola,
le 29 octobre 2010

Coup de projecteur sur HYTTI NRO 6 / COMPARTIMENT No 6 de JUHO KUOSMANEN à la cinémathèque KINO REGINA

Cinémathèque KINO REGINA / Oodi – Helsinki

  • HYTTI No 6 / Compartiment No 6
    Juho Kuosmanen
    Mercredi 13 avril à 17 h 00
    Après la projection du film, Juho Kuosmanen et son collègue Tommi Seitajoki discuteront des expériences de visualisation et des différentes approches, perceptions de Compartiment No 6. Par ailleurs, comment la guerre d’agression russe a-t-elle affecté à la fois le regard porté sur le film et son interprétation ?
    Lire également ci-dessous Entretien avec Juho Kuosmanen (19.10.2021)

GRAND PRIX DU FESTIVAL DE CANNES 2021

HYTTI NRO 6 / COMPARTIMENT No 6
Finlande / Russie / Estonie / Allemagne (2021), 107 min
Réalisé par Juho Kuosmanen
Avec Seidi HaarlaJuriy Borisov, Dinara Drukarova
Sortie en Finlande : 29.10.2021
Sortie en France : 03.11.2021

Préselection Oscar du Meilleur film étranger 2022
Sélection César du Meilleur film étranger 2022

ENTRETIEN AVEC JUHO KUOSMANEN

Pour son deuxième long métrage Hytti Nro 6 / Compartiment No 6 – Grand Prix ex aequo du Festival de Cannes 2021 –, le Finlandais Juho Kuosmanen signe un road-movie sur rails à travers les espaces désolés et glacés de la ligne Moscou-Mourmansk. Ainsi la plus grande ville au nord du cercle arctique tient lieu de destination finale à ces deux protagonistes qu’apparemment tout oppose mais qu’une cohabitation forcée et confinée va au cours de cette traversée peu à peu rapprocher. 
Le voyage comme quête de soi-même, comme passage de soi à l’autre pour se trouver soi-même.
Preuve s’il en est, selon l’adage, que dans un voyage ce n’est pas la destination qui compte mais toujours le chemin parcouru…

Compartiment No 6, votre deuxième long métrage, a été récompensé du Grand Prix (ex aequo) au Festival de Cannes; il a également reçu le Prix du Meilleur film étranger au Festival de Jérusalem et, tout récemment, a été sélectionné par le jury finlandais comme candidat de la Finlande à l’Oscar 2022 du Meilleur film étranger – sans parler de l’ample distribution internationale. Aujourd’hui, on peut dire que vous êtes cet « Hymyilevä mies » (titre original de « Olli Mäki » – qui signifie « l’homme qui sourit »), votre premier long métrage récompensé du Prix Un certain regard au Festival de cannes 2016, qui se retrouve embarqué dans une « success story » loin d’être achevée. Est-ce un rêve qui s’est réalisé ?
C’est difficile à dire. Je pense que je n’ai jamais rêvé de quelque chose de pareil mais, bien sûr, quand ça arrive c’est assez incroyable et formidable. Je suis très heureux que les gens puissent surtout partager ces sentiments que j’ai essayé de transmettre avec ce film. Lorsque je travaille sur un film, je ne pense jamais au résultat, à un objectif que je me serais fixé et que je voudrais atteindre. J’essaie juste d’être très clair et ensuite, bien évidemment, j’espère que les gens partageront ces mêmes émotions que j’ai voulu faire passer à travers mon film. En fait, toutes ces récompenses sont la preuve que ça s’est produit.

Vous êtes né en 1979, ce qui signifie que vous aviez moins de 10 ans pendant cette période de la guerre froide au cours de laquelle se situe le livre éponyme de Rosa Liksom et dont votre film est inspiré. Qu’est-ce qui a suscité votre interêt dans ce livre – au demeurant empreint d’une sinistre atmosphère – au point que vous souhaitiez en faire un film ?
J’aime l’idée d’une intrigue simple qui se déroulerait dans un train. C’est un road movie sur rails qui a une intrigue relativement simple mais, dans le même temps, on peut explorer assez profondément le comportement humain et les émotions. Pour moi, c’est un excellent cadre pour traiter le comportement humain et, par ailleurs, le livre est très cinégénique dans ses paysages, ses différentes scènes. Le récit est parsemé d’images fortes. Mais, dans le même temps, je sentais que ça pouvait être très difficile parce que l’histoire se situe à des niveaux de temps différents sur des époques diverses. Un livre ouvrira toujours des horizons plus larges qu’un film. J’étais certes très intéressé mais, dans le même temps, j’avais des doutes. C’est alors que j’ai rencontré Rosa Liksom, l’auteur du livre, et que nous en avons discuté. Elle m’a donné entière liberté quant à l’adaptation du livre et je me suis alors senti déchargé d’un fardeau. Je n’avais pas à copier le livre, je pouvais faire mon propre film en m’inspirant du livre. Mais ce qui l’a véritablement emporté, c’est le train, les paysages et les fortes valeurs cinégéniques du récit ainsi que ce contenu très humain entre deux êtres confinés dans un tout petit compartiment.

Pour avoir voyagé moi-même en train plusieurs fois de Helsinki à Moscou dans les années 80, je dois dire que j’ai été estomaquée de voir que tout l’intérieur du compartiment était authentique, des parois en préfabriqué simili bois marron avec leurs filets à bagages jusqu’aux sinistres couvertures gris-marronnasses ! Comment avez-vous réussi à avoir accès à ces vieux compartiments sortis vraisemblablement du Musée des chemins de fers russe ? Quels ont été vos arguments qui ont convaincu les autorités russes sans doute réticentes, pour ne pas dire plus, de vous laisser utiliser le train sur leur réseau ferroviaire ?
En fait, ces trains existent encore et circulent toujours. L’intérieur a changé, mais c’est surtout l’extérieur des trains qui est différent. Ils sont d’une nouvelle couleur et c’est la raison pour laquelle on n’a pas vraiment beaucoup filmé le train de l’extérieur. Toutefois le film se différencie du livre en ce sens que nous avons situé le film à la fin des années 90 ou au tournant du millénaire. Mais, heureusement, ils sont demeurés identiques à ce qu’ils étaient dans les années 80 voire même les années 70. Pour ce qui de l’obtention du permis des autorités russes, ça n’a pas été une tâche facile pour la production. Mais le fait que ce film est une coproduction à participation minoritaire russe nous a grandement aidés car nous étions ainsi officiellement en partie une production russe. Donc, ça a certes facilité les choses mais c’est demeuré extrêmement difficile pour la production car nous louions la locomotive ainsi que quelques wagons et nous circulions sur le réseau ferroviaire public. Par conséquent, ils ont dû aussi établir pour nous les horaires et dates de circulation.

Aviez-vous le contrôle de la durée des jours de tournage ou bien devaient-ils correspondre aux horaires et jours de circulation du train ?
On partait tous les matins de la gare de Vitebsk à Saint-Petersbourg et nous embarquions pour une journée de 10-12 heures de travail. Incorporée aux wagons du train, il y avait aussi la voiture-restaurant de sorte que nous pouvions prendre nos repas dans le train. Nous revenions le soir à Saint-Petersbourg où nous pouvions enfin nous délasser dans un hôtel de luxe. Je dois dire que, même si je rêvais de faire un film dans un train en marche avec pour décor des lieux de tournage authentiques, c’était tellement lent et, du fait que nous étions confinés dans des compartiments exigus, nous manquions tellement d’oxygène qu’à la fin de la journée on avait vraiment besoin d’air et d’espace.

Est-ce que le train était entièrement un train spécial pour vous, juste pour le tournage du film ? Est-ce que vous avez tourné avant le commencement de la pandémie ?
Le train était rien que pour nous mais nous n’avons pas fait d’ajustements. On a seulement changé quelques rideaux et textiles histoire de les faire paraître plus anciens qu’ils ne l’étaient mais nous n’avons pas abattu de cloison ou autres choses de ce genre. Nous avons tourné le film avant la pandémie, soit en février-mars 2020. Les deux dernières semaines, alors que la pandémie était déjà également en Russie, notamment à Saint-Petersbourg et à Moscou, nous étions encore dans le Nord dans des endroits reculés. On s’est sentis alors en sécurité et lorsque nous avons demandé l’avis de l’équipe, tout le monde a souhaité continuer. Par contre, la frontière entre la Russie et la Finlande était déjà fermée et c’était là, je pense, notre plus grande crainte quant à ce qui allait advenir. Pourrions-nous encore revenir en Finlande ? Les autorités finlandaises étaient, du reste, très préoccupées et voulaient que nous rentrions directement en Finlande.

Etes-vous finalement allés jusqu’à Mourmansk ?
Oui, nous sommes bien allés à Mourmansk mais nous n’avons pas pu aller à Moscou parce que, initialement, la fin du tournage était prévue à Moscou. Mais nous avons filmé les scènes à Saint-Petersbourg.

Ne vous est-il pas venue, à un moment donné, l’idée, compte tenu des permis à obtenir, des coûts de location et des difficultés de tournage dans un petit compartiment confiné, que vous pourriez tourner le film dans un studio ?
Faire un film, c’est relever plein de défis, mais ces défis peuvent être aventureux, comme ils peuvent être divertissants ou du moins intéressants… ou bien ils peuvent être ennuyeux. Et je pense que l’environnement d’un studio est vraiment ennuyeux. C’est basé sur le contrôle et la planification. Par contre, si vous sautez dans un train, avec pour décor des lieux authentiques, c’est plus aventureux et bien plus intéressant, beaucoup plus inspirant. Cela change la manière dont vous dirigez car j’ai bien peur que dans un environnement très contrôlé je ne m’endorme tout simplement. Je pense que ça n’a rien d’intéressant. Je préfère l’aventure au contrôle. C’est pourquoi le studio n’a jamais été pour moi une option. La production me répétait sans cesse que ce serait beaucoup plus facile de faire le film dans un studio. Mais à partir du moment où vous voulez rendre les choses plus faciles, ça signifie en fait que vous vous en fichez. Si vous essayez juste de trouver le moyen le plus facile de faire les choses, c’est que vous ne vous souciez vraiment pas de ce que vous faites.

De combien de personnes se composait votre équipe de tournage ?
Je pense que dans le train nous étions une trentaine, et pour ce qui est de l’ensemble de l’équipe, une cinquantaine. Uniquement le directeur de la photographie et les acteurs avaient accès au compartiment No 6, ainsi que l’assistant du chef opérateur. Pour le son, le compartiment était équipé de micros cachés. Pour ma part, je me trouvais dans le compartiment No 7. Le principal défi pour moi en tant que réalisateur était que je devais regarder le moniteur car, généralement, je veux être à côté de la caméra, observer la situation de mes propres yeux et regarder les acteurs comme des êtres vivants. Mais quand vous regardez le moniteur, vous ne voyez pas vraiment des humains, vous les voyez transformés en objets et vous commencez à diriger une surface de l’image mais pas la situation réelle. J’ai vraiment dû lutter contre cet état de choses car je veux traiter les acteurs comme des êtres humains et non pas comme des objets.

Parlez-vous le russe ou, du moins, le comprenez-vous ?
Je ne parle pas russe ; par contre, je comprenais ce qu’était le dialogue. Mais le langage, c’est le cinéma. En fait, ce n’est pas si difficile d’observer une situation quand vous connaissez déjà le contenu de la scène, et je dois dire que je me suis même senti en quelque sorte soulagé. J’étais inquiet pour le dialogue avant le tournage car s’il ne fonctionnait pas, je ne pouvais rien y faire. Mais j’ai eu le retour de tous les acteurs avant le tournage que le dialogue était vraiment bon. Donc, je faisais déjà confiance au dialogue, et ensuite peut-être que j’ai davantage dirigé avec mes yeux qu’avec mes oreilles. Je dois dire qu’avec le finnois, je suis presque un névrosé de la nuance. Et dans le cas de ce tournage, je pense que ça m’en a en quelque sorte délivré.

Avez-vous eu des difficultés à trouver le financement du film ?
Pas vraiment. Bien sûr, ce n’est pas toujours facile, là n’est pas la question, mais je pense qu’après « Olli Mäki » [Prix Un certain regard/Cannes 2016 – N.D.L.R.], c’était différent. « Olli Mäki » a tellement facilité les choses que certains producteurs ont demandé à en faire partie.

L’histoire dans le livre se situe dans les années 80 durant le règne soviétique alors que votre film semble amener l’histoire dans l’ère russe de la fin des années 90. En fait, on ne peut pas faire vraiment de différence – à part peut-être la référence au film « Titanic » (1997), si on sait le dater. Pourquoi ce changement ?
L’histoire se passe à la fin des années 90 ou au tournant du millénaire, mais nous voulions que le film soit traversé par un sentiment d’intemporalité. Il y a pas mal de morceaux de musique des années 80, le tube entêtant « Voyage voyage » de la chanteuse Desireless en 1987. il y a ce baladeur et lecteur de cassettes parce que nous traitions l’ensemble de cette histoire comme un souvenir, et la mémoire n’est généralement pas si précise avec les repères temporels. La raison pour laquelle nous l’avons placée dans les années 90 est en fait due au repérage des emplacements car c’est également la raison qui nous a fait changer d’itinéraire. Dans le livre, ils vont jusqu’à Oulan-Bator, mais dans le film nous allons à Mourmansk. Tout d’abord, on a examiné toutes les haltes de la ligne Saint-Petersbourg–Mourmansk, car je savais déjà que la ligne du Transsibérien n’était pas notre option. A vrai dire, la destination finale était extrêmement difficile car tellement éloignée de Moscou ou de Saint-Petersbourg (plus de 7 000 km – N.D.L.R.) et aussi du fait que toutes les gares sont dévastées par l’Euroremont (restauration à l’européenne – N.D.L.R.), comme il l’appelle en Russie. Vilaines peintures, comme une rénovation radicale très moderne. En revanche, le trajet vers Mourmansk a encore beaucoup de petites gares aux allures authentiques. Mais, dans le même temps, on sentait bien que ce n’était pas le Transsibérien et qu’on n’était pas vraiment dans les années 80. Donc, si on voulait utiliser cette réalité encore si riche et cinématographique, il suffisait de changer de décennie et d’itinéraire, et lorsque nous tournions à Petroskoi ou Petrozavodsk, nous n’avions à mentir que c’était en fait Irkoutsk. Voilà pourquoi on a fait ces changements, Par ailleurs, j’aimais l’idée que le film se termine dans l’Arctique.

Dans le livre, le personnage féminin n’a même pas de nom, ne dit pas un mot à part une phrase prononcée à la toute fin tandis que l’homme vocifère, éructe tout le temps. C’est un personnage rustre et menaçant. L’atmosphère du livre est sinistre. Dans le film, votre approche de l’évolution de la relation de ces deux personnages apparemment opposés mais solitaires n’est pas romantique. Toutefois, leur relation évolue à partir de petits riens, au fur et à mesure de changements très subtils empreints d’émotion voire d’humour. Ce voyage en train s’avère-t-il être une romance ou bien un voyage à la rencontre de soi, de l’autre ?
C’est une connexion et une acceptation. La connexion entre ces deux êtres humains. A prime abord, ils sont très éloignés l’un de l’autre mais je pense que c’est parce qu’ils se cachent derrière des rôles : le rôle du mâle russe et le rôle de l’étudiante finlandaise, intellectuelle instruite. Au début, ils se cachent derrière quelque chose car ils veulent être vus d’une certaine façon. Et c’est pourquoi ils sont déconnectés car ils ne sont pas vraiment enclins à se montrer tels qu’ils sont. Il est essentiel pour qu’il y ait rencontre et connexion que l’on s’accepte soi-même. Et c’est en s’exposant le plus possible, avec toutes ses blessures, qu’il est également plus facile pour l’autre de se débarrasser de ses rôles et de se montrer tel qu’il est. Mais pour moi c’était également important que ce ne soit pas une histoire d’amour romantique mais plutôt l’histoire de deux êtres qui vont se débarrasser des différents rôles derrière lesquels ils s’étaient réfugiés et finir par s’accepter eux-mêmes. Je pense que c’est absolument essentiel pour les rencontres. Je sentais qu’une histoire d’amour romantique serait en quelque sorte fondée sur des rôles, et c’était quelque chose que je ne voulais pas faire. Je ne voulais pas, à la fin du film, d’un homme et d’une femme qui tombent amoureux mais je voulais deux gosses qui s’amusent, totalement insouciants. Un pur et court moment de liberté totale.

A part remporter un Oscar – ce qu’on ne peut que vous souhaiter le plus chaleureusement possible –, avez-vous des projets à plus ou moins long terme ?
Le prochain long métrage relève encore du domaine de la nébuleuse, mais nous avons déjà réalisé une série télévisée de 8 épisodes d’environ 10 minutes chacun. Ce qui est drôle, c’est que je l’ai co-réalisée avec Khadar Ayderus Ahmed (réalisateur finno-somalien du film « Guled & Nasra/La femme du fossoyeur » sélectionné à la Semaine de la critique/Cannes 2021 – N.D.L.R.). La série s’intitule « Zone B ». Elle sera diffusée sur YLE en début d’année prochaine. La durée de cette série est, en fait, de l’ordre d’un long métrage, soit 80 minutes. C’est donc une collaboration (la deuxième du genre avec Khadar Ayderus Ahmed, déjà scénariste sur le court métrage « Citoyens » Léopard d’argent/Locarno 2008 – N.D.L.R.)

Propos recueillis par Aline Vannier-Sihvola
Helsinki, le 19 octobre 2021

Les films français en ce printemps 2022 à la cinémathèque KINO REGINA – Oodi, Helsinki

RÉTROSPECTIVE ROBERT BRESSON

UN CONDAMNÉ À MORT S’EST ÉCHAPPÉ / KUOLEMAANTUOMITTU ON KARANNUT (1956)
Le 11.03. à 17 h 00
Le 10.04. à 16 h 00

JOURNAL D’UN CURÉ DE CAMPAGNE / PAPIN PÄIVÄKIRJA (1950)
Le 12.03. à 16 h 00
Le 18.03. à 18 h 15

LES DAMES DU BOIS DE BOULOGNE / NAISEN KOSTO (1945)
Le 20.03. à 18 h 00
Le 31.03. à 16 h 45

LES ANGES DU PÉCHÉ / SYNNIN ENKELIT (1943)
Le 24.03.  à 17 h 00
Le 27.03.  à 17 h 30

PICKPOCKET / TASKUVARAS (1959)
Le 08.04.  à 17 h 00
Le 14.04.  à 19 h 15

LE PROCÈS DE JEANNE D’ARC / JEANNE D’ARC (1961)
Le 24.04. à 16 h 00
Le 28.04. à 19 h 10

AU HASARD BALTHAZAR / BALTHAZAR (1966)
Avec Anne Wiazemsky
Lire Entretien avec Anne Wiazemsky sur cinefinn.com (octobre 2010)
Le 25.04.  à 16 h 45
Le 04.05.  à 19 h 20

LANCELOT DU LAC / PYÖREÄN PÖYDÄN RITARIT (1974)
Le 02.05. à 20 h 45
Le 06.05. à 19 h 10

MOUCHETTE (1967)
Le 12.05. à 18 h 45
Le 14.05. à 16 h 00

LE DIABLE PROBABLEMENT / PAHOLAINEN LUULTAVASTI (1977)
Le 17.05. à 20 h 50
Le 20.05. à 17 h 00

UNE FEMME DOUCE / SULOINEN NAINEN (1969)
Le 22.05. à 19 h 35
Le 25.05. à 19 h 15

L’ARGENT / RAHA (1983)
Le 24.05. à 19 h 00
Le 27.05. à 21 h 10

QUATRE NUITS D’UN RÊVEUR / NELJÄ YÖTÄ PARIISISSA (1971)
Le 26.05. à 18 h 50
Le 29.05. à 16 h 15

Dans la série ELOKUVAN HISTORIA (Histoire du cinéma) :

LE BONHEUR / ONNEN HETKET (1965)
Film de Agnès Varda
Le 15.03. à 19 h 00

MOOLAADÉ (2004)
Film de Ousmane Sembène
Langues : bambara et français
Lire Entretien avec Ousmane Sembène sur cinefinn.com (avril 2006)
Le 26.04. à 16 h 00

Dans la série CARTE BLANCHE À RAIMO SILIUS :

JULES ET JIM (1961)
Film de François Truffaut
Le 10.03. à 21 h 00
Le 25.03. à 18 h 30

LA GUERRE EST FINIE / SOTA ON LOPPUNUT (1966)
Film de Alain Resnais
Le 17.03. à 20 h 40
Le 19.05. à 20 h 55

À ne pas manquer également :

LA DANSE – LE BALLET DE L’OPÉRA DE PARIS (2009)
Film documentaire de Frederick Wiseman
Le 02.04. à 19 h 45

LA NUIT DES ADIEUX / KOLMAS NUORUUS (1965)
Film franco-soviétique de Jean Dréville et Isaak Menaker (en langue russe)
Le 02.04. à 17 h 30

… ET MOURIR DE PLAISIR / VERINEN RUUSU (1959)
Film de Roger Vadim (version anglaise)
Le 06.04. à 21 h 00
Le 08.04. à 20 h 45

BLISSFULLY YOURS / SUD SANAEHA (2002)
Film de Apichatpong Weerasethakul (sous-titres français)
Le 12.04. à 18 h 40
Le 27.04. à 20 h 20

PAS MOINS DE TROIS RENDEZ-VOUS À NE PAS MANQUER DANS L’ACTUALITÉ CINÉMATOGRAPHIQUE DE CETTE FIN D’ANNÉE…

A VOIR DÈS CE SOIR 15 DÉCEMBRE SUR FRANCE 5, à 20 h 55/heure française (ou plus tard en replay), LA GRANDE LIBRAIRIE sur le thème :
Quand la littérature  rencontre le cinéma et le théâtre  

François Busnel reçoit à cette occasion l’un des plus grands réalisateurs français, Arnaud Desplechin, pour son adaptation du livre de Philip Roth « Tromperie ». Egalement sur le plateau, Denis Podalydès qui joue dans le film le rôle du grand écrivain américain. 

Pour mieux connaître Arnaud Desplechin, lire ou relire l’interview accordée en juin 2019 dans le cadre du Festival du film du soleil de minuit de Sodankylä, en Laponie finlandaise.

ENTRETIEN AVEC ARNAUD DESPLECHIN… sous le soleil de minuit

DSC03220

Arnaud Desplechin, metteur en scène français, était l’invité d’honneur de la XXXIVe édition du Festival du film du soleil de minuit. Auteur d’une douzaine de longs métrages, dont « La sentinelle », « Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) », « Rois et reine », « Trois souvenirs de ma jeunesse »… ainsi que deux films tournés en langue anglaise « Esther Kahn » et « Jimmy P. », tous sélectionnés à diverses reprises dans les plus grands festivals de cinéma, Arnaud Desplechin est venu présenter cinq de ses films dont le tout dernier « Roubaix, une lumière », avec Léa Seydoux, Sara Forestier et Roschdy Zem, inspiré d’un fait divers se déroulant dans sa ville natale, avant même sa sortie en salles en France le 21 août et qui était en compétition officielle au 72e Festival de Cannes 2019.

Sans doute pour la première fois au Festival du film du soleil de minuit, quel regard portez-vous sur ce festival d’autant que vous arrivez quasi directement de Cannes et qu’après le marathon médiatique qui l’accompagne, c’est ici, tout au moins, un brusque changement d’exposition à la lumière ?
Ce ne sont pas les mêmes projecteurs, en effet ! Je connaissais le Festival à travers le nom des frères Kaurismäki, bien sûr, car ce sont eux qui ont rendu le Festival notoire. Par ailleurs, j’ai une amie de l’école du cinéma, Pascale Ferran, qui était venue il y a longtemps présenter « Lady Chatterley » et « Petits arrangements avec les morts » au Midnight Sun Film Festival et elle m’avait dit qu’il fallait absolument que j’y aille. Depuis, j’ai été invité plusieurs fois mais, à chaque fois, ça tombait mal avec le planning, soit en même temps qu’un festival ou qu’une sortie de film, etc. et je ne pouvais pas. Et maintenant, je dois dire que j’ai été très ému quand Timo Malmi [directeur artistique du MSFF – NDLR] m’a écrit et qu’il m’a dit que ce serait une rétrospective. J’ai donc enfin pu venir et je suis très touché de pouvoir montrer mon nouveau film, en plus de cette rétrospective. Ce festival, c’est la cinéphilie comme je l’aime. Cannes – je fais un tout petit détour par Cannes –, c’est un endroit qui pour un réalisateur français n’est pas du tout agréable. Il y a des festivals agréables : Venise, c’est formidable, de même que le Festival de New York. Mais quand on va à Cannes, c’est très brutal dans les rapports. Pourtant, ça vaut le coup parce que c’est le seul festival où les acteurs sont à ce point-là accueillis par le public, avec les photographes. Il y a à Cannes une gratitude pour les acteurs. C’est donc pour moi une manière de dire merci aux acteurs après tout ce qu’ils m’ont donné. Mais, personnellement, c’est vraiment du travail tout le temps et ce n’est pas très agréable. Alors, tout d’un coup, c’est formidable d’arriver ici, après avoir été confronté à un public très agressif à Cannes, et de se retrouver avec un public, cinéphile ou populaire je ne sais, mais qui déjà voit des films et qui les voit très simplement. Ce sont des gens qui aiment le cinéma pour le cinéma, aussi simplement que ça. Et du coup, ça donne une ambiance formidable, sans hiérarchie, et avec ce phénomène invraisemblable : la nuit qui ne se couche jamais !

Que connaissez-vous et appréciez-vous du cinéma d’Aki Kaurismäki ?
Le choc que j’ai eu et qui m’est resté pour le premier film que j’ai vu de lui, c’était « La fille aux allumettes ». C’est-à-dire qu’il y avait tout à la fois un dépouillement de l’image, un côté générationnel et une libération du cinéma. Pour moi, il y a deux réalisateurs que je rapproche totalement, ce sont Kaurismäki et Jarmusch. Tout d’un coup, ils ont inventé une douceur et une vitesse qui leur est absolument singulière ; il y a un rythme de récit qui n’appartient qu’à eux. Toutefois, l’art de Jarmusch ne ressemble pas à celui de Kaurismäki qui, lui, va creuser plus de douleur mais avec légèreté, avec une forme d’humour. L’art de Kaurismäki est un art très cinéphile et lié à la France : il y a des apparitions de Jean-Pierre Léaud dans « J’ai engagé un tueur à gages », après il a fait « La bohème », puis « Le Havre » que j’ai adoré. Et, donc, il arrive à faire jouer les acteurs français, mais avec une autre musique, et il arrive à imposer sa musique. Et ce qui m’a stupéfié avec Kaurismäki, et qui continue de me stupéfier de film en film, c’est qu’il a tenu ce rythme qui est tellement singulier, tellement unique, et puis il va creuser des douleurs, comme les cinéastes scandinaves, mais avec un humour burlesque qui n’appartient qu’à lui. Pour moi, Jarmusch et Kaurismäki ont inventé et reflété aussi une façon qu’on avait d’être au monde ; on était contemporain de leurs films. Je suis contemporain de Kaurismäki, et j’en suis très heureux. J’en ajouterai même un troisième : Kaurismäki, Jarmusch et Moretti. Ce serait mon trio gagnant. Ce sont trois cinéastes qu’on a découverts un peu en même temps, qui héritaient des rebellions et qui transformaient ça d’une manière un peu différente : l’héritage punk pour Jarmusch, l’héritage politique pour Moretti et un héritage esthétique, dont je ne sais d’où ça vient de Finlande, de Kaurismäki. Trois figures un peu rebelles que j’aime beaucoup.

Votre dernier film « Roubaix, une lumière » – que vous êtes venu ici nous présenter avant sa sortie en France le 21 août – était en compétition officielle au Festival de Cannes. Sur la douzaine de longs métrages présentés au fil des ans à Cannes, six se sont retrouvés en compétition. Vous vous retrouvez à faire ainsi concurrence à Almodóvar – autre habitué de Cannes –, lui-même pour la 6e fois en compétition à Cannes. Six fois nommé et pas primé, mais pas pour autant déprimé !?
C’est marrant, j’y ai justement pensé cette année. Je me suis dit, vu que ce film-là est très différent de mes films précédents dans le sens où il est basé sur des faits réels alors que d’habitude je me base sur des fictions invraisemblables, je me demandais, donc, comment il allait être reçu. Et à la projection du film, cela a été un moment extrêmement émouvant ; la réception était assez bouleversante, avec une standing ovation très puissante. Et alors que j’en parlais avec Roschdy Zem – après avoir vu le film de Almodóvar que j’aime beaucoup –, je lui disais que c’était Banderas qui allait avoir le prix d’interprétation masculine et pas lui. Il y a une scène dans le film quand Banderas retrouve son ancien amant – ils se sont aimés il y a 20 ans et, là, ils en ont 60 – qui est tout simplement magnifique. Et alors que je disais ça à Roschdy, je pensais à mes films. Je me disais qu’en fait les choses étaient bien parce qu’il y avait des gens qui faisaient des films qui étaient plus universels – je prendrais, par exemple, des réalisateurs que j’admire beaucoup comme les frères Dardenne – et il y a des gens qui font des films singuliers, comme moi. Alors, donc, dans les festivals, c’est normal que les prix aillent aux films universels plutôt qu’aux films singuliers. Et est-ce que je voudrais faire des films universels ? Pas du tout. Je préfère faire des films singuliers.

Vos films ont souvent pour cadre Roubaix, votre ville natale mais, cette fois-ci, pour la première fois, vous vous inspirez d’un fait divers. Aucun de vos acteurs fétiches ne fait partie de la distribution, vous engagez même en grande partie des non-professionnels, vous vous détournez du milieu de la bourgeoisie pour vous attacher aux classes les plus défavorisées de la ville. Qu’est-ce qui a déterminé ce choix ?
La maturité, je crois… En fait, il y a deux choses qui ont joué. L’une, c’est que je sortais d’un film « Les fantômes d’Ismaël » qui reprenait tous les thèmes de mes films précédents, qui était comme un feu d’artifice de fiction et, juste après le film, je me suis mis à penser faire un film où il n’y ait plus aucune fiction, faire le contraire. On fait toujours, comme disait Truffaut, un film contre le précédent. Alors, le tout était de faire le saut, le grand saut. Et il y a un film qui m’a aidé à faire ce saut, c’est le Hitchcock qu’aujourd’hui je préfère et qui est « The Wrong Man »/« Le faux coupable ». Le seul film de Hitchcock, alors que Hitchcock était le roi de la fantaisie, où, tout d’un coup, tout était vrai. C’est-à-dire qu’il a été jusqu’à prendre des gens qui rejouent leur propre rôle, à tourner sur les lieux mêmes du drame. Tout était authentique – il était obsédé par ça –, et je trouve le film infiniment personnel. Et je me suis dit que si Hitchcock, mon maître, l’avait fait, je pouvais m’y essayer un peu à ma façon. Et, quand je parlais de maturité, je pense qu’il y avait cette envie d’aller explorer ailleurs. Souvent, dans mes films, il y a eu des personnages africains ou nord-africains qui étaient médecins, psychanalystes ou professeurs mais qui étaient dans les marges des films. Or Roubaix est une ville qui n’est pas nord-africaine ; Roubaix est une ville algérienne. C’est vraiment une ville profondément algérienne et c’est une communauté que, moi qui suis né blanc et catholique, je n’ai jamais osé filmer, que je ne savais pas filmer. Par ailleurs, il y avait mon amitié de longue date avec Roschdy Zem à qui je ne savais pas offrir de rôle, je ne savais pas les écrire, et là j’ai pensé, en tombant sur ce fait divers, sur l’histoire de ce commissaire un peu mythique, faire le portrait de cet homme. Je crois que j’avais enfin la maturité pour arriver à m’identifier et à représenter sans clichés un personnage algérien comme ma ville a pu en connaître et comme j’ai pu en croiser. Il m’a fallu tout ce temps-là pour être capable de montrer, pas une famille bourgeoise, mais effectivement des gens qui sont des victimes sociales et avec ce but peut-être – et là, j’ai l’impression de reconnaître mes autres films –, de ne pas enfermer qui que ce soit dans sa condition sociale. C’est-à-dire que même si vous êtes une victime sociale, vous êtes d’abord un être humain. Il y a un mystère en plus. Et donc de rendre hommage à cette communauté – je pense à la scène avec l’oncle quand il parle des bars ou des boîtes de nuit qui étaient interdites aux Arabes – et de parler des couches défavorisées mais sans les enfermer dans leur détermination psychologique, je crois que c’était ça qui me faisait très envie.

Avec l’adaptation de ce fait divers, vous collez au réel et on ne retrouve pas la bande d’acteurs qui peuplent habituellement votre imaginaire et votre cinéma romanesque jusqu’aux prénoms des acteurs Marie, Claude, Daoud plus en rapport avec la réalité. Vous avez, pour ce film, choisi des acteurs plus en prise avec le réel comme Roschdy Zem, Sara Forestier, Léa Seydoux. Comment avez-vous eu l’idée de réunir ces deux actrices aux performances, au demeurant, époustouflantes ?
Les deux chemins étaient presque opposés. C’est-à-dire que Sara a fait beaucoup de films très réalistes et a réalisé un film également très réaliste « M » sur une jeune femme bègue qui tombe amoureuse d’un garçon illettré. Et quand j’ai vu la performance de Sara dans le film, je me suis dit que des performances d’actrice de ce niveau on en voit tous les dix ans. Donc, je lui ai envoyé une lettre avec, en cadeau, le DVD de « Un été avec Monika » de Bergman, en lui écrivant que, comme Harriet Andersson à l’époque, quand elle apparaît dans son film, il y a quelque chose de nouveau qui apparaît au cinéma. Elle m’a juste répondu un mot écrit à la main : « Où vous voulez, quand vous voulez ». Alors je lui ai tout de suite envoyé le scénario et en réponse j’ai reçu une photo photocopiée de Falconetti dans le « Jeanne d’Arc » de Dreyer disant : « C’est oui ». Elle avait lu le personnage de Marie, et de ce personnage je connaissais tout. En l’écrivant, je le connaissais. Par contre, le personnage de Claude est beaucoup plus mystérieux et il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre qui était Claude, et ce grâce à Léa Seydoux. C’est Léa qui m’a fait appeler par son agent qui m’a dit qu’elle aimerait bien me rencontrer parce qu’elle avait lu le scénario. Et je lui ai dit que je cherchais un couple un peu sexy entre Marie, l’amante, et Claude, l’aimée, mais que les tâches de l’amour étaient totalement réparties. L’aimée n’aime pas l’amante, mais l’amante est amoureuse de l’aimée. Et c’est en travaillant, en lisant avec Léa qu’elle m’a peu à peu guidé à comprendre comment je pouvais représenter le personnage. C’est qu’elle aussi a fait beaucoup de films réalistes. Je pense à « L’enfant d’en haut » ou au film qu’elle a fait avec Rebecca Zlotowski « Belle épine ». Elle a cette passion d’actrice de jouer des rôles populaires, de représenter des gens qui sont des victimes sociales alors qu’elle ne vient pas du tout de là. C’est en parlant avec Léa et en voyant son maintien, en écoutant sa voix pendant qu’on lisait le texte, que je me disais : Claude, elle résiste, elle a une noblesse en elle, elle résiste à tout ; elle résiste et elle s’effondre, et puis elle se relève, elle résiste et elle s’effondre. Et ce mouvement de résister et de s’effondrer, c’était Léa Seydoux. Donc, je dois énormément autant à Sara qu’à Léa, mais sur des modes très différents.

Pour un film policier, il y a beaucoup de retenue dans « Roubaix, une lumière ». Peu de violence dans l’action, pas de violence verbale. Les acteurs sont tous dans la retenue. Ils sont, en fait, tous là où on ne les attendait pas, surtout Roschdy Zem qui sort pour une fois de ses rôles, disons, plus emportés, plus passionnés, ce qui donne plus de force et d’intensité aux personnages. Pourquoi ce choix de tant de retenue ?
Je vais parler de Roschdy que j’aime beaucoup. Je me souviens du premier film de lui où il a explosé en France, c’est « N’oublie pas que tu vas mourir » de Xavier Beauvois où il était éblouissant. On s’est dit qu’on allait avoir à faire avec cet acteur-là, qu’il allait rester pendant longtemps. Et il s’est imposé. Et donc, je le connais depuis cette époque. Or, dans les derniers films qu’il faisait, souvent les réalisateurs lui demandaient un peu de faire la gueule ou de bouder ou d’être renfermé. Alors, quand on s’est rencontrés, je lui ai fait lire le scénario et puis je lui ai dit que si ce n’était pas lui je serai vraiment dans l’embarras parce que, sans doute, il faudrait que je fasse un autre film. Il m’a demandé ce qu’il devait penser du personnage et comment il fallait le jouer. Je lui ai simplement dit qu’il y avait un truc, c’est que Daoud il sourit. Et pourquoi il sourit, alors qu’il a une vie extrêmement austère ? A vrai dire, on voit très peu de sa vie privée mais quand on en voit un peu elle n’est pas rigolote et pourtant, quand il est avec les gens, il leur sourit. Et il n’est jamais familier, mais il a ce sourire. Et le sourire de Daoud, moi je ne sais pas pourquoi il sourit mais lui, il est acteur et donc, c’est à lui à trouver ce sourire. Et le jour où Roschdy sourit, ce jour-là le film est gagné parce qu’il a une lumière en lui, comme « Roubaix, une lumière ». Le film pourrait, du reste, s’appeler « Daoud, une lumière ». Il accepte de donner enfin ce sourire qu’il a retenu pendant des décennies au cinéma. On lui donnait des rôles virils, des rôles de gueulards et, tout d’un coup, il y avait une douceur et une attention aux gens qui était miraculeuse.

Pouvez-vous nous éclairer sur le choix du titre « Roubaix, une lumière » voire même le titre en anglais « Oh Mercy » ?
Le titre français, je l’ai cherché pendant longtemps. On l’a travaillé, on l’a remis en question mille fois. Il y a ce dialogue dans le film qu’il ne faut pas enfermer les gens dans leur misère en leur disant qu’ils sont victimes. Avant d’être une victime, on est un être humain. Et il y a cette réplique qui me frappe fortement à la fin du film – mais ce n’est pas un spoiler –, quand le commissaire Daoud est avec le jeune lieutenant, ce dernier lui demande : « Vous faites comment avec la misère ? », et il lui répond : « Vous savez, parfois tout s’illumine ». Voilà, c’est ça. C’est Roubaix. On traite les situations les pires qui soient, et pourtant il y a ce sourire de Daoud qui dit que ce n’est pas grave parce que ça s’illumine. Et donc de voir la lumière, même quand vous êtes dans des conditions défavorisées et même quand vous êtes en plein hiver, de voir qu’il y a quelque chose qui scintille, évidemment que c’est passionnant. Et puis il m’a fallu trouver le titre en anglais. Bien sûr qu’à l’international, pour vendre un film qui s’appelle « Roubaix, une lumière », en n’ayant aucune idée où se trouve Roubaix, ça ne marche pas du tout. Donc, je cherchais le titre et mes amis se moquaient de moi. Surtout Kent [Jones] qui passe régulièrement à la maison et qui me disait : « Roubaix, a light », ridicule ! Et j’ai finalement trouvé le titre en passant d’abord par le poète irlandais Yeats, parce qu’à un moment le jeune lieutenant dit un vers de Yeats que j’aime beaucoup « Pitié plus qu’on ne peut dire se cache au coeur de l’amour » [A pity beyond all telling is hid in the heart of love – NDLR]. Mais Pitié/A Pity dans un film, ça ne marchait pas. Et un matin, je me suis réveillé, pendant le tournage, et j’avais le titre : c’était l’album de Bob Dylan « Oh Mercy ». Et quand je parlais précédemment du sourire de Daoud ou de l’humanité de Roschdy, le fait de montrer un Arabe miséricordieux, du coup, je trouvais ça parfait à une époque où les Arabes pouvaient être montrés comme les assassins ou le danger, etc. Maintenant, la miséricorde, elle ne vient pas de celui qui a la foi, du jeune lieutenant, la miséricorde elle vient de celui qui est athée, qui est arabe, qui est là et regarde les gens. Il se sent à égalité avec tout le monde et, tout d’un coup, il y a une compassion qui passe ou une miséricorde ou même le pardon, avec un titre un peu gospel, puisque c’est un album de Bob Dylan qui s’appelle « Oh Mercy » et qui m’avait frappé quand j’avais 25 ans. Et donc, voilà, j’avais le titre.

Avec cette réflexion sur le mal, la culpabilité et la miséricorde dans « Roubaix, une lumière », doit-on y voir un message ?
Il y a des grands films à message, bien sûr, et je pense à Ken Loach. C’est un cinéaste qui fait des films à message mais moi, je ne sais pas faire ça. Par contre, ce que je sais, c’est avoir une position morale comme je l’ai déjà mentionné. C’est vrai qu’il faut prendre en compte, écouter la misère des gens mais il ne faut pas écouter que ça. Il faut écouter la grandeur qu’ils ont en eux, sinon je trouverais que ce serait affreux car ils seraient deux fois victimes : victimes socialement et victimes dans l’affliction parce qu’on les enferme toujours dans leur statut. Alors, tous ces personnages que l’on voit au début du film, c’est un portrait de toute la ville et puis après, dans la deuxième partie, le film se concentre sur les deux femmes. Donc, tous ces portraits de gens qu’on croise, on les accepte tels qu’ils sont avec la vie et la grandeur ou le côté ridicule qu’ils peuvent avoir.

DSC03097 - CopyMais que ce soit dans le monde imaginaire ou réel, dans un milieu bourgeois ou défavorisé, on retrouve à travers vos films la même inquiétude de la jeunesse, des hommes en perte de repères, des femmes en prise avec leur destin. Même si le burlesque est souvent mêlé au drame – et, précisément, parce que le burlesque s’invite dans la tragédie – cela ne cache-t-il pas une profonde désespérance existentielle ?
J’aime bien les mélodrames. Je préfère pleurer au cinéma que rigoler. Plus c’est pleurant (comme disent mes nièces), plus je suis client. Mais je pense quand même que le désespoir peut être aussi une illusion. C’est trop facile de penser que le monde est désespérant. Et quand vous allez au cinéma, vous y allez pour que ça scintille sur l’écran et que l’écran vous montre qu’il y a une sortie, qu’il y a une lumière qui brille ailleurs, et il y a une promesse dans un film. Je pense que dans la vie de tous les jours, si on regarde la politique, le monde tel qu’il va, on peut être désespéré et j’ai l’impression qu’on va au cinéma pour se souvenir que ce n’est pas vrai, que c’est une illusion du quotidien et qu’en fait il y a une promesse dans le monde, aussi brutal et aussi sombre qu’il puisse être. Dans « Un conte de Noël », le fils ne s’entend pas du tout avec sa mère, ils se disputent tout le temps. Ils font quand même la greffe, et Catherine Deneuve est alors d’un côté d’un rideau, en chambre stérile, le fils Mathieu Amalric de l‘autre côté, et elle dit : « Mais je vais m’en sortir ; je vais vivre ou je vais mourir. Et le fils, avec un geste de grande cruauté, prend une pièce, jette la pièce et fait pile ou face. « Montre-moi », lui dit-elle. Et il répond : « Non, je ne te montrerai pas. » C’est cruel et, en même temps, c’est la chance, le hasard. Il y a une promesse, la promesse que peut-être elle va guérir, que peut-être ça va bien se passer, et il y a aussi une moquerie, une ironie. Et, tout d’un coup, ça permet de montrer que les choses sont un peu plus compliquées que juste le désespoir ou d’être béat de joie – il y a une promesse.

Vous opérez souvent des plongées dans le moi profond (« Trois souvenirs de ma jeunesse ») jusqu’à démêler les troubles psycho-traumatiques de « Jimmy P. – Psychothérapie d’un Indien des plaines » (adapté du livre éponyme du psychanalyste Georges Devereux) ou jusqu’à même, avec le commissaire Daoud dans « Roubaix, une lumière », amener avec une surprenante douceur et habileté les coupables à avouer. De quel côté du miroir vous sentez-vous le plus à l’aise ? Etes-vous un Jimmy P. ou un Devereux ?
Je crois que je suis un Jimmy P. et le cinéma est mon Devereux. Peut-être que dans « Roubaix, une lumière », je suis peut-être un peu plus Daoud que les filles, peut-être je bascule de l’autre côté. Mais c’est vrai que j’ai tendance à m’identifier au sauvage et pas au savant. J’ai une amitié immédiate pour le patient. Je peux penser à un autre patient, à Mathieu Amalric dans « Rois et reine » quand il est chez sa psychanalyste. Il la regarde et puis il dit : « Je fais des rêves, je ne sais pas de quoi je rêve. J’ai rêvé que vous montiez sur une échelle et je regardais sous votre jupe. » Voilà. Je m’identifie à ça. Et il y a des gens qui aiment savoir. Je pense aussi à « Trois souvenirs de ma jeunesse », dans lequel il y a l’élève qui va voir sa professeur et qui lui dit : « Vous avez plein de bons élèves, alors moi je pourrais être le plus mauvais. » Pour ma part, je me place du côté des mauvais élèves, et c’est peut-être mon complexe de l’autodidacte parce que je n’ai pas fait d’études. Et donc, du coup, je me place du côté de ceux qui n’ont pas fait d’études au début du récit.

Quels sont les cinéastes qui vous ont nourri, le plus marqué voire influencé ?
Il y en a deux qui me semblent évidents – et il y en a sûrement plus que deux –, c’est Truffaut et Bergman. En tout cas, je ne peux même pas dire… ma dette, elle est plus grande encore que ça. Si je n’avais pas eu la révélation de Truffaut que j’ai eu très tard dans ma vie, je n’aurais sans doute pas réalisé mon premier film. Je suis français, né en 1960, ça veut dire évidemment que j’adorais Godard et détestais Truffaut, et puis j’ai revu ses films. Bien sûr, je les connaissais – je les avais vus à l’école, avec les parents, à la télé, ça me saoulait –, et, un jour, je suis retourné, tard dans ma vie, à 25/26 ans, voir un film que je croyais connaître par coeur. J’ai revu « Les quatre cents coups » au cinéma 3 Luxembourg. Et c’est comme Claudel qui découvre la Sainte Vierge à Notre-Dame de Paris ; j’ai, tout d’un coup, vu la mise en scène que je cherchais depuis mon école de cinéma. Chaque plan est voulu, totalement voulu, il n’y a pas de marge d’erreur possible, et il y a une volonté qui préside à la fabrication de chaque plan ; chaque plan est utile, nourrit le récit, se construit, est fait avec art. En même temps, ça ne se voit pas du tout, ça ne s’affiche pas, c’est très discret. Tous ses films sont des films brûlants et, pourtant, c’est raconté avec une extrême douceur et simplicité. Je suis tombé amoureux fou de l’oeuvre de Truffaut que j’ai commencé à explorer, à revisiter, et je crois que je n’aurais jamais réalisé mon premier film si je n’avais pas eu cette révélation en revoyant « Les quatre cents coups ». Quant à Bergman, ça a été la grande rétrospective à Paris. J’avais vu beaucoup de films de lui, jeune. Je me souviens avoir triché pour voir « Cris et chuchotements » alors que le film était interdit à mon âge et que j’étais rentré dans un cinéma pour le voir. Les films de Bergman, évidemment, ca me passionnait. Et, après, il y a eu la rétrospective à Paris et ils ont sorti l’intégrale, dans l’ordre, au cinéma Saint-André-des-Arts. Et là, j’ai découvert tous les films de Bergman. C’était le choc absolu. Ces deux metteurs en scène-là, j’y pense tout le temps ; ils m’accompagnent.

L’importance du langage dans votre cinéma est primordiale – les références culturelles (littéraires, cinématographiques, psychanalytiques, mythologiques) comme les citations abondent et les clés de lecture ne sont pas forcément à la portée du plus grand nombre. Même dans « Roubaix, une lumière », un film collé au réel, il y a une richesse de dialogues inattendue. Quelle est la finalité de cet exercice de style qui atteint parfois, dans certains de vos films, à la démesure ?
Il y a un art du collage qui me plaît. J’aime bien penser au cinéma – et ça peut sembler paradoxal… ou pas – comme un art populaire. Et donc, pour moi un art populaire, un des arts les plus proches du cinéma, plus que le théâtre, ce serait le music-hall. Si je devais faire un numéro de music-hall dans les années 70, par exemple, vous auriez des numéros dansés, des ballets et, tout d’un coup, vous faites le silence, vous avez un grand escalier et vous voyez Marguerite Duras qui descend en récitant les premières lignes de « L’amant », qui s’assied et qui termine sur sa récitation de « L’amant ». A ce moment-là, noir… et, soudain, il y a douze filles qui dansent en chorus girls. Pour moi, c’est ça le cinéma. C’est de mélanger des genres différents. C’est d’aller voler des éléments dans les arts savants et de les ramener dans la rue. Il y a une scène comme ça que j’aime bien dans « Trois souvenirs de ma jeunesse » : le jeune homme, qui est un peu trop sage, va au musée, avec une fille qui s’ennuie. Il regarde un paysage de Hubert Robert et elle lui demande pourquoi il aime ce tableau et il lui dit que c’est parce qu’il est beau comme elle. Et elle le met au défi de le lui prouver. Il compare alors un tableau classique, stendhalien à une fille de la rue. Et ce que j’aime bien c’est, plutôt que de laisser au savant la poésie, la philosophie, les textes littéraires, de les prendre et de les ramener et de dire qu’on peut s’en servir, qu’on peut bricoler des trucs avec, essayer de prendre le matériel noble et de fabriquer du music-hall avec ça. Pour moi, ce serait une des définitions du cinéma.

Pour ce qui est de l’écriture, vous écrivez tous vos scénarios. Les répliques sont très travaillées, percutantes, voire parfois choquantes. Vous semblez prendre plaisir à cette écriture, mais ne disiez-vous pas qu’au début de vos divers apprentissages dans le métier, l’écrit n’était pas votre fort. Comment s’est opérée cette évolution ?
C’était que je n’arrivais pas à trouver une voi(e)x. C’était plutôt ça le problème que j’avais au sortir de l’école du cinéma. Je parlais, mais quand je parlais je n’étais pas singulier. Et j’avais l’impression que je trouverais ma voi(e)x à travers Bergman et Truffaut. Je me suis alors dit que si j’arrivais à dire dans mes films que je les admirais, déjà ce ne serait pas mal. J’ai commencé à trouver ma voi(e)x comme ça. Et au moment où j’ai réussi à trouver ça… Disons que je suis un cinéaste cinéphile et qu’il y a donc des films réalistes que j’admire beaucoup – et j’admire tout le cinéma, pas un bout du cinéma, le cinéma en entier –, mais quand je fabrique des films, j’ai un peu un ennemi, c’est le réalisme. C’est-à-dire que l’idée que des gens doivent se dire des choses sans aucun intérêt en marmonnant et que, du coup, la scène en sera plus réelle et donc meilleure, ça je n’y crois pas du tout. Dans mes films, j’essaie de filmer des moments exceptionnels, donc de filmer des moments où les gens disent des phrases où ils se surprennent à dire une phrase bizarre. Je vais donner juste un exemple que j’adore et qui m’a rendu fou quand je l’ai vu. Dans « Les deux Anglaises et le continent », Jean-Pierre Léaud voit cette actrice anglaise qui descend l’escalier ; ils se croisent et il pose la main sur son épaule. Elle dit : « Pourquoi vous me touchez ? » Et lui de répondre : « Parce que vous venez de la Terre, et je crois que j’aime ça. » Je me suis dit que c’était génial parce que l’invention littéraire est tellement forte que vous vous souvenez de ce moment toute votre vie. Alors que s’il avait dit qu’il la trouvait mignonne, la scène aurait été un cliché. Et là, tout d’un coup, le mec se demande ce qu’il vient de dire ; il a dit une grande phrase et il est tout surpris de sa performance. Et c’est vrai que j’aime bien filmer des moments un peu exceptionnels. Donc, je cherche dans la vie de mes héros les moments où ils se surprennent à dire des trucs qui sont plus grands qu’eux. Et c’est ça que j’aime bien au cinéma.

Vous dites que vos films sont comme un labyrinthe. Vous lancez des pistes, les noms des personnages semblent sortis de nulle part avec des prénoms récurrents sur des visages différents mais appartenant aux mêmes acteurs. Les Sylvia, les Esther, les Ismaël se succèdent, les visages différents se superposent tout comme vos films jusqu’à ne former plus qu’un. Un jeu de pistes dans lequel le spectateur se plaît, toutefois, à se perdre.
C’est un truc que j’ai piqué à Bergman justement. Je regardais donc cette rétrospective quand j’étais dans ma vingtaine d’années et je suivais tous les films, et puis on voyait Elisabet Vogler [Liv Ullman dans « Persona » – NDLR]. Ensuite, on revoyait un autre film, et il y avait Veronica Vogler mais ce n’était pas la même actrice qui jouait [Ingrid Thulin dans « L’heure du loup » – NDLR). Et puis on voyait le couple qui se détestait – il y a toujours un couple qui se déteste dans les films de Bergman –, les Vergerus, et après ça quand vous voyiez le pasteur dans « Fanny et Alexandre », il s’appelait aussi Vergerus. Et vous vous dites pourquoi ce sont les mêmes noms ? Et donc, il y a des trucs comme ça que j’ai l’impression de reproduire à chaque fois que je fais un film. Même là, dans mon dernier film, les prénoms ont l’air d’être naturels : le commissaire s’appelle Yakoub Daoub, Jacob David. C’est un drôle de nom mais, du coup, c’est un nom dont vous vous souvenez. Mais j’ai l’impression que refaire un film pour moi, un nouveau film, c’est de monter au grenier : j’ouvre une vieille malle et dans la malle, j’ai quatre masques, cinq accessoires, trois vieux manteaux, quelques noms et avec ça on essaie de fabriquer du nouveau. On les mélange et puis on se dit que ce sera une autre histoire. Mais ce n’est pas vrai. On reprend toujours, comme on dit en anglais, « rags and bones » [les vieilles fripes – NDLR] et on les transforme et on essaie de refabriquer du nouveau avec des vieilles hardes et des vieux déguisements.
Est-ce à dire que vous allez prochainement rouvrir la malle, mais vers quelle continuité ?
C’est curieux parce que c’est vrai qu’on fait un film contre le précédent, et souvent en réaction. Je pense, par exemple, à une réaction très forte que j’avais eue quand j’avais fait un film qui n’était montré qu’à la télévision et qui s’appelait « La forêt », une adaptation qui n’est passée qu’une seule fois sur Arte. C’était avec les comédiens de la Comédie-Française et c’était un texte très noble d’Alexandre Ostrovski, que je connaissais bien et dont j’avais vu la mise en scène de Fomenko. Je tournais avec Denis Podalydès, Michel Vuillermoz, Martine Chevallier, que des acteurs qui savent tout faire. Et je me suis alors dit que je commençais à être vieux et que je n’avais jamais fait de films avec des jeunes gens. Je ne travaillais qu’avec des acteurs qui étaient des virtuoses, mais saurais-je jouer avec des gens qui n’avaient jamais fait de film (?) J’ai donc rencontré cette jeune fille qui avait 17 ans, Lou Roy-Lecollinet, ce jeune homme qui en avait 18, Quentin Dolmaire, et toute la bande autour, et suis enfin arrivé à écrire pour des jeunes. Ainsi « Trois souvenirs de ma jeunesse », mon film suivant, était fait contre le précédent. Donc, j’essaie de me surprendre moi-même à chaque nouveau film et, pourtant, de rester fidèle à une certaine conception du cinéma. Sûrement, c’est la tension dans laquelle je me tiens.

Figure de proue du cinéma d’auteur français, vous faites aussi un peu figure de « dernier des Mohicans ». On entend ici et là que les pouvoirs publics se désintéresseraient du cinéma d’auteur, que le système français ne serait pas propice à l’émergence d’auteurs. Récemment, une vingtaine de cinéastes ont signé une tribune contre une loi audiovisuelle à venir qui pourrait mettre à mal l’exception culturelle française. Etes-vous inquiet pour le cinéma d’auteur ou le cinéma en général ?
Surtout le cinéma d’auteur, bien sûr, mais aussi ce qu’appelait Pascale Ferran un temps, même si je n’étais pas tout à fait d’accord avec elle, les films « du milieu ». Je trouvais l’expression un peu malheureuse. On dit cinéma d’auteur, mais vous prenez Alain Resnais, pour lequel j’avais la plus grande admiration et la plus grande amitié, son film « On connaît la chanson » a fait plus de 2 millions d’entrées. C’est un film populaire ; et donc, ça dépend des fois. Je suis extrêmement soucieux parce que, comme je l’expliquais à des Finlandais, en France, pour quelqu’un comme moi qui suis provincial et qui ne viens pas d’une grande ville – je n’étais pas à Lille, mais à Roubaix –, il n’y avait pas beaucoup de cinémas mais il y avait une chance, que je croyais être une chance mais qui était, en fait, une volonté politique : c’était qu’on avait la télévision publique, un service public qui savait montrer les films. Et, donc, que vous soyez bourgeois ou de famille populaire, vous aviez un bagage cinématographique parce que vous aviez traîné devant la télé chez vos grands-parents et parce que la télévision savait montrer un John Ford, un Hitchcock, un film de Truffaut ou de Eustache. Il y avait les ciné-clubs, les films de divertissement, les films politiques, les films sociétaux ; vous aviez les films pour enfants, les films d’art et d’essai, les films d’aventures, il y avait des tas de choses qui se passaient. Et cet art très français que, par exemple, les Italiens n’ont jamais eu, pas plus que les Américains ou même les Anglais – ils ne savaient pas montrer les films à la télévision – nous, on savait. Et j’ai appris pourquoi : c’est parce qu’il y avait des accords entre le CNC [Centre national du cinéma – NDLR] et l’ORTF [Office de radio-télévision française – NDLR]. C’étaient tous des compagnons de la libération, qui mangeaient au même restaurant parce que l’ORTF était juste à côté du CNC. Et les uns demandaient aux autres ce qu’ils pouvaient faire pour les aider à avoir plus d’audience, et ils l’ont fait. Et cet art français a disparu en six ans, dix ans. Maintenant, ils ne savent plus montrer des films, à part peut-être ARTE. Et donc, ce qui est terrible, c’est que ça crée une injustice entre Paris et la province, une injustice entre les bourgeois et les gens issus des classes populaires parce que vous n’avez pas le même savoir, pas la même connaissance, parce que le sens du service public s’est perdu à la télévision avec l’arrivée des chaînes privées. Et alors, maintenant qu’on a un gouvernement libéral, on entend qu’il faut supprimer la redevance, qu’il faut réduire France Télévisions, etc. Mais enfin, il y a un service public qui marche, pourquoi le casser ? C’est totalement aberrant. Je suis extrêmement préoccupé et en complète sympathie avec mes camarades réalisateurs. Ce qui est très inquiétant depuis non seulement un quinquennat mais deux quinquennats, c’est l’absence de politique culturelle en France qui est tout à fait alarmante. Trois quinquennats, même ! 15 ans… ça commence à faire longtemps.

Quels sont vos projets cinématographiques ou autres ?
Je ne sais pas ce que je vais écrire parce que, à chaque fois, pour savoir ce que je vais écrire – comme je le disais, je fabrique toujours un film un peu contre le précédent – j’ai besoin du public, j’ai besoin de savoir comment le public reçoit mon dernier film pour rebondir sur autre chose. Alors, bien sûr, j’ai de vagues projets de cinéma mais je ne saurais pas le raconter, non pas par esprit de mystère mais c’est tellement flou dans ma tête que je ne sais pas. Par contre, je sais que c’est quelque chose qui se règle dix jours après la sortie du film en France. Dix jours après, je sais ce que je fais, et je m’y mets. Mais il faut que le film soit sorti en France. Or, comme mon film sort fin août, je suis jusque-là dans une situation d’extrême luxe. Par ailleurs, j’ai un autre projet de longue date qui commence en octobre, au Français, et qui sera ma deuxième mise en scène à la Comédie-Française. Je mets donc en scène « Angels in America » en création à la Comédie-Française. Les répétitions débuteront à partir du mois d’octobre et on commencera à jouer à partir de janvier. Je suis terrifié dans la mesure où je ne viens pas du tout du théâtre. Je n’ai aucun savoir, même si j’ai déjà adapté une pièce à la Comédie-Française. Mais c’était un Strindberg. C’était facile parce que je connaissais tout par coeur à cause de Bergman. Par ailleurs, c’était un Kammerspiel et, donc, il n’y avait pas beaucoup de personnages, tandis que là c’est Tony Kushner, et la version originale que j’ai adaptée de « Angels in America » dure sept heures. C’est monstrueux comme spectacle à fabriquer. Et j’ai un trac terrible parce que je n’ai pas la connaissance. Ça me met en danger et, de ce fait, ça me met en vie. C’est extrêmement agréable. Donc, c’est mon prochain rendez-vous. J’ai tout l’été, et maintenant j’attends le mois d’août pour voir comment les spectateurs réagissent à la sortie de « Roubaix, une lumière ». Puis, il faut que je me mette vite à écrire en septembre, et, en octobre, je disparais du monde. Je disparais dans les caves de la Comédie-Française, parce que les salles de répétition sont dans les caves, et je sais déjà que j’aurai un plaisir fou parce que je vais travailler avec des acteurs merveilleux et que je suis fou du texte de Kushner. Je vais donc adorer ça. C’est une pièce, en fait, très politique sur les années sida et dont le héros très sombre, maléfique – il y a des héros positifs mais il y a aussi un méchant de théâtre comme Richard III – est le personnage de Roy Cohn : juif et antisémite, homosexuel et homophobe, à moitié fasciste, d’un racisme invraisemblable contre les Afro-Américains et qui est à la fois drôle et terrifiant. Et ce Roy Cohn a existé. Il était l’avocat de McCarthy, pendant le maccarthysme. Son anti-communisme virulent a du reste valu à Ethel Rosenberg d’être condamnée à la chaise électrique. Par ailleurs, ce Roy Cohn a été le premier avocat de Trump et même son mentor. Et donc, après l’élection de Trump qui m’avait marqué – alors que la pièce a vingt ans –, je trouvais que ça lui donnait une nouvelle actualité puisque Roy Cohn, celui-là même qui avait introduit Trump à la chose politique, revenait de ce fait au devant de la scène.  Et, donc, je suis tout dévoué à cette pièce ; ça fait deux ans que je travaille dessus et maintenant je suis prêt. Elle arrive enfin et c’est un moment très heureux pour moi.

Propos recueillis par Aline Vannier-Sihvola
Sodankylä, le 15 juin 2019

DSC03115

« Roubaix, une lumière » (2019), de Arnaud Desplechin. Un polar sur fond de drame social (survenu en 2002), inspiré d’un documentaire qui fit sensation à l’époque pour avoir recueilli en direct l’aveu d’un assassinat – avec Roschdy Zem, Léa Seydoux et Sara Forestier.

__________________________________________________________________________________________

CE MERCREDI 15 DÉCEMBRE, SORTIE DANS LES LES SALLES FRANÇAISES DE :
LA PANTHÈRE DES NEIGES (2021)
Film documentaire de Marie Amiguet
Musique originale composée par Warren Ellis, Nick Cave

TRACKLIST (DE LA BO EN CD OU DIGITAL)
1. L’attaque de Loups
2. Les Cerfs
3. Antilope
4. La Bête
5. Les Yaks
6. Des Affûts Elliptiques
7. Les Nomades
8. La Grotte
9. Les Princes
10. La Neige Tombe
11. Les Ours
12. Un Être Vous Obsède
13. L’apparition: We Are Not Alone

Warren Ellis et Nick Cave signent la musique du documentaire de Marie Amiguet sur le photographe Vincent Munier et l’écrivain Sylvain Tesson à la quête de la panthère des neiges. 

De la même façon que précédemment, pour mieux connaître Warren Ellis, lire ou relire l’interview accordée en septembre 2019 dans le cadre du Festival international du film de Helsinki – Amour et Anarchie.

ENTRETIEN AVEC WARREN ELLIS

Warren Ellis, compositeur et musicien australien, était l’invité d’honneur du dernier Festival international du film de Helsinki – Amour et Anarchie (19-29.09.2019). Il accompagnait  le documentariste français Arno Bitschy venu présenter son dernier film « This Train I Ride » (2019) pour lequel il a composé la bande originale (lire également l’interview de Arno Bitschy).
Warren Ellis, fidèle partenaire de son compatriote Nick Cave, a intégré depuis de nombreuses années déjà le groupe Nick Cave & The Bad Seeds. Il est également membre fondateur du groupe Dirty Three. Warren Ellis a, par ailleurs, composé de nombreuses bandes originales de films avec son complice Nick Cave et, en solo, les bandes originales des films, entre autres, « Mustang » (2015) – pour lequel il a reçu le César du Meilleur compositeur – et « Django » (2017). Warren Ellis vient d’achever une tournée mondiale avec Nick Cave & The Bad Seeds, vient de sortir « Ghosteen », nouvel album du groupe, et continue à travailler sur la bande originale de plusieurs longs métrages que ce soit en France, en Angleterre, en Australie ou aux Etats-Unis.

Warren Ellis

Peut-être pour la première fois en Finlande, vous venez présenter au Festival Amour & Anarchie, avec le réalisateur Arno Bitschy, le film documentaire « This Train I Ride » pour lequel vous avez réalisé la bande originale. Comment est née votre collaboration avec Arno Bitschy ?
En fait, j’ai du mal à me souvenir mais Arno m’a contacté par e-mail et m’a envoyé le traitement de son documentaire. Le montage n’était pas fait mais le tournage était terminé. Et il m’a écrit qu’il aimerait bien travailler avec moi. J’ai lu le traitement et ça m’a parlé. Par ailleurs, je voulais savoir pourquoi il tenait à travailler avec moi. Il m’a répondu de manière très réfléchie et argumentée. Pour lui, il était évident que, vu ce que je faisais avec la musique, ça allait marcher. Il était très motivé, ciblé. Je lui ai dit que j’allais lui envoyer la musique, mais que je ne voulais pas voir d’images dans les premiers temps. Je lui ai demandé des mots qui, en gros, donnent l’esprit du documentaire. Il m’a envoyé cinq ou six mots, et je me suis lancé dedans.

Qu’est-ce qui vous a attiré au départ dans ce projet de film documentaire ?
Quand Arno est venu à Paris, il m’a montré trois bouts de cinq minutes sur chacune des trois femmes protagonistes du documentaire. Il avait associé un morceau de musique que je lui avais envoyé à une femme sur un skate, et ça m’a bouleversé. L’image était belle, ce qu’elle racontait était fabuleux, très profond, et la musique fonctionnait. Et voilà. Ça m’a tout simplement bouleversé. Cela m’a fait, du reste, un peu le même effet lorsque j’ai vu les cinq premières minutes de « Mustang » : j’étais bouleversé. Et je me suis dit que même si le reste est à un niveau moitié moindre d’intensité, ça va être, de toute façon, quelque chose. En fait, je ne savais pas quoi attendre avec un documentaire, parce que ce n’est pas évident, même avec un traitement. De plus, « This Train I Ride » est particulier comme documentaire. Donc, une fois que j’ai eu vu les premières images du film, j’ai commencé la musique. Et j’ai décidé de créer la musique plutôt dans des trains. Ainsi, quand je prenais le métro ou l’Eurostar, j’avais mon ordinateur et je faisais la musique, manipulais des morceaux. Parce que ça bougeait, je me trouvais moi aussi embarqué. En fait, c’est une idée que j’ai eue alors que je travaillais en même temps sur un disque. Je devais aller à Berlin, à Londres, aux Etats-Unis et je travaillais dans l’avion. Quand je bougeais, j’étais en mouvement, je travaillais sur ce projet.

Les trains, et surtout les trains de marchandises, sont très bruyants. Cela a-t-il été un inconvénient pour composer la musique de ce film ? Quels instruments avez-vous privilégiés ? Et sur quels critères ?
En fait, j’ai envoyé à Arno une vingtaine de morceaux. C’est son film et il savait ce qu’il voulait. Il a sélectionné ceux qui marchaient et puis on s’est retrouvés dans le studio pendant trois jours pour faire le montage ensemble, ajouter ou supprimer des choses. A la base, c’était plutôt lui qui devait décider ce qu’il voulait et, de ce fait, il a sélectionné les morceaux qu’il souhaitait intégrer. Je lui ai proposé une gamme de choix, mais il était aussi très clair qu’il ne voulait pas une musique qui aurait été émotionnelle, qui aurait changé l’image voire même le sentiment que c’étaient les femmes qui parlaient. Et c’était important que la musique soit assez neutre. Pour moi, c’était intéressant de faire la musique dans le mouvement, quelque chose qui ressemble un peu à un train. Parce que je dois dire que ce documentaire n’est pas évident. Il y a un côté mouvement, c’est méditatif et il y règne une ambiance assez particulière. Qui plus est, ça parle de beaucoup de choses. En fait, ça parle de maintenant, des femmes, du courage qu’il faut avoir et surtout de celui de ne pas vouloir être une victime. Je trouve que ce film est très actuel.

A quel moment composez-vous la musique d’un film – et de celui-ci en particulier ? Est-ce après avoir lu le scénario, ou vu le film, pendant, voire même avant et, dans ce cas-là, est-ce que ce sont les images du film qui s’adaptent à la musique ?
Ça dépend. Chaque cas est différent. En général, je lis le scénario. Et puis, quand j’ai décidé de m’engager dans un projet, même s’il n’y a pas d’image, pas de scénario comme avec un documentaire, je me lance comme je commence avec n’importe quel projet, avec un disque, pour un groupe : je vais en studio avec un esprit ouvert. Je ne suis pas un compositeur classique qui arrive, regarde, joue avec ça et ça. Ce n’est pas comme ça que ça fonctionne avec moi. Je fais la musique et on voit alors si ça marche ou pas. J’attends les accidents et, pour moi, c’est important d’avoir un dialogue avec le reste du groupe. C’est leur avis qui est important.

Avec quel réalisateur ou univers de réalisateur aimeriez-vous travailler ?
J’ai la chance de travailler avec des réalisateurs et des réalisatrices que j’aime beaucoup. Deniz Gamze Ergüven, par exemple, qui a fait « Mustang ». Travailler avec elle, c’était un rêve. Elle est fabuleuse. De même avec Andrew Dominik ou bien John Hillcoat, le réalisateur de « La route » entre autres, ou encore Amy Berg qui a réalisé le documentaire « West of Memphis », elle est extraordinaire. J’ai eu la chance, en fait, de travailler avec des gens que j’aimais beaucoup. Je pense que les réalisateurs qui ont envie de travailler avec moi, il faut, en fait, qu’ils pensent que je peux apporter quelque chose au film. Je ne fais pas de la musique standard – je n’ai pas une approche classique de la composition de bandes originales – et, par ailleurs, ce n’est pas mon métier. Mon boulot, c’est de jouer dans des groupes et de faire des concerts. Je suis un peu gâté car je peux faire parallèlement des musiques de films. Je pense aussi à David Michôd, avec qui ça a été aussi assez extraordinaire de travailler. J’aime beaucoup faire la musique pour les films documentaires. Ça me donne une grande liberté et me permet de m’exprimer d’une façon qui n’est pas possible dans les groupes.

Y a-t-il, du reste, une différence entre composer pour un documentaire ou une fiction ?
Oui, il y a une différence. Pour le documentaire, il ne faut pas que la musique mange trop de place, parce que le dialogue est important, tout comme il est important de suivre les personnages, suivre leurs émotions. Le documentaire est tout autre chose si on le compare, sur ce plan, à la fiction.

J’ai lu que vous n’écriviez jamais rien lorsque vous composez. Alors, comment faites-vous pour mémoriser tous les morceaux ?
Je ne mémorise pas. Tout est enregistré. Récemment, j’ai fait des concerts à Melbourne avec un orchestre symphonique et, avec Nick, on a joué nos musiques de films. Et je dois dire que c’était la première fois pour moi que je rejouais des morceaux. On avait six musiques de films et, pour cette occasion, j’ai été obligé d’apprendre à l’oreille les morceaux. Mais je n’écris jamais. J’ai même, parfois, enregistré avec mon IPhone. J’ai du mal à me souvenir. Cela fait trente que je fais de la musique et tout est plus ou moins enregistré. Quand je suis dans un studio, maintenant tout est enregistré.

Quel est, selon vous, le rôle de la musique dans un film ?
Ça dépend des films ou si c’est un documentaire. On espère que ça apporte quelque chose globalement. Images, musique : c’est une collaboration. Et quand on trouve un film avec une image et la musique qui vous transportent, c’est génial. Je crois que le problème aujourd’hui c’est que la musique est, pourrait-on dire, comme de « la colle ». S’il y a un problème dans une scène du film, on va « coller » de la musique triste, histoire de mieux faire comprendre. C’est le système américain mais, avec ce procédé, on peut être sûr que la plupart des musiques sont oubliées tout de suite. Le rôle de la musique, ça dépend. Parfois, la musique peut vous transporter avec l’image ou bien il faut que ce soit quelque chose de discret qui change l’atmosphère. Mais la musique doit soutenir, doit jouer un rôle au même titre qu’une actrice ou un acteur. Il y a un rôle pour la musique aussi. Parfois, la musique peut avoir un rôle dominant, ça dépend, il n’y a pas de règles. Il faut que la musique mérite d’être là. Et, par ailleurs, il est essentiel qu’un réalisateur comprenne, sache ce qu’il veut avec la musique.

Multi-instrumentiste, y a-t-il un instrument que vous aimez plus particulièrement jouer ou que vous privilégiez dans les musiques de films ?
Non. Je joue de n’importe quel instrument. Par contre, je n’aime pas les cuivres, mais j’ai pris du plaisir à travailler avec tout ce qui est électronique depuis dix ans. A la base, j’ai commencé avec l’accordéon, et puis le violon et la flûte. J’avais 11 ou 12 ans. Et maintenant je suis ravi de travailler avec n’importe quoi. Si ça me donne quelque chose, je suis ravi.

A quand remonte votre rencontre avec Nick Cave ?
On s’est rencontrés dans les années 90. Nick m’a demandé de venir dans le studio où il était en train d’enregistrer un disque avec les Bad Seeds en 1993. Dans le même temps, il est allé voir jouer mon groupe et il m’a invité ensuite à partir en tournée en Grèce et en Israël en 1995. Et voilà. Ça a continué comme ça. Je me trouvais dans un groupe, on a commencé à beaucoup travailler ensemble et à faire des musiques de films et, pour le moment, on reste ensemble.

Vous vivez actuellement en France, ou du moins en partie, qu’est-ce qui vous a poussé à venir vous installer en France ?
J’ai rencontré ma femme aux Etats-Unis en 1996/97. A l’époque, elle était aux Etats-Unis et je vivais en Angleterre. Et voilà, ça s’est fait comme ça. Maintenant, je vis à Paris parce que ma femme est française, parisienne. Et je me trouve bien en France. C’est assez loin et proche. Je peux être aux Etats-Unis assez vite ou n’importe où, à vrai dire, sauf en Australie qui se trouve à l’autre bout du monde. Par ailleurs, la France est un pays où il fait bon vieillir.

Vous avez réalisé beaucoup de musiques de films en collaboration avec Nick Cave et, ces dernières années, composé en solo la bande originale du film « Mustang » (2015) pour lequel vous avez obtenu le César du Meilleur compositeur en 2016, ainsi que celle du film « Django » dans lequel vous reprenez même un requiem inachevé de Django Reinhardt – une prouesse car vous venez de la sphère du rock et n’avez pas forcément une formation classique. Est-ce à dire que vous pouvez jouer, composer toutes sortes de musiques qu’elles soient sacrées, lyriques, etc. ?
Pour ce qui est du Requiem, cela a, en fait, été possible parce que j’ai fait les thèmes, les mélodies et puis il me faut dire que j’ai travaillé avec un ange. Et c’était très intéressant pour moi, parce que c’était vraiment différent de ce que j’avais fait auparavant. Cela m’a permis de me mettre en confiance, en fait, et de me dire que c’est possible, qu’il n’y a rien d’insurmontable. Maintenant, tout est possible et on peut toujours trouver un moyen d’y arriver. Ce que j’aime bien avec les films, c’est que ça m’a donné une énorme liberté. Une musique comme ça, jamais je ne la ferai ou alors ce serait quelque chose d’approchant mais pas vraiment comme ça. Et j’aime bien avoir cette possibilité avec les films parce que c’est le film qui vous sollicite.

Comptez-vous continuer en solo à composer des musiques de films ?
Déjà, cette année, j’ai fait un autre documentaire sur Michael Hutchence [« Mystify Michael Hutchence » de Richard Lowenstein] ; j’ai fait aussi la musique d’un film sur Gauguin [« Gauguin – Voyage  de Tahiti » de Edouard Deluc (2017)]. Je vais composer la musique du prochain film de Lucile Hadžihalilović. En fait, j’aime bien être dans une équipe, travailler avec les gens, avec un autre et j’aime bien les groupes aussi. Avec Nick, par exemple, c’est bien parce qu’il y a un discours. C’est stimulant. Une musique, c’est une langue, un langage ; c’est un discours. Maintenant, je me suis trouvé, par hasard, à faire des films tout seul. C’est une évolution, et c’est bien d’évoluer.

Mais est-ce que ça vous laisse du temps pour des tournées, des concerts, des albums ?
Je viens de terminer deux ans de tournée, et il y a un nouveau disque qui sort début octobre : « Ghosteen » (Nick Cave & The Bad Seeds)*. Pour ce qui est des tournées et des concerts, je n’ai pas arrêté depuis 1990. Je suis six/sept mois en tournée par an. On vient de terminer deux ans de tournée avec « Skeleton Tree », notre précédent album. Et j’ai fait un disque en même temps. Je n’arrête pas : soit je fais un disque, soit je fais une musique de film ou je suis en tournée. Notamment en Finlande où nous sommes venus à plusieurs reprises et dont la dernière fois remonte à deux ans, je crois. [Pori Jazz, juillet 2017 – NDLA]

Quels sont vos projets actuels ?
Il y a donc des musiques de films en cours, un album qui va sortir le 3 octobre, « Ghosteen* », sur lequel j’ai travaillé pendant deux ans. C’est un double album. Par ailleurs, j’ai enregistré un disque avec « Dirty Three » – ça aussi c’est terminé – et, comme projet, je vais composer la musique du prochain film d’Andrew Dominik qui s’intitule « Blonde ». Donc, je suis assez sollicité mais soit c’est ça ou soit c’est rien. J’ai travaillé toute ma vie et c’est vrai que maintenant j’ai de plus en plus d’offres, mais c’est difficile de dire non même si, parfois, il le faut.

Propos recueillis en français
par Aline Vannier-Sihvola
Helsinki, le 26.09.2019

* Ghosteen est le 17e album studio du groupe australien Nick Cave & The Bad Seeds, sorti le 3 octobre 2019 au format numérique et prévu en sortie physique le 8 novembre 2019 sous la forme d’un double album.

__________________________________________________________________________________________

A VOIR PROCHAINEMENT à la cinémathèque KINO REGINA / Bibliothèque OODI de Helsinki le dernier film de la saison en français du réalisateur finlandais EINO RUUTSALO :

LES SIFFLEURS / VIHELTÄJÄT
Eino Ruutsalo
Finlande (1964), 81 min
Avec Jean-Claude Brialy, Robert Manuel, Claudine Coster, Jean-Louis Trintignant, Pascale Petit
Le 29.12. à 16 h 30
À Paris, un groupe de jeunes aspirants comédiens attend le moment de percer sur scène ou à l’écran. Parmi eux, Pierre, un garçon plein d’ambition mais peu chanceux. Sa vie prend une nouvelle direction lorsqu’il rencontre Catherine dont il s’éprend…

Pour celles et ceux qui ne pourraient pas se rendre le 29 décembre à la cinémathèque KINO REGINA / Bibliothèque OODI de Helsinki – mais aussi pour les spectateurs chanceux de ce film – ne pas manquer de voir ce petit reportage (ci-dessous) de quelque 6 minutes, assez désopilant mais qui porte un éclairage sur le Paris des cinémas des années 60 (pour la plupart disparus) et ravira les nostalgiques de cette époque.

La Cinémathèque KINO REGINA fait sa rentrée


Les films français en programmation pour la saison automne / hiver 2021


kino regina
kino regina 1

Bibliothèque Oodi / Keskustakirjasto Oodi
Töölönlahdenkatu 4 – Helsinki

KINO REGINA comporte 251 places qui font face à un grand écran de 11 mètres. Dans les conditions actuelles, la salle est actuellement ouverte en entier, à 100% de sa capacité par séance. Mais il n’en demeure pas moins recommandé d’acheter son billet à l’avance par voie électronique. Les équipes de KINO REGINA vous attendent avec un protocole sanitaire qui vous permettra de profiter de la salle et des séances en toute sécurité.

KINO REGINA a réouvert ses portes dans l’enceinte de la bibliothèque OODI, élue meilleure bibliothèque au monde en 2019. La cinémathèque offre en ce début d’automne 2021 une programmation riche de films aux registres variés, dont une sélection des meilleurs films français.

KINO REGINA met cet automne à l’honneur la réalisatrice française Mia Hansen-Løve dont le premier film anglophone va sortir en salles cette année, et la sélection proposée, dont le thème African Express, par la Cinémathèque ne manque ni de chefs-d’oeuvre ni de trésors cachés. A voir, notamment, le 30 septembre et le 1er octobre, La Noire de… du cinéaste sénégalais Ousmane Sembène et à lire l’entretien avec le réalisateur accordé en avril 2006 lors de sa venue à Helsinki en tant qu’invité de la Cinémathèque (cinefinn.com).

RÉTROSPECTIVE MIA HANSEN-LØVE

TOUT EST PARDONNÉ / ALL IS FORGIVEN
France (2005), 105 min
Le 05.10. à 18 h 30
Le 07.10. à 20 h 30

LE PÈRE DE MES ENFANTS / FATHER OF MY CHILDREN
France (2009), 112 min
Le 13.10. à 20 h 45
Le 17.10. à 16 h 30

UN AMOUR DE JEUNESSE / GOODBYE FIRST LOVE
France/Allemagne (2011), 110 min
Le 20.10. à 18 h 30
Le 22.10. à 18 h 45

EDEN
France (2014), 131 min
Le 29.10. à 20 h 30
Le 02.11. à 21 h 15

L’AVENIR / TÄMÄN JÄLKEEN
France/Allemagne (2016), 100 min
Le 04.11. à 21 h 00
Le 07.11. à 19 h 45

______________________________________
Dans la série AFRICAN EXPRESS

LA NOIRE DE… / BLACK GIRL
Ousmane Sembène
Sénégal/France (1966), 65 min
Prix Jean-Vigo 1966
Le 30.09. à 17 h 00
Le 01.10. à 19 h 00
A cette occasion, lire l’entretien avec Ousmane Sembène sur cinefinn.com

WEST INDIES
Med Hondo
France/Algérie/Mauritanie (1979), 115 min
Le 05.10. à 20 h 45
Le 15.10 à 16 h 30

TOUKI BOUKI
Djibril Diop Mambéty
Sénégal (1973), 88 min
Langue : français/wolof
Prix de la critique internationale/Festival de Cannes 1973
Le 06.10. à 18 h 30
Le 08.10. à 18 h 30

CHRONIQUE DES ANNÉES DE BRAISE
Mohammed Lakhdar-Hamina
Algérie (1975), 177 min
Langue : français/arabe algérien
Palme d’or/Festival de Cannes 1975
Le 14.10. à 18 h 45
Le 17.10. à 18 h 45

YAABA
Idrissa Ouédraogo
Burkina Faso/France/Suisse (1989), 87 min
Langue : Mooré – Sous-titres : finnois/suédois
Prix FIPRESCI et Prix du Jury oecuménique/ Festival de Cannes 1989
Le 21.10. à 16 h 30

YEELEN
Souleymane Cissé
Mali/Burkina Faso/France (1987), 107 min
Langues : Bambara et Peul – Sous-titres : finnois/suédois
Prix du Jury/Festival de Cannes 1987
Le 24.10. à 16 h 30
Le 13.11. à 16 h 30
Le 18.11. à 18 h 45

___________________________________________________
Dans la série ELOKUVAN HISTORIA (Histoire du cinéma) :

LES FRÈRES LUMIÈRE / LUMIÈREN VELJEKSET: SUOMEN ENSIMMÄINEN ELOKUVAESITYS (Première projection en Finlande 28.06.1896)
France (1895-1897), 90 min
Le 02.11. à 17 h 00

LA PASSION DE JEANNE D’ARC / JEANNE D’ARCIN KÄRSIMYS
Carl Theodor Dreyer
France (1928), 83 min
Le 16.11. à 17 h 00

HIROSHIMA, MON AMOUR / HIROSHIMA, RAKASTETTUNI
Alain Resnais
France/Japon (1959), 90 min
Prix Méliès 1959
Le 04.01.2022 à 18 h 45
Le 09.01.2022 à 18 h 15

__________________________________________________________
Ne pas manquer également :

ADIEU L’AMI / YKSINÄISET SUDET
Jean Herman
France/Italie (1968), 115 min
Le 17.11. à 21 h 20
Le 20.11. à 19 h 45

LES SIFFLEURS / VIHELTÄJÄT
Eino Ruutsalo
Finlande (1964), 81 min
Le 29.12. à 16 h 30

Retrouver toute la programmation sur : http://www.kinoregina.fi