Festival international du film de Helsinki – AMOUR & ANARCHIE 2022

Festival international du film de Helsinki – Amour & Anarchie
15-25 septembre 2022

Le Festival international du film de Helsinki – Amour & Anarchie a lieu chaque année, depuis 1988, en septembre. Il fête cette année sa 35e édition et se déroulera du 15 au 25 septembre 2022. Le Festival s’ouvrira avec « Triangle of Sadness », une comédie satirique du cinéaste suédois Ruben Östlund (Palme d’or/Cannes 2022 après une première Palme d’or pour « The Square » en 2017) et se clôturera avec « The Banshees of Inisherin » du réalisateur irlandais Martin McDonagh (Prix du Meilleur scéanario/ Mostra de Venise 2022).

Le Festival Amour & Anarchie – le plus grand festival du film de Finlande et, également, le plus accessible –, met en valeur de nouveaux films inventifs, visuellement étonnants et controversés, révèle les talents prometteurs de demain. Parfois décoiffant, mais à voir !

Les salles Bio Rex, Kinopalatsi, Kino Regina, Cinema Orion, Maxim, Korjaamo Kino, Kino Engel, Kino Tapiola, Riviera, WHS Teatteri Union, Savoy-teatteri, Tennispalatsi, Finnkino Itis et Tripla assureront un total de 600 projections.

Cette année, au programme des quelque 180 longs et 170 courts métrages du monde entier présentés lors des 11 jours de cette 35e édition, une sélection des meilleurs films français et francophones dernièrement sortis, dont :

AVEC AMOUR ET ACHARNEMENT / BOTH SIDES OF THE BLADE (2022)
Claire Denis

France – 116 min

LES PASSAGERS DE LA NUIT / THE PASSENGERS OF THE NIGHT (2022)
Mikhaël Hers

France – 111 min

LES OLYMPIADES, PARIS 13e / PARIISI, 13. KAUPUNGINOSA (2022)
Jacques Audiard

France – 105 min

LES PIRES / THE WORST ONES (2022)
Romane Gueret, Lise Akoka

France – 99 min

TOUT S’EST BIEN PASSÉ / KAIKKI MENI HYVIN (2021)
François Ozon

France/Belgique – 113 min

PETER VON KANT (2022)
François Ozon

France/Belgique – 85 min

LA LIGNE / THE LINE (2022)
Ursula Meier

France/Belgique/Suisse – 102 min

UN MONDE / PLAYGROUND (2021)
Laura Wandel
Belgique/France – 72 min

LA NUIT DU 12 / THE NIGHT OF THE 12TH (2022)
Dominik Moll

France/Belgique – 97 min

L’ÉVÉNEMENT / HAPPENING (2021)
Audrey Diwan

France – 100 min

CALAMITY (2020)
Rémi Chayé

France/Danemark – 85 min
Film d’animation

RODÉO (2022)
Lola Quivoron

France – 105 min

ALLONS ENFANTS / ROOKIES (2022)
Alban Teurlai, Thierry Demaizière

France – 110 min

PLUS QUE JAMAIS / MORE THAN EVER (2022)
Emily Atef

France/Allemagne/Luxembourg/Norvège – 122 min

PETITE MAMAN / MAJA LAPSUUDEN REUNALLA (2022)
Céline Sciamma

France – 73 min

TOUT LE MONDE AIME JEANNE / EVERYBODY LOVES JEANNE (2022)
Céline Devaux

France – 95 min

HEARTBEAST / SYDÄNPETO (2022)
Aino Suni

Finlande/France/Allemagne – 102 min

Retrouvez l’ensemble de la programmation :
http://www.hiff.fi

FESTIVAL AMOUR & ANARCHIE 2021

Festival international du film de Helsinki – Amour & Anarchie
16-26 septembre 2021

Le Festival international du film de Helsinki – Amour & Anarchie a lieu chaque année, depuis 1988, en septembre. Il fête cette année sa 34e édition et se déroulera du 16 au 26 septembre 2021. Le Festival s’ouvrira avec « Annette », drame musical du cinéaste français Leos Carax et se clôturera avec « Bergman Island » de la réalisatrice française Mia Hansen-Løve.

Le Festival Amour & Anarchie – le plus grand festival du film de Finlande et, également, le plus accessible –, met en valeur de nouveaux films inventifs, visuellement étonnants et controversés, révèle les talents prometteurs de demain. Parfois décoiffant, mais à voir !

En raison de la pandémie du coronavirus, la vente des billets a été limitée à seulement 50% de la capacité normale des salles qui, bien évidemment, mettent tout en oeuvre pour assurer la sécurité des spectateurs. Certains films peuvent même être visionnés en ligne.

Les salles Bio Rex, Kinopalatsi, Kino Regina, Cinema Orion, Maxim, Korjaamo Kino, Kino Engel, Kino Tapiola, Riviera, WHS Teatteri Union, Kino K 13, Finnkino Itis et Tripla assureront un total de 600 projections.

Cette année, au programme des quelque 180 longs et 170 courts métrages du monde entier présentés lors des 11 jours de cette 34e édition, une sélection des meilleurs films français et francophones dernièrement sortis, dont :

ANNETTE (2021)
Leos Carax

France – 139 min
Film d’ouverture – Drame musical en anglais
16.9. à 17 h 15 – Bio Rex
16.9. à 20 h 45 – Bio Rex

SOUS LE CIEL D’ALICE / SKIES OF LEBANON (2020)
Chloé Mazlo

France – 107 min
17.9. à 16 h 15 – Cinema Orion
18.9. à 21 h 15 – Maxim 2
23.9. à 16 h 30 – Korjaamo Kino
24.9. à 20 h 45 – Maxim 2
26.9. à 18 h 45 – Cinema Orion

CIGARE AU MIEL / HONEY CIGAR (2020)
Kamir Aïnouz

Algérie/France – 100 min
17.9. à 18 h 00 – Finnkino Itis 7
18.9. à 18 h 15 – Kinopalatsi 10
20.9. à 18 h 30 – Kinopalatsi 10
22.9. à 20 h 45 – Korjaamo Kino

JOSEP (2020)
Aurel

France/Espagne/Belgique – 71 min
Film d’animation
17.9. à 18 h 30 – Kino Engel 2
19.9. à 11 h 30 – Cinema Orion
20.9. à 21 h 00 – Korjaamo Kino
21.9. à 18 h 30 – Kino Engel 1
26.9. à 15 h 30 – Kino Engel 1

LA NUIT DES ROIS / NIGHT OF THE KINGS (2020)
Philippe Lacôte

Côte d’Ivoire/France/Canada/Sénégal – 93 min
17.9. à 18 h 30 – Kino Regina
18.9. à 21 h 00 – Kino Regina
19.9. à 20 h 00 – Finnkino Itis 7
22.9. à 14 h 15 – Bio Rex
23.9. à 21 h 00 – Korjaamo Kino
25.9. à 18 h 45 – Cinema Orion

GAGARINE – KIERTORADALLA (2020)
Jérémy Trouilh, Fanny Liatard

France – 98 min
17.9. à 19 h 00 – Kinopalatsi 2
25.9. à 16 h 00 – Bio Rex

LE DERNIER REFUGE / THE LAST SHELTER (2021)
Ousmane Samassekou
Mali/France/Afrique du Sud – 85 min
Documentaire
17.9. à 20 h 30 – Finnkino Itis 7
19.9. à 21 h 00 – Korjaamo Kino
20.9. à 20 h 30 – Maxim 2
23.9. à 21 h 00 – Tripla Bio Rex 4

SLALOM (2020)
Charlène Favier

France – 92 min
17.9. à 20 h 45 – Kinopalatsi 10
18.9. à 18 h 00 – Kino Engel 1
19.9. à 20 h 45 – Kinopalatsi 10
21.9. à 20 h 30 – Kino Engel 1
22.9. à 18 h 00 – Kino Engel 1


SEIZE PRINTEMPS / SPRING BLOSSOM (2020)
Susanne Lindon

France – 73 min
17.9. à 21 h 15 – Maxim 2
18.9. à 18 h 30 – Korjaamo Kino
22.9. à 21 h 00 – Tripla Bio Rex 4
26.9. à 14 h 45 – Maxim 2

CALAMITY (2020)
Rémi Chayé

France/Danemark – 85 min
Film d’animation
18.9. à 11 h 45 – Bio Rex
22.9. à 21 h 30 – Kinopalatsi 1
23.9. à 18 h 30 – Tripla Bio Rex 5
25.9. à 15 h 30 – Kinopalatsi 8
26.9. à 16 h 15 – Kinopalatsi 2

DEUX / YHDESSÄ (2019)
Filippo Meneghetti

Belgique/France/Luxembourg – 99 min
18.9. à 14 h 00 – Korjaamo Kino
20.9. à 18 h 30 – Korjaamo Kino

UN TRIOMPHE / SUURTA TEATTERIA (2020)
Emmanuel Courcol

France – 105 min
19.9. à 18 h 30 – Bio Rex
24.9. à 21 h 30 – Kesäkino Engel (séance en plein air)

LA NOIRE DE… / BLACK GIRL (1966)
Ousmane Sembène

Sénégal/France – 65 min
22.9. à 21 h 00 – Maxim 1
24.9. à 18 h 45 – Kino Regina
Lire l’entretien avec Ousmane Sembène accordé en avril 2006 lors de sa venue à Helsinki, invité de la Cinémathèque finlandaise (www.cinefinn.com)

ADN / PERINTÖ (2020)
Maïwenn

France – 90 min
23.9. à 21 h 00 – Bio Rex
25.9. à 21 h 30 – Kesäkino Engel (séance en plein air)

BERGMAN ISLAND (2021)
Mia Hansen-
Løve
France – 112 min
26.9. à 18 h 30 – Bio Rex
26.9. à 21 h 15 – Bio Rex

Retrouvez l’ensemble de la programmation :
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Coup de projecteur sur F. J. OSSANG

À NE PAS MANQUER :

Dimanche 4 avril, sur France 2, à 00 h 00 (heure française)
Histoires courtes
Soirée « F. J. Ossang. Poète argentique »

« Sens-tu comme le vent griffe, lumière si crue. L’on descend du ciel jusqu’à l’ombre des feuillages … ».
Par ses courts-métrages, F. J. OSSANG nous offre un moment de poésie, à l’argentique.

« VILLA DES LONGUES ALLÉES » de F. J. OSSANG (20 min). Produit par 1015 Productions. INEDIT.
Dans la nuit d’une ville méditerranéenne surprise par la neige et la glace, un homme, du nom de Magloire tombe sur un inconnu près de mourir. Cherchant à le secourir, Magloire hérite d’un paquet d’argent tandis que l’autre agonise. Mais les ennuis commencent, une bande est à ses trousses.

« SRI AHMED VOLKENSON » de F. J. OSSANG (34 min). Produit par 1015 Productions. INEDIT.
Après avoir été fait prisonnier par la bande de « Kurtz », Magloire, un homme sans bagages et sans avenir, devient leur complice et embarque avec eux à bord d’un mystérieux cargo.

« CAP SUR LE NOWHERELAND » de F. J. OSSANG (39 min). Produit par 1015 Productions. INEDIT.
Rien ne se passe comme prévu à bord du cargo où a embarqué Magloire. Les hommes de Kurtz s’avèrent être les jouets d’une machination conduite par le mystérieux « 9 Doigts ». Le poison et la folie gagnent le navire.Soirée « F. J. Ossang. Poète argentique »

  • Soirée « F.J. Ossang. Poète argentique »
  • Dimanche 4 avril, à 00 h 00 (heure française)
  • Sur France 2, dans Histoires courtes (3 courts métrages inspirés de son dernier film « 9 Doigts »)
  • En replay (7 jours), sur https://www.france.tv/france-2/histoires-courtes/


Lire ENTRETIEN AVEC F. J. OSSANG accordé lors du Festival Amour & Anarchie de Helsinki, en 2017, alors que le réalisateur était venu présenter son dernier long métrage « 9 Doigts ».

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ENTRETIEN AVEC F. J. OSSANG

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J. Ossang – réalisateur, écrivain, poète, musicien – était l’invité du dernier Festival Amour & Anarchie qui s’est déroulé à Helsinki en septembre 2017. Cet artiste polymorphe hors normes, venu présenter son dernier film, faisait son grand retour, après six ans d’absence, dans le paysage cinématographique français avec son 5e long métrage « 9 Doigts », récemment récompensé du Léopard de la Meilleure mise en scène au Festival de Locarno.
« 9 Doigts » est un film noir d’anticipation, en noir et blanc, un film comme on en voit peu. A la suite d’un braquage, une bande de malfrats embarque sur un étrange cargo à destination du Nowhereland. Une expédition expérimentale en eaux troubles, qui vibre au rythme de MKB Fraction Provisoire, de quoi ravir les punks de la première heure et les amoureux du cinéma expressionniste… Et toujours en pellicule !

F. J. O. 2 - Copy - Copy

Vous êtes, semble-t-il, déjà venu au moins une fois en Finlande. Vous revenez pour présenter cette fois-ci votre 5e long métrage « 9 Doigts » qui sortira en France en mars 2018. Qu’est-ce qui vous a fait accepter l’invitation du Festival Amour & Anarchie qui a, paraît-il, projeté chacun de vos précédents films à leur sortie ?
J’ai beaucoup de proximité avec ce Festival parce que j’y suis venu pour la première fois en 1991 avec « Le trésor des îles chiennes », qu’ils avaient projeté en grand, en plein air, sous la statue d’Alexandre II, à Helsinki. C’était à l’époque un festival plus modeste, très chaleureux et j’en ai gardé un très bon souvenir. Il y avait une grande camaraderie avec Pekka Lanerva et son associé Mika Siltala. Puis, je suis revenu une deuxième fois en 1998 pour « Docteur Chance » ; je venais juste d’avoir la copie avec les sous-titrages anglais et je suis venu porter le film ici. Ensuite, ils ont été très chics car ils ont même pris une série de trois courts métrages que j’ai réalisés dans les années 2000 qui s’appelait « Triptyque du paysage » où il y avait « Silencio », qui a miraculeusement eu le Prix Jean Vigo, ainsi que deux films tournés à Vladivostok qui ont été présentés dans la section « French Touch » du Festival, au milieu de longs métrages, ce qui était très gentil de leur part. Ensuite, ils ont pris aussi « Dharma Guns » et, bien sûr, quand j’ai maintenant reçu l’invitation pour « 9 Doigts », j’ai immédiatement accepté ; je donne toujours la priorité à Helsinki.

Que connaissez-vous du cinéma finlandais ?
Je connais surtout les frères Kaurismäki, Mika et Aki, que j’aime beaucoup. Aki est pour moi un des cinéastes capitaux de ces années-là.

D’aucuns rapprocheraient vos films, du moins leur atmosphère, la noirceur, la gestuelle des personnages, de ceux de Aki Kaurismäki – toutefois, bien moins bavards que les vôtres. Qu’en pensez-vous ?
Certainement on a des affections, des influences très communes. Aki, bien sûr, a fait plus de films que moi. Mais c’est vrai que, quand j’étais très en péril pour « Docteur Chance » et que c’était très fatigant de commencer le film, j’avais dit que si quelqu’un devait finir le film, ce serait Aki Kaurismäki. Il ne l’a jamais su… C’était un film où il y avait aussi Joe Strummer. J’ai connu Kaurismäki dès ses premiers films et vraiment c’est quelqu’un que j’apprécie énormément. Et puis, ses interviews sont passionnantes quand il parle de cadre, de cinéma. D’ailleurs, je sais qu’il tourne toujours en pellicule et, à ce propos, j’ai publié un petit livre qui s’appelle « Mercure insolent », une espèce de plaidoyer un peu fanatique. On m’avait demandé un livre sur ce qu’est le cinéma et c’est avec effarement que je me suis aperçu qu’en fait la pellicule pouvait disparaître. Le cinéma argentique est le seul mode d’expression qui se conjugue au présent absolu. Dans la peinture, l’écriture ou le cinéma numérique, on peut toujours retoucher. En pellicule, on ne peut pas tricher. Même s’il y a du montage et de la postproduction, il y a quand même à la base un enregistrement immédiat du présent. C’est un livre qui est assez saisissant pour certaines personnes. C’est publié chez Armand Colin.

Vous avez été influencé par quel cinéma, quels sont les cinéastes qui vous ont inspiré ?
En fait, j’aimais James Bond quand j’étais jeune et j’ai été très amusé d’apprendre finalement que le seul cinéma dont parle avec éloge Robert Bresson, c’est James Bond. Bresson est toujours surprenant ! Sinon, comme j’étais à Toulouse à l’époque, je fréquentais régulièrement les salles de cinéma et j’ai pu découvrir les trésors allemands d’avant 1933, que ce soit Murnau, Fritz Lang ou l’avant-garde soviétique comme Eisenstein, Dojvenko, Dziga Vertov, Poudovkine, etc. et bien sûr, l’avant-garde française de cette époque. Mais c’est vrai qu’il y avait une telle réussite patente du côté des cinéastes russes et allemands que c’était plutôt de ce côté-là que j’étais attiré. Et il y avait aussi le cinéma noir américain avec, parfois, des éblouissements complets. Je me souviens avoir vu, justement à Toulouse, pour la première fois « Asphalt Jungle ». Il y a aussi des gens comme Josef von Sternberg pour qui j’ai une étrange passion, qui a fait « L’ange bleu », « Shangai Express ». C’est un cinéaste passionnant que j’ai redécouvert à travers une rétrospective il y a une dizaine d’années, dans des films comme « Morocco » dont je n’avais vu auparavant qu’une copie médiocre, avec cette espèce d’exotisme colonial, assez décalé en même temps, et là, dans une copie revue avec Marlène Dietrich et Gary Cooper, j’ai découvert un film sublime. Et puis, on s’aperçoit que c’est lui qui a lancé le film de gangsters avec « Underworld » (film muet de 1927). Un très curieux bonhomme. Et, bien sûr, la Nouvelle vague et puis, Guy Debord.

Pourquoi ce choix du titre « 9 Doigts » qui ne convie pas l’imaginaire du spectateur et a tendance à masquer une oeuvre magistrale, aussi fascinante qu’énigmatique ?
Tout d’abord, j’aime bien le chiffre 9. Et j’aime bien « 9 Doigts » parce que le mot « doigts » au pluriel est un des mots les plus mystérieux de la langue française. En fait, ce titre a beaucoup plu à certaines personnes. Il est énigmatique, ça fait presque un peu rébus. J’ai donc gardé le titre que j’avais trouvé lorsque j’avais écrit une dizaine de pages du scénario. Un titre court et abstrait.

Comment est né ce film ? Et pourquoi le choix du noir et blanc et du 35 mm, comme, du reste, dans la plupart de vos films ?
A Bordeaux, la Commission Films a beaucoup aimé le film, mais c’est finalement le Portugal qui s’est impliqué dans le projet. Et puis, de toute façon, même si on avait eu beaucoup d’argent, ce  film était difficile à faire. C’était vraiment une gageure, avec de l’eau dans tous les coins, un film d’aventure maritime. Il est vrai qu’il y a toujours l’océan, des vaisseaux-fantômes, des légendes de mer, des circulations d’eau dans un coin de mes films. Le Portugal s’est donc vite associé à l’affaire. J’ai gagné le Prix Eurimages, mais à partir de là je n’ai jamais eu le soutien financier du Fonds Eurimages, ni d’aucune télévision. Et puis, avec le nouveau règlement français qui applique la parité, cela signifie que moins vous avez d’argent moins vous en avez, et s’il n’y en a pas beaucoup il y en a encore moins. Et quand il y a des petits budgets, il faut, à ce moment-là, automatiquement tourner en numérique. Donc, le film a été très dur à faire mais, par contre, le Portugal a répondu présent. J’avais un très bon co-producteur portugais, la production française, quant à elle, m’a laissé tomber presqu’à deux mois du tournage, mais un jeune producteur a décidé de m’aider et comme j’avais ma propre compagnie de production qui s’appelle OSS 100 Films & Documents, on a gardé les acquis et, grâce au Portugal qui nous a accordé pas mal d’aides, on a réussi à faire le film. En fait, c’est un budget qui est en gros le même depuis 20 ou 25 ans, mais ce sont les prix qui ne sont plus les mêmes.

Et pourquoi une partie du tournage se passe au Pays basque ?
C’est une région qui me plaît bien et il se trouvait que j’avais de la famille par là-bas. Mais, pour revenir au noir et blanc, à la pellicule, le noir et blanc c’est parfait aussi bien pour recycler la déterritorialisation que pour filmer les visages, parce qu’en fait il n’y a, pour moi, que deux cinémas : le cinéma du visage et le cinéma du paysage.

Voilà plus de 30 ans que vous vous êtes lancé dans le cinéma. Vous avez réalisé 5 courts et 5 longs métrages souvent sélectionnés voire primés dans les festivals, notamment au dernier Festival international du film de Locarno où vous venez d’être récompensé du Léopard de la Meilleure mise en scène pour « 9 Doigts ». Est-ce finalement la reconnaissance – attendue ou pas, du reste ?
Là, c’était une surprise. Même s’il n’y a que quatre films sur seize qui restent, c’est très difficile de passer de quatre à un… Là, pour ce festival, ça a été rapide mais ça s’est très bien passé, je dois dire. Il n’y a pas eu cette fois les problèmes techniques que j’avais un petit peu eus pour « Dr Chance ». Et puis, j’ai eu de la chance d’avoir un jury quand même très éthéré, disons, parce qu’il y avait des gens que j’apprécie beaucoup dans le jury. C’est très amusant car, à la projection de presse, j’avais 60 ans, et maintenant, à la projection officielle, pile 61 ans, jour de mon anniversaire. Et je suis très content, à cet âge-là, d’avoir mon premier prix international.

Comment s’est effectué le choix des acteurs ?
Les premiers que j’ai choisis, ce sont effectivement les habitués, parce qu’il y en a deux ou trois qui sont un petit peu de la bande, que ce soit Elvire, Diogo Dória ou Lionel Tua qui ont fait tous mes films pratiquement. Et puis, j’étais très intéressé par Pascal Greggory. Ça s’est très bien passé. J’avais beaucoup sympathisé avec lui lors d’un festival qui se passait justement en Aquitaine, comme ça par hasard. Et puis j’étais aussi intéressé par Gaspard Ulliel. Je l’ai contacté à travers la productrice qui avait produit à l’époque un film de Rithy Panh au Cambodge dans lequel il avait tourné. Après avoir visionné « Dharma Guns » et « Dr Chance », Gaspard Ulliel m’a dit qu’il ne savait pas qu’un tel cinéma existait en France. Il a tout de suite été de bonne volonté, malgré des contingences personnelles, et il a beaucoup aimé le scénario de « 9 Doigts ». Et puis pour Paul Amy, c’est un copain décorateur Jean-Vincent Puzos, originaire du Cantal comme moi, qui venait avec lui de faire un film de James Gray, qui m’en a parlé. Et c’est comme ça que j’ai rencontré Paul Amy qui rêvait un peu de tourner dans mes films. Donc, le casting s’est fait un tout petit peu à toute vitesse.

Vous dédiez votre film au poète surréaliste haïtien Magloire Saint-Aude, dont le personnage principal porte le nom. Vous êtes vous-même poète, écrivain, musicien et votre film est nourri de ce que vous êtes, de ce qui vous a fait. Est-ce que le nom de chaque personnage, à l’image aussi de Kurtz qui pourrait être inspiré d’un roman de Joseph Conrad, fait référence à des auteurs qui ont compté pour vous ? Du reste, il suffit de prendre votre nom d’artiste pour voir que vous aimez bien joué avec les mots.
J’aime vraiment beaucoup Magloire Saint-Aude. C’est vrai que dans mon précédent film « Dr Chance » il y avait aussi une référence à Georg Trakl, qui est un poète autrichien que j’aime infiniment. Magloire Saint-Aude est un grand poète haïtien, très peu connu finalement, et puis il y avait indirectement quelquechose de vaudou dans la façon de faire mes films. C’est comme ça que j’ai eu envie, une fois de plus, d’emprunter à un poète le nom d’un des personnages de mes films. Quant aux autres personnages, Kurtz, Delgado, Ferrante, ce sont plutôt des assonances qui m’ont guidé dans le choix des noms.

Est-ce que le cinéma est une manière aussi pour vous, comme l’a été et, sans doute, l’est encore la musique, de continuer la poésie ?
En fait, c’est l’écriture qui s’est imposée en premier. J’ai fait une revue qui s’appelle « La Revue Cée ». Entretemps, le punk est arrivé et a sorti de l’isolationnisme la poésie. C’était intéressant de la confronter à quelque chose d’anti-classiste parce que le rock ‘n’ roll réunit un peu toutes les classes. Et puis, vers 23/24 ans, j’ai passé le concours de l’Idhec et ai commencé à faire des films. C’est là que j’ai appris à l’Idhec que pour faire un film il suffisait d’une boîte de pellicule et d’une caméra. Et après, c’est vrai que la poésie et le cinéma me passionnent parce qu’ils sont exactement l’inverse de l’autre. La poésie, c’est une interrogation sur le mystère lumineux, elle passe par une espèce de relation passionnelle voire maternelle alors qu’au contraire le cinéma, c’est plutôt une espèce de geste solaire, de prise lumineuse, un peu comme un oiseau qui fonce sur sa proie. Et comme je n’ai, en quelque sorte, réussi nulle part, aucune voie, de fait, ne s’est imposée, je dis toujours que, ne pouvant pas entrer par la porte, je suis entré par la fenêtre. Donc, j’ai continué l’écriture, la musique, et c’est peut-être une chance dans la difficulté de ne pas rester dans un système trop endogène. En fait, pour ce qui est du cinéma en France, je trouve quelquefois qu’il se fait beaucoup trop de films. Alors, finalement, peut-être que l’écriture revitalise les questionnements.

Dans tous vos films, mais plus particulièrement dans « 9 Doigts », vous vous appuyez sur le texte. Les mots sont porteurs de réflexions philosophiques, les formules fusent. « Ne rien comprendre, voilà la clé », dit l’un des personnages. A qui s’adresse ce message ? Est-ce une charge contre notre société ? Une société en errance, qui aurait perdu ses repères, ses valeurs : « La carte n’est pas le territoire »…
C’est une phrase très importante. En fait, le personnage la déforme et dit « La carte n’aime pas le territoire ». A l’origine, c’est une citation de Korzybski, qui a beaucoup influencé William Burroughs, et c’est une phrase qui a été aussi reprise par les situationnistes jusqu’au roman récent de Michel Houellebecq. C’est vrai qu’en tactique, en stratégie, on s’aperçoit que sur la carte, ça a l’air simple… mais, en fait, ça ne l’est pas : 50 km, ça peut prendre 15 jours, et puis il y a d’autres inconnues. Quant à l’autre phrase – « Ne rien comprendre, voilà la clé » –, c’est vrai qu’à un moment donné on est dans une époque où on ne comprend plus rien. Ne rien comprendre, c’est un petit peu presque nietzschéen, c’est tout prendre, parce que ne rien comprendre et tout comprendre, c’est prendre les choses comme telles. « Comprendere » signifie « prendre avec soi ». Magloire, le protagoniste, ne se révolte jamais, il s’adapte, il essaie de contourner. Il n’a rien à perdre et il essaie par tous les moyens de s’en sortir. Mais, à la fin, à force de lui raconter n’importe quoi, quand il voit l’autre qui prend la valise de polonium et recommence à le baratiner, là, justement, il coupe le discours. Il dit « Non ! ». Mais pour reprendre la question, c’est vrai que c’est un peu mon film le plus « eustachien ». Car, en fait, il y a des paroles mais pas tant que ça dans mes films alors que là, à certains moments, les dialogues prennent totalement le dessus car j’ai vraiment eu envie de filmer la parole un peu comme le fait magnifiquement Eustache dans « La maman et la putain » que j’ai revu récemment et qui est un film absolument éblouissant à tous points de vue. Mais c’est vrai que le fait de filmer la parole dans la dimension d’ébriété qu’elle peut procurer, de perte de repère comme la musique, comme le son, selon les interprétations des uns et des autres, je trouvais ça amusant, d’autant que dans un bateau, on est tout le temps enfermé.

Dans « 9 Doigts », on est face à un univers visuel hors du commun avec une image d’une grande beauté plastique, magnifiée par le noir et blanc, et des décors grandioses. Comme dans tous vos films, et a fortiori dans « 9 Doigts », l’eau est très présente. Pourquoi lui attribuer tant d’importance ?
L’eau, je ne sais pas. C’est peut-être parce que j’ai mis 24 heures à naître. C’est vrai qu’il y a tout le temps de l’eau dans mes films. Dès qu’il y a de l’eau, je me sens bien, dès que j’ai un cours d’eau que ce soit un fleuve, une rivière, un lac, la mer. La mer, bien sûr, c’est le vide, le désert, c’est un élément de péril très fort. C’est vrai que j’ai été très marqué par un livre qui s’appelle « L’eau et les rêves » de Gaston Bachelard, qui est à la fois épistémologue et passionné de poésie et de littérature. Et de la série d’ouvrages que Bachelard va consacrer aux quatre éléments – l’eau, le feu, l’air et la terre –, « L’eau et les rêves » est particulièrement génial parce qu’en fait c’est la représentation en littérature de la démonstration que l’eau est finalement le miroir de toutes les passions humaines et de tous les états d’âme, que ce soit l’eau morte, l’eau vive, l’eau lourde pour laquelle Bachelard évoque Edgar Poe. Ce dernier ainsi que Lautréamont sont des références de Gaston Bachelard.

Votre univers sonore est également impressionnant dans le film. Il y a bien sûr les morceaux de musique, dont votre propre groupe MKB, mais également la sonorisation sur le cargo. On se trouve embarqué sur ce vieux tas de ferraille vide dont les vibrations, les grincements au gré des vents, de l’océan démonté ajoutent à l’atmosphère angoissante, oppressante de fin du monde. La bande son revêt-elle une importance majeure dans vos films ?
Oui. On fait toujours la bande son avec MKB et, là, le guitariste Jack Belsen a fait 4 ou 5 titres et moi, j’ai fait toute la partie sonore, toute la partie « bruitiste », si on peut dire. Dans les quelques livres fondateurs du cinéma, il y a, bien sûr, « La non-indifférente nature » de Eisenstein, ou même Bresson, et un livre aussi que je trouve très important que Cocteau a dicté 15 jours avant sa mort qui s’appelle « Entretiens sur le cinématographe ». Et puis, un livre passionnant qui, pour moi, est fondateur, c’est « La naissance de la tragédie » de Nietzsche pour qui c’est à partir de la musique que la tragédie prend sa source et que l’on peut retrouver le miracle de la tragédie grecque. Tout le livre est là-dessus. Il y oppose, bien sûr, le dionysiaque et l’apollinien : l’apollinien, c’est évidemment tout ce qui est visuel, plastique et le dionysiaque, au contraire, c’est tout ce qui est sonore, orgiaque, musical. Et le cinéma est situé entre les deux, un cinéma pas forcément parlant, mais sonore. La théorie dualiste de Nietzsche s’applique au cinéma.

Si au début du film on est dans un scénario assez classique et linéaire, on bascule petit à petit dans une sorte de dérive narrative. Mais les dialogues ne sont pas aussi abstraits et irrationnels qu’ils y paraissent. « Au bout du compte, tout a un sens », dit le Stalker de Tarkovski dans la Zone. Qu’en est-il sur l’île mouvante de Nowhereland ?
C’est un peu un film en transformation, puisqu’en fait il y a trois mouvements ou trois actes. Pour moi, le genre cinématographique est tout aussi inspirant au cinéma que le genre littéraire dans la poésie. C’est vrai que si on écrit une ode, une élégie, ce n’est pas pareil, même si l’idée, l’optique qui vous inspire est la même. Ainsi, la première partie est vraiment un film noir à la Melville, que j’admire beaucoup, et – à supposer que ce soit réussi – c’est un peu un film melvillien au début, presque totalement muet. Et puis, pour ce qui est de la deuxième partie, on rentre dans la fuite, l’aventure maritime, les récits d’aventures littéraires qui m’ont marqué comme Arthur Gordon Pym d’Edgar Poe. Et finalement, la troisième partie, c’est vraiment plutôt de l’ordre de tout ce qui ressort de la thématique du Vaisseau fantôme qui est extrêmement intéressante. Le propre du Vaisseau fantôme, c’est la déréalisation. Quant à la référence à la Zone du Stalker de Tarkovski, pas tant que ça ou, du moins, ce n’est pas vraiment conscient. Par contre, s’il y en a une consciente et active, c’est peut-être la puissance de l’eau. C’est vrai qu’un de mes films préférés, c’est Solaris. Et peut-être qu’il y a quelque chose qui pourrait s’en rapprocher, parce qu’en fait on nous mène en bateau. Mais il y a plus que ça, il y a quand même quelque chose d’étrange et l’élément aquatique lui-même peut-être bouleverse les repères magnétiques.

La seconde partie du film, qui se déroule essentiellement sur un cargo, a été tournée aux Açores. Cela nécessite visiblement de gros moyens. Avez-vous eu des difficultés à obtenir le financement de ce film ? Quels ont été les fonds attribués ?
En fait, on était très peu. Quand on est sur un bateau, on ne peut pas être beaucoup car il n’y a pas beaucoup de place, et puis c’est une question de sécurité. On a eu de la chance qu’ils nous prennent, qu’il n’y ait pas eu de tempête, car dès que la mer est forte ils ne prennent plus de passagers. On était tout le temps dans l’incertitude mais, finalement, ça a marché. Et donc, on est partis à huit. Cela veut dire qu’il y avait un directeur de production portugais, un directeur de la photo, un machino, un assistant de caméra, un ingénieur du son, moi et deux costumiers-décorateurs. Après, il y avait une partie du film, quelques scènes qu’on a tournées sur un autre bateau qu’on a pu redécorer, transformer. C’est vrai qu’à certains moments j’étais inquiet car il n’y a pas tant que ça de films de bateaux intéressants. C’est quand même un genre très difficile et il y a tellement de contingences. Il n’y avait guère qu’au Portugal que j’ai pu trouver un bateau. En Aquitaine, il était impossible d’en trouver ; tout était hors de prix. Alors que là on a eu la chance de trouver, par les Açores, un porte-container et puis après on nous a attribué un autre gros bateau sur lequel on a pu continuer de filmer certaines séquences.

Vous qualifieriez « 9 Doigts » de film noir d’anticipation,  film expérimental, film d’aventure surnaturel, film de science-fiction complotiste, polar paranoïaque…
C’est un film noir et de science-fiction, ou plutôt d’anti-science-fiction. Un film de science-fiction, ce sont des bateaux que l’on met dans l’espace, que l’on fait voguer dans le vide intersidéral. Alors que pour moi, en fait, le concept était vraiment de faire un film de science-fiction à l’envers, qui se passe dans une réalité maritime. C’est-à-dire qu’on prend un bateau de l’espace et on le remet sur les flots. Et il se trouve être sujet à des phénomènes aussi étrangers qu’un bateau dans l’espace.

Avez-vous des projets d’écriture, de cinéma, d’album. Privilégiez-vous une forme d’expression plutôt qu’une autre ?
Ce sont trois expériences de nature très différente, mais les trois se sont toujours interalimentées. En fait, l’écriture et le cinéma, c’est toujours un peu lié bizarrement en ce sens que c’est l’écriture qui génère l’invention d’un scénario. Alors, oui, j’ai l’idée d’un nouveau livre et d’un nouveau film. Je suis bien obligé maintenant que je viens de recevoir un prix !

Propos recueillis par Aline Vannier-Sihvola
Helsinki, le 19.09.2017

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BIOGRAPHIE / FILMOGRAPHIE
Cinéaste, écrivain, musicien, F.J. Ossang est né en 1956.
En 1977, il crée la revue CEE (Céeditions & Christian Bourgois, 1977/1979), et, en 1980, le groupe de noise’n roll MKB Fraction Provisoire à qui l’on doit 9 albums et la musique de ses films.
Il a tourné 5 courts métrages (dont Silencio, Prix Jean Vigo 2007) et 5 longs métrages : L’Affaire des Divisions Morituri (1984), Le Trésor des Iles Chiennes (1991) qui a reçu le Grand Prix du Festival de Belfort, Docteur Chance (1998), Dharma Guns (2010) et 9 Doigts (2017).
A ce jour, il a publié une dizaine de livres (romans, recueils de poèmes et essais) parmi lesquels Génération néant (1993), W.S. Burroughs (2007) et un essai sur l’expérience cinématographique, Mercure insolent (2013).
Ses films ont fait l’objet de différents tributs et hommages à travers le monde, avant de sortir en 2 coffrets DVD chez Potemkine/Agnès b.

Coup de projecteur sur ARNO BITSCHY et WARREN ELLIS

Ne pas manquer sur AREENA la rediffusion de « This Train I Ride », film documentaire du réalisateur français Arno Bitschy dont la bande originale a été composée par le musicien australien Warren Ellis, fidèle acolyte de son compatriote rocker Nick Cave.

This Train I Ride Affiche
L’Amérique aujourd’hui. Un train de marchandises traverse le paysage tel un gigantesque serpent de fer. Un jour, Ivy, Karen, Christina ont tout quitté et bravé le danger pour parcourir le pays à bord de ces trains. Elles les attendent, cachées dans des fourrés, dormant sous les ponts des autoroutes.

Le documentaire THIS TRAIN I RIDE est disponible jusqu’au 10 octobre 2020 sur :
https://areena.yle.fi/1-50149440

Rediffusion du concert DISTANT SKY: NICK CAVE À COPENHAGUE
Nick Cave & The Bad Seeds, avec Warren Ellis
https://areena.yle.fi/1-4583688 
(disponible jusqu’au 23 septembre)

A cette occasion, lire ou relire les deux entretiens qui suivent avec respectivement Arno Bitschy et Warren Ellis venus présenter leur tout dernier film « This Train I Ride » lors du Festival international du film de Helsinki – Amour et Anarchie en septembre 2019.

ENTRETIEN AVEC ARNO BITSCHY
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Invité d’honneur du Festival international du film de Helsinki – Amour et Anarchie (19-29.09.2019), le documentariste français Arno Bitschy est venu présenter son dernier film intitulé « This Train I Ride » (2019), accompagné du compositeur et musicien franco-australien Warren Ellis qui en a composé la bande originale (lire également l’interview de Warren Ellis). Après un premier documentaire sur la ville de Detroit « Résilience » (2016) – portrait musical d’une ville en état de choc –,  Arno Bitschy s’embarque cette fois-ci dans son dernier film « This Train I Ride » avec trois jeunes femmes qui prennent des trains de marchandises aux Etats-Unis. Ce documentaire, dont le bruitage est réalisé par le Finlandais Heikki Kossi ( « Olli Mäki », « The Birth of a Nation », « Ad Astra », etc.), est co-produit par la société de production finlandaise Napafilms.

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 Sans doute pour la première fois en Finlande, vous venez présenter au Festival Amour & Anarchie votre deuxième film documentaire « This Train I Ride », coproduit par la société de production finlandaise Napafilms. Comment est née cette collaboration ?
Le film est produit par Les Films du Balibari en France – c’est le point de départ –,  et Clara Vuillermoz, qui en est la productrice, est rentrée dans le film il y a trois ans, puisque je travaille sur ce film depuis plus de quatre ans. Je suis parti filmer une première fois, puis j’ai montré à Clara les images ; elle a adoré et, du coup, elle est rentrée dans le film. Par la suite, il y a un an maintenant, on a eu enfin ARTE et l’assurance d’une diffusion dans une de leurs cases qui s’appelle La Lucarne [le meilleur du documentaire de création – NDLR] et, dans ce cadre-là, on devait faire une coproduction avec des Finlandais. Les Films du Balibari sont dirigés par deux productrices Estelle Robin You et Clara Vuillermoz, et comme Estelle avait déjà travaillé avec Napafilms, c’est tout naturellement qu’elle a dirigé Clara vers cette société de production finlandaise.

Vous êtes venu, pour présenter ce film, accompagné du musicien australien Warren Ellis – qu’on associe à Nick Cave & The Bad Seeds et à de nombreuses musiques de films – qui a composé la bande originale de votre film. Comment s’est faite la rencontre avec Warren Ellis ?
Très simplement. Je lui ai envoyé un e-mail – du moins, à son agent –, parce que je savais qu’il vivait en France, qu’il s’était marié avec une Française et qu’il était accessible. C’est un artiste très connu mais qui ne fait pas de la musique de films pour l’argent mais plutôt par passion. Warren Ellis ne regarde pas le cachet, il regarde d’abord si ça lui plaît, s’il aime. Donc, je savais qu’avec notre petit budget, on pourrait quand même arriver à l’intégrer à notre projet si ça l’intéressait. J’adore son travail et je pensais que, pour ce film, ça pouvait être vraiment intéressant de travailler avec lui et qu’il pouvait ne pas tomber dans les clichés. C’est ainsi que j’ai envoyé un message à son agent, mais je n’ai pas eu de réponse. Et, trois mois plus tard, je pensais vraiment que c’était mort alors qu’en fait, quand Warren avait vu le message, il avait dit à son agent que ce film-là il voulait le faire. La productrice Clara a alors rencontré l’agent qui lui a confirmé la volonté de Warren de faire le film. Et après, la machine s’est mise en place très simplement et ça a été hyper facile. Entre nous deux, ça s’est très bien passé, ça a été très naturel. Warren Ellis est quelqu’un de très humble qui se met au service du film, en fait. J‘avoue que j’avais un petit peu peur au début par rapport à l’ego et je me demandais comment il allait se comporter. J’adore son travail mais je ne le connaissais pas personnellement. Toutefois, il avait l’air d’être quelqu’un d’assez simple. Et c’est exactement ce que j’ai eu en face de moi : quelqu’un qui se met au service du film et qui n’essaie pas de placer son nom ou son style. Il m’a alors envoyé des musiques et je lui disais si j’aimais ou pas, si ça marchait ou pas, et on a construit tout ça comme ça.

 Lui avez-vous donné carte blanche ou bien avez-vous eu des requêtes ?
Au début, il m’a dit qu’il ne voulait pas avoir d’images et m’a demandé de lui donner des mots, des sensations, des émotions. Des mots comme peur, joie, liberté… ce genre de choses. Il voulait des choses abstraites pour commencer à travailler sur la musique et je lui ai donné des sons de trains parce que je voulais qu’il s’imprègne de la musicalité du bruit du train. Ce sont des trains de marchandises et c’est un élément très important dans le film : la présence du train et le son du train. Donc, je lui ai donné tout ça et il m’a envoyé cinq ou six petits morceaux. J’ai fait ensuite trois clips avec ces morceaux ; ça marchait étonnamment bien et c’était vraiment intéressant. Je suis monté de Lyon à Paris et les lui ai montrés. Il a adoré. On a alors passé la journée ensemble à papoter, à échanger. Il m’a fait écouter plein de sons. La relation s’est faite comme ça. Après, il m’a renvoyé d’autres musiques, et je lui disais si ça marchait ou pas. Puis le montage s’est fait avec l’excellente monteuse qu’est Catherine Rascon, et on a commencé à placer les sons. J’ai montré le film à Warren une fois arrivés au montage final. On est alors revenus en studio et on a retravaillé la musique pour rajouter des choses, réarranger la musique, en fait. Et après, on est passés au mixage.

Heikki Kossi, bruiteur/Foley artist, a travaillé sur votre film avec son équipe. Le connaissiez-vous de réputation ? Et quelles sortes de bruitages sont effectués sur un film tourné pratiquement entièrement en pleine nature ?
J’avoue que je ne connaissais pas du tout Heikki. Et je n’avais jamais travaillé avec un bruiteur auparavant. C’était pour moi une première expérience. En fait, je ne savais pas quoi attendre et ça a été un peu une découverte de même que la manière de travailler avec les bruiteurs. C’était vraiment étrange car ce n’est pas forcément ce qui se fait pour le documentaire. Donc, ça a été un peu compliqué au début pour arriver à se comprendre, et je dois dire que je n’ai vraiment compris que sur la fin. Au début, ça paraît surprenant. On se dit qu’il ne va pas mettre des bruitages partout. Mais c’était d’autant plus intéressant dans ce film que j’ai réalisé une bonne partie du tournage tout seul avec un micro caméra, et donc le son était pauvre. J’ai eu deux fois un preneur de son sur six tournages. Il fallait, par conséquent, enrichir le son, enrichir les voix quand je parle, par exemple, avec les filles lorsqu’on est en voyage. Si on veut arriver à faire ressortir la voix, il faut qu’on filtre tout le reste. Donc, Heikki et son équipe recréent et donnent ainsi beaucoup plus de profondeur au son en recréant les sons. Après, il a juste fallu que je leur pose mes limites pour que ça ne sonne pas faux et qu’on reste dans quelque chose qui soit réel. Je dois dire que je suis hyper content du résultat. Ça a été assez épuisant, j’avoue, mais c’était hyper intéressant et au final, je n’ai pas l’impression qu’on sente que c’est bruité. Par contre, si on pouvait faire un comparatif entre pas bruité et bruité, on verrait, à mon avis, une sacrée différence. Ça amène beaucoup plus de puissance au son.

Comment est né ce projet de film documentaire ?
Je connaissais le milieu des hobos aux Etats-Unis, les vagabonds. La culture hobo, c’est quelque chose qui fait partie de la culture américaine depuis la Grande dépression. Il y a de la musique hobo et il y a même un festival pour les hobos aux Etats-Unis. Ça fait partie du folklore américain. Je fais de la musique et, il y a une quinzaine d’années, je suis parti en tournée aux Etats-Unis jouer dans un groupe de punk rock. Et là, j’ai découvert que des punks prenaient aussi des trains et avaient un peu récupéré cette culture hobo. Ça m’intéressait et j’ai gardé cette idée dans un coin de ma tête. Plus tard, je suis tombé sur les photographies d’un certain Mike Brodie qui est quelqu’un qui a fait de la photographie en prenant des trains, en vivant cette vie-là. Et ce qu’il a fait est magnifique. Il saisit vraiment cet instant de liberté totale, les yeux des gens. Et, du coup, ça m’a ramené ce projet en tête. J’ai donc commencé à écrire sur lui parce que ce gars-là a fait des photos pendant ses voyages en prenant des trains et quand il a arrêté de prendre des trains, il a arrêté de faire de la photo et il est devenu mécanicien. Il ne fait plus de photos. Il n’a, du reste, jamais fait d’autres photos que ces photos dans les trains. C’était donc le point de départ de mon écriture mais, au final, je me suis rendu compte que ça ne marcherait pas avec lui, d’autant que lui-même n’était pas intéressé. C’est alors que j’ai pris conscience qu’il y avait beaucoup de filles, avec le mouvement punk, qui s’étaient mises à prendre des trains, ce qui n’était pas le cas avant. Ça a fait son petit cheminement et je me suis dit que c’était quand même intéressant de travailler sur des filles. C’est beaucoup plus puissant, en fait. Je ne voulais en aucune façon faire un documentaire sur des punks, sur des marginaux qui se défoncent, sur des gens qui s’autodétruisent. Je voulais quelque chose qui aille plus loin. Et, du coup, chez les femmes il y avait quelque chose de vraiment intéressant. J’ai rencontré une dizaine de femmes qui avaient pris ou qui prenaient des trains pour faire des interviews, juste discuter et c’est alors que je me suis rendu compte que le film, il était là. C’était un film sur des femmes en recherche de liberté et sur ce que le train leur avait donné, c’était ça qui m’intéressait. Le train transforme les femmes et elles sont devenues libres en prenant les trains. C’est la métaphore de leur transformation. Et voilà. Le film est né comme ça.

Votre film s’intitule « Libres !» en français. Mais le sont-elles vraiment ? Il y a surtout une quête de l’identité. Vous demandez, du reste, à l’une d’elles ce que ce voyage – sans destination préalable – lui a appris. Et on serait tenté de vous demander ce que la réalisation de ce film, ce vagabondage cinématographique vous a apporté ?
Tout d’abord, je dirais qu’on n’utilise plus le titre « Libres ! », on garde juste « This Train I Ride ». Ce n’est pas un titre facile à prononcer pour les Français, mais le problème c’est qu’il y a plein d’autres choses qui ont été appelées « Libres ! », et ça n’arrête pas. Il y a encore un film qui va sortir qui s’appelle « Libres », il y a un parfum, il y a un mouvement politique, etc. Quant à ce que la réalisation de ce film m’a apporté, je dirais énormément. J’ai appris à apprécier la solitude, quelque chose avec laquelle j’avais du mal avant. La première fois où je suis parti, je suis parti avec un ami preneur de son. C’était plus rassurant quand je partais avec quelqu’un. Après, Clara, la productrice, m’a poussé à partir tout seul. Ça ne le faisait pas trop car je n’avais jamais fait ça. Et puis, avec les filles, au début c’était un peu nébuleux. Pas simple pour se retrouver, même si à chaque fois ça s’est fait, pour savoir ce qu’on allait faire, si on allait prendre des trains, etc. Mais je pense que c’est là que c’est devenu vraiment intéressant avec elles parce que j’étais dans la même position qu’elles. La première fois que je l’ai fait, c’était avec Karen, et ça a été vraiment génial. Je me suis rendu compte alors qu’on vivait le truc ensemble parce que, de toute façon, on vivait l’aventure ensemble. J’avais mon sac à dos avec mon matos, on partait et il se passait ce qu’il se passait. Et ça m’a énormément appris. J’ai adoré et je partirai le refaire, même si c’était épuisant. Ça a été vraiment dur mais, en même temps, c’était génial. Après, quand on y repense – et c’est toujours pareil avec ce genre d’expérience –, une fois qu’on est bien calé sur son canapé, on se dit que c’était génial. Dans le vrai, il y avait beaucoup de moments où je me demandais dans quelle galère j’étais et pourquoi je faisais ça… et je me le suis demandé quand même un paquet de fois. Mais voilà. C’est fait et je passe à autre chose.

Votre premier documentaire « Résilience » (2016) était un road trip à travers Detroit, encore un voyage insolite. Est-ce une façon de poser à chaque fois un autre regard sur notre société ?
Oui. De toute façon, je pense que le principe du documentaire, c’est justement de présenter un regard un peu différent. Du moins, c’est ce qui m’intéresse. Si tout le monde regarde dans un sens, je vais aller faire un pas de côté et essayer de trouver ce qui va nous surprendre. Je cherche ce qui surprend chez les gens et j’essaie de lutter pour ne pas tomber dans le piège, dans ce qui est attendu, dans les clichés. J’essaie de prendre le spectateur à contre-pied, en tout cas, de ne pas lui donner ce qu’il a envie de voir, de ne pas le mettre dans une position confortable. Mais « Résilience » n’est pas mon premier documentaire. J’ai, en fait, réalisé plusieurs documentaires à petit budget que j’ai auto-produits. Ce documentaire « This Train I Ride » est la suite – et je m’en suis rendu compte après – de deux autres documentaires que j’ai faits qui portent sur des femmes. J’ai fait un premier documentaire « Marie-France » (2007) qui raconte l’histoire d’une femme tatouée sur tout le corps, une Française qui portait sa vie sur la peau et qui exorcisait ses démons par le tatouage. Et après, j’ai fait un documentaire « Jazz » (2016) à Detroit sur une Afro-Américaine qui chantait des chansons de Billie Holiday. Et ces deux portraits étaient des portraits de femmes qui avaient souffert, qui avaient vraiment été très malmenées par la vie. Je voulais les mettre en lumière parce que c’étaient des femmes qu’on ne regardait pas. Moi, je les ai regardées en me disant qu’elles étaient belles et j’ai eu envie de montrer aux autres à quel point elles étaient belles. Mais c’étaient des victimes. Elles avaient été brisées par la société, par les hommes et donc, dans « This Train I Ride » – comme le troisième volet d’une trilogie… toutefois, en toute humilité –, je souhaitais justement que ces femmes ne soient pas des victimes, qu’elles soient fortes. Je voulais montrer que, malgré les souffrances infligées par les hommes et par la société, elles avaient trouvé le moyen de se libérer de tout ça et d’avoir quelque chose de positif. Les deux documentaires précédents, même s’ils sont beaux, sont quand même plutôt noirs ; ce sont des films durs parce que ce sont des vies qui sont brisées, mais pas dans « This Train I Ride » où les trois femmes que je suis sont un peu la note d’espoir pour Marie-France et Jazz qui sont mortes.

On voit au générique de fin la mention des villes New Orleans/San Francisco/L.A., etc. Combien de kilomètres ont été parcourus embarqués sur ces trains ? Et combien de temps a duré le tournage ?
J’avoue que je n’ai pas compté les kilomètres. Je n’ai pas traversé les Etats-Unis de part en part, même si ça m’aurait beaucoup plu. En fait, le tournage a duré quatre ans et j’ai fait en tout quatre voyages en train. Je n’ai pas le nombre de kilomètres en tête mais on a surtout parcouru l’ouest et le sud des Etats-Unis. L’est des Etats-Unis est plus compliqué. C’est plus petit, plus concentré et la sécurité est renforcée. Donc, cela aurait été beaucoup plus difficile pour nous de s’embarquer sur des trains.

Quelles ont été les plus grosses difficultés rencontrées pour réaliser ce tournage ?
Trouver de l’argent. C’est le plus dur, au final. Avoir de la patience et trouver de l’argent. En fait, souffrir dans les trains est une promenade de santé par rapport à convaincre des diffuseurs d’acheter un film. Franchement, les souffrances de tournage sont juste des bons souvenirs.

Que sont devenues aujourd’hui ces trois jeunes femmes ?
On a gardé le contact. Je leur envoie des messages régulièrement. Elles ne prennent plus de trains. Elles ont tout arrêté, mais à la fin du tournage elles avaient déjà tout arrêté. Et là, aucune n’y est retournée. Ivy, de toute façon, a arrêté de prendre des trains, et elle ne les prendra pas toute seule. Pour ce qui est de Karen, je pense que son histoire d’amour est en train de tomber à l’eau et je ne suis pas sûr qu’elle se marie, mais elle est toujours hôtesse de l’air. Quant à Christina, elle vit toujours dans le Wisconsin ; elle est toujours soudeuse, mène sa petite vie, au calme.

Comment êtes-vous venu au cinéma ? Pourquoi le documentaire ? Pourquoi tourner en langue anglaise et à chaque fois aux Etats-Unis ?
Pour les Etats-Unis, je dirais tout d’abord que je suis beaucoup plus fan de cinéma américain que de cinéma français globalement. J’adore le cinéma français, mais le vieux cinéma français. Par ailleurs, je baigne dans la culture américaine depuis toujours. Pour moi, c’est le pays du cinéma. Je pense que naturellement je suis attiré par l’Amérique. Après, je ne sais pas pourquoi les films que j’ai écrits aux Etats-Unis trouvent de l’argent et les autres n’en trouvent pas. J’ai écrit d’autres films qui se passent en France que je n’arrive pas à vendre. Je me retrouve donc à faire plus de documentaires en langue anglaise qu’en langue française. Mais j’aimerais bien faire un peu de langue française aussi. Pour ce qui est du cinéma, mes parents n’avaient pas une culture cinématographique particulière, mais on allait souvent au cinéma pour voir tout et un peu n’importe quoi. On allait voir autant des navets comme le dernier Aldo Maccione comme on pouvait aller voir le dernier Woody Allen ou « Le rayon vert » d’Eric Rohmer – auquel je n’avais du reste pas compris grand-chose. L’écart était très grand. J’ai donc regardé beaucoup de films comme ça. Chez mes grands-parents, mon grand-père avait des cassettes de westerns et on les regardait en boucle – tout comme les westerns spaghetti de Sergio Leone. J’ai regardé beaucoup de films et ça a sans doute joué. Et pourquoi le documentaire ? J’ai étudié le montage et suis monteur de formation. Après, j’ai été bénévole à Lussas. C’est un copain qui m’a emmené aux Etats généraux du film documentaire de Lussas et là j’ai découvert que le documentaire ce n’était pas juste des films animaliers, que c’était du cinéma et qu’en filmant le réel on pouvait faire la même chose, qu’il n’y a pas de film de fiction ou de film documentaire, il y a des films. Et cette possibilité-là, elle m’a vraiment plu. Le réel est encore plus passionnant que la fiction parce qu’on ne peut pas contrôler le réel. Et quand on s’abandonne à suivre le réel et à filmer le réel, il se passe des choses qu’on n’aurait jamais pensé à écrire, et c’est là où ça devient vertigineux.

A l’évidence, ce genre de documentaire a nécessité une équipe de tournage très mobile et surtout restreinte. De combien de personnes se composait-elle ?
De moi-même. Il y a eu un preneur de son au départ et un preneur de son sur le dernier tournage. Le reste du temps, j’étais tout seul.

Le financement du film a-t-il été difficile à obtenir?
J’en ai parlé précédemment. C’est vrai qu’il m’a fallu avoir de la patience, mais il s’est fait.

Le film sera-t-il diffusé sur Arte ? En version doublée ou sous-titrée ? Une distribution dans certaines salles ?
En France, il sera diffusé sur ARTE pour La lucarne. Il n’est pas doublé fort heureusement, car La lucarne est sur ARTE une case spéciale de documentaires d’auteurs et, du coup, ils ne doublent jamais. Pour ce qui est de la diffusion en salles, le système de financement est assez compliqué en France : quand le film est diffusé à la télé, on ne peut pas le distribuer au cinéma. A un moment donné, le film a failli basculer dans le cinéma mais on n’a pas obtenu l’aide. Par la suite, la chaîne ARTE est arrivée et, du coup, ça nous a permis de finir le film. « This Train I Ride » sera donc diffusé dans des cinémas, dans des festivals, mais il n’y aura pas une distribution cinéma comme en Finlande.

Quels sont vos projets cinématographiques ?
J’ai le projet sur lequel je travaillais avant de faire ce film il y a quatre ans qu’il faut que je finisse, que je fasse, que je filme. Ça se passe en France, sur les combats de coqs dans le Nord-Pas-de-Calais. Par ailleurs, j’ai rencontré un entraîneur de boxe thaï à côté de Lyon qui me plaît beaucoup et qui se trouve à deux pas de chez moi. Et je crois que j’ai surtout envie de faire un film qui n’est pas loin de chez moi. A la fin, ce qui était génial dans « This Train I Ride », c’est que j’avais vraiment tissé un lien avec les filles et le champ des possibles s’ouvrait dans le documentaire. Mais c’est là que le film s’est arrêté. Pour moi, c’est hyper intéressant de rentrer en profondeur dans les relations avec les gens et, dans ce nouveau projet, le fait d’avoir quelqu’un qui est à dix minutes de chez moi en voiture, je trouve ça super. J’ai vraiment envie de construire quelque chose avec cet entraîneur de boxe. J’ai déjà commencé à écrire et je le rencontre souvent. Voilà. Pour l’instant, j’ai ces deux projets, et puis il y a Warren qui veut faire la musique, donc c’est génial.

Propos recueillis par Aline Vannier-Sihvola
Helsinki, le 26.09.2019

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ENTRETIEN AVEC WARREN ELLIS

Warren Ellis, compositeur et musicien australien, était l’invité d’honneur du dernier Festival international du film de Helsinki – Amour et Anarchie (19-29.09.2019). Il accompagnait  le documentariste français Arno Bitschy venu présenter son dernier film « This Train I Ride » (2019) pour lequel il a composé la bande originale (lire également l’interview de Arno Bitschy).
Warren Ellis, fidèle partenaire de son compatriote Nick Cave, a intégré depuis de nombreuses années déjà le groupe Nick Cave & The Bad Seeds. Il est également membre fondateur du groupe Dirty Three. Warren Ellis a, par ailleurs, composé de nombreuses bandes originales de films avec son complice Nick Cave et, en solo, les bandes originales des films, entre autres, « Mustang » (2015) – pour lequel il a reçu le César du Meilleur compositeur – et « Django » (2017). Warren Ellis vient d’achever une tournée mondiale avec Nick Cave & The Bad Seeds, vient de sortir « Ghosteen », nouvel album du groupe, et continue à travailler sur la bande originale de plusieurs longs métrages que ce soit en France, en Angleterre, en Australie ou aux Etats-Unis.

Warren Ellis

Peut-être pour la première fois en Finlande, vous venez présenter au Festival Amour & Anarchie, avec le réalisateur Arno Bitschy, le film documentaire « This Train I Ride » pour lequel vous avez réalisé la bande originale. Comment est née votre collaboration avec Arno Bitschy ?
En fait, j’ai du mal à me souvenir mais Arno m’a contacté par e-mail et m’a envoyé le traitement de son documentaire. Le montage n’était pas fait mais le tournage était terminé. Et il m’a écrit qu’il aimerait bien travailler avec moi. J’ai lu le traitement et ça m’a parlé. Par ailleurs, je voulais savoir pourquoi il tenait à travailler avec moi. Il m’a répondu de manière très réfléchie et argumentée. Pour lui, il était évident que, vu ce que je faisais avec la musique, ça allait marcher. Il était très motivé, ciblé. Je lui ai dit que j’allais lui envoyer la musique, mais que je ne voulais pas voir d’images dans les premiers temps. Je lui ai demandé des mots qui, en gros, donnent l’esprit du documentaire. Il m’a envoyé cinq ou six mots, et je me suis lancé dedans.

Qu’est-ce qui vous a attiré au départ dans ce projet de film documentaire ?
Quand Arno est venu à Paris, il m’a montré trois bouts de cinq minutes sur chacune des trois femmes protagonistes du documentaire. Il avait associé un morceau de musique que je lui avais envoyé à une femme sur un skate, et ça m’a bouleversé. L’image était belle, ce qu’elle racontait était fabuleux, très profond, et la musique fonctionnait. Et voilà. Ça m’a tout simplement bouleversé. Cela m’a fait, du reste, un peu le même effet lorsque j’ai vu les cinq premières minutes de « Mustang » : j’étais bouleversé. Et je me suis dit que même si le reste est à un niveau moitié moindre d’intensité, ça va être, de toute façon, quelque chose. En fait, je ne savais pas quoi attendre avec un documentaire, parce que ce n’est pas évident, même avec un traitement. De plus, « This Train I Ride » est particulier comme documentaire. Donc, une fois que j’ai eu vu les premières images du film, j’ai commencé la musique. Et j’ai décidé de créer la musique plutôt dans des trains. Ainsi, quand je prenais le métro ou l’Eurostar, j’avais mon ordinateur et je faisais la musique, manipulais des morceaux. Parce que ça bougeait, je me trouvais moi aussi embarqué. En fait, c’est une idée que j’ai eue alors que je travaillais en même temps sur un disque. Je devais aller à Berlin, à Londres, aux Etats-Unis et je travaillais dans l’avion. Quand je bougeais, j’étais en mouvement, je travaillais sur ce projet.

Les trains, et surtout les trains de marchandises, sont très bruyants. Cela a-t-il été un inconvénient pour composer la musique de ce film ? Quels instruments avez-vous privilégiés ? Et sur quels critères ?
En fait, j’ai envoyé à Arno une vingtaine de morceaux. C’est son film et il savait ce qu’il voulait. Il a sélectionné ceux qui marchaient et puis on s’est retrouvés dans le studio pendant trois jours pour faire le montage ensemble, ajouter ou supprimer des choses. A la base, c’était plutôt lui qui devait décider ce qu’il voulait et, de ce fait, il a sélectionné les morceaux qu’il souhaitait intégrer. Je lui ai proposé une gamme de choix, mais il était aussi très clair qu’il ne voulait pas une musique qui aurait été émotionnelle, qui aurait changé l’image voire même le sentiment que c’étaient les femmes qui parlaient. Et c’était important que la musique soit assez neutre. Pour moi, c’était intéressant de faire la musique dans le mouvement, quelque chose qui ressemble un peu à un train. Parce que je dois dire que ce documentaire n’est pas évident. Il y a un côté mouvement, c’est méditatif et il y règne une ambiance assez particulière. Qui plus est, ça parle de beaucoup de choses. En fait, ça parle de maintenant, des femmes, du courage qu’il faut avoir et surtout de celui de ne pas vouloir être une victime. Je trouve que ce film est très actuel.

A quel moment composez-vous la musique d’un film – et de celui-ci en particulier ? Est-ce après avoir lu le scénario, ou vu le film, pendant, voire même avant et, dans ce cas-là, est-ce que ce sont les images du film qui s’adaptent à la musique ?
Ça dépend. Chaque cas est différent. En général, je lis le scénario. Et puis, quand j’ai décidé de m’engager dans un projet, même s’il n’y a pas d’image, pas de scénario comme avec un documentaire, je me lance comme je commence avec n’importe quel projet, avec un disque, pour un groupe : je vais en studio avec un esprit ouvert. Je ne suis pas un compositeur classique qui arrive, regarde, joue avec ça et ça. Ce n’est pas comme ça que ça fonctionne avec moi. Je fais la musique et on voit alors si ça marche ou pas. J’attends les accidents et, pour moi, c’est important d’avoir un dialogue avec le reste du groupe. C’est leur avis qui est important.

Avec quel réalisateur ou univers de réalisateur aimeriez-vous travailler ?
J’ai la chance de travailler avec des réalisateurs et des réalisatrices que j’aime beaucoup. Deniz Gamze Ergüven, par exemple, qui a fait « Mustang ». Travailler avec elle, c’était un rêve. Elle est fabuleuse. De même avec Andrew Dominik ou bien John Hillcoat, le réalisateur de « La route » entre autres, ou encore Amy Berg qui a réalisé le documentaire « West of Memphis », elle est extraordinaire. J’ai eu la chance, en fait, de travailler avec des gens que j’aimais beaucoup. Je pense que les réalisateurs qui ont envie de travailler avec moi, il faut, en fait, qu’ils pensent que je peux apporter quelque chose au film. Je ne fais pas de la musique standard – je n’ai pas une approche classique de la composition de bandes originales – et, par ailleurs, ce n’est pas mon métier. Mon boulot, c’est de jouer dans des groupes et de faire des concerts. Je suis un peu gâté car je peux faire parallèlement des musiques de films. Je pense aussi à David Michôd, avec qui ça a été aussi assez extraordinaire de travailler. J’aime beaucoup faire la musique pour les films documentaires. Ça me donne une grande liberté et me permet de m’exprimer d’une façon qui n’est pas possible dans les groupes.

Y a-t-il, du reste, une différence entre composer pour un documentaire ou une fiction ?
Oui, il y a une différence. Pour le documentaire, il ne faut pas que la musique mange trop de place, parce que le dialogue est important, tout comme il est important de suivre les personnages, suivre leurs émotions. Le documentaire est tout autre chose si on le compare, sur ce plan, à la fiction.

J’ai lu que vous n’écriviez jamais rien lorsque vous composez. Alors, comment faites-vous pour mémoriser tous les morceaux ?
Je ne mémorise pas. Tout est enregistré. Récemment, j’ai fait des concerts à Melbourne avec un orchestre symphonique et, avec Nick, on a joué nos musiques de films. Et je dois dire que c’était la première fois pour moi que je rejouais des morceaux. On avait six musiques de films et, pour cette occasion, j’ai été obligé d’apprendre à l’oreille les morceaux. Mais je n’écris jamais. J’ai même, parfois, enregistré avec mon IPhone. J’ai du mal à me souvenir. Cela fait trente que je fais de la musique et tout est plus ou moins enregistré. Quand je suis dans un studio, maintenant tout est enregistré.

Quel est, selon vous, le rôle de la musique dans un film ?
Ça dépend des films ou si c’est un documentaire. On espère que ça apporte quelque chose globalement. Images, musique : c’est une collaboration. Et quand on trouve un film avec une image et la musique qui vous transportent, c’est génial. Je crois que le problème aujourd’hui c’est que la musique est, pourrait-on dire, comme de « la colle ». S’il y a un problème dans une scène du film, on va « coller » de la musique triste, histoire de mieux faire comprendre. C’est le système américain mais, avec ce procédé, on peut être sûr que la plupart des musiques sont oubliées tout de suite. Le rôle de la musique, ça dépend. Parfois, la musique peut vous transporter avec l’image ou bien il faut que ce soit quelque chose de discret qui change l’atmosphère. Mais la musique doit soutenir, doit jouer un rôle au même titre qu’une actrice ou un acteur. Il y a un rôle pour la musique aussi. Parfois, la musique peut avoir un rôle dominant, ça dépend, il n’y a pas de règles. Il faut que la musique mérite d’être là. Et, par ailleurs, il est essentiel qu’un réalisateur comprenne, sache ce qu’il veut avec la musique.

Multi-instrumentiste, y a-t-il un instrument que vous aimez plus particulièrement jouer ou que vous privilégiez dans les musiques de films ?
Non. Je joue de n’importe quel instrument. Par contre, je n’aime pas les cuivres, mais j’ai pris du plaisir à travailler avec tout ce qui est électronique depuis dix ans. A la base, j’ai commencé avec l’accordéon, et puis le violon et la flûte. J’avais 11 ou 12 ans. Et maintenant je suis ravi de travailler avec n’importe quoi. Si ça me donne quelque chose, je suis ravi.

A quand remonte votre rencontre avec Nick Cave ?
On s’est rencontrés dans les années 90. Nick m’a demandé de venir dans le studio où il était en train d’enregistrer un disque avec les Bad Seeds en 1993. Dans le même temps, il est allé voir jouer mon groupe et il m’a invité ensuite à partir en tournée en Grèce et en Israël en 1995. Et voilà. Ça a continué comme ça. Je me trouvais dans un groupe, on a commencé à beaucoup travailler ensemble et à faire des musiques de films et, pour le moment, on reste ensemble.

Vous vivez actuellement en France, ou du moins en partie, qu’est-ce qui vous a poussé à venir vous installer en France ?
J’ai rencontré ma femme aux Etats-Unis en 1996/97. A l’époque, elle était aux Etats-Unis et je vivais en Angleterre. Et voilà, ça s’est fait comme ça. Maintenant, je vis à Paris parce que ma femme est française, parisienne. Et je me trouve bien en France. C’est assez loin et proche. Je peux être aux Etats-Unis assez vite ou n’importe où, à vrai dire, sauf en Australie qui se trouve à l’autre bout du monde. Par ailleurs, la France est un pays où il fait bon vieillir.

Vous avez réalisé beaucoup de musiques de films en collaboration avec Nick Cave et, ces dernières années, composé en solo la bande originale du film « Mustang » (2015) pour lequel vous avez obtenu le César du Meilleur compositeur en 2016, ainsi que celle du film « Django » dans lequel vous reprenez même un requiem inachevé de Django Reinhardt – une prouesse car vous venez de la sphère du rock et n’avez pas forcément une formation classique. Est-ce à dire que vous pouvez jouer, composer toutes sortes de musiques qu’elles soient sacrées, lyriques, etc. ?
Pour ce qui est du Requiem, cela a, en fait, été possible parce que j’ai fait les thèmes, les mélodies et puis il me faut dire que j’ai travaillé avec un ange. Et c’était très intéressant pour moi, parce que c’était vraiment différent de ce que j’avais fait auparavant. Cela m’a permis de me mettre en confiance, en fait, et de me dire que c’est possible, qu’il n’y a rien d’insurmontable. Maintenant, tout est possible et on peut toujours trouver un moyen d’y arriver. Ce que j’aime bien avec les films, c’est que ça m’a donné une énorme liberté. Une musique comme ça, jamais je ne la ferai ou alors ce serait quelque chose d’approchant mais pas vraiment comme ça. Et j’aime bien avoir cette possibilité avec les films parce que c’est le film qui vous sollicite.

Comptez-vous continuer en solo à composer des musiques de films ?
Déjà, cette année, j’ai fait un autre documentaire sur Michael Hutchence [« Mystify Michael Hutchence » de Richard Lowenstein] ; j’ai fait aussi la musique d’un film sur Gauguin [« Gauguin – Voyage  de Tahiti » de Edouard Deluc (2017)]. Je vais composer la musique du prochain film de Lucile Hadžihalilović. En fait, j’aime bien être dans une équipe, travailler avec les gens, avec un autre et j’aime bien les groupes aussi. Avec Nick, par exemple, c’est bien parce qu’il y a un discours. C’est stimulant. Une musique, c’est une langue, un langage ; c’est un discours. Maintenant, je me suis trouvé, par hasard, à faire des films tout seul. C’est une évolution, et c’est bien d’évoluer.

Mais est-ce que ça vous laisse du temps pour des tournées, des concerts, des albums ?
Je viens de terminer deux ans de tournée, et il y a un nouveau disque qui sort début octobre : « Ghosteen » (Nick Cave & The Bad Seeds)*. Pour ce qui est des tournées et des concerts, je n’ai pas arrêté depuis 1990. Je suis six/sept mois en tournée par an. On vient de terminer deux ans de tournée avec « Skeleton Tree », notre précédent album. Et j’ai fait un disque en même temps. Je n’arrête pas : soit je fais un disque, soit je fais une musique de film ou je suis en tournée. Notamment en Finlande où nous sommes venus à plusieurs reprises et dont la dernière fois remonte à deux ans, je crois. [Pori Jazz, juillet 2017 – NDLA]

Quels sont vos projets actuels ?
Il y a donc des musiques de films en cours, un album qui va sortir le 3 octobre, « Ghosteen* », sur lequel j’ai travaillé pendant deux ans. C’est un double album. Par ailleurs, j’ai enregistré un disque avec « Dirty Three » – ça aussi c’est terminé – et, comme projet, je vais composer la musique du prochain film d’Andrew Dominik qui s’intitule « Blonde ». Donc, je suis assez sollicité mais soit c’est ça ou soit c’est rien. J’ai travaillé toute ma vie et c’est vrai que maintenant j’ai de plus en plus d’offres, mais c’est difficile de dire non même si, parfois, il le faut.

Propos recueillis en français
par Aline Vannier-Sihvola
Helsinki, le 26.09.2019

* Ghosteen est le 17e album studio du groupe australien Nick Cave & The Bad Seeds, sorti le 3 octobre 2019 au format numérique et prévu en sortie physique le 8 novembre 2019 sous la forme d’un double album.

Coup de projecteur sur EMILY ATEF

Le fils perdu

Le fils perdu

Téléfilm dramatique de Emily Atef

Arte

Mardi 25 août
14 h 35 (heure française) / 15 h 35 (heure finlandaise)

REPLAY jusqu’au 20 août : https://www.arte.tv/fr/videos/083875-000-A/le-fils-perdu/

Durée : 90 mn.
Titre original : Macht Euch keine Sorgen
Année de réalisation : 2018 (Allemagne)
Avec Jörg Schüttauf (Stefan), Ulrike C Tscharre (Simone ), Leonard Carow (Jakob), Leonard Scheicher (David), Emilia Borisch (Marie), Rainer Sellien (Mathias), Eva Meckbach (Evelyn), Adrian Zwicker (Oliver).

En Allemagne, le douloureux parcours d’un couple de parents catholiques face à la radicalisation de leur fils Jakob, parti rejoindre les rangs de l’État islamique en Syrie alors qu’ils le croyaient en vacances en Espagne. Passé le choc, et malgré les angoisses, le père part le chercher.
Un drame familial, pudique et bouleversant, sur la détresse des parents d’enfants radicalisés, tiraillés entre douleur et interrogations.

Une occasion de lire ou relire l’entretien ci-dessous avec Emily Atef accordé à l’occasion de la sortie de son précédent film « 3 jours à Quiberon » (2018) lors du Festival international du film de Helsinki – Amour & Anarchie en septembre 2018.

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ENTRETIEN AVEC EMILY ATEF
EMILY ATEF
Emily Atef, réalisatrice franco-iranienne, était l’invitée du Festival international du film de Helsinki – Amour & Anarchie dont la 31édition s’est déroulée cette année du 20 au 30 septembre 2018. Elle est venue présenter son 4e long métrage, « 3 jours à Quiberon », qui relate les 3 jours qu’a passés l’actrice Romy Schneider en 1981 lors de sa cure à Quiberon où elle a accordé une interview exceptionnelle au magazine allemand Stern. Emily Atef signe un portrait émouvant de cette incroyable actrice, embelli par une magnifique photographie en noir et blanc. La caméra à fleur de peau nous permet de nous approcher au plus près de la femme sensible, fragile mais aussi lumineuse qu’était Romy Schneider à cette période de sa vie. Interprétée par Marie Bäumer, dont la ressemblance avec la star est troublante, on est pris dans l’illusion et l’émotion de voir revivre sans fard et sans filtre Romy Schneider à l’écran.

Qu’est-ce qui vous a tout d’abord amenée à vous intéresser d’aussi près à Romy Schneider et d’où est venue l’idée de vous focaliser sur ces 3 jours à Quiberon ?
Tout d’abord, j’ai vécu un peu partout – 7 ans à Berlin, 7 ans à Los Angeles – et à 13 ans, alors que j’étais dans le Jura en France, c’est là que j’ai rencontré Romy Schneider à travers ses films. J’ai, en fait, rencontré la Romy Schneider française, la Romy de ses films français. Pour ce qui est de « Sissi », je dois dire que je n’ai vu le film que pour la préparation de « 3 jours à Quiberon ». Je n’ai jamais vu ses films allemands. « Sissi », même en tant qu’ado, ne m’a jamais tellement intéressée. Qui plus est, les films historiques, ce n’est pas trop mon truc, et il y avait tellement d’autres films surprenants qu’elle avait faits. Donc, j’ai toujours trouvé cette actrice incroyable dans son jeu, très authentique. Et du fait que quand j’étais en France, elle était allemande, c’était aussi quelque chose qui me correspondait, mais je n’aurais jamais eu l’idée de faire un film sur elle. Tous mes films sont, du reste, complètement fictifs. Et c’est un producteur français, Denis Poncet – malheureusement décédé –, ami de l’actrice Marie Bäumer dont il ne revenait pas de sa ressemblance avec Romy Schneider, qui a pensé qu’il fallait qu’on fasse quelque chose. Marie Bäumer a toujours refusé en Allemagne de faire quoi que ce soit parce qu’on lui proposait toujours des biopics, c’est-à-dire des films où on racontait la vie d’une personne en 90 minutes. Déjà, rien qu’en tant que spectatrice, j’ai pour ma part toujours été extrêmement frustrée. Mais le fait qu’il arrive avec cette idée d’un zoom sur Quiberon – au départ, on ne savait pas combien de jours, mais quelques jours à Quiberon – et la dernière interview allemande avec pour interprète Marie Bäumer qui a maintenant plus de 40 ans, c’était autre chose. Quand Denis Poncet m’a donc appelée pour me demander si ça m’intéressait, la première chose que j’ai faite c’est de taper sur Internet « Romy Schneider – Quiberon » et j’ai vu alors ces photos de Robert Lebeck. Ça m’a extrêmement touchée parce que ces photos n’étaient pas les photos d’une star, des photos d’un mythe, des photos posées. C’étaient des photos d’une femme comme vous et moi, sans maquillage, complètement ouverte dans la crise qu’elle traversait et dans cette envie incroyable de vivre. Après, j’ai lu l’interview du Stern et j’ai été bouleversée par le fait qu’elle s’ouvre autant face à l’audace du journaliste qui va très loin dans ses questions. Qui plus est, ce sont trois jours où on a vraiment le temps, et le public a le luxe d’être avec elle. Et puis, le fait que c’était un film choral m’a aussi intéressée. Je ne voulais pas me focaliser uniquement sur Romy. Il y avait sa relation avec son amie, cette intimité féminine. Comment est-ce possible d’être amie avec une star ? Il y avait le journaliste qui était l’antagoniste mais qui, en fait, en trois jours allait évoluer incroyablement. Et puis, aussi, cette amitié qu’elle avait eue avec le photographe Robert Lebeck. Une amitié difficile. De tous les quatre, on se demande, du reste, qui manipule qui (!?)

On sent un film très documenté. Combien de temps vous a-t-il fallu – entre recherche et écriture – pour faire aboutir ce projet ?
Je dirais un an. Mais si on part depuis le tout début jusqu’à l’aboutissement, cela fait plusieurs années : j’ai reçu l’appel de Denis Poncet en 2013 et on a tourné fin 2016/2017. Entretemps, j’ai fait aussi trois films, des films de télé, etc. Mais comme je n’avais jamais fait de film sur quelqu’un de réel, j’ai vraiment pris le temps pour faire les recherches et surtout parler avec les gens. Robert Lebeck était assez connu – lui aussi malheureusement décédé à 84 ans – mais j’ai eu la chance de pouvoir le rencontrer trois fois. J’ai rencontré le journaliste Michael Jürgs un grand nombre de fois, de même mon actrice a pu le rencontrer. Je pouvais l’appeler quand je voulais dans le processus d’écriture en lui demandant toutes sortes de détails dont il ne savait pas, du reste, ce que j’allais en faire. D’ailleurs, il a été assez choqué quand il a lu le scénario car il est vrai que son rôle n’est pas très flatteur. J’ai aussi rencontré la copine deux fois, mais elle n’a pas voulu être immortalisée à l’écran. C’était pour moi un grand problème et, à vrai dire, je ne sais pas si j’aurais fait le film sans le personnage de Hilde, la copine. Je voulais montrer autre chose que Romy et les hommes, Romy et la presse. Je suis alors retournée la voir et je lui ai demandé si je pouvais créer une amie qui n’a rien à voir avec elle, pas le même nom, même pas la même nationalité, pas la même situation familiale ni le même métier. Elle a accepté et j’ai ainsi pu créer Hilde complètement. Mais il y avait vraiment une amie qui était là, qui la protégeait. On retrouve, du reste, beaucoup de choses similaires entre Hilde et cette véritable amie. Elle ne supportait pas non plus cette presse, ces gens qui accaparaient Romy.

Est-ce que le choix de l’actrice Marie Bäumer – dont la ressemblance avec Romy Schneider, jusqu’à la voix, le rire, est troublante – s’est tout de suite imposé ?
Oui. Et de toute manière, c’est plutôt elle qui m’a choisie. Même s’ils étaient venus avec ce projet et une autre actrice, pour moi le choix des acteurs est primordial. Il fallait que ça marche, sinon je n’aurais pas fait le projet. On trouve aussi beaucoup d’actrices en Allemagne qui ont des ressemblances avec Romy Schneider. Marie Bäumer lui ressemble, certes, mais elle a surtout beaucoup de talent, et c’est ça qui est le plus important. Il se trouve que c’est un rôle extrêmement difficile dans les excès de joie comme de peine, dans toutes les subtilités.

Mais elle qui avait jusque-là toujours refusé d’incarner Romy Schneider, qu’est-ce qui l’a finalement décidée à accepter ce rôle ?
Le fait que ce soit un zoom sur seulement trois jours, qu’il ne faille pas faire une mission impossible de raconter toute une vie. Pour une actrice, c’est ridicule. Comment faire ? En général, la plupart engagent jusqu’à quatre acteurs pour les différentes périodes de vie. Par ailleurs, elle avait beaucoup aimé les films que j’avais faits précédemment. Elle avait vu « L’étranger en moi » qui était à Cannes. Elle avait donc vu mes films qui sont presque tous des films sur des crises existentielles de femmes qui sortent toujours dans la lumière.

Hormis la ressemblance physique, Marie Bäumer fait revivre, à travers une interprétation bouleversante, la star mais surtout la femme qu’était Romy Schneider. Comment l’avez-vous dirigée ?
C’était pour elle un travail très émotionnel parce que depuis qu’elle a l’âge de 16 ans, on n’arrête pas de lui parler de sa ressemblance. Et c’est quelque chose de difficile parce qu’elle exerce le même métier que Romy Schneider. Et donc elle a eu très peur de ne pas arriver à transpercer le mythe pour arriver à la femme. Et le premier travail, c’était la confiance. Comme c’était un projet qui a duré et qu’il n’y avait pas de stress pour le faire, on est devenues amies. Elle vit en France depuis 11 ans, donc j’allais la voir en France et elle venait me voir à Berlin. Et c’est ainsi que s’est établie la confiance entre nous. Au départ, elle ne supportait pas vraiment qu’on parle du projet, mais quelques mois avant le tournage elle s’est lancée à 100 pour cent. Elle a travaillé la voix, légèrement teintée d’un accent de la bourgeoisie viennoise, accent qu’elle a d’ailleurs énormément travaillé avec Birgit Minichmayr, la comédienne autrichienne qui jouait Hilde. Elle a beaucoup travaillé aussi sur le physique, sur la respiration. On a regardé beaucoup d’interviews. Romy Schneider était souvent nerveuse dans les interviews. Parfois elle n’écoutait pas et parlait comme dans un tunnel ; elle se répétait souvent. On a vu, par exemple, comment elle fumait. Elle avait plutôt une façon masculine de fumer, qui est plus féminine chez Catherine Deneuve. Marie Bäumer a regardé tous ces aspects. Elle avait ainsi quelques esquisses. J’ai, pour ma part, beaucoup parlé psychologie, plutôt de la femme qu’était Romy, parce que pour moi c’est une femme universelle. Il n’y a pas eu d’improvisation et on a beaucoup répété, même si parfois, comme la scène du bar, on pourrait croire que c’est improvisé avec de longs plans-séquences, mais tous les dialogues sont écrits. J’ai écrit moi-même le scénario et après j’ai retravaillé tout le texte avec mes acteurs. S’ils trouvaient, bien sûr, qu’une phrase ne marchait pas, je n’avais aucun problème à la changer. L’important, c’était qu’ils arrivent à transmettre ce que, moi, je voulais voir.

Votre mise en scène est sobre et vous nous offrez un portrait délicat et pudique de cette femme déchirée à un certain moment de sa vie. Comment avez-vous évité le piège du pathos, tout en posant les prémices de la tragédie ?
C’est vraiment ce que j’essaie de faire dans tous mes films. Mon but, c’est d’arriver à aller au plus profond, au coeur même d’une crise pour ensuite en sortir mais sans utiliser le pathos. Il faut réussir à se maintenir sur un fil extrêmement fragile. Pour ça, j’ai besoin de beaucoup de silence, mais c’est vraiment aussi le talent des acteurs qui permet d’y arriver. Et puis, c’est à moi de fixer la limite, de continuer à chercher une manière plus sobre d’y parvenir. Mais aussi, parfois, Romy sombre tout d’un coup, puis Lebeck arrive, fait des photos, ils écoutent de la musique et ça repart. On ne sait jamais ce qu’il se passe. En fait, c’est Lebeck qui m’a raconté que c’était très fatigant parfois avec Romy parce qu’elle avait des changements d’humeur extrêmes et subits. D’ailleurs, il m’a dit que pendant ces trois jours il avait été très heureux que la copine soit là parce que parfois c’était assez imprévisible. Et donc, il faut garder cette fraîcheur de l’immédiat et ne pas rentrer dans le pathos.

Pourquoi Romy Schneider qui traverse en ce printemps 1981 – et c’est peu de le dire – une période de turbulences [suicide de son précédent mari en 1979, en plein divorce, séparée de ses enfants, criblée de dettes] accepte-t-elle de donner cette interview au magazine Stern plus connu pour la recherche du scoop que pour le sérieux de ses textes ?
C’est vraiment la première question que je me suis posée après avoir lu cette interview. Pourquoi a-t-elle fait ça ? En fin de compte, avec toutes les recherches que j’ai faites, je dirais qu’on a l’impression dans le film qu’elle est victime mais je ne le pense pas : d’après moi, elle a choisi. C’est elle qui choisit de faire cette interview et, à la fin, quand on la retrouve avec sa fille à Paris, elle est sereine et accepte de tout faire imprimer à part quelques phrases sur sa mère. C’est comme ça que ça s’est passé. Michael Jürgs m’a dit qu’il y avait des pages et des pages d’interview et que c’est plutôt lui qui a évité certaines choses – parce que parfois il prenait des tangentes –, mais elle a tout accepté de dire, y compris : « Je suis Romy Schneider, j’ai 42 ans, je suis malheureuse, ma vie aurait pu être mieux… ». Romy Schneider ne donnait pas beaucoup d’interviews en Allemagne et, à mon avis, elle en avait assez que les Allemands la comparent – aussi ridicule que cela puisse paraître – à un personnage historique de 15 ans alors qu’elle en avait 42. Ils voulaient garder leur pure et belle Sissi qui apportait la lumière dans cette Allemagne d’après-guerre. Ils ne supportaient pas qu’elle fasse des films français où elle se dévêtait, où elle accouchait comme, par exemple, dans « Une femme simple », ou bien alors dans « Le train » ou « Le vieux fusil » où elle jouait une victime du nazisme. Romy Schneider était une grande artiste et elle en avait marre. Et, à mon avis, elle a eu envie de leur dire qui elle était, qu’elle n’était pas Sissi mais Romy Schneider, qu’elle avait 42 ans et qu’elle était comme elle était maintenant.

Les questions du journaliste dans le film sont très frontales, agressives. On sent chez lui une volonté de dégrader l’image de Romy Schneider, de s’engouffrer dans les failles de cette femme. Quelle était la teneur de l’ensemble de l’entretien publié par Stern que vous avez déclaré n’avoir reproduit qu’en partie ? Et pourquoi ce choix ?
En fait, beaucoup vient de cette interview. Du reste, on peut la lire en allemand, en ligne. Rien que la première phrase avec les termes « madone » ou « pute », c’est quand même assez incroyable ce que le journaliste pouvait lui dire. J’ai repris la plupart des éléments de l’interview, sinon il y avait aussi d’autres tangentes qui n’étaient pas très intéressantes pour mon film où le journaliste parlait, par exemple, très longuement de son beau-père. Par ailleurs, j’ai aussi utilisé beaucoup de citations d’autres interviews qu’elle avait faites. Et après, j’ai essayé de trouver ma trame. Par exemple, Michael Jürgs m’a raconté beaucoup de choses que je lui ai fait dire dans le film. Il a, du reste, été estomaqué quand il a vu ça. Mais je lui ai dit que c’était une fiction et que j’avais besoin de mon antagoniste. Ça n’aurait servi à rien d’avoir un gentil journaliste, un gentil photographe pour mon film. D’autant que, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’était pas un enfant de coeur. On peut le lire dans son interview dans laquelle il va très loin. Et il le reconnaît lui-même maintenant. Il a vu le film et il a été extrêmement bouleversé parce qu’il s’est revu là-bas. Et puis il a dit que tout le monde était mort sauf lui, et qu’il était désolé d’avoir été ce type-là. Mais, d’un autre côté, c’est lui qui à la fin du film aura le plus évolué. Michael Jürgs sait que cette interview va lui faire faire un grand bond dans sa carrière, parce qu’il avait alors seulement 35 ans, et pourtant il dit plus ou moins à Romy Schneider que, si elle le souhaite, elle peut jeter l’interview à la poubelle. Mais elle ne le fait pas. D’ailleurs, l’interview s’est vendue près d’1 million de fois et, à moins de 40 ans, Michael Jürgs s’est retrouvé rédacteur-en-chef du Stern.

« 3 jours à Quiberon » est votre 4e long métrage et à chaque fois vous vous penchez dans vos films sur la solitude d’une femme qui semble échapper au bonheur tout en y atteignant presque. Pouvez-vous y donner une raison ?
Pourquoi les femmes ? Je ne serais pas contre de faire un film sur un homme. J’ai, du reste, fait une relation père-fils dans mon dernier film de télévision mais je dois dire que, déjà en tant que spectatrice, j’ai toujours été un peu frustrée car je ne trouvais pas qu’il y avait beaucoup de films sur les femmes et, bien sûr, ça m’intéresse davantage. Par ailleurs, je suis quelqu’un de très optimiste, et ce voyage de sortie d’une crise que ce soit dans mes précédents films « Tue-moi », « L’étranger en moi » ou « Molly’s Way », j’adore ce voyage. C’est un voyage qui m’intéresse parce que je cherche toujours la lumière, et dans n’importe quelle vie. Et pour « 3 jours à Quiberon », je savais que c’était la pire année de sa vie, parce qu’après Quiberon, tout s’enchaîne dans vraiment le négatif. Et si Denis Poncet m’avait dit qu’il aimerait bien qu’on finisse le film après la mort de son fils David, je n’aurais jamais accepté. Et donc, alors que je cherchais comment sortir de cette nuit-là vers la lumière, c’est de nouveau Robert  Lebeck qui m’a donné la clé quand je suis allée le voir en disant que c’était affreux, que Romy avait tellement de dettes et qu’en plus voilà qu’elle se cassait le pied et ne pouvait pas faire le film. Et c’est là qu’il m’a dit qu’en fait c’était la meilleure chose qui avait pu lui arriver. Il a dit que – et je l’ai, du reste, mis dans son dialogue – quand il est arrivé cet après-midi-là à Paris lui apporter l’interview, faire des photos avec elle et sa fille, jamais il ne l’avait vue – et pourtant il l’avait vue et photographiée souvent – aussi en paix avec elle-même, aussi sereine et aussi belle que cet après-midi-là. Et pour moi, c’était ça. Peu importe, peut-être que ce n’était qu’un après-midi, peut-être que c’était pendant les trois semaines qu’elle était restée clouée au lit, en tout cas, personne ne peut lui prendre ce moment de grâce qu’elle s’est donné.

Vos films sont généralement en langue allemande. Dans « 3 jours à Quiberon », Romy Schneider parle essentiellement allemand mais aussi français – comme elle le faisait dans la vie. Est-ce que cette alternance très importante est respectée dans les versions distribuées en France et en Allemagne, pays que l’on sait très attachés au doublage ?
Personne ne doublera ce film, ni en Russie, ni en Chine. Il y aura des sous-titres en Allemagne comme en France. Le seul endroit où il sera doublé, ce sera peut-être quand il sortira à la télévision… encore qu’Arte, étant une chaîne franco-allemande, aura, je l’espère, recours aux sous-titres.

Les images splendides en noir et blanc qui évoquent le souvenir de Romy Schneider et qui sont inspirées, semble-t-il, des clichés du photographe Robert Lebeck – un véritable storyboard ! – contrastent toutefois avec l’omniprésence de la cigarette, de l’alcool et la fébrilité surtout avec laquelle l’actrice s’y adonne. Pourquoi tant d’insistance sur cet aspect-là et comprenez-vous que Sarah Biasini, la fille de Romy Schneider, soit gênée par ce portrait ?
Ce film est une fiction. Quand vous regardez les photos de Robert Lebeck sur Internet, il y en a une vingtaine. Lui et sa veuve m’ont donné quelque 600 photos, tout ce qu’il a pris, même les photos complètement floues, des clichés très intimes. Et ces photos m’ont beaucoup inspirée mais, bien sûr, il n’y a pas de dialogues dans ces photos. Après 35 ans, elles ne vont pas me dire de quoi ils ont parlé. Tous les dialogues, c’est ce que, moi, je me suis imaginé en passant des heures et des heures devant ces photos. Mais Romy ne fait pas que boire, comme on dit. Jusqu’à la scène du bar, qui survient après 30 minutes, elle ne boit pas une goutte d’alcool. A la fin du film, après avoir passé la nuit avec Lebeck, elle ne boit pas non plus. Mais quand elle boit, elle boit. Et il faut arrêter de dire n’importe quoi, parce que ce n’est pas vrai. Pour ce qui est de la cigarette, c’est connu. Sur chaque photo, on la voit en train de fumer. Michael Jürgs, lui aussi, fumait beaucoup. Et surtout, quand on connaît mes autres films, on sait très bien que jamais je n’aurais fait quelque chose pour la noircir. Du reste, on m’aurait assignée en justice, car on n’a pas le droit de faire de la diffamation. Bien sûr, Sarah Biasini, qui avait 5 ans à l’époque, a dû avoir une autre image de sa maman. Je comprends que cela la peine. D’ailleurs, elle a eu le scénario avant qu’on tourne. Elle savait ce que ça allait être. Je comprends qu’elle ne veuille pas voir ça, mais de dire qu’avec ce film j’essaie de noircir sa mère, c’est complètement faux parce qu’en fait, dans le film, les seuls auxquels je m’attaque c’est la presse allemande qui a toujours attaqué Romy. Et puis, sa fille n’y était pas, son mari n’y était pas. Les seules personnes avec qui j’ai parlé, c’étaient des gens qui étaient présents. Je ne vais pas dire qu’elle a bu du thé si elle n’en a pas bu. Ils étaient là, et puis ça se voit. Et vraiment si elle m’avait demandé à voir ces photos, bien sûr que je lui aurais tout montré. Heureusement qu’on est encore libre dans l’art de raconter des choses.

La musique qui accompagne notamment Romy Schneider dans la séance photos sur les rochers est très belle, lui correspond tout à fait comme celle d’alors des « Choses de la vie » (film de Claude Sautet). Est-ce que la musique a pour vous un rôle important à jouer ?
Ce sont deux compositeurs allemands, Christoph Kaiser et Julian Maas, qui sont géniaux. Ce n’était pas évident de trouver la musique de ce film parce qu’on s’est dit qu’il fallait que ce soit quand même une musique moderne mais, d’un autre côté, il est, pour moi, toujours important de parler de la femme. Mais, dans ce cas-là, on parle quand même d’un monstre du cinéma et, surtout, si on prend cette séance de photos sur les rochers, c’est la seule séance où on voit vraiment la comédienne. S’il y avait une sorte d’hommage rendu à Romy, ce serait la séance des rochers parce qu’elle joue comme une comédienne devant l’objectif de Lebeck. Alors là, on s’est donné à fond même si on s’est dit qu’on espérait qu’on n’allait pas tomber dans le pathos. Christoph Kaiser et Julian Maas ont alors composé une valse.

Ce 23 septembre 2018, Romy Schneider aurait eu 80 ans. Sa fille Sarah Biasini lui rend hommage dans un livre intitulé « Romy ». Par ailleurs, Alice Schwarzer révèle, 36 ans après sa mort, les confidences que Romy Schneider lui a faites une nuit de 1976 dans un livre « Romy Schneider intime » en même temps qu’Arte diffusait récemment un documentaire sur ces mêmes révélations. Qu’apprenez-vous que vous ne sachiez déjà et cela jette-t-il un nouvel éclairage sur votre film ?
A vrai dire, je n’ai rien vu de tout ça. J’ai, bien sûr, lu en allemand le livre d’Alice Schwarzer il y a assez longtemps. Maintenant, je crois qu’elle l’a réédité avec une nouvelle préface et puis, il y a donc sa publication récente en français. D’ailleurs, Alice Schwarzer a beaucoup aimé « 3 jours à Quiberon » et elle m’a parlé aussi de ce documentaire. Il faut absolument que je le voie. Par contre, je ne savais même pas que Sarah avait écrit un livre sur sa mère. Cela me fait penser que Michael Jürgs a écrit un livre superbe qui s’appelle « Der Fall Romy Schneider » pour lequel il a fait des recherches vraiment incroyables. Je trouve que c’est le meilleur livre sur Romy et je crois, du reste, qu’il a été traduit en français. Il parle de son ex-mari Daniel Biasini et de tous les hommes qui se sont servis d’elle. De notre côté, on a été très bien lotis. On a eu une belle presse en Allemagne, mais en France aussi. Heureusement, la fille de Romy Schneider, Sarah Biasini, n’a parlé qu’après la sortie du film, et la presse a été neutre. Par ailleurs, en Allemagne, le film a décroché 7 Lola (les César allemands) dont le Lola du Meilleur film.

De ce huis clos, avec toutefois des bolées d’air salvatrices sur les rochers de la côte bretonne, se dégage une formidable charge émotionnelle. Pendant tout le film, acteurs comme spectateurs sont tiraillés entre rires et larmes, intérieur/extérieur, ombres et lumières, manipulateurs/manipulés. Mais au final, grâce à une mise en scène tout en finesse, les rôles pourraient bien être redistribués voire inversés. Etait-ce votre intention dès le départ de conduire votre film vers la lumière ?
Oui. Comme je l’ai dit précédemment, c’était ma grande recherche, qui l’est, du reste, toujours dans tous mes films. Je suis optimiste en tant que personne et je ne peux pas finir dans le sombre.

Avez-vous déjà d’autres projets cinématographiques ?
Mon prochain film de cinéma sera mon premier film français. Il s’appelle « Mister » et va se jouer un tiers à Paris et deux tiers en Norvège. Ce sera un film bilingue français-anglais, avec un peu de norvégien, parce que le personnage principal est français. Et il y aura de nouveau une femme dans une grande crise existentielle et qui va vers la lumière. Encore une fois  la même chose, mais complètement fictif. Pour l’instant, on est sur le scénario et le casting… j’espère grand casting. Si tout se passe bien, on tournera pendant l’été 2019, et la sortie est prévue pour 2020.

Propos recueillis par Aline Vannier-Sihvola
Helsinki, le 29 septembre 2018

https://www.youtube.com/watch?v=iUpEcSPo1Qc
Disponible en DVD & Blu-Ray

Coup de projecteur ! Entretien avec YVES HINANT

Ni juge ni soumise
Au cours de la 44e cérémonie des César, qui s’est déroulée le 22 février 2019, le film belge « Ni juge ni soumise » de Yves Hinant et Jean Libon, mettant en scène la juge d’instruction Anne Gruwez, a été récompensé du César du Meilleur film documentaire.

Précédemment, lors de la 9e cérémonie des Magritte du Cinéma – l’équivalent belge des César français, des Oscar américains ou encore des Jussi finlandais – qui s’était déroulée le 2 février 2019 et qui consacre les talents du cinéma belge, le film « Ni juge ni soumise » avait remporté le Magritte du Meilleur documentaire.

NI JUGE, NI SOUMISE (2018)
Yves Hinant, Jean Libon
Disponible actuellement en DVD, Blu-Ray ou VOD
https://www.youtube.com/watch?v=_DlC7-cclhI

Retrouvez la juge Anne Gruwez 11 ans plus tôt dans :
LE FLIC, LA JUGE ET L’ASSASSIN (2007)
Yves Hinant
Une véritable enquête policière, une affaire de meurtre dans laquelle tous les protagonistes jouent leur propre rôle.

Voir les trois épisodes dans leur version intégrale :
https://www.sonuma.be/archive/tout-ca-ne-nous-rendra-pas-le-congo-du-27042007 (1/3)
https://www.sonuma.be/archive/tout-ca-ne-nous-rendra-pas-le-congo-du-04052007_1 (2/3)
https://www.sonuma.be/archive/tout-ca-ne-nous-rendra-pas-le-congo-du-04052007 (3/3)

A cette occasion, lire ou relire l’entretien avec Yves Hinant sur le tournage du film.
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ENTRETIEN AVEC YVES HINANT
DSC02873Yves Hinant, réalisateur belge, était l’invité du Festival international du film de Helsinki – Amour & Anarchie dont la 31e édition s’est déroulée cette année du 20 au 30 septembre 2018. Yves Hinant a réalisé de nombreux films pour l’émission culte de la télévision belge « Strip-tease », diffusée dans les années 80 sur la RTBF et France 3, qui a déshabillé la Belgique et la France pendant près de 25 ans. En 2008, il filmait « Le flic, le juge et l’assassin » qui entrouvrait les portes de la justice belge sous la houlette, entre autres, d’un personnage truculent qu’est l’atypique juge Anne Gruwez. Dix ans plus tard, Yves Hinant est venu présenter au Festival Amour & Anarchie « Ni juge, ni soumise », un premier long métrage fidèle à l’esprit Strip-tease avec Anne Gruwez comme personnage principal, qui suit de nouveau cette juge d’instruction bruxelloise anticonformiste et ébouriffante lors d’enquêtes criminelles, d’auditions de témoins et de visites de scènes de crime. Yves Hinant, avec son acolyte Jean Libon, pénètre les rouages de l’instruction comme personne n’avait réussi à les filmer jusqu’ici. Une incursion inédite au coeur du système judiciaire belge où se côtoient l’absurde, le comique et le tragique.

Vous avez accepté l’invitation du Festival Amour & Anarchie, mais que saviez-vous au préalable de ce festival et que connaissez-vous du cinéma finlandais, notamment des documentaires finlandais ?
Comme le film « Ni juge, ni soumise » tourne pas mal dans de nombreux festivals, je voulais venir ici parce que j’aime vraiment beaucoup la Finlande. J’y suis venu pêcher il y a trois mois avec un copain finlandais qui habite à Bruxelles mais qui est de Kuopio. En fait, je ne connais pas grand-chose du cinéma finlandais. De ce que j’ai vu des fictions, il y a quand même un côté surréaliste qui me plaît bien. Dans le cinéma nordique, comme dans la littérature, du moins de ce que j’en connais, il y a quelque chose qui me touche beaucoup plus qu’un autre cinéma. Par ailleurs, j’aime bien l’absurde et ça me rapproche sans doute des Finlandais.

Vous êtes à l’origine, avec Jean Libon, de l’émission culte « Strip-tease » de la télévision belge, lancée en 1985 et diffusée en France à partir de 1992 (stoppée en 2012). Qu’est-ce qui a fait, au départ, que vous vous êtes lancé dans cette aventure ?
« Strip-tease » était une espèce de rendez-vous où le réalisateur venait apporter un regard souvent décalé sur le monde et, comme ça a disparu – parce que je crois que l’époque n’est plus à ce type d’écriture-là –, on s’est dit qu’on pouvait peut-être encore manquer à certains. Il se trouve qu’un producteur français est venu proposer de faire un film pour le cinéma et c’est toujours intéressant que quelqu’un vienne vous voir pour vous pousser à vous mettre au cinéma. On a, donc, fait un film pour ça, en se disant aussi que l’étiquette « Strip-tease » n’était pas morte et qu’il y avait un souvenir du magazine qui avait été lancé par Jean Libon et Marco Lamensch. Je les ai, pour ma part, rejoints assez vite, mais ce sont eux deux qui ont fait l’émission.

Pourquoi la série s’est-elle arrêtée après 27 ans ?
Elle s’est arrêtée parce qu’en Belgique on a changé et appelé l’émission « Tout ça ne nous rendra pas le Congo », et les films qu’on faisait étaient un  peu plus longs. On s’est arrêtés faute de combattants et faute d’énergie. En tout cas, la chaîne française a décidé de ne plus poursuivre les histoires de « Strip-tease » alors que ça fonctionnait très bien. France 3 a arrêté la diffusion de « Strip-tease » qui marchait bien et qui avait une audience assez régulière, mais je pense que c‘est un changement d’époque, en fait. Je crois qu’il y avait quelque chose qui grattait, qui peut-être dérangeait. « Strip-tease » a été lancée d’abord en Belgique. Il y avait une émission en France et une émission en Belgique. L’émission française nourrissait avec des programmes l’émission belge et l’émission belge nourrissait l’émission française avec des films belges. Donc, les productions se croisaient, en fait. L’émission était produite par France 3 et la RTB. Il y avait une émission qui était belge avec trois sujets belges et un sujet français, et l’émission française, c’étaient trois sujets français et un sujet belge.

Comment débusquiez-vous les personnages des sujets traités dans « Strip-tease », tous aussi insolites les uns que les autres ?
En fait, c’est facile de les trouver en Belgique. La fameuse explication quant à ce qui différenciait un « Strip-tease » français d’un « Strip-tease » belge, soit la différence entre la France et la Belgique, c’était qu’en France on trouvait un chômeur qui allait dire que la situation économique était vraiment désastreuse mais qu’avec beaucoup d’abnégation et de patience on allait s’en sortir, alors qu’en Belgique un chômeur dans la même situation allait vous dire que c’était la merde complète. Avec ça, c’est quand même plus facile de créer des choses, même s’il y a de très bons films français. A mon avis, on essaie avant tout de trouver des histoires, indépendamment de la thématique. Pour ma part, j’aime bien la thématique, j’aime bien les contraintes. A l’époque, on avait fait un premier film avec la juge Gruwez qui intervenait comme un personnage secondaire. J’aime bien, en ce qui me concerne, avoir un accès dans une thématique quasiment impossible – la justice, c’est quand même un endroit fermé – puis on ouvre les yeux, on regarde et on cherche. Et Anne Gruwez, le personnage principal de « Ni juge, ni soumise », dépote. Je crois, en plus, que c’est une très bonne juge d’instruction, mais elle est particulière. Moi, j’aime bien la singularité, je n’aime pas le côté lisse. Et puis, surtout, elle est drôle. Et je trouve que l’humour, c’est un accélérateur de l’histoire. C’est quelque chose qui vous rapproche de l’histoire et qui l’accélère aussi. En fait, dès qu’on rit un peu, on a l’impression que le temps passe plus vite.

Fidèle à l’esprit Strip-tease, vous passez avec « Ni juge, ni soumise » – un premier format long métrage – du petit au grand écran. Comment avez-vous découvert ce personnage haut en couleur au caractère bien trempé qu’est la juge d’instruction Anne Gruwez, qui roule en 2 CV et vit avec un rat domestique ?
On avait fait un film avec Jean Libon pour « Strip-tease », une série policière en 3 x 52 minutes, et Anne Gruwez était juge dans ce film-là (« Le flic, le juge et l’assassin » – 2008), mais elle n’était pas le personnage principal. Et quand on nous a demandé de faire un film pour le cinéma, on a réfléchi à l’histoire qu’on devait raconter. On ne pouvait pas décevoir les gens, et donc on s’est dit qu’avec un polar à la belge au cinéma, ça allait le faire. Je connais de mieux en mieux les arcanes de la justice vu que j’y ai de plus en plus mes entrées, et la juge, qui n’était pas demandeuse de refaire un film avec nous, ne nous avait pas tout donné. Elle avait fermé les portes lors des précédents tournages. Je lui ai alors demandé de faire un film avec elle, ce qu’elle a accepté, mais à condition qu’elle ouvre toutes les portes, ce qu’elle a fait.

N’avez-vous pas dû obtenir des dérogations pour filmer des entretiens avec des prévenus qui se tiennent normalement à huis clos ?
Le culte du secret, c’est aussi fait pour être levé. Donc, je ne vois pas très bien pourquoi il y aurait des endroits qui seraient fermés. Je pense qu’il y a une espèce d’autocensure, parfois des réalisateurs ou des journalistes, qui se disent, dans certains cas, qu’ils ne vont pas essayer parce que ça va être impossible. J’aime bien ce qui est impossible, quelque part c’est un peu ma drogue. D’un côté, je pense qu’il faut aller dans des endroits qui sont interdits. Par ailleurs, l’attrait de la nouveauté a aussi quelque chose d’un peu plus excitant que de faire des choses qui ont été rebattues et rebattues. Et puis, pour ce qui est de l’accès par rapport aux personnes, ce sont elles-mêmes qui ont accepté et qui m’ont donné une autorisation écrite. On avait des contacts avec les avocats qui les représentaient. Quelque part il faut regarder le monde en face, et je trouve que « Ni juge, ni soumise » est simplement un film sur 2018 qui nous montre l’époque dans laquelle nous vivons. Et donc, forcément, on essaie d’ouvrir toutes les portes, et il faut le faire à livre ouvert et non pas à livre fermé. A l’ère de la communication, tout est sous contrôle et on est souvent, nous réalisateurs ou journalistes, et de plus en plus, confrontés à des communicants. On aimerait bien faire parler un film sur telle personne mais il y a une interface qui intervient et qui essaie de nous limiter déjà dans la manière d’aborder le sujet, en disant qu’il ne faut pas ces questions-là, pas ce thème-ci, pas ce jour, etc. Je pense, pour ma part, qu’au contraire il faut tout ouvrir. Et quand on s’étonne de filmer simplement un BTS quotidien (Behind the Scenes ou « derrière les coulisses » – NDLR), c’est donc que la période que nous vivons, 2018, est une période qui referme de plus en plus, qui rend secret des choses qui sont parfois  tout à fait absurdement simples et jolies à voir.

Dans votre film, le dossier fil rouge sur le meurtre de deux prostituées a-t-il été rouvert 20 ans après juste pour les besoins du film ? Et savez-vous si le cas est maintenant résolu ?
C’était une des premières histoires de la juge qu’elle n’avait toujours pas résolue et donc, quelque part, ça restait dans sa tête. Quant à nous, comme on cherchait forcément un fil rouge, elle nous a dit alors qu’elle avait toujours cette histoire-là qui lui trottait dans la tête, que ça l’énervait qu’aujourd’hui encore le cas n’ait toujours pas été résolu, qu’elle continuait à réfléchir et qu’elle rouvrait le dossier. Ce n’est pas pour les besoins du film, mais c’est l’occasion, disons, qui a fait le larron. Quant au cas, il n’a pas avancé et n’est toujours pas résolu. Il reste ouvert et la juge attend la réponse des Américains. Mais, pour ma part, j’aime bien les films qui restent ouverts et restent sur leur fin.

Est-ce que la présence de la caméra n’a pas altéré la spontanéité, l’authenticité des propos ?
Il y a un grand débat dans le cinéma du réel sur l’impact de la présence d’une caméra sur le réel. Le plus important, c’est ce qu’on filme, et nous les réalisateurs, on essaie à ce moment-là d’être dans les endroits chauds. C’est la technique de la caméra chaude, de la caméra froide. On essaie d’être là où les choses sont tellement importantes que la présence d’une caméra s’oublie. D’abord, il y a un repérage important avant qu’une caméra arrive, c’est-à-dire que je passe beaucoup de temps avec les gens, et puis, à un moment donné, quand je commence à pouvoir faire le café chez quelqu’un, je peux sortir la caméra. C’est un peu comme si j’amenais un copain, une copine. En fait, c’est le principe de la caméra chaude, de la caméra froide. Par exemple, si des parents décèdent et que les enfants ne s’entendent pas, une fois chez le notaire au moment de la lecture du testament, tous les protagonistes de la scène sont tellement tendus et concentrés que la présence d’une caméra ne va pas se voir. Elle va s’atténuer voire disparaître. Donc, on essaie de se mettre dans des endroits où la caméra est froide, c’est-à-dire qu’elle n’est pas regardée. Par contre, si je viens chez vous pour la première fois et que vous êtes toute seule avec votre fille, votre mari, que sais-je, ou votre canari, si je débarque avec une caméra, forcément vous allez tous vous tourner vers la caméra et attendre. Donc, on n’a rien à filmer. Quelque part, on n’a rien à faire là-bas.

Est-ce que votre film se rapproche plus du documentaire ou de la fiction ? Un docuvérité, un docufiction ou un « documenteur » dont l’invention du terme revient à Agnès Varda ?
Votre confusion, en fait, me réjouit. On a montré ce film-là à Saint-Sébastien pour la première fois. Nous, les Français, Belges ou Québécois, on connaît un petit peu l’écriture « Strip-tease », mais pas l’Espagne et, quand on a projeté le film au Festival de Saint-Sébastien, son formidable directeur n’a pas attribué la mention « documentaire » au film. Le Festival de Saint-Sébastien sélectionne généralement des premiers ou deuxièmes films, et donc il ne l’a pas, intelligemment, distingué en tant que documentaire. Donc, on a fait la projection et la salle était sidérée. Il y a eu une ovation pour Anne Gruwez et puis elle a eu la mention spéciale Prix d’interprétation. C’est, d’évidence, un film dans lequel il y a des ambiguïtés et, en fait, chacun peut y trouver ce qu’il veut. Est-ce un documentaire ou une fiction ? De l’art ou du cochon ? C’est ce qu’on appelle le cinéma du réel.

Est-ce que vous-même vous arrivez encore à être surpris par telle situation, tels propos ?
C’est le grand débat que nous avons entre réalisateurs de films du réel et de fiction, et je pense que le réel est plus fort que la fiction. Je me souviens, par exemple, d’un film que j’avais fait – c’était en fait le film précédent – « Le flic, la juge et l’assassin » dans lequel une femme est retrouvée morte et la pièce à conviction est une frite qu’on retrouve dans son estomac. Si ça avait été scénarisé, si un scénariste idiot avait pondu cette idée que la pièce à conviction en Belgique, à Bruxelles, est une frite, on lui aurait dit que c’est complètement stupide et que ça ne marche pas. C’est pour ça que j’aime le réel et que forcément j’aime bien être surpris. Je trouve que le réel a quelque chose de surprenant. Dans le film « Ni juge, ni soumise », il y a une séquence sur une famille où se pose la question de la consanguinité. C’est abordé de façon tellement absurde que c’est impossible de la scénariser comme ça. Et c’est vrai que lorsqu’on doit se mettre à inventer des histoires, ce doit être particulièrement difficile. La manière dont je travaille avec Jean Libon, qui coréalise avec moi le film, c’est que, moi, je tournais et lui, il visionnait les rushes le soir ou au petit matin. En fait, on s’appelait pour voir son étonnement par rapport à ce que j’avais tourné. « Ecoute, Jean, j’ai filmé aujourd’hui un truc, regarde ! » Si j’avais un bon sentiment sur des rushes, bien souvent c’était confirmé par lui.

Le spectateur, lui, est confronté à ce que la vie a de plus dur. Je donnerai seulement les deux exemples qui m’ont le plus marquée : la scène au cimetière de l’exhumation d’un corps – enterré de fraîche date ! – pour un prélèvement d’ADN. Insoutenable également le récit de cette mère infanticide. Quelle est selon vous la limite – s’il y en a une – à ne pas franchir ?
Je pense qu’il y en a une, c’est quand on humilie des gens. Et je pense qu’il y a des films que je ne ferai pas, et donc il y a des personnages que je ne filmerai pas parce que le fait de les filmer les rendrait sympathiques. C’est-à-dire que je n’aimerais pas rendre sympathique quelque chose qui m’est absolument insupportable. Pour ce qui est de l’exhumation, on en voit quasiment dans tous les films de fiction, dans les séries, et quant à la scène insoutenable de la mère infanticide, je trouve que c’est justement important de le montrer parce qu’on a eu un précédent en Belgique, c’est l’affaire Lhermitte – Joachim Lafosse a, du reste, fait une fiction inspirée de cette affaire « A perdre la raison ». C’est une mère qui tue ses cinq enfants avec un couteau de cuisine et il y a eu un procès d’assises. Mais une mère qui tue ses enfants, je pense que c’est de l’ordre de la folie et ne relève pas de l’acte méchant en tant que tel. Et dans notre film, dans la scène qu’on a mise sur l’infanticide qui est une scène qui m’a aussi marqué, on montre quand même que la folie est humaine. Et donc, cette femme est humaine, même si elle a commis l’irréparable. Moi, ce que j’aime bien dans cette séquence-là, c’est qu’on la voit et quelque part on peut comprendre la folie parce qu’on l’écoute et on la voit. C’est la seule personne qui assume ce qu’elle a fait, c’est quand même étonnant. La folie fait partie de nous, et comme le dit assez justement la juge : « Qui n’a pas eu envie de tuer son voisin, de voler un objet, de chiper quelque chose… ». Donc, c’est toute une galerie de choses qu’on pourrait être. On peut être toutes ces formes-là, en fait. Et la folie, forcément ça me touche parce que qui peut dire qu’on ne sera jamais atteint par cette possibilité-là.

Est-ce que vous aviez beaucoup de rushes et est-ce que vous avez dû beaucoup coupé au montage ?
On a eu beaucoup de rushes mais je suis convaincu que si on avait fait le film ensemble et que si vous aviez visionné tous les rushes, vous auriez choisi les mêmes séquences que nous parce qu’elles ressortent du lot, en fait. Et je trouve que le film n’a pas été très difficile à monter. On avait ce qu’il fallait, et il n’y avait pas trois fois la matière. En fait, c’est assez simple : toutes les séquences se répondent quelque part et c’est, à mon avis, un film relativement assez équilibré.

Toujours dans cette idée que la caméra peut produire des distorsions, des exagérations, la juge dit à propos de l’un de ses clients : « Il était gentil comme tout. Il avait tué sa femme. Ce sont des choses qui arrivent. Il faut dire que c’était une emmerdeuse. » L’aurait-elle dit sans la caméra et, en tant que juge, n’a-t-elle pas eu des représailles ?
Je la connais assez bien. Elle est encore plus formidable que ça dans le réel. C’est une de ces personnes qu’on rencontre rarement, et la caméra, en fait, elle n’en a absolument rien à faire ; elle ne la voit même pas. Alors qu’elle ait eu des problèmes avec certains… (?) Ceux qui l’aiment bien l’aiment mieux, ceux qui la détestent la détestent encore plus. Elle a peut-être davantage sensibilisé les gens qui n’avaient pas d’avis. Je pense que c’est une personnalité assez attachante et sympathique parce qu’elle est cash, parce qu’elle a quelque chose d’un peu « brut de décoffrage ». Alors, est-ce qu’on aurait pu faire ce film-là en France ? Non, à mon avis. En France, il y a un certain sérieux dans le traitement du sujet, comme l’a fait, par exemple, Raymond Depardon… ou d’autres. Je pense que c’est une autre justice qu’on montre en France. En Belgique, heureusement, on a ce côté un peu décalé. Je pense que c’est quelque chose qui fait quand même du bien de voir l’humanité de la justice avec tout ce que ça comporte en termes de fragilité, de force ou de faiblesse.

Y a-t-il une censure cinématographique en Belgique ?
Non. Il faut, bien évidemment, respecter les droits et les devoirs qui vont avec le métier qu’on pratique. Dans ce film, on n’a pas évoqué des affaires de mineurs parce que c’est un accord qu’on avait à la base. Non, heureusement, on n’est toujours pas dans une dictature même si parfois on s’en approche. On a toujours une liberté… En tout cas, on a eu une expérience avec un producteur français particulièrement courageux, honnête, un super producteur qui est Bertrand Faivre de Bureau Films, qui nous a vraiment laissé faire ce qu’on voulait avec une boîte Artemis Productions en Belgique qui a travaillé formidablement bien. Il n’y a pas eu l’ombre d’un cri, d’une larme, d’une colère pendant le tournage qui a duré 3 ans.

Quelles ont été les principales difficultés durant ces 3 ans de tournage ?
La difficulté, c’est qu’on n’est pas maître du réel, en ce sens que le réel peut vous échapper. Dans une fiction, on peut se dire qu’on va arrêter maintenant, on va trouver cette fin-là pour arrêter maintenant. C’est scénariser le réel qui est compliqué, le scénariser c’est-à-dire le mettre en histoire. De ce fait, on essaie de partir d’une histoire qui est relativement forte et d’un personnage qui doit être particulièrement percutant, parce que justement on n’a pas toutes les clés sur le réel. L’angoisse, c’était celle-là : comment on allait pouvoir clôturer ce film-là. Le commencer, ce n’était pas un problème, mais comment le terminer parce qu’on n’est pas maître du réel, en fait. Dans la vie, il n’y a pas de grands bouleversements sinon liés à un événement tout à fait involontaire. C’est-à-dire que les gens qui disent qu’ils changent de vie, est-ce qu’ils en changent vraiment ? Donc, on est tributaire du réel, et l’angoisse c’était ça. Qu’est-ce qui va se passer pendant les 3 ans ?

Est-ce qu’il vous a été difficile d’obtenir les autorisations ?
Personnellement, j’ai déjà tourné avec la justice belge. Et si je me réfère à la Belgique, c’est parce que c’est un pays dont je viens et qui me fascine et où il règne un bons sens commun quand même assez génial. C’est-à-dire que c’est un monde beaucoup plus petit ; tout le monde peut devenir président en Belgique. Il y a une certaine proximité. On peut rencontrer les gens et il y a une grande facilité pour se parler. Ainsi, pour le premier film que j’avais fait, il fallait filmer, d’une certaine manière, le secret de l’instruction, et cela n’avait jamais été fait auparavant. Mais, quelque part, comme on a un petit peu de ténacité, et qu’on a surtout le temps (puisque je venais du service public, je travaillais aussi à la télévision), et le temps, c’est ça qui fait la force des projets. C’est-à-dire qu’on peut passer, comme sur les autres projets, parfois des années. En ce moment, on est en train de tourner une série avec Jean Libon et Manu Riche sur les tueurs du Brabant. A vrai dire, on tourne depuis 5 ans et les gens qu’on approche quand on leur parle de cette notion de temps, ils y sont très sensibles. C’est-à-dire que si on débarque une semaine pour boucler le projet, ça ne correspond pas vraiment à la réalité. Le fait de dire qu’on arrive et qu’on prend tout le temps qu’il faut, je crois que ça rassure beaucoup de personnes, d’interlocuteurs, d’autorités.

Vous a-t-il été difficile d’obtenir le financement du film ?
Je ne pense pas. Ce n’est pas moi mais le producteur, Bertrand Faivre, qui s’est occupé de ça. Comme c’était un producteur qui, à la base, avait envie, c’était déjà particulièrement réjouissant. Et Bertrand Faivre était motivé et motivant. On n’a pas écrit une ligne de traitement de dossier là-dessus ; on a juste envoyé Bertrand qui est allé voir les gens qui allaient financer le film avec une espèce de trailer de 10/12 minutes, une espèce de pré-tournage, et il a convaincu les gens avec des images et non pas du papier. Et moi, ça me rassure, en fait. Je pense que peut-être les coproducteurs – France 3 Cinéma, Canal+, VOO, la RTBF, etc. – étaient contents de financer autrement un film.

Est-ce que le fait de passer du petit au grand écran a changé quoi que ce soit dans votre manière d’aborder le cahier des charges « Strip-tease » (soit, entre autres, pas d’écrit préalable, pas de commentaires, pas de musique, pas d’interview) ?
Non, on n’a rien changé. On a fait peut-être un petit peu plus attention au cadre, à la caméra qu’on a employée, à installer un peu plus les choses. Je travaille avec Jean Libon et ça fait quand même un paquet d’années qu’il est dans le métier, et je pense qu’il a souvent raison, notamment quand il dit qu’il ne faut pas trop changer. Il ne faut pas bouger, en fait. Il faut rester dans les principes qui ont fait leurs preuves, il faut être patient. Il y a toujours le moment où on se dit qu’on a l’impression de ne rien inventer mais si on regarde autour ce qui se fait on est quand même, dans certains cas, à la limite du clip vidéo plutôt que du contenu à l’intérieur. Certes, il y a de la musique et des images magnifiques, mais où est l’histoire ? C’est un petit peu, parfois, ce que je me pose comme question. La forme peut être plus attrayante mais ma préoccupation va vers le contenu qu’il y a à l’intérieur.

Y aura-t-il d’autres longs formats « Strip-tease » ?
On y travaille. On a pour l’instant deux projets en cours. Je ne peux pas encore en parler mais ils nous semblent en voie d’être de bonnes prochaines réalisations.

Quels sont vos projets cinématographiques ? Vous avez mentionné précédemment une série sur les tueurs du  Brabant.
C’est une série télévisée avec la RTBF, la VRT (la partie flamande) et ARTE. C’est une histoire formidable. Dans les années 83/85, il y a des personnes armées qui sont entrées dans les grands magasins et il y a eu 28 morts. On n’a jamais réussi à résoudre l’énigme mais il y a toujours une juge d’instruction et des enquêteurs qui travaillent sur ce dossier-là. Et avec Manu Riche et Jean Libon, la RTBF et la VRT, on fait une série en suivant le quotidien de ces enquêteurs qui travaillent toujours. Je trouve ça formidable. Trente ans après, c’est formidable.

Propos recueillis par Aline Vannier-Sihvola
Helsinki, le 28 septembre 2018

 

« 3 jours à Quiberon » de EMILY ATEF

3 jours à Quiberon Affiche
3 JOURS À QUIBERON (2018), 115 min
Emily Atef
Langues : français, allemand (sous-titres français)
Rediffusion jeudi 23 avril sur ARTE :
– 01 h 25 (heure française)
– 02 h 40 (heure finlandaise)

Disponible en replay du 15 au 21 avril sur :
https://www.arte.tv/fr/videos/070722-000-A/3-jours-a-quiberon/

Emily Atef signe tout en délicatesse un portrait bouleversant de la grande actrice mais aussi de la femme complexe et fascinante qu’était Romy Schneider, formidablement incarnée dans le film par Marie Bäumer, troublante de ressemblance.

Pour tout savoir, entre autres, sur le tournage, le choix et la direction des acteurs, lire ou relire l’ENTRETIEN AVEC EMILY ATEF (ci-dessous), venue en 2018 présenter « 3 jours à Quiberon » dans le cadre du Festival international du film de Helsinki – Amour & Anarchie.

Voir également un documentaire non moins intéressant sur Romy Schneider « Conversation avec Romy Schneider », réalisé à partir des enregistrements sonores de son interview avec la journaliste Alice Schwarzer.
Disponible en replay du 8 avril au 1er juin sur :
https://www.arte.tv/fr/videos/074559-000-A/conversation-avec-romy-schneider/

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ENTRETIEN AVEC EMILY ATEF
EMILY ATEF
Emily Atef, réalisatrice franco-iranienne, était l’invitée du Festival international du film de Helsinki – Amour & Anarchie dont la 31édition s’est déroulée cette année du 20 au 30 septembre 2018. Elle est venue présenter son 4e long métrage, « 3 jours à Quiberon », qui relate les 3 jours qu’a passés l’actrice Romy Schneider en 1981 lors de sa cure à Quiberon où elle a accordé une interview exceptionnelle au magazine allemand Stern. Emily Atef signe un portrait émouvant de cette incroyable actrice, embelli par une magnifique photographie en noir et blanc. La caméra à fleur de peau nous permet de nous approcher au plus près de la femme sensible, fragile mais aussi lumineuse qu’était Romy Schneider à cette période de sa vie. Interprétée par Marie Bäumer, dont la ressemblance avec la star est troublante, on est pris dans l’illusion et l’émotion de voir revivre sans fard et sans filtre Romy Schneider à l’écran.

Qu’est-ce qui vous a tout d’abord amenée à vous intéresser d’aussi près à Romy Schneider et d’où est venue l’idée de vous focaliser sur ces 3 jours à Quiberon ?
Tout d’abord, j’ai vécu un peu partout – 7 ans à Berlin, 7 ans à Los Angeles – et à 13 ans, alors que j’étais dans le Jura en France, c’est là que j’ai rencontré Romy Schneider à travers ses films. J’ai, en fait, rencontré la Romy Schneider française, la Romy de ses films français. Pour ce qui est de « Sissi », je dois dire que je n’ai vu le film que pour la préparation de « 3 jours à Quiberon ». Je n’ai jamais vu ses films allemands. « Sissi », même en tant qu’ado, ne m’a jamais tellement intéressée. Qui plus est, les films historiques, ce n’est pas trop mon truc, et il y avait tellement d’autres films surprenants qu’elle avait faits. Donc, j’ai toujours trouvé cette actrice incroyable dans son jeu, très authentique. Et du fait que quand j’étais en France, elle était allemande, c’était aussi quelque chose qui me correspondait, mais je n’aurais jamais eu l’idée de faire un film sur elle. Tous mes films sont, du reste, complètement fictifs. Et c’est un producteur français, Denis Poncet – malheureusement décédé –, ami de l’actrice Marie Bäumer dont il ne revenait pas de sa ressemblance avec Romy Schneider, qui a pensé qu’il fallait qu’on fasse quelque chose. Marie Bäumer a toujours refusé en Allemagne de faire quoi que ce soit parce qu’on lui proposait toujours des biopics, c’est-à-dire des films où on racontait la vie d’une personne en 90 minutes. Déjà, rien qu’en tant que spectatrice, j’ai pour ma part toujours été extrêmement frustrée. Mais le fait qu’il arrive avec cette idée d’un zoom sur Quiberon – au départ, on ne savait pas combien de jours, mais quelques jours à Quiberon – et la dernière interview allemande avec pour interprète Marie Bäumer qui a maintenant plus de 40 ans, c’était autre chose. Quand Denis Poncet m’a donc appelée pour me demander si ça m’intéressait, la première chose que j’ai faite c’est de taper sur Internet « Romy Schneider – Quiberon » et j’ai vu alors ces photos de Robert Lebeck. Ça m’a extrêmement touchée parce que ces photos n’étaient pas les photos d’une star, des photos d’un mythe, des photos posées. C’étaient des photos d’une femme comme vous et moi, sans maquillage, complètement ouverte dans la crise qu’elle traversait et dans cette envie incroyable de vivre. Après, j’ai lu l’interview du Stern et j’ai été bouleversée par le fait qu’elle s’ouvre autant face à l’audace du journaliste qui va très loin dans ses questions. Qui plus est, ce sont trois jours où on a vraiment le temps, et le public a le luxe d’être avec elle. Et puis, le fait que c’était un film choral m’a aussi intéressée. Je ne voulais pas me focaliser uniquement sur Romy. Il y avait sa relation avec son amie, cette intimité féminine. Comment est-ce possible d’être amie avec une star ? Il y avait le journaliste qui était l’antagoniste mais qui, en fait, en trois jours allait évoluer incroyablement. Et puis, aussi, cette amitié qu’elle avait eue avec le photographe Robert Lebeck. Une amitié difficile. De tous les quatre, on se demande, du reste, qui manipule qui (!?)

On sent un film très documenté. Combien de temps vous a-t-il fallu – entre recherche et écriture – pour faire aboutir ce projet ?
Je dirais un an. Mais si on part depuis le tout début jusqu’à l’aboutissement, cela fait plusieurs années : j’ai reçu l’appel de Denis Poncet en 2013 et on a tourné fin 2016/2017. Entretemps, j’ai fait aussi trois films, des films de télé, etc. Mais comme je n’avais jamais fait de film sur quelqu’un de réel, j’ai vraiment pris le temps pour faire les recherches et surtout parler avec les gens. Robert Lebeck était assez connu – lui aussi malheureusement décédé à 84 ans – mais j’ai eu la chance de pouvoir le rencontrer trois fois. J’ai rencontré le journaliste Michael Jürgs un grand nombre de fois, de même mon actrice a pu le rencontrer. Je pouvais l’appeler quand je voulais dans le processus d’écriture en lui demandant toutes sortes de détails dont il ne savait pas, du reste, ce que j’allais en faire. D’ailleurs, il a été assez choqué quand il a lu le scénario car il est vrai que son rôle n’est pas très flatteur. J’ai aussi rencontré la copine deux fois, mais elle n’a pas voulu être immortalisée à l’écran. C’était pour moi un grand problème et, à vrai dire, je ne sais pas si j’aurais fait le film sans le personnage de Hilde, la copine. Je voulais montrer autre chose que Romy et les hommes, Romy et la presse. Je suis alors retournée la voir et je lui ai demandé si je pouvais créer une amie qui n’a rien à voir avec elle, pas le même nom, même pas la même nationalité, pas la même situation familiale ni le même métier. Elle a accepté et j’ai ainsi pu créer Hilde complètement. Mais il y avait vraiment une amie qui était là, qui la protégeait. On retrouve, du reste, beaucoup de choses similaires entre Hilde et cette véritable amie. Elle ne supportait pas non plus cette presse, ces gens qui accaparaient Romy.

Est-ce que le choix de l’actrice Marie Bäumer – dont la ressemblance avec Romy Schneider, jusqu’à la voix, le rire, est troublante – s’est tout de suite imposé ?
Oui. Et de toute manière, c’est plutôt elle qui m’a choisie. Même s’ils étaient venus avec ce projet et une autre actrice, pour moi le choix des acteurs est primordial. Il fallait que ça marche, sinon je n’aurais pas fait le projet. On trouve aussi beaucoup d’actrices en Allemagne qui ont des ressemblances avec Romy Schneider. Marie Bäumer lui ressemble, certes, mais elle a surtout beaucoup de talent, et c’est ça qui est le plus important. Il se trouve que c’est un rôle extrêmement difficile dans les excès de joie comme de peine, dans toutes les subtilités.

Mais elle qui avait jusque-là toujours refusé d’incarner Romy Schneider, qu’est-ce qui l’a finalement décidée à accepter ce rôle ?
Le fait que ce soit un zoom sur seulement trois jours, qu’il ne faille pas faire une mission impossible de raconter toute une vie. Pour une actrice, c’est ridicule. Comment faire ? En général, la plupart engagent jusqu’à quatre acteurs pour les différentes périodes de vie. Par ailleurs, elle avait beaucoup aimé les films que j’avais faits précédemment. Elle avait vu « L’étranger en moi » qui était à Cannes. Elle avait donc vu mes films qui sont presque tous des films sur des crises existentielles de femmes qui sortent toujours dans la lumière.

Hormis la ressemblance physique, Marie Bäumer fait revivre, à travers une interprétation bouleversante, la star mais surtout la femme qu’était Romy Schneider. Comment l’avez-vous dirigée ?
C’était pour elle un travail très émotionnel parce que depuis qu’elle a l’âge de 16 ans, on n’arrête pas de lui parler de sa ressemblance. Et c’est quelque chose de difficile parce qu’elle exerce le même métier que Romy Schneider. Et donc elle a eu très peur de ne pas arriver à transpercer le mythe pour arriver à la femme. Et le premier travail, c’était la confiance. Comme c’était un projet qui a duré et qu’il n’y avait pas de stress pour le faire, on est devenues amies. Elle vit en France depuis 11 ans, donc j’allais la voir en France et elle venait me voir à Berlin. Et c’est ainsi que s’est établie la confiance entre nous. Au départ, elle ne supportait pas vraiment qu’on parle du projet, mais quelques mois avant le tournage elle s’est lancée à 100 pour cent. Elle a travaillé la voix, légèrement teintée d’un accent de la bourgeoisie viennoise, accent qu’elle a d’ailleurs énormément travaillé avec Birgit Minichmayr, la comédienne autrichienne qui jouait Hilde. Elle a beaucoup travaillé aussi sur le physique, sur la respiration. On a regardé beaucoup d’interviews. Romy Schneider était souvent nerveuse dans les interviews. Parfois elle n’écoutait pas et parlait comme dans un tunnel ; elle se répétait souvent. On a vu, par exemple, comment elle fumait. Elle avait plutôt une façon masculine de fumer, qui est plus féminine chez Catherine Deneuve. Marie Bäumer a regardé tous ces aspects. Elle avait ainsi quelques esquisses. J’ai, pour ma part, beaucoup parlé psychologie, plutôt de la femme qu’était Romy, parce que pour moi c’est une femme universelle. Il n’y a pas eu d’improvisation et on a beaucoup répété, même si parfois, comme la scène du bar, on pourrait croire que c’est improvisé avec de longs plans-séquences, mais tous les dialogues sont écrits. J’ai écrit moi-même le scénario et après j’ai retravaillé tout le texte avec mes acteurs. S’ils trouvaient, bien sûr, qu’une phrase ne marchait pas, je n’avais aucun problème à la changer. L’important, c’était qu’ils arrivent à transmettre ce que, moi, je voulais voir.

Votre mise en scène est sobre et vous nous offrez un portrait délicat et pudique de cette femme déchirée à un certain moment de sa vie. Comment avez-vous évité le piège du pathos, tout en posant les prémices de la tragédie ?
C’est vraiment ce que j’essaie de faire dans tous mes films. Mon but, c’est d’arriver à aller au plus profond, au coeur même d’une crise pour ensuite en sortir mais sans utiliser le pathos. Il faut réussir à se maintenir sur un fil extrêmement fragile. Pour ça, j’ai besoin de beaucoup de silence, mais c’est vraiment aussi le talent des acteurs qui permet d’y arriver. Et puis, c’est à moi de fixer la limite, de continuer à chercher une manière plus sobre d’y parvenir. Mais aussi, parfois, Romy sombre tout d’un coup, puis Lebeck arrive, fait des photos, ils écoutent de la musique et ça repart. On ne sait jamais ce qu’il se passe. En fait, c’est Lebeck qui m’a raconté que c’était très fatigant parfois avec Romy parce qu’elle avait des changements d’humeur extrêmes et subits. D’ailleurs, il m’a dit que pendant ces trois jours il avait été très heureux que la copine soit là parce que parfois c’était assez imprévisible. Et donc, il faut garder cette fraîcheur de l’immédiat et ne pas rentrer dans le pathos.

Pourquoi Romy Schneider qui traverse en ce printemps 1981 – et c’est peu de le dire – une période de turbulences [suicide de son précédent mari en 1979, en plein divorce, séparée de ses enfants, criblée de dettes] accepte-t-elle de donner cette interview au magazine Stern plus connu pour la recherche du scoop que pour le sérieux de ses textes ?
C’est vraiment la première question que je me suis posée après avoir lu cette interview. Pourquoi a-t-elle fait ça ? En fin de compte, avec toutes les recherches que j’ai faites, je dirais qu’on a l’impression dans le film qu’elle est victime mais je ne le pense pas : d’après moi, elle a choisi. C’est elle qui choisit de faire cette interview et, à la fin, quand on la retrouve avec sa fille à Paris, elle est sereine et accepte de tout faire imprimer à part quelques phrases sur sa mère. C’est comme ça que ça s’est passé. Michael Jürgs m’a dit qu’il y avait des pages et des pages d’interview et que c’est plutôt lui qui a évité certaines choses – parce que parfois il prenait des tangentes –, mais elle a tout accepté de dire, y compris : « Je suis Romy Schneider, j’ai 42 ans, je suis malheureuse, ma vie aurait pu être mieux… ». Romy Schneider ne donnait pas beaucoup d’interviews en Allemagne et, à mon avis, elle en avait assez que les Allemands la comparent – aussi ridicule que cela puisse paraître – à un personnage historique de 15 ans alors qu’elle en avait 42. Ils voulaient garder leur pure et belle Sissi qui apportait la lumière dans cette Allemagne d’après-guerre. Ils ne supportaient pas qu’elle fasse des films français où elle se dévêtait, où elle accouchait comme, par exemple, dans « Une femme simple », ou bien alors dans « Le train » ou « Le vieux fusil » où elle jouait une victime du nazisme. Romy Schneider était une grande artiste et elle en avait marre. Et, à mon avis, elle a eu envie de leur dire qui elle était, qu’elle n’était pas Sissi mais Romy Schneider, qu’elle avait 42 ans et qu’elle était comme elle était maintenant.

Les questions du journaliste dans le film sont très frontales, agressives. On sent chez lui une volonté de dégrader l’image de Romy Schneider, de s’engouffrer dans les failles de cette femme. Quelle était la teneur de l’ensemble de l’entretien publié par Stern que vous avez déclaré n’avoir reproduit qu’en partie ? Et pourquoi ce choix ?
En fait, beaucoup vient de cette interview. Du reste, on peut la lire en allemand, en ligne. Rien que la première phrase avec les termes « madone » ou « pute », c’est quand même assez incroyable ce que le journaliste pouvait lui dire. J’ai repris la plupart des éléments de l’interview, sinon il y avait aussi d’autres tangentes qui n’étaient pas très intéressantes pour mon film où le journaliste parlait, par exemple, très longuement de son beau-père. Par ailleurs, j’ai aussi utilisé beaucoup de citations d’autres interviews qu’elle avait faites. Et après, j’ai essayé de trouver ma trame. Par exemple, Michael Jürgs m’a raconté beaucoup de choses que je lui ai fait dire dans le film. Il a, du reste, été estomaqué quand il a vu ça. Mais je lui ai dit que c’était une fiction et que j’avais besoin de mon antagoniste. Ça n’aurait servi à rien d’avoir un gentil journaliste, un gentil photographe pour mon film. D’autant que, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’était pas un enfant de coeur. On peut le lire dans son interview dans laquelle il va très loin. Et il le reconnaît lui-même maintenant. Il a vu le film et il a été extrêmement bouleversé parce qu’il s’est revu là-bas. Et puis il a dit que tout le monde était mort sauf lui, et qu’il était désolé d’avoir été ce type-là. Mais, d’un autre côté, c’est lui qui à la fin du film aura le plus évolué. Michael Jürgs sait que cette interview va lui faire faire un grand bond dans sa carrière, parce qu’il avait alors seulement 35 ans, et pourtant il dit plus ou moins à Romy Schneider que, si elle le souhaite, elle peut jeter l’interview à la poubelle. Mais elle ne le fait pas. D’ailleurs, l’interview s’est vendue près d’1 million de fois et, à moins de 40 ans, Michael Jürgs s’est retrouvé rédacteur-en-chef du Stern.

« 3 jours à Quiberon » est votre 4e long métrage et à chaque fois vous vous penchez dans vos films sur la solitude d’une femme qui semble échapper au bonheur tout en y atteignant presque. Pouvez-vous y donner une raison ?
Pourquoi les femmes ? Je ne serais pas contre de faire un film sur un homme. J’ai, du reste, fait une relation père-fils dans mon dernier film de télévision mais je dois dire que, déjà en tant que spectatrice, j’ai toujours été un peu frustrée car je ne trouvais pas qu’il y avait beaucoup de films sur les femmes et, bien sûr, ça m’intéresse davantage. Par ailleurs, je suis quelqu’un de très optimiste, et ce voyage de sortie d’une crise que ce soit dans mes précédents films « Tue-moi », « L’étranger en moi » ou « Molly’s Way », j’adore ce voyage. C’est un voyage qui m’intéresse parce que je cherche toujours la lumière, et dans n’importe quelle vie. Et pour « 3 jours à Quiberon », je savais que c’était la pire année de sa vie, parce qu’après Quiberon, tout s’enchaîne dans vraiment le négatif. Et si Denis Poncet m’avait dit qu’il aimerait bien qu’on finisse le film après la mort de son fils David, je n’aurais jamais accepté. Et donc, alors que je cherchais comment sortir de cette nuit-là vers la lumière, c’est de nouveau Robert  Lebeck qui m’a donné la clé quand je suis allée le voir en disant que c’était affreux, que Romy avait tellement de dettes et qu’en plus voilà qu’elle se cassait le pied et ne pouvait pas faire le film. Et c’est là qu’il m’a dit qu’en fait c’était la meilleure chose qui avait pu lui arriver. Il a dit que – et je l’ai, du reste, mis dans son dialogue – quand il est arrivé cet après-midi-là à Paris lui apporter l’interview, faire des photos avec elle et sa fille, jamais il ne l’avait vue – et pourtant il l’avait vue et photographiée souvent – aussi en paix avec elle-même, aussi sereine et aussi belle que cet après-midi-là. Et pour moi, c’était ça. Peu importe, peut-être que ce n’était qu’un après-midi, peut-être que c’était pendant les trois semaines qu’elle était restée clouée au lit, en tout cas, personne ne peut lui prendre ce moment de grâce qu’elle s’est donné.

Vos films sont généralement en langue allemande. Dans « 3 jours à Quiberon », Romy Schneider parle essentiellement allemand mais aussi français – comme elle le faisait dans la vie. Est-ce que cette alternance très importante est respectée dans les versions distribuées en France et en Allemagne, pays que l’on sait très attachés au doublage ?
Personne ne doublera ce film, ni en Russie, ni en Chine. Il y aura des sous-titres en Allemagne comme en France. Le seul endroit où il sera doublé, ce sera peut-être quand il sortira à la télévision… encore qu’Arte, étant une chaîne franco-allemande, aura, je l’espère, recours aux sous-titres.

Les images splendides en noir et blanc qui évoquent le souvenir de Romy Schneider et qui sont inspirées, semble-t-il, des clichés du photographe Robert Lebeck – un véritable storyboard ! – contrastent toutefois avec l’omniprésence de la cigarette, de l’alcool et la fébrilité surtout avec laquelle l’actrice s’y adonne. Pourquoi tant d’insistance sur cet aspect-là et comprenez-vous que Sarah Biasini, la fille de Romy Schneider, soit gênée par ce portrait ?
Ce film est une fiction. Quand vous regardez les photos de Robert Lebeck sur Internet, il y en a une vingtaine. Lui et sa veuve m’ont donné quelque 600 photos, tout ce qu’il a pris, même les photos complètement floues, des clichés très intimes. Et ces photos m’ont beaucoup inspirée mais, bien sûr, il n’y a pas de dialogues dans ces photos. Après 35 ans, elles ne vont pas me dire de quoi ils ont parlé. Tous les dialogues, c’est ce que, moi, je me suis imaginé en passant des heures et des heures devant ces photos. Mais Romy ne fait pas que boire, comme on dit. Jusqu’à la scène du bar, qui survient après 30 minutes, elle ne boit pas une goutte d’alcool. A la fin du film, après avoir passé la nuit avec Lebeck, elle ne boit pas non plus. Mais quand elle boit, elle boit. Et il faut arrêter de dire n’importe quoi, parce que ce n’est pas vrai. Pour ce qui est de la cigarette, c’est connu. Sur chaque photo, on la voit en train de fumer. Michael Jürgs, lui aussi, fumait beaucoup. Et surtout, quand on connaît mes autres films, on sait très bien que jamais je n’aurais fait quelque chose pour la noircir. Du reste, on m’aurait assignée en justice, car on n’a pas le droit de faire de la diffamation. Bien sûr, Sarah Biasini, qui avait 5 ans à l’époque, a dû avoir une autre image de sa maman. Je comprends que cela la peine. D’ailleurs, elle a eu le scénario avant qu’on tourne. Elle savait ce que ça allait être. Je comprends qu’elle ne veuille pas voir ça, mais de dire qu’avec ce film j’essaie de noircir sa mère, c’est complètement faux parce qu’en fait, dans le film, les seuls auxquels je m’attaque c’est la presse allemande qui a toujours attaqué Romy. Et puis, sa fille n’y était pas, son mari n’y était pas. Les seules personnes avec qui j’ai parlé, c’étaient des gens qui étaient présents. Je ne vais pas dire qu’elle a bu du thé si elle n’en a pas bu. Ils étaient là, et puis ça se voit. Et vraiment si elle m’avait demandé à voir ces photos, bien sûr que je lui aurais tout montré. Heureusement qu’on est encore libre dans l’art de raconter des choses.

La musique qui accompagne notamment Romy Schneider dans la séance photos sur les rochers est très belle, lui correspond tout à fait comme celle d’alors des « Choses de la vie » (film de Claude Sautet). Est-ce que la musique a pour vous un rôle important à jouer ?
Ce sont deux compositeurs allemands, Christoph Kaiser et Julian Maas, qui sont géniaux. Ce n’était pas évident de trouver la musique de ce film parce qu’on s’est dit qu’il fallait que ce soit quand même une musique moderne mais, d’un autre côté, il est, pour moi, toujours important de parler de la femme. Mais, dans ce cas-là, on parle quand même d’un monstre du cinéma et, surtout, si on prend cette séance de photos sur les rochers, c’est la seule séance où on voit vraiment la comédienne. S’il y avait une sorte d’hommage rendu à Romy, ce serait la séance des rochers parce qu’elle joue comme une comédienne devant l’objectif de Lebeck. Alors là, on s’est donné à fond même si on s’est dit qu’on espérait qu’on n’allait pas tomber dans le pathos. Christoph Kaiser et Julian Maas ont alors composé une valse.

Ce 23 septembre 2018, Romy Schneider aurait eu 80 ans. Sa fille Sarah Biasini lui rend hommage dans un livre intitulé « Romy ». Par ailleurs, Alice Schwarzer révèle, 36 ans après sa mort, les confidences que Romy Schneider lui a faites une nuit de 1976 dans un livre « Romy Schneider intime » en même temps qu’Arte diffusait récemment un documentaire sur ces mêmes révélations. Qu’apprenez-vous que vous ne sachiez déjà et cela jette-t-il un nouvel éclairage sur votre film ?
A vrai dire, je n’ai rien vu de tout ça. J’ai, bien sûr, lu en allemand le livre d’Alice Schwarzer il y a assez longtemps. Maintenant, je crois qu’elle l’a réédité avec une nouvelle préface et puis, il y a donc sa publication récente en français. D’ailleurs, Alice Schwarzer a beaucoup aimé « 3 jours à Quiberon » et elle m’a parlé aussi de ce documentaire. Il faut absolument que je le voie. Par contre, je ne savais même pas que Sarah avait écrit un livre sur sa mère. Cela me fait penser que Michael Jürgs a écrit un livre superbe qui s’appelle « Der Fall Romy Schneider » pour lequel il a fait des recherches vraiment incroyables. Je trouve que c’est le meilleur livre sur Romy et je crois, du reste, qu’il a été traduit en français. Il parle de son ex-mari Daniel Biasini et de tous les hommes qui se sont servis d’elle. De notre côté, on a été très bien lotis. On a eu une belle presse en Allemagne, mais en France aussi. Heureusement, la fille de Romy Schneider, Sarah Biasini, n’a parlé qu’après la sortie du film, et la presse a été neutre. Par ailleurs, en Allemagne, le film a décroché 7 Lola (les César allemands) dont le Lola du Meilleur film.

De ce huis clos, avec toutefois des bolées d’air salvatrices sur les rochers de la côte bretonne, se dégage une formidable charge émotionnelle. Pendant tout le film, acteurs comme spectateurs sont tiraillés entre rires et larmes, intérieur/extérieur, ombres et lumières, manipulateurs/manipulés. Mais au final, grâce à une mise en scène tout en finesse, les rôles pourraient bien être redistribués voire inversés. Etait-ce votre intention dès le départ de conduire votre film vers la lumière ?
Oui. Comme je l’ai dit précédemment, c’était ma grande recherche, qui l’est, du reste, toujours dans tous mes films. Je suis optimiste en tant que personne et je ne peux pas finir dans le sombre.

Avez-vous déjà d’autres projets cinématographiques ?
Mon prochain film de cinéma sera mon premier film français. Il s’appelle « Mister » et va se jouer un tiers à Paris et deux tiers en Norvège. Ce sera un film bilingue français-anglais, avec un peu de norvégien, parce que le personnage principal est français. Et il y aura de nouveau une femme dans une grande crise existentielle et qui va vers la lumière. Encore une fois  la même chose, mais complètement fictif. Pour l’instant, on est sur le scénario et le casting… j’espère grand casting. Si tout se passe bien, on tournera pendant l’été 2019, et la sortie est prévue pour 2020.

Propos recueillis par Aline Vannier-Sihvola
Helsinki, le 29 septembre 2018

https://www.youtube.com/watch?v=iUpEcSPo1Qc
Disponible en DVD & Blu-Ray

Entretien avec ARNO BITSCHY

Invité d’honneur du dernier Festival international du film de Helsinki – Amour et Anarchie (19-29.09.2019), le documentariste français Arno Bitschy est venu présenter son dernier film intitulé « This Train I Ride » (2019), accompagné du compositeur et musicien franco-australien Warren Ellis qui en a composé la bande originale (lire également l’interview de Warren Ellis). Après un premier documentaire sur la ville de Detroit « Résilience » (2016) – portrait musical d’une ville en état de choc –,  Arno Bitschy s’embarque cette fois-ci dans son dernier film « This Train I Ride » avec trois jeunes femmes qui prennent des trains de marchandises aux Etats-Unis. Ce documentaire, dont le bruitage est réalisé par le Finlandais Heikki Kossi ( « Olli Mäki », « The Birth of a Nation », « Ad Astra », etc.), est co-produit par la société de production finlandaise Napafilms.

Actuellement en salles à Helsinki
(mais aussi à Turku, Tampere, Kouvola, Jyväskylä, Pori, Oulu, Lappeenranta, Lahti, Loviisa…)
THIS TRAIN I RIDE
Arno Bitschy
Cinamon Redi 2, Cinéma Orion, Korjaamo Kino Töölö, Tennispalatsi 14

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 Sans doute pour la première fois en Finlande, vous venez présenter au Festival Amour & Anarchie votre deuxième film documentaire « This Train I Ride », coproduit par la société de production finlandaise Napafilms. Comment est née cette collaboration ?
Le film est produit par Les Films du Balibari en France – c’est le point de départ –,  et Clara Vuillermoz, qui en est la productrice, est rentrée dans le film il y a trois ans, puisque je travaille sur ce film depuis plus de quatre ans. Je suis parti filmer une première fois, puis j’ai montré à Clara les images ; elle a adoré et, du coup, elle est rentrée dans le film. Par la suite, il y a un an maintenant, on a eu enfin ARTE et l’assurance d’une diffusion dans une de leurs cases qui s’appelle La Lucarne [le meilleur du documentaire de création – NDLR] et, dans ce cadre-là, on devait faire une coproduction avec des Finlandais. Les Films du Balibari sont dirigés par deux productrices Estelle Robin You et Clara Vuillermoz, et comme Estelle avait déjà travaillé avec Napafilms, c’est tout naturellement qu’elle a dirigé Clara vers cette société de production finlandaise.

Vous êtes venu, pour présenter ce film, accompagné du musicien australien Warren Ellis – qu’on associe à Nick Cave & The Bad Seeds et à de nombreuses musiques de films – qui a composé la bande originale de votre film. Comment s’est faite la rencontre avec Warren Ellis ?
Très simplement. Je lui ai envoyé un e-mail – du moins, à son agent –, parce que je savais qu’il vivait en France, qu’il s’était marié avec une Française et qu’il était accessible. C’est un artiste très connu mais qui ne fait pas de la musique de films pour l’argent mais plutôt par passion. Warren Ellis ne regarde pas le cachet, il regarde d’abord si ça lui plaît, s’il aime. Donc, je savais qu’avec notre petit budget, on pourrait quand même arriver à l’intégrer à notre projet si ça l’intéressait. J’adore son travail et je pensais que, pour ce film, ça pouvait être vraiment intéressant de travailler avec lui et qu’il pouvait ne pas tomber dans les clichés. C’est ainsi que j’ai envoyé un message à son agent, mais je n’ai pas eu de réponse. Et, trois mois plus tard, je pensais vraiment que c’était mort alors qu’en fait, quand Warren avait vu le message, il avait dit à son agent que ce film-là il voulait le faire. La productrice Clara a alors rencontré l’agent qui lui a confirmé la volonté de Warren de faire le film. Et après, la machine s’est mise en place très simplement et ça a été hyper facile. Entre nous deux, ça s’est très bien passé, ça a été très naturel. Warren Ellis est quelqu’un de très humble qui se met au service du film, en fait. J‘avoue que j’avais un petit peu peur au début par rapport à l’ego et je me demandais comment il allait se comporter. J’adore son travail mais je ne le connaissais pas personnellement. Toutefois, il avait l’air d’être quelqu’un d’assez simple. Et c’est exactement ce que j’ai eu en face de moi : quelqu’un qui se met au service du film et qui n’essaie pas de placer son nom ou son style. Il m’a alors envoyé des musiques et je lui disais si j’aimais ou pas, si ça marchait ou pas, et on a construit tout ça comme ça.

 Lui avez-vous donné carte blanche ou bien avez-vous eu des requêtes ?
Au début, il m’a dit qu’il ne voulait pas avoir d’images et m’a demandé de lui donner des mots, des sensations, des émotions. Des mots comme peur, joie, liberté… ce genre de choses. Il voulait des choses abstraites pour commencer à travailler sur la musique et je lui ai donné des sons de trains parce que je voulais qu’il s’imprègne de la musicalité du bruit du train. Ce sont des trains de marchandises et c’est un élément très important dans le film : la présence du train et le son du train. Donc, je lui ai donné tout ça et il m’a envoyé cinq ou six petits morceaux. J’ai fait ensuite trois clips avec ces morceaux ; ça marchait étonnamment bien et c’était vraiment intéressant. Je suis monté de Lyon à Paris et les lui ai montrés. Il a adoré. On a alors passé la journée ensemble à papoter, à échanger. Il m’a fait écouter plein de sons. La relation s’est faite comme ça. Après, il m’a renvoyé d’autres musiques, et je lui disais si ça marchait ou pas. Puis le montage s’est fait avec l’excellente monteuse qu’est Catherine Rascon, et on a commencé à placer les sons. J’ai montré le film à Warren une fois arrivés au montage final. On est alors revenus en studio et on a retravaillé la musique pour rajouter des choses, réarranger la musique, en fait. Et après, on est passés au mixage.

Heikki Kossi, bruiteur/Foley artist, a travaillé sur votre film avec son équipe. Le connaissiez-vous de réputation ? Et quelles sortes de bruitages sont effectués sur un film tourné pratiquement entièrement en pleine nature ?
J’avoue que je ne connaissais pas du tout Heikki. Et je n’avais jamais travaillé avec un bruiteur auparavant. C’était pour moi une première expérience. En fait, je ne savais pas quoi attendre et ça a été un peu une découverte de même que la manière de travailler avec les bruiteurs. C’était vraiment étrange car ce n’est pas forcément ce qui se fait pour le documentaire. Donc, ça a été un peu compliqué au début pour arriver à se comprendre, et je dois dire que je n’ai vraiment compris que sur la fin. Au début, ça paraît surprenant. On se dit qu’il ne va pas mettre des bruitages partout. Mais c’était d’autant plus intéressant dans ce film que j’ai réalisé une bonne partie du tournage tout seul avec un micro caméra, et donc le son était pauvre. J’ai eu deux fois un preneur de son sur six tournages. Il fallait, par conséquent, enrichir le son, enrichir les voix quand je parle, par exemple, avec les filles lorsqu’on est en voyage. Si on veut arriver à faire ressortir la voix, il faut qu’on filtre tout le reste. Donc, Heikki et son équipe recréent et donnent ainsi beaucoup plus de profondeur au son en recréant les sons. Après, il a juste fallu que je leur pose mes limites pour que ça ne sonne pas faux et qu’on reste dans quelque chose qui soit réel. Je dois dire que je suis hyper content du résultat. Ça a été assez épuisant, j’avoue, mais c’était hyper intéressant et au final, je n’ai pas l’impression qu’on sente que c’est bruité. Par contre, si on pouvait faire un comparatif entre pas bruité et bruité, on verrait, à mon avis, une sacrée différence. Ça amène beaucoup plus de puissance au son.

Comment est né ce projet de film documentaire ?
Je connaissais le milieu des hobos aux Etats-Unis, les vagabonds. La culture hobo, c’est quelque chose qui fait partie de la culture américaine depuis la Grande dépression. Il y a de la musique hobo et il y a même un festival pour les hobos aux Etats-Unis. Ça fait partie du folklore américain. Je fais de la musique et, il y a une quinzaine d’années, je suis parti en tournée aux Etats-Unis jouer dans un groupe de punk rock. Et là, j’ai découvert que des punks prenaient aussi des trains et avaient un peu récupéré cette culture hobo. Ça m’intéressait et j’ai gardé cette idée dans un coin de ma tête. Plus tard, je suis tombé sur les photographies d’un certain Mike Brodie qui est quelqu’un qui a fait de la photographie en prenant des trains, en vivant cette vie-là. Et ce qu’il a fait est magnifique. Il saisit vraiment cet instant de liberté totale, les yeux des gens. Et, du coup, ça m’a ramené ce projet en tête. J’ai donc commencé à écrire sur lui parce que ce gars-là a fait des photos pendant ses voyages en prenant des trains et quand il a arrêté de prendre des trains, il a arrêté de faire de la photo et il est devenu mécanicien. Il ne fait plus de photos. Il n’a, du reste, jamais fait d’autres photos que ces photos dans les trains. C’était donc le point de départ de mon écriture mais, au final, je me suis rendu compte que ça ne marcherait pas avec lui, d’autant que lui-même n’était pas intéressé. C’est alors que j’ai pris conscience qu’il y avait beaucoup de filles, avec le mouvement punk, qui s’étaient mises à prendre des trains, ce qui n’était pas le cas avant. Ça a fait son petit cheminement et je me suis dit que c’était quand même intéressant de travailler sur des filles. C’est beaucoup plus puissant, en fait. Je ne voulais en aucune façon faire un documentaire sur des punks, sur des marginaux qui se défoncent, sur des gens qui s’autodétruisent. Je voulais quelque chose qui aille plus loin. Et, du coup, chez les femmes il y avait quelque chose de vraiment intéressant. J’ai rencontré une dizaine de femmes qui avaient pris ou qui prenaient des trains pour faire des interviews, juste discuter et c’est alors que je me suis rendu compte que le film, il était là. C’était un film sur des femmes en recherche de liberté et sur ce que le train leur avait donné, c’était ça qui m’intéressait. Le train transforme les femmes et elles sont devenues libres en prenant les trains. C’est la métaphore de leur transformation. Et voilà. Le film est né comme ça.

Votre film s’intitule « Libres !» en français. Mais le sont-elles vraiment ? Il y a surtout une quête de l’identité. Vous demandez, du reste, à l’une d’elles ce que ce voyage – sans destination préalable – lui a appris. Et on serait tenté de vous demander ce que la réalisation de ce film, ce vagabondage cinématographique vous a apporté ?
Tout d’abord, je dirais qu’on n’utilise plus le titre « Libres ! », on garde juste « This Train I Ride ». Ce n’est pas un titre facile à prononcer pour les Français, mais le problème c’est qu’il y a plein d’autres choses qui ont été appelées « Libres ! », et ça n’arrête pas. Il y a encore un film qui va sortir qui s’appelle « Libres », il y a un parfum, il y a un mouvement politique, etc. Quant à ce que la réalisation de ce film m’a apporté, je dirais énormément. J’ai appris à apprécier la solitude, quelque chose avec laquelle j’avais du mal avant. La première fois où je suis parti, je suis parti avec un ami preneur de son. C’était plus rassurant quand je partais avec quelqu’un. Après, Clara, la productrice, m’a poussé à partir tout seul. Ça ne le faisait pas trop car je n’avais jamais fait ça. Et puis, avec les filles, au début c’était un peu nébuleux. Pas simple pour se retrouver, même si à chaque fois ça s’est fait, pour savoir ce qu’on allait faire, si on allait prendre des trains, etc. Mais je pense que c’est là que c’est devenu vraiment intéressant avec elles parce que j’étais dans la même position qu’elles. La première fois que je l’ai fait, c’était avec Karen, et ça a été vraiment génial. Je me suis rendu compte alors qu’on vivait le truc ensemble parce que, de toute façon, on vivait l’aventure ensemble. J’avais mon sac à dos avec mon matos, on partait et il se passait ce qu’il se passait. Et ça m’a énormément appris. J’ai adoré et je partirai le refaire, même si c’était épuisant. Ça a été vraiment dur mais, en même temps, c’était génial. Après, quand on y repense – et c’est toujours pareil avec ce genre d’expérience –, une fois qu’on est bien calé sur son canapé, on se dit que c’était génial. Dans le vrai, il y avait beaucoup de moments où je me demandais dans quelle galère j’étais et pourquoi je faisais ça… et je me le suis demandé quand même un paquet de fois. Mais voilà. C’est fait et je passe à autre chose.

Votre premier documentaire « Résilience » (2016) était un road trip à travers Detroit, encore un voyage insolite. Est-ce une façon de poser à chaque fois un autre regard sur notre société ?
Oui. De toute façon, je pense que le principe du documentaire, c’est justement de présenter un regard un peu différent. Du moins, c’est ce qui m’intéresse. Si tout le monde regarde dans un sens, je vais aller faire un pas de côté et essayer de trouver ce qui va nous surprendre. Je cherche ce qui surprend chez les gens et j’essaie de lutter pour ne pas tomber dans le piège, dans ce qui est attendu, dans les clichés. J’essaie de prendre le spectateur à contre-pied, en tout cas, de ne pas lui donner ce qu’il a envie de voir, de ne pas le mettre dans une position confortable. Mais « Résilience » n’est pas mon premier documentaire. J’ai, en fait, réalisé plusieurs documentaires à petit budget que j’ai auto-produits. Ce documentaire « This Train I Ride » est la suite – et je m’en suis rendu compte après – de deux autres documentaires que j’ai faits qui portent sur des femmes. J’ai fait un premier documentaire « Marie-France » (2007) qui raconte l’histoire d’une femme tatouée sur tout le corps, une Française qui portait sa vie sur la peau et qui exorcisait ses démons par le tatouage. Et après, j’ai fait un documentaire « Jazz » (2016) à Detroit sur une Afro-Américaine qui chantait des chansons de Billie Holiday. Et ces deux portraits étaient des portraits de femmes qui avaient souffert, qui avaient vraiment été très malmenées par la vie. Je voulais les mettre en lumière parce que c’étaient des femmes qu’on ne regardait pas. Moi, je les ai regardées en me disant qu’elles étaient belles et j’ai eu envie de montrer aux autres à quel point elles étaient belles. Mais c’étaient des victimes. Elles avaient été brisées par la société, par les hommes et donc, dans « This Train I Ride » – comme le troisième volet d’une trilogie… toutefois, en toute humilité –, je souhaitais justement que ces femmes ne soient pas des victimes, qu’elles soient fortes. Je voulais montrer que, malgré les souffrances infligées par les hommes et par la société, elles avaient trouvé le moyen de se libérer de tout ça et d’avoir quelque chose de positif. Les deux documentaires précédents, même s’ils sont beaux, sont quand même plutôt noirs ; ce sont des films durs parce que ce sont des vies qui sont brisées, mais pas dans « This Train I Ride » où les trois femmes que je suis sont un peu la note d’espoir pour Marie-France et Jazz qui sont mortes.

On voit au générique de fin la mention des villes New Orleans/San Francisco/L.A., etc. Combien de kilomètres ont été parcourus embarqués sur ces trains ? Et combien de temps a duré le tournage ?
J’avoue que je n’ai pas compté les kilomètres. Je n’ai pas traversé les Etats-Unis de part en part, même si ça m’aurait beaucoup plu. En fait, le tournage a duré quatre ans et j’ai fait en tout quatre voyages en train. Je n’ai pas le nombre de kilomètres en tête mais on a surtout parcouru l’ouest et le sud des Etats-Unis. L’est des Etats-Unis est plus compliqué. C’est plus petit, plus concentré et la sécurité est renforcée. Donc, cela aurait été beaucoup plus difficile pour nous de s’embarquer sur des trains.

Quelles ont été les plus grosses difficultés rencontrées pour réaliser ce tournage ?
Trouver de l’argent. C’est le plus dur, au final. Avoir de la patience et trouver de l’argent. En fait, souffrir dans les trains est une promenade de santé par rapport à convaincre des diffuseurs d’acheter un film. Franchement, les souffrances de tournage sont juste des bons souvenirs.

Que sont devenues aujourd’hui ces trois jeunes femmes ?
On a gardé le contact. Je leur envoie des messages régulièrement. Elles ne prennent plus de trains. Elles ont tout arrêté, mais à la fin du tournage elles avaient déjà tout arrêté. Et là, aucune n’y est retournée. Ivy, de toute façon, a arrêté de prendre des trains, et elle ne les prendra pas toute seule. Pour ce qui est de Karen, je pense que son histoire d’amour est en train de tomber à l’eau et je ne suis pas sûr qu’elle se marie, mais elle est toujours hôtesse de l’air. Quant à Christina, elle vit toujours dans le Wisconsin ; elle est toujours soudeuse, mène sa petite vie, au calme.

Comment êtes-vous venu au cinéma ? Pourquoi le documentaire ? Pourquoi tourner en langue anglaise et à chaque fois aux Etats-Unis ?
Pour les Etats-Unis, je dirais tout d’abord que je suis beaucoup plus fan de cinéma américain que de cinéma français globalement. J’adore le cinéma français, mais le vieux cinéma français. Par ailleurs, je baigne dans la culture américaine depuis toujours. Pour moi, c’est le pays du cinéma. Je pense que naturellement je suis attiré par l’Amérique. Après, je ne sais pas pourquoi les films que j’ai écrits aux Etats-Unis trouvent de l’argent et les autres n’en trouvent pas. J’ai écrit d’autres films qui se passent en France que je n’arrive pas à vendre. Je me retrouve donc à faire plus de documentaires en langue anglaise qu’en langue française. Mais j’aimerais bien faire un peu de langue française aussi. Pour ce qui est du cinéma, mes parents n’avaient pas une culture cinématographique particulière, mais on allait souvent au cinéma pour voir tout et un peu n’importe quoi. On allait voir autant des navets comme le dernier Aldo Maccione comme on pouvait aller voir le dernier Woody Allen ou « Le rayon vert » d’Eric Rohmer – auquel je n’avais du reste pas compris grand-chose. L’écart était très grand. J’ai donc regardé beaucoup de films comme ça. Chez mes grands-parents, mon grand-père avait des cassettes de westerns et on les regardait en boucle – tout comme les westerns spaghetti de Sergio Leone. J’ai regardé beaucoup de films et ça a sans doute joué. Et pourquoi le documentaire ? J’ai étudié le montage et suis monteur de formation. Après, j’ai été bénévole à Lussas. C’est un copain qui m’a emmené aux Etats généraux du film documentaire de Lussas et là j’ai découvert que le documentaire ce n’était pas juste des films animaliers, que c’était du cinéma et qu’en filmant le réel on pouvait faire la même chose, qu’il n’y a pas de film de fiction ou de film documentaire, il y a des films. Et cette possibilité-là, elle m’a vraiment plu. Le réel est encore plus passionnant que la fiction parce qu’on ne peut pas contrôler le réel. Et quand on s’abandonne à suivre le réel et à filmer le réel, il se passe des choses qu’on n’aurait jamais pensé à écrire, et c’est là où ça devient vertigineux.

A l’évidence, ce genre de documentaire a nécessité une équipe de tournage très mobile et surtout restreinte. De combien de personnes se composait-elle ?
De moi-même. Il y a eu un preneur de son au départ et un preneur de son sur le dernier tournage. Le reste du temps, j’étais tout seul.

Le financement du film a-t-il été difficile à obtenir?
J’en ai parlé précédemment. C’est vrai qu’il m’a fallu avoir de la patience, mais il s’est fait.

Le film sera-t-il diffusé sur Arte ? En version doublée ou sous-titrée ? Une distribution dans certaines salles ?
En France, il sera diffusé sur ARTE pour La lucarne. Il n’est pas doublé fort heureusement, car La lucarne est sur ARTE une case spéciale de documentaires d’auteurs et, du coup, ils ne doublent jamais. Pour ce qui est de la diffusion en salles, le système de financement est assez compliqué en France : quand le film est diffusé à la télé, on ne peut pas le distribuer au cinéma. A un moment donné, le film a failli basculer dans le cinéma mais on n’a pas obtenu l’aide. Par la suite, la chaîne ARTE est arrivée et, du coup, ça nous a permis de finir le film. « This Train I Ride » sera donc diffusé dans des cinémas, dans des festivals, mais il n’y aura pas une distribution cinéma comme en Finlande.

Quels sont vos projets cinématographiques ?
J’ai le projet sur lequel je travaillais avant de faire ce film il y a quatre ans qu’il faut que je finisse, que je fasse, que je filme. Ça se passe en France, sur les combats de coqs dans le Nord-Pas-de-Calais. Par ailleurs, j’ai rencontré un entraîneur de boxe thaï à côté de Lyon qui me plaît beaucoup et qui se trouve à deux pas de chez moi. Et je crois que j’ai surtout envie de faire un film qui n’est pas loin de chez moi. A la fin, ce qui était génial dans « This Train I Ride », c’est que j’avais vraiment tissé un lien avec les filles et le champ des possibles s’ouvrait dans le documentaire. Mais c’est là que le film s’est arrêté. Pour moi, c’est hyper intéressant de rentrer en profondeur dans les relations avec les gens et, dans ce nouveau projet, le fait d’avoir quelqu’un qui est à dix minutes de chez moi en voiture, je trouve ça super. J’ai vraiment envie de construire quelque chose avec cet entraîneur de boxe. J’ai déjà commencé à écrire et je le rencontre souvent. Voilà. Pour l’instant, j’ai ces deux projets, et puis il y a Warren qui veut faire la musique, donc c’est génial.

Propos recueillis par Aline Vannier-Sihvola
Helsinki, le 26.09.2019

Entretien avec WARREN ELLIS

Warren Ellis, compositeur et musicien australien, était l’invité d’honneur du dernier Festival international du film de Helsinki – Amour et Anarchie (19-29.09.2019). Il accompagnait  le documentariste français Arno Bitschy venu présenter son dernier film « This Train I Ride » (2019) pour lequel il a composé la bande originale (lire également l’interview de Arno Bitschy).
Warren Ellis, fidèle partenaire de son compatriote Nick Cave, a intégré depuis de nombreuses années déjà le groupe Nick Cave & The Bad Seeds. Il est également membre fondateur du groupe Dirty Three. Warren Ellis a, par ailleurs, composé de nombreuses bandes originales de films avec son complice Nick Cave et, en solo, les bandes originales des films, entre autres, « Mustang » (2015) – pour lequel il a reçu le César du Meilleur compositeur – et « Django » (2017). Warren Ellis vient d’achever une tournée mondiale avec Nick Cave & The Bad Seeds, vient de sortir « Ghosteen », nouvel album du groupe, et continue à travailler sur la bande originale de plusieurs longs métrages que ce soit en France, en Angleterre, en Australie ou aux Etats-Unis.

Warren Ellis

Peut-être pour la première fois en Finlande, vous venez présenter au Festival Amour & Anarchie, avec le réalisateur Arno Bitschy, le film documentaire « This Train I Ride » pour lequel vous avez réalisé la bande originale. Comment est née votre collaboration avec Arno Bitschy ?
En fait, j’ai du mal à me souvenir mais Arno m’a contacté par e-mail et m’a envoyé le traitement de son documentaire. Le montage n’était pas fait mais le tournage était terminé. Et il m’a écrit qu’il aimerait bien travailler avec moi. J’ai lu le traitement et ça m’a parlé. Par ailleurs, je voulais savoir pourquoi il tenait à travailler avec moi. Il m’a répondu de manière très réfléchie et argumentée. Pour lui, il était évident que, vu ce que je faisais avec la musique, ça allait marcher. Il était très motivé, ciblé. Je lui ai dit que j’allais lui envoyer la musique, mais que je ne voulais pas voir d’images dans les premiers temps. Je lui ai demandé des mots qui, en gros, donnent l’esprit du documentaire. Il m’a envoyé cinq ou six mots, et je me suis lancé dedans.

Qu’est-ce qui vous a attiré au départ dans ce projet de film documentaire ?
Quand Arno est venu à Paris, il m’a montré trois bouts de cinq minutes sur chacune des trois femmes protagonistes du documentaire. Il avait associé un morceau de musique que je lui avais envoyé à une femme sur un skate, et ça m’a bouleversé. L’image était belle, ce qu’elle racontait était fabuleux, très profond, et la musique fonctionnait. Et voilà. Ça m’a tout simplement bouleversé. Cela m’a fait, du reste, un peu le même effet lorsque j’ai vu les cinq premières minutes de « Mustang » : j’étais bouleversé. Et je me suis dit que même si le reste est à un niveau moitié moindre d’intensité, ça va être, de toute façon, quelque chose. En fait, je ne savais pas quoi attendre avec un documentaire, parce que ce n’est pas évident, même avec un traitement. De plus, « This Train I Ride » est particulier comme documentaire. Donc, une fois que j’ai eu vu les premières images du film, j’ai commencé la musique. Et j’ai décidé de créer la musique plutôt dans des trains. Ainsi, quand je prenais le métro ou l’Eurostar, j’avais mon ordinateur et je faisais la musique, manipulais des morceaux. Parce que ça bougeait, je me trouvais moi aussi embarqué. En fait, c’est une idée que j’ai eue alors que je travaillais en même temps sur un disque. Je devais aller à Berlin, à Londres, aux Etats-Unis et je travaillais dans l’avion. Quand je bougeais, j’étais en mouvement, je travaillais sur ce projet.

Les trains, et surtout les trains de marchandises, sont très bruyants. Cela a-t-il été un inconvénient pour composer la musique de ce film ? Quels instruments avez-vous privilégiés ? Et sur quels critères ?
En fait, j’ai envoyé à Arno une vingtaine de morceaux. C’est son film et il savait ce qu’il voulait. Il a sélectionné ceux qui marchaient et puis on s’est retrouvés dans le studio pendant trois jours pour faire le montage ensemble, ajouter ou supprimer des choses. A la base, c’était plutôt lui qui devait décider ce qu’il voulait et, de ce fait, il a sélectionné les morceaux qu’il souhaitait intégrer. Je lui ai proposé une gamme de choix, mais il était aussi très clair qu’il ne voulait pas une musique qui aurait été émotionnelle, qui aurait changé l’image voire même le sentiment que c’étaient les femmes qui parlaient. Et c’était important que la musique soit assez neutre. Pour moi, c’était intéressant de faire la musique dans le mouvement, quelque chose qui ressemble un peu à un train. Parce que je dois dire que ce documentaire n’est pas évident. Il y a un côté mouvement, c’est méditatif et il y règne une ambiance assez particulière. Qui plus est, ça parle de beaucoup de choses. En fait, ça parle de maintenant, des femmes, du courage qu’il faut avoir et surtout de celui de ne pas vouloir être une victime. Je trouve que ce film est très actuel.

A quel moment composez-vous la musique d’un film – et de celui-ci en particulier ? Est-ce après avoir lu le scénario, ou vu le film, pendant, voire même avant et, dans ce cas-là, est-ce que ce sont les images du film qui s’adaptent à la musique ?
Ça dépend. Chaque cas est différent. En général, je lis le scénario. Et puis, quand j’ai décidé de m’engager dans un projet, même s’il n’y a pas d’image, pas de scénario comme avec un documentaire, je me lance comme je commence avec n’importe quel projet, avec un disque, pour un groupe : je vais en studio avec un esprit ouvert. Je ne suis pas un compositeur classique qui arrive, regarde, joue avec ça et ça. Ce n’est pas comme ça que ça fonctionne avec moi. Je fais la musique et on voit alors si ça marche ou pas. J’attends les accidents et, pour moi, c’est important d’avoir un dialogue avec le reste du groupe. C’est leur avis qui est important.

Avec quel réalisateur ou univers de réalisateur aimeriez-vous travailler ?
J’ai la chance de travailler avec des réalisateurs et des réalisatrices que j’aime beaucoup. Deniz Gamze Ergüven, par exemple, qui a fait « Mustang ». Travailler avec elle, c’était un rêve. Elle est fabuleuse. De même avec Andrew Dominik ou bien John Hillcoat, le réalisateur de « La route » entre autres, ou encore Amy Berg qui a réalisé le documentaire « West of Memphis », elle est extraordinaire. J’ai eu la chance, en fait, de travailler avec des gens que j’aimais beaucoup. Je pense que les réalisateurs qui ont envie de travailler avec moi, il faut, en fait, qu’ils pensent que je peux apporter quelque chose au film. Je ne fais pas de la musique standard – je n’ai pas une approche classique de la composition de bandes originales – et, par ailleurs, ce n’est pas mon métier. Mon boulot, c’est de jouer dans des groupes et de faire des concerts. Je suis un peu gâté car je peux faire parallèlement des musiques de films. Je pense aussi à David Michôd, avec qui ça a été aussi assez extraordinaire de travailler. J’aime beaucoup faire la musique pour les films documentaires. Ça me donne une grande liberté et me permet de m’exprimer d’une façon qui n’est pas possible dans les groupes.

Y a-t-il, du reste, une différence entre composer pour un documentaire ou une fiction ?
Oui, il y a une différence. Pour le documentaire, il ne faut pas que la musique mange trop de place, parce que le dialogue est important, tout comme il est important de suivre les personnages, suivre leurs émotions. Le documentaire est tout autre chose si on le compare, sur ce plan, à la fiction.

J’ai lu que vous n’écriviez jamais rien lorsque vous composez. Alors, comment faites-vous pour mémoriser tous les morceaux ?
Je ne mémorise pas. Tout est enregistré. Récemment, j’ai fait des concerts à Melbourne avec un orchestre symphonique et, avec Nick, on a joué nos musiques de films. Et je dois dire que c’était la première fois pour moi que je rejouais des morceaux. On avait six musiques de films et, pour cette occasion, j’ai été obligé d’apprendre à l’oreille les morceaux. Mais je n’écris jamais. J’ai même, parfois, enregistré avec mon IPhone. J’ai du mal à me souvenir. Cela fait trente que je fais de la musique et tout est plus ou moins enregistré. Quand je suis dans un studio, maintenant tout est enregistré.

Quel est, selon vous, le rôle de la musique dans un film ?
Ça dépend des films ou si c’est un documentaire. On espère que ça apporte quelque chose globalement. Images, musique : c’est une collaboration. Et quand on trouve un film avec une image et la musique qui vous transportent, c’est génial. Je crois que le problème aujourd’hui c’est que la musique est, pourrait-on dire, comme de « la colle ». S’il y a un problème dans une scène du film, on va « coller » de la musique triste, histoire de mieux faire comprendre. C’est le système américain mais, avec ce procédé, on peut être sûr que la plupart des musiques sont oubliées tout de suite. Le rôle de la musique, ça dépend. Parfois, la musique peut vous transporter avec l’image ou bien il faut que ce soit quelque chose de discret qui change l’atmosphère. Mais la musique doit soutenir, doit jouer un rôle au même titre qu’une actrice ou un acteur. Il y a un rôle pour la musique aussi. Parfois, la musique peut avoir un rôle dominant, ça dépend, il n’y a pas de règles. Il faut que la musique mérite d’être là. Et, par ailleurs, il est essentiel qu’un réalisateur comprenne, sache ce qu’il veut avec la musique.

Multi-instrumentiste, y a-t-il un instrument que vous aimez plus particulièrement jouer ou que vous privilégiez dans les musiques de films ?
Non. Je joue de n’importe quel instrument. Par contre, je n’aime pas les cuivres, mais j’ai pris du plaisir à travailler avec tout ce qui est électronique depuis dix ans. A la base, j’ai commencé avec l’accordéon, et puis le violon et la flûte. J’avais 11 ou 12 ans. Et maintenant je suis ravi de travailler avec n’importe quoi. Si ça me donne quelque chose, je suis ravi.

A quand remonte votre rencontre avec Nick Cave ?
On s’est rencontrés dans les années 90. Nick m’a demandé de venir dans le studio où il était en train d’enregistrer un disque avec les Bad Seeds en 1993. Dans le même temps, il est allé voir jouer mon groupe et il m’a invité ensuite à partir en tournée en Grèce et en Israël en 1995. Et voilà. Ça a continué comme ça. Je me trouvais dans un groupe, on a commencé à beaucoup travailler ensemble et à faire des musiques de films et, pour le moment, on reste ensemble.

Vous vivez actuellement en France, ou du moins en partie, qu’est-ce qui vous a poussé à venir vous installer en France ?
J’ai rencontré ma femme aux Etats-Unis en 1996/97. A l’époque, elle était aux Etats-Unis et je vivais en Angleterre. Et voilà, ça s’est fait comme ça. Maintenant, je vis à Paris parce que ma femme est française, parisienne. Et je me trouve bien en France. C’est assez loin et proche. Je peux être aux Etats-Unis assez vite ou n’importe où, à vrai dire, sauf en Australie qui se trouve à l’autre bout du monde. Par ailleurs, la France est un pays où il fait bon vieillir.

Vous avez réalisé beaucoup de musiques de films en collaboration avec Nick Cave et, ces dernières années, composé en solo la bande originale du film « Mustang » (2015) pour lequel vous avez obtenu le César du Meilleur compositeur en 2016, ainsi que celle du film « Django » dans lequel vous reprenez même un requiem inachevé de Django Reinhardt – une prouesse car vous venez de la sphère du rock et n’avez pas forcément une formation classique. Est-ce à dire que vous pouvez jouer, composer toutes sortes de musiques qu’elles soient sacrées, lyriques, etc. ?
Pour ce qui est du Requiem, cela a, en fait, été possible parce que j’ai fait les thèmes, les mélodies et puis il me faut dire que j’ai travaillé avec un ange. Et c’était très intéressant pour moi, parce que c’était vraiment différent de ce que j’avais fait auparavant. Cela m’a permis de me mettre en confiance, en fait, et de me dire que c’est possible, qu’il n’y a rien d’insurmontable. Maintenant, tout est possible et on peut toujours trouver un moyen d’y arriver. Ce que j’aime bien avec les films, c’est que ça m’a donné une énorme liberté. Une musique comme ça, jamais je ne la ferai ou alors ce serait quelque chose d’approchant mais pas vraiment comme ça. Et j’aime bien avoir cette possibilité avec les films parce que c’est le film qui vous sollicite.

Comptez-vous continuer en solo à composer des musiques de films ?
Déjà, cette année, j’ai fait un autre documentaire sur Michael Hutchence [« Mystify Michael Hutchence » de Richard Lowenstein] ; j’ai fait aussi la musique d’un film sur Gauguin [« Gauguin – Voyage  de Tahiti » de Edouard Deluc (2017)]. Je vais composer la musique du prochain film de Lucile Hadžihalilović. En fait, j’aime bien être dans une équipe, travailler avec les gens, avec un autre et j’aime bien les groupes aussi. Avec Nick, par exemple, c’est bien parce qu’il y a un discours. C’est stimulant. Une musique, c’est une langue, un langage ; c’est un discours. Maintenant, je me suis trouvé, par hasard, à faire des films tout seul. C’est une évolution, et c’est bien d’évoluer.

Mais est-ce que ça vous laisse du temps pour des tournées, des concerts, des albums ?
Je viens de terminer deux ans de tournée, et il y a un nouveau disque qui sort début octobre : « Ghosteen » (Nick Cave & The Bad Seeds)*. Pour ce qui est des tournées et des concerts, je n’ai pas arrêté depuis 1990. Je suis six/sept mois en tournée par an. On vient de terminer deux ans de tournée avec « Skeleton Tree », notre précédent album. Et j’ai fait un disque en même temps. Je n’arrête pas : soit je fais un disque, soit je fais une musique de film ou je suis en tournée. Notamment en Finlande où nous sommes venus à plusieurs reprises et dont la dernière fois remonte à deux ans, je crois. [Pori Jazz, juillet 2017 – NDLA]

Quels sont vos projets actuels ?
Il y a donc des musiques de films en cours, un album qui va sortir le 3 octobre, « Ghosteen* », sur lequel j’ai travaillé pendant deux ans. C’est un double album. Par ailleurs, j’ai enregistré un disque avec « Dirty Three » – ça aussi c’est terminé – et, comme projet, je vais composer la musique du prochain film d’Andrew Dominik qui s’intitule « Blonde ». Donc, je suis assez sollicité mais soit c’est ça ou soit c’est rien. J’ai travaillé toute ma vie et c’est vrai que maintenant j’ai de plus en plus d’offres, mais c’est difficile de dire non même si, parfois, il le faut.

Propos recueillis en français
par Aline Vannier-Sihvola
Helsinki, le 26.09.2019

* Ghosteen est le 17e album studio du groupe australien Nick Cave & The Bad Seeds, sorti le 3 octobre 2019 au format numérique et prévu en sortie physique le 8 novembre 2019 sous la forme d’un double album.

Festival AMOUR & ANARCHIE 2019

Amour & Anarchie – 32e édition du Festival international du film de Helsinki
19-29.09.2019

A&A AFFICHE 2019

Le Festival international du film de Helsinki – Amour & Anarchie a lieu chaque année, depuis 1988, en septembre. Il fête cette année sa 32e édition qui s’ouvrira avec le film anglais de la réalisatrice Gurinder Chadha « Blinded by the Light » et se clôturera avec « A Hidden Life » du réalisateur  américain Terrence Malick. Invités d’honneur, entre autres, du Festival Amour et Anarchie, le musicien et compositeur franco-australien Warren Ellis et le documentariste français Arno Bitschy qui viendront présenter le film « This Train I Ride » (2019). Warren Ellis a composé de nombreuses bandes originales de films avec Nick Cave et, en solo, les bandes originales des films, entre autres, « Mustang » (2015) et « Django » (2017). Arno Bitschy, après un premier documentaire sur la ville de Detroit « Resilience » (2016), s’embarque cette fois-ci dans son dernier film « This Train I Ride » avec trois jeunes femmes qui prennent des trains de marchandises aux Etats-Unis. Ce documentaire, dont le bruitage est réalisé par le Finlandais Heikki Kossi ( « Olli Mäki », « Ad Astra », etc.), est co-produit par la société de production finlandaise napafilms.

Le Festival Amour & Anarchie – le plus grand festival du film de Finlande et, également, le plus accessible –, met en valeur de nouveaux films inventifs, visuellement étonnants et controversés, révèle les talents prometteurs de demain.
Parfois décoiffant, mais à voir !

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