Incroyable parcours, sans faute jusqu’ici, que celui du film « Compartiment No 6 » du réalisateur finlandais Juho Kuosmanen qui, après le Grand Prix du Festival de Cannes et sa présélection pour les Oscar du Meilleur film étranger, vient d’être nommé parmi les 7 films prétendant au César du Meilleur film étranger.
Les nominations de la 47e Cérémonie des César, qui aura lieu le 25 février 2022, viennent en effet d’être dévoilées. La cérémonie sera diffusée en clair sur la chaîne Canal +, à partir de 21 heures. Ci-dessous la liste des 7 films nommés en compétition ainsi que l’entretien de Juho Kuosmanen :
CÉSAR DU MEILLEUR FILM ÉTRANGER
Compartiment N° 6réalisé par Juho Kuosmanen
Drive My Car réalisé par Ryûsuke Hamaguchi
First Cow réalisé par Kelly Reichardt
Julie (En 12 chapitres) réalisé par Joachim Trier
La loi de Téhéran réalisé par Saeed Roustayi
Madres Paralelas réalisé par Pedro Almodóvar
The Father réalisé par Florian Zeller
GRAND PRIX DU FESTIVAL DE CANNES 2021
HYTTI NRO 6 / COMPARTIMENT No 6 Finlande / Russie / Estonie / Allemagne (2021), 107 min Réalisé par Juho Kuosmanen Avec Seidi Haarla, Juriy Borisov, Dinara Drukarova Sortie en Finlande : 29.10.2021 Sortie en France : 03.11.2021
COMPARTIMENT No 6 DANS LA COURSE POUR L’OSCAR DU MEILLEUR FILM ÉTRANGER !
Le film « Compartiment No 6 » du réalisateur finlandais Juho Kuosmanen a, en effet, obtenu son ticket d’entrée et pourrait prétendre à la statuette dorée l’an prochain à Hollywood. Dans la catégorie des longs métrages internationaux pour la 94e Cérémonie des Oscar, sur les 92 pays éligibles, seulement 15 films étrangers – dont le nombre sera à terme réduit à 5 et la liste révélée le 8 février 2022 – ont été présélectionnés pour le scrutin.
15 LONGS MÉTRAGES ENCORE EN LICE POUR L’OSCAR DU MEILLEUR FILM ÉTRANGER : « Great Freedom » – Autriche, « Playground » – Belgique, « Lunana : Un Yak dans la salle de classe » – Bhoutan, « Flee » – Danemark, « Le bon patron » – Espagne, « Compartiment n° 6 » – Finlande, « I’m Your Man » – Allemagne, « Lamb » – Islande, « A Hero » – Iran, « The Hand of God » – Italie, « Drive My Car » – Japon, « Hive » – Kosovo, « Prières pour ceux qu’on a volés » – Mexique, « The Worst Person in the World (La pire personne au monde) » – Norvège, « Plaza Catedral » – Panama.
ENTRETIEN AVEC JUHO KUOSMANEN
Pour son deuxième long métrage Hytti Nro 6 / Compartiment No 6 – Grand Prix ex aequo du Festival de Cannes 2021 –, le Finlandais Juho Kuosmanen signe un road-movie sur rails à travers les espaces désolés et glacés de la ligne Moscou-Mourmansk. Ainsi la plus grande ville au nord du cercle arctique tient lieu de destination finale à ces deux protagonistes qu’apparemment tout oppose mais qu’une cohabitation forcée et confinée va au cours de cette traversée peu à peu rapprocher. Le voyage comme quête de soi-même, comme passage de soi à l’autre pour se trouver soi-même. Preuve s’il en est, selon l’adage, que dans un voyage ce n’est pas la destination qui compte mais toujours le chemin parcouru…
Compartiment No 6, votre deuxième long métrage, a été récompensé du Grand Prix (ex aequo) au Festival de Cannes; il a également reçu le Prix du Meilleur film étranger au Festival de Jérusalem et, tout récemment, a été sélectionné par le jury finlandais comme candidat de la Finlande à l’Oscar 2022 du Meilleur film étranger – sans parler de l’ample distribution internationale. Aujourd’hui, on peut dire que vous êtes cet «Hymyilevä mies » (titre original de «Olli Mäki » – qui signifie « l’homme qui sourit »), votre premier long métrage récompensé du Prix Un certain regard au Festival de cannes 2016, qui se retrouve embarqué dans une « success story » loin d’être achevée. Est-ce un rêve qui s’est réalisé ? C’est difficile à dire. Je pense que je n’ai jamais rêvé de quelque chose de pareil mais, bien sûr, quand ça arrive c’est assez incroyable et formidable. Je suis très heureux que les gens puissent surtout partager ces sentiments que j’ai essayé de transmettre avec ce film. Lorsque je travaille sur un film, je ne pense jamais au résultat, à un objectif que je me serais fixé et que je voudrais atteindre. J’essaie juste d’être très clair et ensuite, bien évidemment, j’espère que les gens partageront ces mêmes émotions que j’ai voulu faire passer à travers mon film. En fait, toutes ces récompenses sont la preuve que ça s’est produit.
Vous êtes né en 1979, ce qui signifie que vous aviez moins de 10 ans pendant cette période de la guerre froide au cours de laquelle se situe le livre éponyme de Rosa Liksom et dont votre film est inspiré. Qu’est-ce qui a suscité votre interêt dans ce livre – au demeurant empreint d’une sinistre atmosphère – au point que vous souhaitiez en faire un film ? J’aime l’idée d’une intrigue simple qui se déroulerait dans un train. C’est un road movie sur rails qui a une intrigue relativement simple mais, dans le même temps, on peut explorer assez profondément le comportement humain et les émotions. Pour moi, c’est un excellent cadre pour traiter le comportement humain et, par ailleurs, le livre est très cinégénique dans ses paysages, ses différentes scènes. Le récit est parsemé d’images fortes. Mais, dans le même temps, je sentais que ça pouvait être très difficile parce que l’histoire se situe à des niveaux de temps différents sur des époques diverses. Un livre ouvrira toujours des horizons plus larges qu’un film. J’étais certes très intéressé mais, dans le même temps, j’avais des doutes. C’est alors que j’ai rencontré Rosa Liksom, l’auteur du livre, et que nous en avons discuté. Elle m’a donné entière liberté quant à l’adaptation du livre et je me suis alors senti déchargé d’un fardeau. Je n’avais pas à copier le livre, je pouvais faire mon propre film en m’inspirant du livre. Mais ce qui l’a véritablement emporté, c’est le train, les paysages et les fortes valeurs cinégéniques du récit ainsi que ce contenu très humain entre deux êtres confinés dans un tout petit compartiment.
Pour avoir voyagé moi-même en train plusieurs fois de Helsinki à Moscou dans les années 80, je dois dire que j’ai été estomaquée de voir que tout l’intérieur du compartiment était authentique, des parois en préfabriqué simili bois marron avec leurs filets à bagages jusqu’aux sinistres couvertures gris-marronnasses ! Comment avez-vous réussi à avoir accès à ces vieux compartiments sortis vraisemblablement du Musée des chemins de fers russe ? Quels ont été vos arguments qui ont convaincu les autorités russes sans doute réticentes, pour ne pas dire plus, de vous laisser utiliser le train sur leur réseau ferroviaire ? En fait, ces trains existent encore et circulent toujours. L’intérieur a changé, mais c’est surtout l’extérieur des trains qui est différent. Ils sont d’une nouvelle couleur et c’est la raison pour laquelle on n’a pas vraiment beaucoup filmé le train de l’extérieur. Toutefois le film se différencie du livre en ce sens que nous avons situé le film à la fin des années 90 ou au tournant du millénaire. Mais, heureusement, ils sont demeurés identiques à ce qu’ils étaient dans les années 80 voire même les années 70. Pour ce qui de l’obtention du permis des autorités russes, ça n’a pas été une tâche facile pour la production. Mais le fait que ce film est une coproduction à participation minoritaire russe nous a grandement aidés car nous étions ainsi officiellement en partie une production russe. Donc, ça a certes facilité les choses mais c’est demeuré extrêmement difficile pour la production car nous louions la locomotive ainsi que quelques wagons et nous circulions sur le réseau ferroviaire public. Par conséquent, ils ont dû aussi établir pour nous les horaires et dates de circulation.
Aviez-vous le contrôle de la durée des jours de tournage ou bien devaient-ils correspondre aux horaires et jours de circulation du train ? On partait tous les matins de la gare de Vitebsk à Saint-Petersbourg et nous embarquions pour une journée de 10-12 heures de travail. Incorporée aux wagons du train, il y avait aussi la voiture-restaurant de sorte que nous pouvions prendre nos repas dans le train. Nous revenions le soir à Saint-Petersbourg où nous pouvions enfin nous délasser dans un hôtel de luxe. Je dois dire que, même si je rêvais de faire un film dans un train en marche avec pour décor des lieux de tournage authentiques, c’était tellement lent et, du fait que nous étions confinés dans des compartiments exigus, nous manquions tellement d’oxygène qu’à la fin de la journée on avait vraiment besoin d’air et d’espace.
Est-ce que le train était entièrement un train spécial pour vous, juste pour le tournage du film ?Est-ce que vous avez tourné avant le commencement de la pandémie ? Le train était rien que pour nous mais nous n’avons pas fait d’ajustements. On a seulement changé quelques rideaux et textiles histoire de les faire paraître plus anciens qu’ils ne l’étaient mais nous n’avons pas abattu de cloison ou autres choses de ce genre. Nous avons tourné le film avant la pandémie, soit en février-mars 2020. Les deux dernières semaines, alors que la pandémie était déjà également en Russie, notamment à Saint-Petersbourg et à Moscou, nous étions encore dans le Nord dans des endroits reculés. On s’est sentis alors en sécurité et lorsque nous avons demandé l’avis de l’équipe, tout le monde a souhaité continuer. Par contre, la frontière entre la Russie et la Finlande était déjà fermée et c’était là, je pense, notre plus grande crainte quant à ce qui allait advenir. Pourrions-nous encore revenir en Finlande ? Les autorités finlandaises étaient, du reste, très préoccupées et voulaient que nous rentrions directement en Finlande.
Etes-vous finalement allés jusqu’à Mourmansk ? Oui, nous sommes bien allés à Mourmansk mais nous n’avons pas pu aller à Moscou parce que, initialement, la fin du tournage était prévue à Moscou. Mais nous avons filmé les scènes à Saint-Petersbourg.
Ne vous est-il pas venue, à un moment donné, l’idée, compte tenu des permis à obtenir, des coûts de location et des difficultés de tournage dans un petit compartiment confiné, que vous pourriez tourner le film dans un studio ? Faire un film, c’est relever plein de défis, mais ces défis peuvent être aventureux, comme ils peuvent être divertissants ou du moins intéressants… ou bien ils peuvent être ennuyeux. Et je pense que l’environnement d’un studio est vraiment ennuyeux. C’est basé sur le contrôle et la planification. Par contre, si vous sautez dans un train, avec pour décor des lieux authentiques, c’est plus aventureux et bien plus intéressant, beaucoup plus inspirant. Cela change la manière dont vous dirigez car j’ai bien peur que dans un environnement très contrôlé je ne m’endorme tout simplement. Je pense que ça n’a rien d’intéressant. Je préfère l’aventure au contrôle. C’est pourquoi le studio n’a jamais été pour moi une option. La production me répétait sans cesse que ce serait beaucoup plus facile de faire le film dans un studio. Mais à partir du moment où vous voulez rendre les choses plus faciles, ça signifie en fait que vous vous en fichez. Si vous essayez juste de trouver le moyen le plus facile de faire les choses, c’est que vous ne vous souciez vraiment pas de ce que vous faites.
De combien de personnes se composait votre équipe de tournage ? Je pense que dans le train nous étions une trentaine, et pour ce qui est de l’ensemble de l’équipe, une cinquantaine. Uniquement le directeur de la photographie et les acteurs avaient accès au compartiment No 6, ainsi que l’assistant du chef opérateur. Pour le son, le compartiment était équipé de micros cachés. Pour ma part, je me trouvais dans le compartiment No 7. Le principal défi pour moi en tant que réalisateur était que je devais regarder le moniteur car, généralement, je veux être à côté de la caméra, observer la situation de mes propres yeux et regarder les acteurs comme des êtres vivants. Mais quand vous regardez le moniteur, vous ne voyez pas vraiment des humains, vous les voyez transformés en objets et vous commencez à diriger une surface de l’image mais pas la situation réelle. J’ai vraiment dû lutter contre cet état de choses car je veux traiter les acteurs comme des êtres humains et non pas comme des objets.
Parlez-vous le russe ou, du moins, le comprenez-vous ? Je ne parle pas russe ; par contre, je comprenais ce qu’était le dialogue. Mais le langage, c’est le cinéma. En fait, ce n’est pas si difficile d’observer une situation quand vous connaissez déjà le contenu de la scène, et je dois dire que je me suis même senti en quelque sorte soulagé. J’étais inquiet pour le dialogue avant le tournage car s’il ne fonctionnait pas, je ne pouvais rien y faire. Mais j’ai eu le retour de tous les acteurs avant le tournage que le dialogue était vraiment bon. Donc, je faisais déjà confiance au dialogue, et ensuite peut-être que j’ai davantage dirigé avec mes yeux qu’avec mes oreilles. Je dois dire qu’avec le finnois, je suis presque un névrosé de la nuance. Et dans le cas de ce tournage, je pense que ça m’en a en quelque sorte délivré.
Avez-vous eu des difficultés à trouver le financement du film ? Pas vraiment. Bien sûr, ce n’est pas toujours facile, là n’est pas la question, mais je pense qu’après « Olli Mäki » [Prix Un certain regard/Cannes 2016 – N.D.L.R.], c’était différent. « Olli Mäki » a tellement facilité les choses que certains producteurs ont demandé à en faire partie.
L’histoire dans le livre se situe dans les années 80 durant le règne soviétique alors que votre film semble amener l’histoire dans l’ère russe de la fin des années 90. En fait, on ne peut pas faire vraiment de différence – à part peut-être la référence au film « Titanic » (1997), si on sait le dater. Pourquoi ce changement ? L’histoire se passe à la fin des années 90 ou au tournant du millénaire, mais nous voulions que le film soit traversé par un sentiment d’intemporalité. Il y a pas mal de morceaux de musique des années 80, le tube entêtant « Voyage voyage » de la chanteuse Desireless en 1987. il y a ce baladeur et lecteur de cassettes parce que nous traitions l’ensemble de cette histoire comme un souvenir, et la mémoire n’est généralement pas si précise avec les repères temporels. La raison pour laquelle nous l’avons placée dans les années 90 est en fait due au repérage des emplacements car c’est également la raison qui nous a fait changer d’itinéraire. Dans le livre, ils vont jusqu’à Oulan-Bator, mais dans le film nous allons à Mourmansk. Tout d’abord, on a examiné toutes les haltes de la ligne Saint-Petersbourg–Mourmansk, car je savais déjà que la ligne du Transsibérien n’était pas notre option. A vrai dire, la destination finale était extrêmement difficile car tellement éloignée de Moscou ou de Saint-Petersbourg (plus de 7 000 km – N.D.L.R.) et aussi du fait que toutes les gares sont dévastées par l’Euroremont (restauration à l’européenne – N.D.L.R.), comme il l’appelle en Russie. Vilaines peintures, comme une rénovation radicale très moderne. En revanche, le trajet vers Mourmansk a encore beaucoup de petites gares aux allures authentiques. Mais, dans le même temps, on sentait bien que ce n’était pas le Transsibérien et qu’on n’était pas vraiment dans les années 80. Donc, si on voulait utiliser cette réalité encore si riche et cinématographique, il suffisait de changer de décennie et d’itinéraire, et lorsque nous tournions à Petroskoi ou Petrozavodsk, nous n’avions à mentir que c’était en fait Irkoutsk. Voilà pourquoi on a fait ces changements, Par ailleurs, j’aimais l’idée que le film se termine dans l’Arctique.
Dans le livre, le personnage féminin n’a même pas de nom, ne dit pas un mot à part une phrase prononcée à la toute fin tandis que l’homme vocifère, éructe tout le temps. C’est un personnage rustre et menaçant. L’atmosphère du livre est sinistre. Dans le film, votre approche de l’évolution de la relation de ces deux personnages apparemment opposés mais solitaires n’est pas romantique. Toutefois, leur relation évolue à partir de petits riens, au fur et à mesure de changements très subtils empreints d’émotion voire d’humour. Ce voyage en train s’avère-t-il être une romance ou bien un voyage à la rencontre de soi, de l’autre ? C’est une connexion et une acceptation. La connexion entre ces deux êtres humains. A prime abord, ils sont très éloignés l’un de l’autre mais je pense que c’est parce qu’ils se cachent derrière des rôles : le rôle du mâle russe et le rôle de l’étudiante finlandaise, intellectuelle instruite. Au début, ils se cachent derrière quelque chose car ils veulent être vus d’une certaine façon. Et c’est pourquoi ils sont déconnectés car ils ne sont pas vraiment enclins à se montrer tels qu’ils sont. Il est essentiel pour qu’il y ait rencontre et connexion que l’on s’accepte soi-même. Et c’est en s’exposant le plus possible, avec toutes ses blessures, qu’il est également plus facile pour l’autre de se débarrasser de ses rôles et de se montrer tel qu’il est. Mais pour moi c’était également important que ce ne soit pas une histoire d’amour romantique mais plutôt l’histoire de deux êtres qui vont se débarrasser des différents rôles derrière lesquels ils s’étaient réfugiés et finir par s’accepter eux-mêmes. Je pense que c’est absolument essentiel pour les rencontres. Je sentais qu’une histoire d’amour romantique serait en quelque sorte fondée sur des rôles, et c’était quelque chose que je ne voulais pas faire. Je ne voulais pas, à la fin du film, d’un homme et d’une femme qui tombent amoureux mais je voulais deux gosses qui s’amusent, totalement insouciants. Un pur et court moment de liberté totale.
A part remporter un Oscar – ce qu’on ne peut que vous souhaiter le plus chaleureusement possible –, avez-vous des projets à plus ou moins long terme ? Le prochain long métrage relève encore du domaine de la nébuleuse, mais nous avons déjà réalisé une série télévisée de 8 épisodes d’environ 10 minutes chacun. Ce qui est drôle, c’est que je l’ai co-réalisée avec Khadar Ayderus Ahmed (réalisateur finno-somalien du film « Guled & Nasra/La femme du fossoyeur » sélectionné à la Semaine de la critique/Cannes 2021 – N.D.L.R.). La série s’intitule « Zone B ». Elle sera diffusée sur YLE en début d’année prochaine. La durée de cette série est, en fait, de l’ordre d’un long métrage, soit 80 minutes. C’est donc une collaboration (la deuxième du genre avec Khadar Ayderus Ahmed, déjà scénariste sur le court métrage « Citoyens » Léopard d’argent/Locarno 2008 – N.D.L.R.)
Propos recueillis par Aline Vannier-Sihvola Helsinki, le 19 octobre 2021
DOCPOINT 31 janvier – 6 février 2022 XXIe édition du Festival du film documentaire de Helsinki – DOCPOINT
A l’occasion de sa XXIe édition, le Festival du film documentaire de Helsinki –DocPoint se déroulera du 31 janvier au 6 février et vous donne cette année encore rendez-vous en ligne, en raison de la crise sanitaire. Le Festival n’en diffusera pas moins une large sélection nationale et internationale de films documentaires classiques et en exclusivité. Au nombre des 25 invités au Festival, DocPoint accueillera en ligne le réalisateur français Loup Bureau pour son film «Tranchées » ainsi que le réalisateur turc Ahmet Necdet Cupur pour son film «Les enfants terribles ». Le Festival donnera à voir également le passionnant documentaire de Marie Amiguet et Vincent Munier «La panthère des neiges », une ode à la beauté de la nature et au temps suspendu, ainsi que «Les mots de la fin » des réalisatrices Agnès Lejeune et Gaëlle Hardy, un documentaire poignant en immersion dans un cabinet médical en Belgique.
Au nombre de la cinquantaine de films présentés au cours de cette XXIe édition du Festival, quelques longs métrages français :
LA PANTHÈRE DES NEIGES / THE VELVET QUEEN Marie Amiguet, Vincent Munier France (2021), 92 min Langue : français (sous-titres anglais) Bande originale : Warren Ellis & Nick Cave (lire Entretien avec Warren Ellis sur cinefinn.com)
Au coeur des hauts plateaux tibétains, le photographe Vincent Munier entraîne l’écrivain Sylvain Tesson dans sa quête de la panthère des neiges. Il l’initie à l’art délicat de l’affût, à la lecture des traces et à la patience nécessaire pour entrevoir les bêtes. En parcourant les sommets habités par des présences invisibles, les deux hommes tissent un dialogue sur notre place parmi les êtres vivants et célèbrent la beauté du monde.
LES MOTS DE LA FIN / CLOSING WORDS Agnès Lejeune, Gaëlle Hardy Belgique (2021), 72 min Langue : français (sous-titres anglais) Un cabinet de consultation dans un hôpital public en Belgique. Un médecin y reçoit des patients, souvent accompagnés d’un proche. La plupart savent qu’ils sont gravement malades, et ils sont venus pour parler de leur fin de vie. Le film donne à voir ces rencontres, ces échanges, avec discrétion et respect.
TRANCHÉES / TRENCHES Loup Bureau France (2021), 85 min Langue : ukrainien, russe (sous-titres anglais) Q&A avec le réalisateur : https://docpointfestival.fi/festivaalivieraat/loup-bureau/ Pendant 3 mois, le réalisateur français Loup Bureau a partagé le quotidien de soldats ukrainiens terrés dans les tranchées sur le front de la guerre du Donbass qui agite le pays depuis 2014. Face à eux, des séparatistes soutenus par la Russie.
LES ENFANTS TERRIBLES Ahmet Necdet Cupur France / Turquie / Allemagne (2021), 90 min Langue : turc, arabe (sous-titres anglais) Q&A avec le réalisateur:https://docpointfestival.fi/festivaalivieraat/ahmet-necdet-cupur/ Dans le petit village turc de Keskincik, le réalisateur livre, à travers le quotidien de sa famille, le portrait intime d’une jeunesse turque prête à changer la société. Chaque jour la fratrie se bat pour affirmer son indépendance face à une autorité parentale ancrée dans des valeurs traditionnelles.
Alors que les salles de cinéma rouvrent leurs portes à Helsinki, avec des jauges à 50 personnes par séance (Covid oblige… encore !), il n’en reste pas moins, en cette fin de saison hivernale, que le petit écran, à défaut de remplacer le grand écran, continue d’offrir des documentaires, des séries, des films récents comme des grands classiques qui, en termes de diversité, qualité et disponibilité, ne manqueront pas de vous divertir !
Le comédien français André Wilms, connu pour ses nombreuses collaborations avec le réalisateur finlandais Aki Kaurismäki – La vie de bohème (1992), Les Leningrad Cowboys rencontrent Moïse (1994), Juha (1999), Le Havre (2011), L’autre côté de l’espoir (2017) –, dont il était l’acteur fétiche, est décédé le mercredi 9 février 2022, à l’âge de 74 ans.
LE HAVRE (2011) Film de Aki Kaurismäki https://areena.yle.fi/1-2133261(actuellement disponible) (version originale en français avec sous-titres en finnois !) Lire ENTRETIEN AVEC AUBERI EDLER… sous le soleil de minuit (12.06.2015) surcinefinn.com N.B. : VOIR TOUS LES FILMS DE AKI KAURISMÄKI SUR AREENA
HITCHCOCK / TRUFFAUT (2015) Film documentaire de Kent Jones https://areena.yle.fi/1-3073974(disponible jusqu’à juin 2023) Lire ENTRETIEN AVEC KENT JONES… sous le soleil de minuit (14.06.2019) sur cinefinn.com
DE GAULLE (2020) Jacques Santamaria, Patrice Duhamel Série en 6 épisodes / 50 min https://areeena.yle.fi/1-50911963(disponible jusqu’à mi-août 2022)
THE SISTERS BROTHERS / SISTERSIN VELJEKSET (2018) Film de Jacques Audiard https://areena.yle.fi/1-4671881(disponible jusqu’à mi-février 2022)
LES GARDIENNES / SUOJELIJAT (2017) Film de Xavier Beauvois https://areena.yle.fi/1-4333385(disponible jusqu’à mi-février 2022)
JACQUES BREL, FOU DE VIVRE / JACQUES BREL JA ELÄMÄN JANO (2017) Film documentaire de Philippe Kohly https://areena.yle.fi/1-50676264(disponible jusqu’à fin 2023)
HAUT LES FILLES / ANTAA PALAA, RANSKAN NAISET (2019) Film documentaire de François Armanet https://areeena.yle.fi/1-50766111(disponible jusqu’à mi-mars 2023)
_______________________________________
AÏLO, UNE ODYSSÉE EN LAPONIE / AILO – PIENEN PORON SUURI SEIKKAILU (2018) Conte animalier de Guillaume Maidatchevsky Co-production franco-finlandaise Narration en finnois – Peter Franzén https://areena.yle.fi/1-4252056(disponible jusqu’au 24 janvier 2022) Lire ENTRETIEN AVEC GUILLAUME MAIDATCHEVSKY (03.12.2018) sur cinefinn.com _______________________________________________________________
ALICE GUY, PIONNIÈRE OUBLIÉE DU CINÉMA MONDIAL
Première femme réalisatrice, productrice et directrice de studio de l’histoire du cinéma.
BE NATURAL: THE UNTOLD STORY OF ALICE GUY-BLACHÉ (2018) Film documentaire de Pamela B. Green Narration : Jodie Foster https://areena.yle.fi/1-50269169(actuellement pas disponible)
MADAME A DES ENVIES / ROUVAN MIELIHALUT (1907) Film muet (4 min) de Alice Guy https://areena.yle.fi/1-50802127(disponible jusqu’à mi-février 2022)
LA FEMME COLLANTE / TAKERTUVA NAINEN (1906) Film muet (2 min) de Alice Guy https://areena.yle.fi/1-50802238(disponible jusqu’à mi-février 2022)
LES RÉSULTATS DU FÉMINISME / FEMINISMIN SEURAKSET (1906) Film muet (7 min ) de Alice Guy https://areena.yle.fi/1-50802240(disponible jusqu’à mi-février 2022)
FALLING LEAVES / PUTOAVIA LEHTIÄ (1912) Film muet (11 min ) de Alice Guy https://areena.yle.fi/1-50791564(actuellement pas disponible)
MATISSE VOYAGEUR, EN QUÊTE DE LUMIÈRE / MATISSE JA VALON LUMO (2020) Film documentaire de Raphaël Millet https://areena.yle.fi/1-50496936(disponible jusqu’à septembre 2022)
MODIGLIANI ET SES SECRETS / MODIGLIANIN SALAISUUDET (2020) Film documentaire de Jacques Loeuille https://areena.yle.fi/1-50599156(disponible jusqu’à fin 2022)
RENOIR ET LA PETITE FILLE AU RUBAN BLEU / RENOIR JA TAULUN TARINA (2019) Film documentaire de Nicolas Lévy-Beff https://areena.yle.fi/1-50294245(actuellement pas disponible)
TOULOUSE-LAUTREC, L’INSAISISSABLE / TOULOUSE-LAUTREC, MONTMARTREN TAITEILIJA (2019) Film documentaire de Gregory Monro https://areena.yle.fi/1-50282039(disponible jusqu’à juillet 2022)
UNE HISTOIRE FINLANDAISE / SUOMEN TARINA RANSKALAISITTAIN (2017) Film documentaire de Olivier Horn https://areena.yle.fi/1-3703411(disponible jusqu’à fin 2022) https://dailymotion.com/video/x7pbgqr(disponible aussi hors Finlande) (version originale en français avec sous-titres en finnois) Lire l’article UNE HISTOIRE FINLANDAISE de OLIVIER HORN (03.12.2017) sur cinefinn.com
ISABELLE HUPPERT, MESSAGE PERSONNEL / LÄHIKUVASSA ISABELLE HUPPERT (2019) Dans un documentaire rare, réalisé par William Karel, l’actrice raconte son parcours artistique, mêlant souvenirs et anecdotes. https://areena.fi/1-50484152(disponible jusqu’à septembre 2022)
ALBERT CAMUS, L’ICÔNE DE LA RÉVOLTE / ALBERT CAMUS, IKUINEN KAPINOITSIJA (2020) Film documentaire de Fabrice Gardel et Mathieu Weschler https://areena.yle.fi/1-50591144(disponible jusqu’à fin 2022)
Le comédien français André Wilms, connu pour ses nombreuses collaborations avec le réalisateur finlandais Aki Kaurismäki – La vie de bohème (1992), Les Leningrad Cowboys rencontrent Moïse (1994), Juha (1999), Le Havre (2011), L’autre côté de l’espoir (2017) –, dont il était l’acteur fétiche, est décédé le mercredi 9 février 2022, à l’âge de 74 ans.
LE HAVRE (2011) Film de Aki Kaurismäki https://areena.yle.fi/1-2133261(actuellement disponible) (version originale en français avec sous-titres en finnois !) Lire ENTRETIEN AVEC AUBERI EDLER… sous le soleil de minuit (12.06.2015) surcinefinn.com N.B. : VOIR TOUS LES FILMS DE AKI KAURISMÄKI SUR AREENA
AÏLO, UNE ODYSSÉE EN LAPONIE / AILO – PIENEN PORON SUURI SEIKKAILU (2018) Conte animalier de Guillaume Maidatchevsky Co-production franco-finlandaise Narration en finnois – Peter Franzén(sous-titres suédois) https://areena.yle.fi/1-4252056(disponible jusqu’à fin janvier 2022)
Pienen, villinä syntyneen poron ensimmäinenä vaellus Lapin henkeäsalpaavissa maisemissa on täynnä koettelemuksia, mutta äidin rakkauden turvin utelias Ailo uskaltautuu seikkailuun yhdessä muiden villieläinten kanssa. Diffusions sur la chaîne finlandaise YLE 2 : – ma 10.1.2022 / 11.15
Un conte animalier de Guillaume Maidatchevsky, réalisateur français, qui raconte le combat pour la survie d’un petit renne sauvage, depuis sa naissance jusqu’à sa première année. L’histoire vraie d’Aïlo dans sa migration à travers les paysages grandioses de Laponie.
ENTRETIEN AVEC GUILLAUME MAIDATCHEVSKY
Guillaume Maidatchevsky est un réalisateur français spécialisé dans les documentaires animaliers mais il préfère se définir comme un conteur d’histoire… animalière, en l’occurrence. Après avoir réalisé cinq films, il signe en cette fin d’année 2018 son dernier opus « Aïlo, une odyssée en Laponie », un conte animalier qui suit les aventures d’un petit renne, de la naissance à l’âge adulte, dans ses pérégrinations à travers les paysages grandioses de Laponie. Dans ce film, les animaux ne sont pas perçus comme les membres d’une espèce mais comme des personnages à part entière, des individus avec leur caractère propre, différents les uns des autres. [« Ailo – pienen poron suuri seikkailu » – sortie en Finlande le 21 décembre 2018 « Aïlo, une odyssée en Laponie » – sortie en France le 13 mars 2019]
Vous avez réalisé à ce jour six longs métrages – y compris « Aïlo » –, tous des films documentaires animaliers, d’évidence votre spécialité. Quel a été votre parcours qui vous a orienté vers le genre documentaire, et plus spécifiquement le film animalier ? J’ai fait beaucoup de documentaires animaliers – je ne filme, du reste, que de l’animalier – et, surtout, j’ai cherché à trouver un autre moyen d’intéresser un public plus large. Vu que le public de documentaires animaliers est déjà intéressé par le genre et ira donc voir le film, ce qui m’intéressait c’était de toucher une audience beaucoup plus large et, en ça, utiliser les codes de la fiction. Cela m’a paru intéressant pour toucher le plus de gens possible et sensibiliser le plus de gens possible à l’environnement et à la protection de la nature. Et donc, je pense et j’espère que le fait d’utiliser les codes du conte va attirer beaucoup plus de gens.
Quel est, dans la vie, votre rapport à la nature, aux animaux ? Il est au quotidien. En tout cas, mon rôle dans la vie par rapport aux animaux, il est au jour le jour. Je vis à la campagne, entouré de moutons, de coqs, de chiens et de petits chevaux. Et donc, pour moi, le fait d’être entouré d’animaux est quelque chose de tout à fait naturel.
D’où vous est venue l’idée de « Aïlo, une odyssée en Laponie », de filmer un petit renne, de la naissance à l’âge adulte ? L’idée de filmer « Aïlo » est une commande de mes enfants, leur commande au Père Noël. En fait, j’ai réalisé qu’ils connaissaient mieux la nature de l’Afrique, mieux les lions et les éléphants que, finalement, les animaux proches de chez eux. Les rennes, ce n’est pas si loin que ça de Paris. Toutefois, ils avaient des idées préconçues ou, du moins, ils ne connaissaient pas grand-chose sur les rennes. Donc, c’est pour cela aussi que j’ai voulu leur en apprendre plus par rapport à la vie sauvage tout près de chez nous, en utilisant les codes de la fiction.
Connaissiez-vous la Laponie, le Grand Nord, et était-ce la première fois que vous filmiez dans des conditions extrêmes ? C’était la première fois que je filmais dans des conditions aussi extrêmes. J’ai beaucoup filmé en Afrique, par des températures très positives, très chaudes et passer, tout d’un coup, de l’Afrique à + 40° à la Laponie à – 40°, cela a été un vrai gap pour moi. Après, mes origines nordiques font que je préfère le froid au chaud, mais ça a été plus compliqué pour le matériel. De plus, je trouve que filmer dans des conditions extrêmes, ça apporte à l’image une émotion encore plus forte.
Le scénario – que vous avez écrit – a-t-il nécessité beaucoup de recherche, un séjour préalable sur place, une mise en condition ? En fait, pour le scénario, je me suis beaucoup documenté avant, beaucoup informé sur les rennes, sur la façon dont ils vivent, sur le décor, sur la Laponie en général. Et, ensuite, j’ai écrit le scénario. Toutes ces recherches m’ont amené à écrire quelque 80 pages avant de tourner. Après, le maître-mot, c’est s’adapter. On s’adapte à la nature. J’ai beau avoir écrit le plus précisément possible, l’animal fait ce qu’il veut au final. Il vit sa vie, et c’était très important pour moi que l’animal vive sa vie. Je ne le contrains à aucun moment. Il vit dans son environnement et c’est lui qui m’invite dans cet environnement-là. Moi, je suis là pour capter sa vie.
Un conte animalier, un film familial, certes, mais ne compte-t-il pas, comme « Bambi », des scènes dures à voir ? Par ailleurs, le texte – qui évite l’écueil du commentaire anthropomorphique – est, par endroits, poétique, avec des réflexions philosophiques, et ne s’adresse pas forcément à un tout jeune public. Pourquoi ce choix ? Comme c’est aussi le cas dans beaucoup de films d’animation, il y a, en fait, deux niveaux de lecture. En tant que parent, qu’est-ce que j’ai envie d’aller voir avec mes enfants ? Si c’est uniquement un film enfantin, je vais m’ennuyer pendant 1 heure 20. Donc, il fallait que je trouve des codes qui puissent intéresser à la fois les enfants, par la narration, par la façon de filmer, par le jeu des animaux et également intéresser les adultes par un texte peut-être plus philosophique, par plus de réflexions sur la nature. Mais les enfants ne sont pas stupides. Je pense que c’est important de leur montrer la nature telle qu’elle est, même si parfois elle est cruelle. Si on prend des Walt Disney, ils sont parfois très durs. L’enfant les voit à son niveau à lui, quand il a 4 ou 5 ans. Bien souvent, un enfant de cet âge-là ne perçoit pas forcément la cruauté. C’est plus tard qu’il va comprendre en fonction de ce qu’il a vu. C’est à mes enfants, d’abord, que je ne voulais pas mentir. Je voulais leur montrer que la nature, elle peut être cruelle, difficile, mais elle peut aussi être drôle, émouvante.
Le texte est lu par un narrateur – unique voix humaine du film – qui n’est autre que le chanteur Aldebert. Est-ce que ce choix s’est imposé dès le départ ? Et pourquoi ce choix ? Non, il ne s’est pas imposé dès le départ. Mes enfants – toujours mes enfants – sont fans d’Aldebert. On connaît tous par coeur ses chansons, en tout cas à la maison, mais il ne s’est pas forcément imposé au départ. A vrai dire, c’est une commande de ma femme. Que des commandes, ce film ! C’est mon cadeau de Noël à la Laponie. Par contre, ce que j’ai aimé, c’est qu’Aldebert a aussi ce double niveau de lecture dans ses chansons. Je suis allé plusieurs fois à ses concerts et les parents ne s’ennuient pas. Ils ne sont pas assis en train d’attendre. Les parents dansent, chantent, car les parents connaissent aussi les paroles. J’aimais bien ce double langage. Il parle aux enfants, il parle aussi aux parents. Et je trouvais que c’était assez raccord avec le film.
La musique semble jouer un rôle important dans tous vos films. Dans « Aïlo », la musique est quasi omniprésente et fait partie intégrante du récit. La musique, c’est un personnage. Elle n’est pas là pour appuyer, c’est vraiment un personnage de l’histoire. J’ai l’habitude de dire que le sound design, c’est-à-dire tout ce qui est bruitage, amène l’immersion dans le film, mais la musique amène l’émotion. C’est un personnage à part entière, comme l’est la narration, comme le sont les images, la façon de filmer. Je tenais vraiment à ce que la musique prenne cette place-là.
Comment avez-vous fait pour apprivoiser tout d’abord la mère d’Aïlo – jusqu’à filmer au plus près la naissance du petit renne – et approcher d’aussi près tous ces animaux sauvages ? Ce qui s’est passé pour la mère d’Aïlo, c’est qu’on essayait de filmer des naissances, ce qui est très compliqué parce que les femelles veulent garder leur intimité – ce que je respecte totalement –, mais on n’y arrivait pas. Elles mettaient bas assez loin de nous et je tenais à respecter cette distance parce qu’on appelle ça le cercle de confiance. On fait en sorte qu’il n’y ait pas de stress à la naissance pour la mère. Ethiquement parlant, c’est important pour moi et aussi, artistiquement parlant, si je filme un animal qui est stressé, ce n’est bon ni pour lui ni pour moi. Mais, tout d’un coup, une femelle qui depuis 6 jours nous suivait partout – limite elle dormait collée à la caméra ! – a décidé de s’éloigner de nous et est allée mettre bas à 20 mètres de la caméra. Ce qui est super, c’est qu’elle a transmis la confiance qu’elle avait en nous à son petit, à Aïlo, et ça m’a permis de filmer les scènes de naissance de façon très respectueuse. Elle n’avait pas de stress et le petit n’était pas stressé. Une confiance s’était vraiment instaurée à la naissance, parce que si la mère est stressée, le petit sera stressé, c’est sûr. Je ne sais pas si c’est pareil chez les humains, mais chez les animaux, c’est très présent. Et voilà, ça a été pour nous un moment de grâce, cette naissance, parce qu’elle a mis bas tout près de nous. Elle aurait pu mettre bas très loin, mais son choix était de mettre bas tout près, et on a pu filmer cette scène.
Certaines scènes sont assez incroyables, notamment lorsqu’Aïlo est poursuivi par des loups. Comment avez-vous fait, tout en vous attachant à ne pas déformer « la réalité naturelle », pour filmer cette course-poursuite dans la forêt ? Avez-vous du matériel très sophistiqué, des techniques spécifiques ? On a des techniques spécifiques pour filmer ce genre de scène, tout en assurant la sécurité pour les animaux, pour les deux espèces – surtout pour Aïlo, parce qu’on n’a filmé qu’avec Aïlo. On tenait vraiment à ce qu’Aïlo soit le plus en sécurité possible. Donc, il y a des techniques, mais je ne vais pas tout dévoiler. On a un côté magicien, et je garderai mes « tricks » pour moi. En tout cas, Aïlo n’avait rien à craindre des loups par rapport à la scène que vous rapportez.
De combien de personnes, de nationalités se composait votre équipe de tournage, que l’on imagine réduite et aguerrie aux conditions extrêmes ? On était une équipe de cinq sur le terrain, cinq Français. Et, au quotidien, tous les jours, il y avait deux ou trois Finlandais, des techniciens, soit un assistant-caméraman finlandais, et Tuire qui était là pour nous aider, pour assurer la sécurité aussi des animaux quand on avait besoin d’elle. Du fait de son expérience de la nature, du comportement animalier, elle pouvait aussi nous prévenir si elle sentait quelque chose d’un peu angoissant pour l’animal. Donc, Tuire a été une vraie aide pour nous à ce niveau-là, parce que quand on se met à filmer – j’étais souvent à la caméra aussi – parfois on oublie qu’il y a peut-être quelque chose de dangereux pour l’animal, et donc Tuire était là pour s’assurer que l’animal n’avait pas de stress, était bien. Donc, en général, on était cinq, au mieux huit et au pire deux.
Combien de temps a duré le tournage ? Et quelles en ont été les principales difficultés comme les bonnes surprises ? On a tourné plus de 125 jours, ce qui veut dire beaucoup plus si on compte le temps en transport et autres, comme les repérages. Les bonnes surprises, c’est l’animal, son comportement. Il faut dire que quand je suis parti tourner, il y avait quand même ce côté aléatoire. Qu’est-ce qu’on va voir ? J’avais beau avoir écrit un scénario de 80 pages, tout aurait pu exploser très vite. Et c’est là que l’on se rend compte, comme je l’ai déjà mentionné, que l’adaptabilité est primordiale. Je m’adapte à l’animal, comme un réalisateur de fiction s’adapterait à son acteur. Le comédien, il a un rôle et il est là pour ça ; il a une façon de jouer et le réalisateur ne va pas forcer le comédien à la changer. Je pense que c’est pareil pour un animal. L’animal, on le prend parce qu’il a son caractère, qu’il se différencie des autres. Je suis là pour capter. Je suis un grand voleur d’idées. Et un réalisateur a, selon moi, un peu ce côté-là.
Vous êtes-vous jamais senti en danger ? Une seule fois. Alors que nous dormions sous la tente, j’ai entendu et senti le souffle de la mère ourse, tout près, sur la toile de la tente. Il aurait suffi d’un coup de patte, de griffe…
Comment, par exemple, survit-on pendant des mois sans sanitaires ? Comment se passent les nuits en hiver, l’approvisionnement en nourriture ? A partir de combien de degrés la technique commence à faillir ? Les sanitaires, c’est important. Même si on est une équipe de garçons, à part mon assistante, c’est un problème au quotidien, surtout quand il fait très froid. C’est vrai que lorsqu’il fait – 30°/- 40°, la moindre petite envie devient cruciale, ça devient un gros problème. Il faut s’astreindre à ne pas boire de café et apprendre à se retenir. Pour la nourriture, on nous approvisionnait. Quant au matériel, des batteries qui tiennent normalement 1 heure, là, sous ces températures extrêmes, au bout de 10 minutes, il n’y avait plus de batterie. Il faut donc avoir de gros chargeurs et beaucoup de batteries. Pour ce qui est des écrans, on les a climatisés, c’est-à-dire qu’ils ont été mis d’abord en chambre froide pour les préparer. Je ne vous en dirai pas plus car je ne maîtrise pas bien cette partie technique.
Avez-vous filmé le même renne dans le rôle d’Aïlo du début jusqu’à la fin ? Vous dites dans le film que la moitié des rennes ne survivent pas à leur premier anniversaire. Avec tous ces prédateurs naturels, n’y avait-il pas un risque à parier au départ sur un seul renne ? Ou bien avez-vous joué un rôle de protecteur dans le processus du film ? C’est un conte. Donc, on a eu des façons de travailler différentes de celles utilisées pour un documentaire. Dans le cas de figure d’un documentaire, je n’aurais pas pu faire ce film parce que j’aurais été obligé de filmer un grand nombre de rennes. C’est vrai qu’Aïlo aurait pu mourir très tôt, c’est pourquoi on a été obligés, du moins au départ, de filmer plusieurs petits rennes. C’était une obligation. Mais très vite, le choix d’Aïlo, notre petit renne, s’est imposé parce que, comme je le disais, il a un vrai caractère, il est tout de suite sorti du lot. Au départ, je voulais un renne tout blanc – une sorte d’idéal dans ma tête de Français – mais, en fait, il y a très peu de rennes blancs. Donc, par rapport à la couleur du pelage, on s’est retranchés sur des rennes marron. C’était tout aussi bien, car ils sont vraiment mignons, on dirait des petites peluches. Mais, au départ, forcément, on était obligés de filmer plusieurs rennes.
Pour ce qui est des partenaires coproducteurs du film, comment convainc-t-on Gaumont de s’embarquer dans l’aventure et comment un producteur finlandais, Marko Röhr (MRP Mätila Röhr Prod.) s’est retrouvé associé au projet ? On convainc Gaumont parce qu’il y a une histoire. Ils avaient vu mes précédents films qui étaient quand même assez mis en scène eux aussi, même si c’était étiqueté « documentaire ». Donc, on arrive avec une histoire. Je ne sais plus qui a dit ça, mais « un bon film, c’est une bonne histoire, une bonne histoire et encore une bonne histoire ». Si on avait dit à Gaumont qu’on allait faire un film sur les animaux en Laponie, ça n’aurait intéressé personne. Par contre, quand on leur dit qu’on va faire un film sur l’aventure d’un petit renne confronté aux épreuves de sa première année de vie, ils ont vu, tout d’un coup, que c’était une histoire avec un début, une fin, une narration particulière. J’ai vraiment construit ce film comme une fiction. C’est en ça qu’ils étaient intéressés. Quant à Marko Röhr, c’était parce qu’il avait fait « Tale of a Lake » et comme on cherchait un coproducteur nordique, c’est lui qui s’est imposé par rapport à son parcours et par rapport à sa sensibilité aussi. Je ne tenais pas à avoir un producteur juste pour les fonds qu’il pouvait apporter, je tenais à quelqu’un qui soit vraiment impliqué dans l’environnement, dans la nature, et il n’y en a pas beaucoup. Donc, Marko s’est imposé.
Combien avez-vous d’heures de rushes et comment s’est opérée la sélection ? On a eu 600 heures de rushes. La sélection a été extrêmement compliquée. Pourquoi y a-t-il eu 600 heures de rushes ? Tout simplement parce que, quand je filme, je veux sentir le petit détail à l’image. Je veux me dire que ce regard-là m’intéresse, que cette attitude-là, ce petit mouvement de patte, il m’intéresse. Et tout ça implique qu’il faut beaucoup filmer. Je ne me suis pas contenté de faire un plan large, un plan serré, et puis de me dire que ça suffisait. Non. On a beaucoup filmé, de plein de façons différentes pour avoir justement ce petit détail qui fait qu’on rentre dans l’intimité de l’animal. Et le montage a été un moment à la fois jouissif et hyper compliqué parce qu’il faut passer 600 heures de rushes vraiment en un temps record par rapport au film, par rapport au temps qu’on a eu de tournage et de production. Mais je pense qu’on peut être hyper fiers – et c’est peut-être très prétentieux ce que je dis – mais, comparé à des documentaires plus classiques, je pense qu’ « Aïlo » est une sorte d’OVNI et moi, j’aime bien les OVNIs.
Le film est-il déjà vendu à l’étranger ? La sortie du film en Finlande est prévue le 21 décembre. Pourquoi le choix du mois de mars pour sa sortie en France ? Le film est déjà vendu dans plus de trente pays. Quant à sa sortie en mars en France, je dirais qu’un conte, c’est universel, intemporel. Et on n’a pas filmé qu’à Noël, en hiver, on a filmé pendant toutes les saisons. La vérité aussi, c’est que, pour la période des fêtes, il y avait du lourd en face, de la concurrence, des gros blockbusters, et si on voulait se différencier et ne pas disparaître au bout de 15 jours, il fallait être stratège. Mais, en même temps, j’aurais aimé que « Aïlo » se confronte à « Superman ».
Hormis la promotion de « Aïlo, une odyssée en Laponie » en France et à l’étranger, travaillez-vous déjà à un autre projet de film ? Oui, mais je ne peux pas en parler. Disons qu’il y aurait un projet de film potentiellement en Chine.
Propos recueillis par Aline Vannier-Sihvola Helsinki, le 3 décembre 2018
FILMOGRAPHIE – J’ai marché sur la terre – Costa Rica (2014) – J’ai marché sur la terre – Inde (2015) – Le babouin qui voulait être roi (2015) – Une ferme sauvage (2016) – Green Award d’Or/Deauville (2016) – Vivre avec les loups (2016) – remporte le Prix de la protection des espèces animales ainsi que le Prix du meilleur montage au FIFA 2017 (Festival international du film animalier) La bande originale du film, composée et interprétée par Julien Jaouen, est élue Meilleure bande originale de documentaire au Prix de la création musicale CSDEM (2017) – Aïlo, une odyssée en Laponie (2018)
A VOIR DÈS CE SOIR 15 DÉCEMBRE SUR FRANCE 5, à 20 h 55/heure française (ou plus tard en replay), LA GRANDE LIBRAIRIE sur le thème : Quand la littérature rencontre le cinéma et le théâtre
François Busnel reçoit à cette occasion l’un des plus grands réalisateurs français, Arnaud Desplechin, pour son adaptation du livre de Philip Roth « Tromperie ». Egalement sur le plateau, Denis Podalydès qui joue dans le film le rôle du grand écrivain américain.
Pour mieux connaître Arnaud Desplechin, lire ou relire l’interview accordée en juin 2019 dans le cadre du Festival du film du soleil de minuit de Sodankylä, en Laponie finlandaise.
ENTRETIEN AVEC ARNAUD DESPLECHIN… sous le soleil de minuit
Arnaud Desplechin, metteur en scène français, était l’invité d’honneur de la XXXIVe édition du Festival du film du soleil de minuit. Auteur d’une douzaine de longs métrages, dont « La sentinelle », « Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) », « Rois et reine », « Trois souvenirs de ma jeunesse »… ainsi que deux films tournés en langue anglaise « Esther Kahn » et « Jimmy P. », tous sélectionnés à diverses reprises dans les plus grands festivals de cinéma, Arnaud Desplechin est venu présenter cinq de ses films dont le tout dernier « Roubaix, une lumière », avec Léa Seydoux, Sara Forestier et Roschdy Zem, inspiré d’un fait divers se déroulant dans sa ville natale, avant même sa sortie en salles en France le 21 août et qui était en compétition officielle au 72e Festival de Cannes 2019.
Sans doute pour la première fois au Festival du film du soleil de minuit, quel regard portez-vous sur ce festival d’autant que vous arrivez quasi directement de Cannes et qu’après le marathon médiatique qui l’accompagne, c’est ici, tout au moins, un brusque changement d’exposition à la lumière ? Ce ne sont pas les mêmes projecteurs, en effet ! Je connaissais le Festival à travers le nom des frères Kaurismäki, bien sûr, car ce sont eux qui ont rendu le Festival notoire. Par ailleurs, j’ai une amie de l’école du cinéma, Pascale Ferran, qui était venue il y a longtemps présenter « Lady Chatterley » et « Petits arrangements avec les morts » au Midnight Sun Film Festival et elle m’avait dit qu’il fallait absolument que j’y aille. Depuis, j’ai été invité plusieurs fois mais, à chaque fois, ça tombait mal avec le planning, soit en même temps qu’un festival ou qu’une sortie de film, etc. et je ne pouvais pas. Et maintenant, je dois dire que j’ai été très ému quand Timo Malmi [directeur artistique du MSFF – NDLR] m’a écrit et qu’il m’a dit que ce serait une rétrospective. J’ai donc enfin pu venir et je suis très touché de pouvoir montrer mon nouveau film, en plus de cette rétrospective. Ce festival, c’est la cinéphilie comme je l’aime. Cannes – je fais un tout petit détour par Cannes –, c’est un endroit qui pour un réalisateur français n’est pas du tout agréable. Il y a des festivals agréables : Venise, c’est formidable, de même que le Festival de New York. Mais quand on va à Cannes, c’est très brutal dans les rapports. Pourtant, ça vaut le coup parce que c’est le seul festival où les acteurs sont à ce point-là accueillis par le public, avec les photographes. Il y a à Cannes une gratitude pour les acteurs. C’est donc pour moi une manière de dire merci aux acteurs après tout ce qu’ils m’ont donné. Mais, personnellement, c’est vraiment du travail tout le temps et ce n’est pas très agréable. Alors, tout d’un coup, c’est formidable d’arriver ici, après avoir été confronté à un public très agressif à Cannes, et de se retrouver avec un public, cinéphile ou populaire je ne sais, mais qui déjà voit des films et qui les voit très simplement. Ce sont des gens qui aiment le cinéma pour le cinéma, aussi simplement que ça. Et du coup, ça donne une ambiance formidable, sans hiérarchie, et avec ce phénomène invraisemblable : la nuit qui ne se couche jamais !
Que connaissez-vous et appréciez-vous du cinéma d’Aki Kaurismäki ? Le choc que j’ai eu et qui m’est resté pour le premier film que j’ai vu de lui, c’était « La fille aux allumettes ». C’est-à-dire qu’il y avait tout à la fois un dépouillement de l’image, un côté générationnel et une libération du cinéma. Pour moi, il y a deux réalisateurs que je rapproche totalement, ce sont Kaurismäki et Jarmusch. Tout d’un coup, ils ont inventé une douceur et une vitesse qui leur est absolument singulière ; il y a un rythme de récit qui n’appartient qu’à eux. Toutefois, l’art de Jarmusch ne ressemble pas à celui de Kaurismäki qui, lui, va creuser plus de douleur mais avec légèreté, avec une forme d’humour. L’art de Kaurismäki est un art très cinéphile et lié à la France : il y a des apparitions de Jean-Pierre Léaud dans « J’ai engagé un tueur à gages », après il a fait « La bohème », puis « Le Havre » que j’ai adoré. Et, donc, il arrive à faire jouer les acteurs français, mais avec une autre musique, et il arrive à imposer sa musique. Et ce qui m’a stupéfié avec Kaurismäki, et qui continue de me stupéfier de film en film, c’est qu’il a tenu ce rythme qui est tellement singulier, tellement unique, et puis il va creuser des douleurs, comme les cinéastes scandinaves, mais avec un humour burlesque qui n’appartient qu’à lui. Pour moi, Jarmusch et Kaurismäki ont inventé et reflété aussi une façon qu’on avait d’être au monde ; on était contemporain de leurs films. Je suis contemporain de Kaurismäki, et j’en suis très heureux. J’en ajouterai même un troisième : Kaurismäki, Jarmusch et Moretti. Ce serait mon trio gagnant. Ce sont trois cinéastes qu’on a découverts un peu en même temps, qui héritaient des rebellions et qui transformaient ça d’une manière un peu différente : l’héritage punk pour Jarmusch, l’héritage politique pour Moretti et un héritage esthétique, dont je ne sais d’où ça vient de Finlande, de Kaurismäki. Trois figures un peu rebelles que j’aime beaucoup.
Votre dernier film « Roubaix, une lumière » – que vous êtes venu ici nous présenter avant sa sortie en France le 21 août – était en compétition officielle au Festival de Cannes. Sur la douzaine de longs métrages présentés au fil des ans à Cannes, six se sont retrouvés en compétition. Vous vous retrouvez à faire ainsi concurrence à Almodóvar – autre habitué de Cannes –, lui-même pour la 6e fois en compétition à Cannes. Six fois nommé et pas primé, mais pas pour autant déprimé !? C’est marrant, j’y ai justement pensé cette année. Je me suis dit, vu que ce film-là est très différent de mes films précédents dans le sens où il est basé sur des faits réels alors que d’habitude je me base sur des fictions invraisemblables, je me demandais, donc, comment il allait être reçu. Et à la projection du film, cela a été un moment extrêmement émouvant ; la réception était assez bouleversante, avec une standing ovation très puissante. Et alors que j’en parlais avec Roschdy Zem – après avoir vu le film de Almodóvar que j’aime beaucoup –, je lui disais que c’était Banderas qui allait avoir le prix d’interprétation masculine et pas lui. Il y a une scène dans le film quand Banderas retrouve son ancien amant – ils se sont aimés il y a 20 ans et, là, ils en ont 60 – qui est tout simplement magnifique. Et alors que je disais ça à Roschdy, je pensais à mes films. Je me disais qu’en fait les choses étaient bien parce qu’il y avait des gens qui faisaient des films qui étaient plus universels – je prendrais, par exemple, des réalisateurs que j’admire beaucoup comme les frères Dardenne – et il y a des gens qui font des films singuliers, comme moi. Alors, donc, dans les festivals, c’est normal que les prix aillent aux films universels plutôt qu’aux films singuliers. Et est-ce que je voudrais faire des films universels ? Pas du tout. Je préfère faire des films singuliers.
Vos films ont souvent pour cadre Roubaix, votre ville natale mais, cette fois-ci, pour la première fois, vous vous inspirez d’un fait divers. Aucun de vos acteurs fétiches ne fait partie de la distribution, vous engagez même en grande partie des non-professionnels, vous vous détournez du milieu de la bourgeoisie pour vous attacher aux classes les plus défavorisées de la ville. Qu’est-ce qui a déterminé ce choix ? La maturité, je crois… En fait, il y a deux choses qui ont joué. L’une, c’est que je sortais d’un film « Les fantômes d’Ismaël » qui reprenait tous les thèmes de mes films précédents, qui était comme un feu d’artifice de fiction et, juste après le film, je me suis mis à penser faire un film où il n’y ait plus aucune fiction, faire le contraire. On fait toujours, comme disait Truffaut, un film contre le précédent. Alors, le tout était de faire le saut, le grand saut. Et il y a un film qui m’a aidé à faire ce saut, c’est le Hitchcock qu’aujourd’hui je préfère et qui est « The Wrong Man »/« Le faux coupable ». Le seul film de Hitchcock, alors que Hitchcock était le roi de la fantaisie, où, tout d’un coup, tout était vrai. C’est-à-dire qu’il a été jusqu’à prendre des gens qui rejouent leur propre rôle, à tourner sur les lieux mêmes du drame. Tout était authentique – il était obsédé par ça –, et je trouve le film infiniment personnel. Et je me suis dit que si Hitchcock, mon maître, l’avait fait, je pouvais m’y essayer un peu à ma façon. Et, quand je parlais de maturité, je pense qu’il y avait cette envie d’aller explorer ailleurs. Souvent, dans mes films, il y a eu des personnages africains ou nord-africains qui étaient médecins, psychanalystes ou professeurs mais qui étaient dans les marges des films. Or Roubaix est une ville qui n’est pas nord-africaine ; Roubaix est une ville algérienne. C’est vraiment une ville profondément algérienne et c’est une communauté que, moi qui suis né blanc et catholique, je n’ai jamais osé filmer, que je ne savais pas filmer. Par ailleurs, il y avait mon amitié de longue date avec Roschdy Zem à qui je ne savais pas offrir de rôle, je ne savais pas les écrire, et là j’ai pensé, en tombant sur ce fait divers, sur l’histoire de ce commissaire un peu mythique, faire le portrait de cet homme. Je crois que j’avais enfin la maturité pour arriver à m’identifier et à représenter sans clichés un personnage algérien comme ma ville a pu en connaître et comme j’ai pu en croiser. Il m’a fallu tout ce temps-là pour être capable de montrer, pas une famille bourgeoise, mais effectivement des gens qui sont des victimes sociales et avec ce but peut-être – et là, j’ai l’impression de reconnaître mes autres films –, de ne pas enfermer qui que ce soit dans sa condition sociale. C’est-à-dire que même si vous êtes une victime sociale, vous êtes d’abord un être humain. Il y a un mystère en plus. Et donc de rendre hommage à cette communauté – je pense à la scène avec l’oncle quand il parle des bars ou des boîtes de nuit qui étaient interdites aux Arabes – et de parler des couches défavorisées mais sans les enfermer dans leur détermination psychologique, je crois que c’était ça qui me faisait très envie.
Avec l’adaptation de ce fait divers, vous collez au réel et on ne retrouve pas la bande d’acteurs qui peuplent habituellement votre imaginaire et votre cinéma romanesque jusqu’aux prénoms des acteurs Marie, Claude, Daoud plus en rapport avec la réalité. Vous avez, pour ce film, choisi des acteurs plus en prise avec le réel comme Roschdy Zem, Sara Forestier, Léa Seydoux. Comment avez-vous eu l’idée de réunir ces deux actrices aux performances, au demeurant, époustouflantes ? Les deux chemins étaient presque opposés. C’est-à-dire que Sara a fait beaucoup de films très réalistes et a réalisé un film également très réaliste « M » sur une jeune femme bègue qui tombe amoureuse d’un garçon illettré. Et quand j’ai vu la performance de Sara dans le film, je me suis dit que des performances d’actrice de ce niveau on en voit tous les dix ans. Donc, je lui ai envoyé une lettre avec, en cadeau, le DVD de « Un été avec Monika » de Bergman, en lui écrivant que, comme Harriet Andersson à l’époque, quand elle apparaît dans son film, il y a quelque chose de nouveau qui apparaît au cinéma. Elle m’a juste répondu un mot écrit à la main : « Où vous voulez, quand vous voulez ». Alors je lui ai tout de suite envoyé le scénario et en réponse j’ai reçu une photo photocopiée de Falconetti dans le « Jeanne d’Arc » de Dreyer disant : « C’est oui ». Elle avait lu le personnage de Marie, et de ce personnage je connaissais tout. En l’écrivant, je le connaissais. Par contre, le personnage de Claude est beaucoup plus mystérieux et il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre qui était Claude, et ce grâce à Léa Seydoux. C’est Léa qui m’a fait appeler par son agent qui m’a dit qu’elle aimerait bien me rencontrer parce qu’elle avait lu le scénario. Et je lui ai dit que je cherchais un couple un peu sexy entre Marie, l’amante, et Claude, l’aimée, mais que les tâches de l’amour étaient totalement réparties. L’aimée n’aime pas l’amante, mais l’amante est amoureuse de l’aimée. Et c’est en travaillant, en lisant avec Léa qu’elle m’a peu à peu guidé à comprendre comment je pouvais représenter le personnage. C’est qu’elle aussi a fait beaucoup de films réalistes. Je pense à « L’enfant d’en haut » ou au film qu’elle a fait avec Rebecca Zlotowski « Belle épine ». Elle a cette passion d’actrice de jouer des rôles populaires, de représenter des gens qui sont des victimes sociales alors qu’elle ne vient pas du tout de là. C’est en parlant avec Léa et en voyant son maintien, en écoutant sa voix pendant qu’on lisait le texte, que je me disais : Claude, elle résiste, elle a une noblesse en elle, elle résiste à tout ; elle résiste et elle s’effondre, et puis elle se relève, elle résiste et elle s’effondre. Et ce mouvement de résister et de s’effondrer, c’était Léa Seydoux. Donc, je dois énormément autant à Sara qu’à Léa, mais sur des modes très différents.
Pour un film policier, il y a beaucoup de retenue dans « Roubaix, une lumière ». Peu de violence dans l’action, pas de violence verbale. Les acteurs sont tous dans la retenue. Ils sont, en fait, tous là où on ne les attendait pas, surtout Roschdy Zem qui sort pour une fois de ses rôles, disons, plus emportés, plus passionnés, ce qui donne plus de force et d’intensité aux personnages. Pourquoi ce choix de tant de retenue ? Je vais parler de Roschdy que j’aime beaucoup. Je me souviens du premier film de lui où il a explosé en France, c’est « N’oublie pas que tu vas mourir » de Xavier Beauvois où il était éblouissant. On s’est dit qu’on allait avoir à faire avec cet acteur-là, qu’il allait rester pendant longtemps. Et il s’est imposé. Et donc, je le connais depuis cette époque. Or, dans les derniers films qu’il faisait, souvent les réalisateurs lui demandaient un peu de faire la gueule ou de bouder ou d’être renfermé. Alors, quand on s’est rencontrés, je lui ai fait lire le scénario et puis je lui ai dit que si ce n’était pas lui je serai vraiment dans l’embarras parce que, sans doute, il faudrait que je fasse un autre film. Il m’a demandé ce qu’il devait penser du personnage et comment il fallait le jouer. Je lui ai simplement dit qu’il y avait un truc, c’est que Daoud il sourit. Et pourquoi il sourit, alors qu’il a une vie extrêmement austère ? A vrai dire, on voit très peu de sa vie privée mais quand on en voit un peu elle n’est pas rigolote et pourtant, quand il est avec les gens, il leur sourit. Et il n’est jamais familier, mais il a ce sourire. Et le sourire de Daoud, moi je ne sais pas pourquoi il sourit mais lui, il est acteur et donc, c’est à lui à trouver ce sourire. Et le jour où Roschdy sourit, ce jour-là le film est gagné parce qu’il a une lumière en lui, comme « Roubaix, une lumière ». Le film pourrait, du reste, s’appeler « Daoud, une lumière ». Il accepte de donner enfin ce sourire qu’il a retenu pendant des décennies au cinéma. On lui donnait des rôles virils, des rôles de gueulards et, tout d’un coup, il y avait une douceur et une attention aux gens qui était miraculeuse.
Pouvez-vous nous éclairer sur le choix du titre « Roubaix, une lumière » voire même le titre en anglais « Oh Mercy » ? Le titre français, je l’ai cherché pendant longtemps. On l’a travaillé, on l’a remis en question mille fois. Il y a ce dialogue dans le film qu’il ne faut pas enfermer les gens dans leur misère en leur disant qu’ils sont victimes. Avant d’être une victime, on est un être humain. Et il y a cette réplique qui me frappe fortement à la fin du film – mais ce n’est pas un spoiler –, quand le commissaire Daoud est avec le jeune lieutenant, ce dernier lui demande : « Vous faites comment avec la misère ? », et il lui répond : « Vous savez, parfois tout s’illumine ». Voilà, c’est ça. C’est Roubaix. On traite les situations les pires qui soient, et pourtant il y a ce sourire de Daoud qui dit que ce n’est pas grave parce que ça s’illumine. Et donc de voir la lumière, même quand vous êtes dans des conditions défavorisées et même quand vous êtes en plein hiver, de voir qu’il y a quelque chose qui scintille, évidemment que c’est passionnant. Et puis il m’a fallu trouver le titre en anglais. Bien sûr qu’à l’international, pour vendre un film qui s’appelle « Roubaix, une lumière », en n’ayant aucune idée où se trouve Roubaix, ça ne marche pas du tout. Donc, je cherchais le titre et mes amis se moquaient de moi. Surtout Kent [Jones] qui passe régulièrement à la maison et qui me disait : « Roubaix, a light », ridicule ! Et j’ai finalement trouvé le titre en passant d’abord par le poète irlandais Yeats, parce qu’à un moment le jeune lieutenant dit un vers de Yeats que j’aime beaucoup « Pitié plus qu’on ne peut dire se cache au coeur de l’amour » [A pity beyond all telling is hid in the heart of love – NDLR]. Mais Pitié/A Pity dans un film, ça ne marchait pas. Et un matin, je me suis réveillé, pendant le tournage, et j’avais le titre : c’était l’album de Bob Dylan « Oh Mercy ». Et quand je parlais précédemment du sourire de Daoud ou de l’humanité de Roschdy, le fait de montrer un Arabe miséricordieux, du coup, je trouvais ça parfait à une époque où les Arabes pouvaient être montrés comme les assassins ou le danger, etc. Maintenant, la miséricorde, elle ne vient pas de celui qui a la foi, du jeune lieutenant, la miséricorde elle vient de celui qui est athée, qui est arabe, qui est là et regarde les gens. Il se sent à égalité avec tout le monde et, tout d’un coup, il y a une compassion qui passe ou une miséricorde ou même le pardon, avec un titre un peu gospel, puisque c’est un album de Bob Dylan qui s’appelle « Oh Mercy » et qui m’avait frappé quand j’avais 25 ans. Et donc, voilà, j’avais le titre.
Avec cette réflexion sur le mal, la culpabilité et la miséricorde dans « Roubaix, une lumière », doit-on y voir un message ? Il y a des grands films à message, bien sûr, et je pense à Ken Loach. C’est un cinéaste qui fait des films à message mais moi, je ne sais pas faire ça. Par contre, ce que je sais, c’est avoir une position morale comme je l’ai déjà mentionné. C’est vrai qu’il faut prendre en compte, écouter la misère des gens mais il ne faut pas écouter que ça. Il faut écouter la grandeur qu’ils ont en eux, sinon je trouverais que ce serait affreux car ils seraient deux fois victimes : victimes socialement et victimes dans l’affliction parce qu’on les enferme toujours dans leur statut. Alors, tous ces personnages que l’on voit au début du film, c’est un portrait de toute la ville et puis après, dans la deuxième partie, le film se concentre sur les deux femmes. Donc, tous ces portraits de gens qu’on croise, on les accepte tels qu’ils sont avec la vie et la grandeur ou le côté ridicule qu’ils peuvent avoir.
Mais que ce soit dans le monde imaginaire ou réel, dans un milieu bourgeois ou défavorisé, on retrouve à travers vos films la même inquiétude de la jeunesse, des hommes en perte de repères, des femmes en prise avec leur destin. Même si le burlesque est souvent mêlé au drame – et, précisément, parce que le burlesque s’invite dans la tragédie – cela ne cache-t-il pas une profonde désespérance existentielle ? J’aime bien les mélodrames. Je préfère pleurer au cinéma que rigoler. Plus c’est pleurant (comme disent mes nièces), plus je suis client. Mais je pense quand même que le désespoir peut être aussi une illusion. C’est trop facile de penser que le monde est désespérant. Et quand vous allez au cinéma, vous y allez pour que ça scintille sur l’écran et que l’écran vous montre qu’il y a une sortie, qu’il y a une lumière qui brille ailleurs, et il y a une promesse dans un film. Je pense que dans la vie de tous les jours, si on regarde la politique, le monde tel qu’il va, on peut être désespéré et j’ai l’impression qu’on va au cinéma pour se souvenir que ce n’est pas vrai, que c’est une illusion du quotidien et qu’en fait il y a une promesse dans le monde, aussi brutal et aussi sombre qu’il puisse être. Dans « Un conte de Noël », le fils ne s’entend pas du tout avec sa mère, ils se disputent tout le temps. Ils font quand même la greffe, et Catherine Deneuve est alors d’un côté d’un rideau, en chambre stérile, le fils Mathieu Amalric de l‘autre côté, et elle dit : « Mais je vais m’en sortir ; je vais vivre ou je vais mourir. Et le fils, avec un geste de grande cruauté, prend une pièce, jette la pièce et fait pile ou face. « Montre-moi », lui dit-elle. Et il répond : « Non, je ne te montrerai pas. » C’est cruel et, en même temps, c’est la chance, le hasard. Il y a une promesse, la promesse que peut-être elle va guérir, que peut-être ça va bien se passer, et il y a aussi une moquerie, une ironie. Et, tout d’un coup, ça permet de montrer que les choses sont un peu plus compliquées que juste le désespoir ou d’être béat de joie – il y a une promesse.
Vous opérez souvent des plongées dans le moi profond (« Trois souvenirs de ma jeunesse ») jusqu’à démêler les troubles psycho-traumatiques de « Jimmy P. – Psychothérapie d’un Indien des plaines » (adapté du livre éponyme du psychanalyste Georges Devereux) ou jusqu’à même, avec le commissaire Daoud dans « Roubaix, une lumière », amener avec une surprenante douceur et habileté les coupables à avouer. De quel côté du miroir vous sentez-vous le plus à l’aise ? Etes-vous un Jimmy P. ou un Devereux ? Je crois que je suis un Jimmy P. et le cinéma est mon Devereux. Peut-être que dans « Roubaix, une lumière », je suis peut-être un peu plus Daoud que les filles, peut-être je bascule de l’autre côté. Mais c’est vrai que j’ai tendance à m’identifier au sauvage et pas au savant. J’ai une amitié immédiate pour le patient. Je peux penser à un autre patient, à Mathieu Amalric dans « Rois et reine » quand il est chez sa psychanalyste. Il la regarde et puis il dit : « Je fais des rêves, je ne sais pas de quoi je rêve. J’ai rêvé que vous montiez sur une échelle et je regardais sous votre jupe. » Voilà. Je m’identifie à ça. Et il y a des gens qui aiment savoir. Je pense aussi à « Trois souvenirs de ma jeunesse », dans lequel il y a l’élève qui va voir sa professeur et qui lui dit : « Vous avez plein de bons élèves, alors moi je pourrais être le plus mauvais. » Pour ma part, je me place du côté des mauvais élèves, et c’est peut-être mon complexe de l’autodidacte parce que je n’ai pas fait d’études. Et donc, du coup, je me place du côté de ceux qui n’ont pas fait d’études au début du récit.
Quels sont les cinéastes qui vous ont nourri, le plus marqué voire influencé ? Il y en a deux qui me semblent évidents – et il y en a sûrement plus que deux –, c’est Truffaut et Bergman. En tout cas, je ne peux même pas dire… ma dette, elle est plus grande encore que ça. Si je n’avais pas eu la révélation de Truffaut que j’ai eu très tard dans ma vie, je n’aurais sans doute pas réalisé mon premier film. Je suis français, né en 1960, ça veut dire évidemment que j’adorais Godard et détestais Truffaut, et puis j’ai revu ses films. Bien sûr, je les connaissais – je les avais vus à l’école, avec les parents, à la télé, ça me saoulait –, et, un jour, je suis retourné, tard dans ma vie, à 25/26 ans, voir un film que je croyais connaître par coeur. J’ai revu « Les quatre cents coups » au cinéma 3 Luxembourg. Et c’est comme Claudel qui découvre la Sainte Vierge à Notre-Dame de Paris ; j’ai, tout d’un coup, vu la mise en scène que je cherchais depuis mon école de cinéma. Chaque plan est voulu, totalement voulu, il n’y a pas de marge d’erreur possible, et il y a une volonté qui préside à la fabrication de chaque plan ; chaque plan est utile, nourrit le récit, se construit, est fait avec art. En même temps, ça ne se voit pas du tout, ça ne s’affiche pas, c’est très discret. Tous ses films sont des films brûlants et, pourtant, c’est raconté avec une extrême douceur et simplicité. Je suis tombé amoureux fou de l’oeuvre de Truffaut que j’ai commencé à explorer, à revisiter, et je crois que je n’aurais jamais réalisé mon premier film si je n’avais pas eu cette révélation en revoyant « Les quatre cents coups ». Quant à Bergman, ça a été la grande rétrospective à Paris. J’avais vu beaucoup de films de lui, jeune. Je me souviens avoir triché pour voir « Cris et chuchotements » alors que le film était interdit à mon âge et que j’étais rentré dans un cinéma pour le voir. Les films de Bergman, évidemment, ca me passionnait. Et, après, il y a eu la rétrospective à Paris et ils ont sorti l’intégrale, dans l’ordre, au cinéma Saint-André-des-Arts. Et là, j’ai découvert tous les films de Bergman. C’était le choc absolu. Ces deux metteurs en scène-là, j’y pense tout le temps ; ils m’accompagnent.
L’importance du langage dans votre cinéma est primordiale – les références culturelles (littéraires, cinématographiques, psychanalytiques, mythologiques) comme les citations abondent et les clés de lecture ne sont pas forcément à la portée du plus grand nombre. Même dans « Roubaix, une lumière », un film collé au réel, il y a une richesse de dialogues inattendue. Quelle est la finalité de cet exercice de style qui atteint parfois, dans certains de vos films, à la démesure ? Il y a un art du collage qui me plaît. J’aime bien penser au cinéma – et ça peut sembler paradoxal… ou pas – comme un art populaire. Et donc, pour moi un art populaire, un des arts les plus proches du cinéma, plus que le théâtre, ce serait le music-hall. Si je devais faire un numéro de music-hall dans les années 70, par exemple, vous auriez des numéros dansés, des ballets et, tout d’un coup, vous faites le silence, vous avez un grand escalier et vous voyez Marguerite Duras qui descend en récitant les premières lignes de « L’amant », qui s’assied et qui termine sur sa récitation de « L’amant ». A ce moment-là, noir… et, soudain, il y a douze filles qui dansent en chorus girls. Pour moi, c’est ça le cinéma. C’est de mélanger des genres différents. C’est d’aller voler des éléments dans les arts savants et de les ramener dans la rue. Il y a une scène comme ça que j’aime bien dans « Trois souvenirs de ma jeunesse » : le jeune homme, qui est un peu trop sage, va au musée, avec une fille qui s’ennuie. Il regarde un paysage de Hubert Robert et elle lui demande pourquoi il aime ce tableau et il lui dit que c’est parce qu’il est beau comme elle. Et elle le met au défi de le lui prouver. Il compare alors un tableau classique, stendhalien à une fille de la rue. Et ce que j’aime bien c’est, plutôt que de laisser au savant la poésie, la philosophie, les textes littéraires, de les prendre et de les ramener et de dire qu’on peut s’en servir, qu’on peut bricoler des trucs avec, essayer de prendre le matériel noble et de fabriquer du music-hall avec ça. Pour moi, ce serait une des définitions du cinéma.
Pour ce qui est de l’écriture, vous écrivez tous vos scénarios. Les répliques sont très travaillées, percutantes, voire parfois choquantes. Vous semblez prendre plaisir à cette écriture, mais ne disiez-vous pas qu’au début de vos divers apprentissages dans le métier, l’écrit n’était pas votre fort. Comment s’est opérée cette évolution ? C’était que je n’arrivais pas à trouver une voi(e)x. C’était plutôt ça le problème que j’avais au sortir de l’école du cinéma. Je parlais, mais quand je parlais je n’étais pas singulier. Et j’avais l’impression que je trouverais ma voi(e)x à travers Bergman et Truffaut. Je me suis alors dit que si j’arrivais à dire dans mes films que je les admirais, déjà ce ne serait pas mal. J’ai commencé à trouver ma voi(e)x comme ça. Et au moment où j’ai réussi à trouver ça… Disons que je suis un cinéaste cinéphile et qu’il y a donc des films réalistes que j’admire beaucoup – et j’admire tout le cinéma, pas un bout du cinéma, le cinéma en entier –, mais quand je fabrique des films, j’ai un peu un ennemi, c’est le réalisme. C’est-à-dire que l’idée que des gens doivent se dire des choses sans aucun intérêt en marmonnant et que, du coup, la scène en sera plus réelle et donc meilleure, ça je n’y crois pas du tout. Dans mes films, j’essaie de filmer des moments exceptionnels, donc de filmer des moments où les gens disent des phrases où ils se surprennent à dire une phrase bizarre. Je vais donner juste un exemple que j’adore et qui m’a rendu fou quand je l’ai vu. Dans « Les deux Anglaises et le continent », Jean-Pierre Léaud voit cette actrice anglaise qui descend l’escalier ; ils se croisent et il pose la main sur son épaule. Elle dit : « Pourquoi vous me touchez ? » Et lui de répondre : « Parce que vous venez de la Terre, et je crois que j’aime ça. » Je me suis dit que c’était génial parce que l’invention littéraire est tellement forte que vous vous souvenez de ce moment toute votre vie. Alors que s’il avait dit qu’il la trouvait mignonne, la scène aurait été un cliché. Et là, tout d’un coup, le mec se demande ce qu’il vient de dire ; il a dit une grande phrase et il est tout surpris de sa performance. Et c’est vrai que j’aime bien filmer des moments un peu exceptionnels. Donc, je cherche dans la vie de mes héros les moments où ils se surprennent à dire des trucs qui sont plus grands qu’eux. Et c’est ça que j’aime bien au cinéma.
Vous dites que vos films sont comme un labyrinthe. Vous lancez des pistes, les noms des personnages semblent sortis de nulle part avec des prénoms récurrents sur des visages différents mais appartenant aux mêmes acteurs. Les Sylvia, les Esther, les Ismaël se succèdent, les visages différents se superposent tout comme vos films jusqu’à ne former plus qu’un. Un jeu de pistes dans lequel le spectateur se plaît, toutefois, à se perdre. C’est un truc que j’ai piqué à Bergman justement. Je regardais donc cette rétrospective quand j’étais dans ma vingtaine d’années et je suivais tous les films, et puis on voyait Elisabet Vogler [Liv Ullman dans « Persona » – NDLR]. Ensuite, on revoyait un autre film, et il y avait Veronica Vogler mais ce n’était pas la même actrice qui jouait [Ingrid Thulin dans « L’heure du loup » – NDLR). Et puis on voyait le couple qui se détestait – il y a toujours un couple qui se déteste dans les films de Bergman –, les Vergerus, et après ça quand vous voyiez le pasteur dans « Fanny et Alexandre », il s’appelait aussi Vergerus. Et vous vous dites pourquoi ce sont les mêmes noms ? Et donc, il y a des trucs comme ça que j’ai l’impression de reproduire à chaque fois que je fais un film. Même là, dans mon dernier film, les prénoms ont l’air d’être naturels : le commissaire s’appelle Yakoub Daoub, Jacob David. C’est un drôle de nom mais, du coup, c’est un nom dont vous vous souvenez. Mais j’ai l’impression que refaire un film pour moi, un nouveau film, c’est de monter au grenier : j’ouvre une vieille malle et dans la malle, j’ai quatre masques, cinq accessoires, trois vieux manteaux, quelques noms et avec ça on essaie de fabriquer du nouveau. On les mélange et puis on se dit que ce sera une autre histoire. Mais ce n’est pas vrai. On reprend toujours, comme on dit en anglais, « rags and bones » [les vieilles fripes – NDLR] et on les transforme et on essaie de refabriquer du nouveau avec des vieilles hardes et des vieux déguisements. Est-ce à dire que vous allez prochainement rouvrir la malle, mais vers quelle continuité ? C’est curieux parce que c’est vrai qu’on fait un film contre le précédent, et souvent en réaction. Je pense, par exemple, à une réaction très forte que j’avais eue quand j’avais fait un film qui n’était montré qu’à la télévision et qui s’appelait « La forêt », une adaptation qui n’est passée qu’une seule fois sur Arte. C’était avec les comédiens de la Comédie-Française et c’était un texte très noble d’Alexandre Ostrovski, que je connaissais bien et dont j’avais vu la mise en scène de Fomenko. Je tournais avec Denis Podalydès, Michel Vuillermoz, Martine Chevallier, que des acteurs qui savent tout faire. Et je me suis alors dit que je commençais à être vieux et que je n’avais jamais fait de films avec des jeunes gens. Je ne travaillais qu’avec des acteurs qui étaient des virtuoses, mais saurais-je jouer avec des gens qui n’avaient jamais fait de film (?) J’ai donc rencontré cette jeune fille qui avait 17 ans, Lou Roy-Lecollinet, ce jeune homme qui en avait 18, Quentin Dolmaire, et toute la bande autour, et suis enfin arrivé à écrire pour des jeunes. Ainsi « Trois souvenirs de ma jeunesse », mon film suivant, était fait contre le précédent. Donc, j’essaie de me surprendre moi-même à chaque nouveau film et, pourtant, de rester fidèle à une certaine conception du cinéma. Sûrement, c’est la tension dans laquelle je me tiens.
Figure de proue du cinéma d’auteur français, vous faites aussi un peu figure de « dernier des Mohicans ». On entend ici et là que les pouvoirs publics se désintéresseraient du cinéma d’auteur, que le système français ne serait pas propice à l’émergence d’auteurs. Récemment, une vingtaine de cinéastes ont signé une tribune contre une loi audiovisuelle à venir qui pourrait mettre à mal l’exception culturelle française. Etes-vous inquiet pour le cinéma d’auteur ou le cinéma en général ? Surtout le cinéma d’auteur, bien sûr, mais aussi ce qu’appelait Pascale Ferran un temps, même si je n’étais pas tout à fait d’accord avec elle, les films « du milieu ». Je trouvais l’expression un peu malheureuse. On dit cinéma d’auteur, mais vous prenez Alain Resnais, pour lequel j’avais la plus grande admiration et la plus grande amitié, son film « On connaît la chanson » a fait plus de 2 millions d’entrées. C’est un film populaire ; et donc, ça dépend des fois. Je suis extrêmement soucieux parce que, comme je l’expliquais à des Finlandais, en France, pour quelqu’un comme moi qui suis provincial et qui ne viens pas d’une grande ville – je n’étais pas à Lille, mais à Roubaix –, il n’y avait pas beaucoup de cinémas mais il y avait une chance, que je croyais être une chance mais qui était, en fait, une volonté politique : c’était qu’on avait la télévision publique, un service public qui savait montrer les films. Et, donc, que vous soyez bourgeois ou de famille populaire, vous aviez un bagage cinématographique parce que vous aviez traîné devant la télé chez vos grands-parents et parce que la télévision savait montrer un John Ford, un Hitchcock, un film de Truffaut ou de Eustache. Il y avait les ciné-clubs, les films de divertissement, les films politiques, les films sociétaux ; vous aviez les films pour enfants, les films d’art et d’essai, les films d’aventures, il y avait des tas de choses qui se passaient. Et cet art très français que, par exemple, les Italiens n’ont jamais eu, pas plus que les Américains ou même les Anglais – ils ne savaient pas montrer les films à la télévision – nous, on savait. Et j’ai appris pourquoi : c’est parce qu’il y avait des accords entre le CNC [Centre national du cinéma – NDLR] et l’ORTF [Office de radio-télévision française – NDLR]. C’étaient tous des compagnons de la libération, qui mangeaient au même restaurant parce que l’ORTF était juste à côté du CNC. Et les uns demandaient aux autres ce qu’ils pouvaient faire pour les aider à avoir plus d’audience, et ils l’ont fait. Et cet art français a disparu en six ans, dix ans. Maintenant, ils ne savent plus montrer des films, à part peut-être ARTE. Et donc, ce qui est terrible, c’est que ça crée une injustice entre Paris et la province, une injustice entre les bourgeois et les gens issus des classes populaires parce que vous n’avez pas le même savoir, pas la même connaissance, parce que le sens du service public s’est perdu à la télévision avec l’arrivée des chaînes privées. Et alors, maintenant qu’on a un gouvernement libéral, on entend qu’il faut supprimer la redevance, qu’il faut réduire France Télévisions, etc. Mais enfin, il y a un service public qui marche, pourquoi le casser ? C’est totalement aberrant. Je suis extrêmement préoccupé et en complète sympathie avec mes camarades réalisateurs. Ce qui est très inquiétant depuis non seulement un quinquennat mais deux quinquennats, c’est l’absence de politique culturelle en France qui est tout à fait alarmante. Trois quinquennats, même ! 15 ans… ça commence à faire longtemps.
Quels sont vos projets cinématographiques ou autres ? Je ne sais pas ce que je vais écrire parce que, à chaque fois, pour savoir ce que je vais écrire – comme je le disais, je fabrique toujours un film un peu contre le précédent – j’ai besoin du public, j’ai besoin de savoir comment le public reçoit mon dernier film pour rebondir sur autre chose. Alors, bien sûr, j’ai de vagues projets de cinéma mais je ne saurais pas le raconter, non pas par esprit de mystère mais c’est tellement flou dans ma tête que je ne sais pas. Par contre, je sais que c’est quelque chose qui se règle dix jours après la sortie du film en France. Dix jours après, je sais ce que je fais, et je m’y mets. Mais il faut que le film soit sorti en France. Or, comme mon film sort fin août, je suis jusque-là dans une situation d’extrême luxe. Par ailleurs, j’ai un autre projet de longue date qui commence en octobre, au Français, et qui sera ma deuxième mise en scène à la Comédie-Française. Je mets donc en scène « Angels in America » en création à la Comédie-Française. Les répétitions débuteront à partir du mois d’octobre et on commencera à jouer à partir de janvier. Je suis terrifié dans la mesure où je ne viens pas du tout du théâtre. Je n’ai aucun savoir, même si j’ai déjà adapté une pièce à la Comédie-Française. Mais c’était un Strindberg. C’était facile parce que je connaissais tout par coeur à cause de Bergman. Par ailleurs, c’était un Kammerspiel et, donc, il n’y avait pas beaucoup de personnages, tandis que là c’est Tony Kushner, et la version originale que j’ai adaptée de « Angels in America » dure sept heures. C’est monstrueux comme spectacle à fabriquer. Et j’ai un trac terrible parce que je n’ai pas la connaissance. Ça me met en danger et, de ce fait, ça me met en vie. C’est extrêmement agréable. Donc, c’est mon prochain rendez-vous. J’ai tout l’été, et maintenant j’attends le mois d’août pour voir comment les spectateurs réagissent à la sortie de « Roubaix, une lumière ». Puis, il faut que je me mette vite à écrire en septembre, et, en octobre, je disparais du monde. Je disparais dans les caves de la Comédie-Française, parce que les salles de répétition sont dans les caves, et je sais déjà que j’aurai un plaisir fou parce que je vais travailler avec des acteurs merveilleux et que je suis fou du texte de Kushner. Je vais donc adorer ça. C’est une pièce, en fait, très politique sur les années sida et dont le héros très sombre, maléfique – il y a des héros positifs mais il y a aussi un méchant de théâtre comme Richard III – est le personnage de Roy Cohn : juif et antisémite, homosexuel et homophobe, à moitié fasciste, d’un racisme invraisemblable contre les Afro-Américains et qui est à la fois drôle et terrifiant. Et ce Roy Cohn a existé. Il était l’avocat de McCarthy, pendant le maccarthysme. Son anti-communisme virulent a du reste valu à Ethel Rosenberg d’être condamnée à la chaise électrique. Par ailleurs, ce Roy Cohn a été le premier avocat de Trump et même son mentor. Et donc, après l’élection de Trump qui m’avait marqué – alors que la pièce a vingt ans –, je trouvais que ça lui donnait une nouvelle actualité puisque Roy Cohn, celui-là même qui avait introduit Trump à la chose politique, revenait de ce fait au devant de la scène. Et, donc, je suis tout dévoué à cette pièce ; ça fait deux ans que je travaille dessus et maintenant je suis prêt. Elle arrive enfin et c’est un moment très heureux pour moi.
Propos recueillis par Aline Vannier-Sihvola Sodankylä, le 15 juin 2019
« Roubaix, une lumière » (2019), de Arnaud Desplechin. Un polar sur fond de drame social (survenu en 2002), inspiré d’un documentaire qui fit sensation à l’époque pour avoir recueilli en direct l’aveu d’un assassinat – avec Roschdy Zem, Léa Seydoux et Sara Forestier.
CE MERCREDI 15 DÉCEMBRE, SORTIE DANS LES LES SALLES FRANÇAISES DE : LA PANTHÈRE DES NEIGES (2021) Film documentaire de Marie Amiguet Musique originale composée par Warren Ellis, Nick Cave
TRACKLIST (DE LA BO EN CD OU DIGITAL)
1. L’attaque de Loups 2. Les Cerfs 3. Antilope 4. La Bête 5. Les Yaks 6. Des Affûts Elliptiques 7. Les Nomades 8. La Grotte 9. Les Princes 10. La Neige Tombe 11. Les Ours 12. Un Être Vous Obsède 13. L’apparition: We Are Not Alone
Warren Ellis et Nick Cave signent la musique du documentaire de Marie Amiguet sur le photographe Vincent Munier et l’écrivain Sylvain Tesson à la quête de la panthère des neiges.
De la même façon que précédemment, pour mieux connaître Warren Ellis, lire ou relire l’interview accordée en septembre 2019 dans le cadre du Festival international du film de Helsinki – Amour et Anarchie.
ENTRETIEN AVEC WARREN ELLIS
Warren Ellis, compositeur et musicien australien, était l’invité d’honneur du dernier Festival international du film de Helsinki – Amour et Anarchie (19-29.09.2019). Il accompagnait le documentariste français Arno Bitschy venu présenter son dernier film « This Train I Ride » (2019) pour lequel il a composé la bande originale (lire également l’interview deArno Bitschy). Warren Ellis, fidèle partenaire de son compatriote Nick Cave, a intégré depuis de nombreuses années déjà le groupe Nick Cave & The Bad Seeds. Il est également membre fondateur du groupe Dirty Three. Warren Ellis a, par ailleurs, composé de nombreuses bandes originales de films avec son complice Nick Cave et, en solo, les bandes originales des films, entre autres, « Mustang » (2015) – pour lequel il a reçu le César du Meilleur compositeur – et « Django » (2017).Warren Ellis vient d’achever une tournée mondiale avec Nick Cave & The Bad Seeds, vient de sortir « Ghosteen », nouvel album du groupe, et continue à travailler sur la bande originale de plusieurs longs métrages que ce soit en France, en Angleterre, en Australie ou aux Etats-Unis.
Peut-être pour la première fois en Finlande, vous venez présenter au Festival Amour & Anarchie, avec le réalisateur Arno Bitschy, le film documentaire « This Train I Ride » pour lequel vous avez réalisé la bande originale. Comment est née votre collaboration avec Arno Bitschy ? En fait, j’ai du mal à me souvenir mais Arno m’a contacté par e-mail et m’a envoyé le traitement de son documentaire. Le montage n’était pas fait mais le tournage était terminé. Et il m’a écrit qu’il aimerait bien travailler avec moi. J’ai lu le traitement et ça m’a parlé. Par ailleurs, je voulais savoir pourquoi il tenait à travailler avec moi. Il m’a répondu de manière très réfléchie et argumentée. Pour lui, il était évident que, vu ce que je faisais avec la musique, ça allait marcher. Il était très motivé, ciblé. Je lui ai dit que j’allais lui envoyer la musique, mais que je ne voulais pas voir d’images dans les premiers temps. Je lui ai demandé des mots qui, en gros, donnent l’esprit du documentaire. Il m’a envoyé cinq ou six mots, et je me suis lancé dedans.
Qu’est-ce qui vous a attiré au départ dans ce projet de film documentaire ? Quand Arno est venu à Paris, il m’a montré trois bouts de cinq minutes sur chacune des trois femmes protagonistes du documentaire. Il avait associé un morceau de musique que je lui avais envoyé à une femme sur un skate, et ça m’a bouleversé. L’image était belle, ce qu’elle racontait était fabuleux, très profond, et la musique fonctionnait. Et voilà. Ça m’a tout simplement bouleversé. Cela m’a fait, du reste, un peu le même effet lorsque j’ai vu les cinq premières minutes de « Mustang » : j’étais bouleversé. Et je me suis dit que même si le reste est à un niveau moitié moindre d’intensité, ça va être, de toute façon, quelque chose. En fait, je ne savais pas quoi attendre avec un documentaire, parce que ce n’est pas évident, même avec un traitement. De plus, « This Train I Ride » est particulier comme documentaire. Donc, une fois que j’ai eu vu les premières images du film, j’ai commencé la musique. Et j’ai décidé de créer la musique plutôt dans des trains. Ainsi, quand je prenais le métro ou l’Eurostar, j’avais mon ordinateur et je faisais la musique, manipulais des morceaux. Parce que ça bougeait, je me trouvais moi aussi embarqué. En fait, c’est une idée que j’ai eue alors que je travaillais en même temps sur un disque. Je devais aller à Berlin, à Londres, aux Etats-Unis et je travaillais dans l’avion. Quand je bougeais, j’étais en mouvement, je travaillais sur ce projet.
Les trains, et surtout les trains de marchandises, sont très bruyants. Cela a-t-il été un inconvénient pour composer la musique de ce film ? Quels instruments avez-vous privilégiés ? Et sur quels critères ? En fait, j’ai envoyé à Arno une vingtaine de morceaux. C’est son film et il savait ce qu’il voulait. Il a sélectionné ceux qui marchaient et puis on s’est retrouvés dans le studio pendant trois jours pour faire le montage ensemble, ajouter ou supprimer des choses. A la base, c’était plutôt lui qui devait décider ce qu’il voulait et, de ce fait, il a sélectionné les morceaux qu’il souhaitait intégrer. Je lui ai proposé une gamme de choix, mais il était aussi très clair qu’il ne voulait pas une musique qui aurait été émotionnelle, qui aurait changé l’image voire même le sentiment que c’étaient les femmes qui parlaient. Et c’était important que la musique soit assez neutre. Pour moi, c’était intéressant de faire la musique dans le mouvement, quelque chose qui ressemble un peu à un train. Parce que je dois dire que ce documentaire n’est pas évident. Il y a un côté mouvement, c’est méditatif et il y règne une ambiance assez particulière. Qui plus est, ça parle de beaucoup de choses. En fait, ça parle de maintenant, des femmes, du courage qu’il faut avoir et surtout de celui de ne pas vouloir être une victime. Je trouve que ce film est très actuel.
A quel moment composez-vous la musique d’un film – et de celui-ci en particulier ? Est-ce après avoir lu le scénario, ou vu le film, pendant, voire même avant et, dans ce cas-là, est-ce que ce sont les images du film qui s’adaptent à la musique ? Ça dépend. Chaque cas est différent. En général, je lis le scénario. Et puis, quand j’ai décidé de m’engager dans un projet, même s’il n’y a pas d’image, pas de scénario comme avec un documentaire, je me lance comme je commence avec n’importe quel projet, avec un disque, pour un groupe : je vais en studio avec un esprit ouvert. Je ne suis pas un compositeur classique qui arrive, regarde, joue avec ça et ça. Ce n’est pas comme ça que ça fonctionne avec moi. Je fais la musique et on voit alors si ça marche ou pas. J’attends les accidents et, pour moi, c’est important d’avoir un dialogue avec le reste du groupe. C’est leur avis qui est important.
Avec quel réalisateur ou univers de réalisateur aimeriez-vous travailler ? J’ai la chance de travailler avec des réalisateurs et des réalisatrices que j’aime beaucoup. Deniz Gamze Ergüven, par exemple, qui a fait « Mustang ». Travailler avec elle, c’était un rêve. Elle est fabuleuse. De même avec Andrew Dominik ou bien John Hillcoat, le réalisateur de « La route » entre autres, ou encore Amy Berg qui a réalisé le documentaire « West of Memphis », elle est extraordinaire. J’ai eu la chance, en fait, de travailler avec des gens que j’aimais beaucoup. Je pense que les réalisateurs qui ont envie de travailler avec moi, il faut, en fait, qu’ils pensent que je peux apporter quelque chose au film. Je ne fais pas de la musique standard – je n’ai pas une approche classique de la composition de bandes originales – et, par ailleurs, ce n’est pas mon métier. Mon boulot, c’est de jouer dans des groupes et de faire des concerts. Je suis un peu gâté car je peux faire parallèlement des musiques de films. Je pense aussi à David Michôd, avec qui ça a été aussi assez extraordinaire de travailler. J’aime beaucoup faire la musique pour les films documentaires. Ça me donne une grande liberté et me permet de m’exprimer d’une façon qui n’est pas possible dans les groupes.
Y a-t-il, du reste, une différence entre composer pour un documentaire ou une fiction ? Oui, il y a une différence. Pour le documentaire, il ne faut pas que la musique mange trop de place, parce que le dialogue est important, tout comme il est important de suivre les personnages, suivre leurs émotions. Le documentaire est tout autre chose si on le compare, sur ce plan, à la fiction.
J’ai lu que vous n’écriviez jamais rien lorsque vous composez. Alors, comment faites-vous pour mémoriser tous les morceaux ? Je ne mémorise pas. Tout est enregistré. Récemment, j’ai fait des concerts à Melbourne avec un orchestre symphonique et, avec Nick, on a joué nos musiques de films. Et je dois dire que c’était la première fois pour moi que je rejouais des morceaux. On avait six musiques de films et, pour cette occasion, j’ai été obligé d’apprendre à l’oreille les morceaux. Mais je n’écris jamais. J’ai même, parfois, enregistré avec mon IPhone. J’ai du mal à me souvenir. Cela fait trente que je fais de la musique et tout est plus ou moins enregistré. Quand je suis dans un studio, maintenant tout est enregistré.
Quel est, selon vous, le rôle de la musique dans un film ? Ça dépend des films ou si c’est un documentaire. On espère que ça apporte quelque chose globalement. Images, musique : c’est une collaboration. Et quand on trouve un film avec une image et la musique qui vous transportent, c’est génial. Je crois que le problème aujourd’hui c’est que la musique est, pourrait-on dire, comme de « la colle ». S’il y a un problème dans une scène du film, on va « coller » de la musique triste, histoire de mieux faire comprendre. C’est le système américain mais, avec ce procédé, on peut être sûr que la plupart des musiques sont oubliées tout de suite. Le rôle de la musique, ça dépend. Parfois, la musique peut vous transporter avec l’image ou bien il faut que ce soit quelque chose de discret qui change l’atmosphère. Mais la musique doit soutenir, doit jouer un rôle au même titre qu’une actrice ou un acteur. Il y a un rôle pour la musique aussi. Parfois, la musique peut avoir un rôle dominant, ça dépend, il n’y a pas de règles. Il faut que la musique mérite d’être là. Et, par ailleurs, il est essentiel qu’un réalisateur comprenne, sache ce qu’il veut avec la musique.
Multi-instrumentiste, y a-t-il un instrument que vous aimez plus particulièrement jouer ou que vous privilégiez dans les musiques de films ? Non. Je joue de n’importe quel instrument. Par contre, je n’aime pas les cuivres, mais j’ai pris du plaisir à travailler avec tout ce qui est électronique depuis dix ans. A la base, j’ai commencé avec l’accordéon, et puis le violon et la flûte. J’avais 11 ou 12 ans. Et maintenant je suis ravi de travailler avec n’importe quoi. Si ça me donne quelque chose, je suis ravi.
A quand remonte votre rencontre avec Nick Cave ? On s’est rencontrés dans les années 90. Nick m’a demandé de venir dans le studio où il était en train d’enregistrer un disque avec les Bad Seeds en 1993. Dans le même temps, il est allé voir jouer mon groupe et il m’a invité ensuite à partir en tournée en Grèce et en Israël en 1995. Et voilà. Ça a continué comme ça. Je me trouvais dans un groupe, on a commencé à beaucoup travailler ensemble et à faire des musiques de films et, pour le moment, on reste ensemble.
Vous vivez actuellement en France, ou du moins en partie, qu’est-ce qui vous a poussé à venir vous installer en France ? J’ai rencontré ma femme aux Etats-Unis en 1996/97. A l’époque, elle était aux Etats-Unis et je vivais en Angleterre. Et voilà, ça s’est fait comme ça. Maintenant, je vis à Paris parce que ma femme est française, parisienne. Et je me trouve bien en France. C’est assez loin et proche. Je peux être aux Etats-Unis assez vite ou n’importe où, à vrai dire, sauf en Australie qui se trouve à l’autre bout du monde. Par ailleurs, la France est un pays où il fait bon vieillir.
Vous avez réalisé beaucoup de musiques de films en collaboration avec Nick Cave et, ces dernières années, composé en solo la bande originale du film « Mustang » (2015) pour lequel vous avez obtenu le César du Meilleur compositeur en 2016, ainsi que celle du film « Django » dans lequel vous reprenez même un requiem inachevé de Django Reinhardt – une prouesse car vous venez de la sphère du rock et n’avez pas forcément une formation classique. Est-ce à dire que vous pouvez jouer, composer toutes sortes de musiques qu’elles soient sacrées, lyriques, etc. ? Pour ce qui est du Requiem, cela a, en fait, été possible parce que j’ai fait les thèmes, les mélodies et puis il me faut dire que j’ai travaillé avec un ange. Et c’était très intéressant pour moi, parce que c’était vraiment différent de ce que j’avais fait auparavant. Cela m’a permis de me mettre en confiance, en fait, et de me dire que c’est possible, qu’il n’y a rien d’insurmontable. Maintenant, tout est possible et on peut toujours trouver un moyen d’y arriver. Ce que j’aime bien avec les films, c’est que ça m’a donné une énorme liberté. Une musique comme ça, jamais je ne la ferai ou alors ce serait quelque chose d’approchant mais pas vraiment comme ça. Et j’aime bien avoir cette possibilité avec les films parce que c’est le film qui vous sollicite.
Comptez-vous continuer en solo à composer des musiques de films ? Déjà, cette année, j’ai fait un autre documentaire sur Michael Hutchence [« Mystify Michael Hutchence » de Richard Lowenstein] ; j’ai fait aussi la musique d’un film sur Gauguin [« Gauguin – Voyage de Tahiti » de Edouard Deluc (2017)]. Je vais composer la musique du prochain film de Lucile Hadžihalilović. En fait, j’aime bien être dans une équipe, travailler avec les gens, avec un autre et j’aime bien les groupes aussi. Avec Nick, par exemple, c’est bien parce qu’il y a un discours. C’est stimulant. Une musique, c’est une langue, un langage ; c’est un discours. Maintenant, je me suis trouvé, par hasard, à faire des films tout seul. C’est une évolution, et c’est bien d’évoluer.
Mais est-ce que ça vous laisse du temps pour des tournées, des concerts, des albums ? Je viens de terminer deux ans de tournée, et il y a un nouveau disque qui sort début octobre : « Ghosteen » (Nick Cave & The Bad Seeds)*. Pour ce qui est des tournées et des concerts, je n’ai pas arrêté depuis 1990. Je suis six/sept mois en tournée par an. On vient de terminer deux ans de tournée avec « Skeleton Tree », notre précédent album. Et j’ai fait un disque en même temps. Je n’arrête pas : soit je fais un disque, soit je fais une musique de film ou je suis en tournée. Notamment en Finlande où nous sommes venus à plusieurs reprises et dont la dernière fois remonte à deux ans, je crois. [Pori Jazz, juillet 2017 – NDLA]
Quels sont vos projets actuels ? Il y a donc des musiques de films en cours, un album qui va sortir le 3 octobre, « Ghosteen* », sur lequel j’ai travaillé pendant deux ans. C’est un double album. Par ailleurs, j’ai enregistré un disque avec « Dirty Three » – ça aussi c’est terminé – et, comme projet, je vais composer la musique du prochain film d’Andrew Dominik qui s’intitule « Blonde ». Donc, je suis assez sollicité mais soit c’est ça ou soit c’est rien. J’ai travaillé toute ma vie et c’est vrai que maintenant j’ai de plus en plus d’offres, mais c’est difficile de dire non même si, parfois, il le faut.
Propos recueillis en français par Aline Vannier-Sihvola Helsinki, le 26.09.2019
* Ghosteen est le 17e album studio du groupe australien Nick Cave & The Bad Seeds, sorti le 3 octobre 2019 au format numérique et prévu en sortie physique le 8 novembre 2019 sous la forme d’un double album.
A VOIR PROCHAINEMENT à la cinémathèque KINO REGINA / Bibliothèque OODI de Helsinki le dernier film de la saison en français du réalisateur finlandais EINO RUUTSALO : LES SIFFLEURS / VIHELTÄJÄT Eino Ruutsalo Finlande (1964), 81 min Avec Jean-Claude Brialy, Robert Manuel, Claudine Coster, Jean-Louis Trintignant, Pascale Petit Le 29.12. à 16 h 30 À Paris, un groupe de jeunes aspirants comédiens attend le moment de percer sur scène ou à l’écran. Parmi eux, Pierre, un garçon plein d’ambition mais peu chanceux. Sa vie prend une nouvelle direction lorsqu’il rencontre Catherine dont il s’éprend…
Pour celles et ceux qui ne pourraient pas se rendre le 29 décembre à la cinémathèque KINO REGINA / Bibliothèque OODI de Helsinki – mais aussi pour les spectateurs chanceux de ce film – ne pas manquer de voir ce petit reportage (ci-dessous) de quelque 6 minutes, assez désopilant mais qui porte un éclairage sur le Paris des cinémas des années 60 (pour la plupart disparus) et ravira les nostalgiques de cette époque.
Les films français en programmation pour la saison automne / hiver 2021
Bibliothèque Oodi / Keskustakirjasto Oodi Töölönlahdenkatu 4 – Helsinki
KINO REGINA comporte 251 places qui font face à un grand écran de 11 mètres. Dans les conditions actuelles, la salle est actuellement ouverte en entier, à 100% de sa capacité par séance. Mais il n’en demeure pas moins recommandé d’acheter son billet à l’avance par voie électronique. Les équipes de KINO REGINA vous attendent avec un protocole sanitaire qui vous permettra de profiter de la salle et des séances en toute sécurité.
KINO REGINA a réouvert ses portes dans l’enceinte de la bibliothèque OODI, élue meilleure bibliothèque au monde en 2019. La cinémathèque offre en ce début d’automne 2021 une programmation riche de films aux registres variés, dont une sélection des meilleurs films français.
KINO REGINA met cet automne à l’honneur la réalisatrice française Mia Hansen-Løve dont le premier film anglophone va sortir en salles cette année, et la sélection proposée, dont le thème African Express, par la Cinémathèque ne manque ni de chefs-d’oeuvre ni de trésors cachés. A voir, notamment, le 30 septembre et le 1er octobre, La Noire de… du cinéaste sénégalais Ousmane Sembène et à lire l’entretien avec le réalisateur accordé en avril 2006 lors de sa venue à Helsinki en tant qu’invité de la Cinémathèque (cinefinn.com).
RÉTROSPECTIVE MIA HANSEN-LØVE
TOUT EST PARDONNÉ / ALL IS FORGIVEN France (2005), 105 min Le 05.10. à 18 h 30 Le 07.10. à 20 h 30
LE PÈRE DE MES ENFANTS / FATHER OF MY CHILDREN France (2009), 112 min Le 13.10. à 20 h 45 Le 17.10. à 16 h 30
UN AMOUR DE JEUNESSE/ GOODBYE FIRST LOVE France/Allemagne (2011), 110 min Le 20.10. à 18 h 30 Le 22.10. à 18 h 45
EDEN France (2014), 131 min Le 29.10. à 20 h 30 Le 02.11. à 21 h 15
L’AVENIR / TÄMÄN JÄLKEEN France/Allemagne (2016), 100 min Le 04.11. à 21 h 00 Le 07.11. à 19 h 45
______________________________________ Dans la série AFRICAN EXPRESS
LA NOIRE DE… / BLACK GIRL Ousmane Sembène Sénégal/France (1966), 65 min Prix Jean-Vigo 1966 Le 30.09. à 17 h 00 Le 01.10. à 19 h 00 A cette occasion, lire l’entretien avec Ousmane Sembène sur cinefinn.com
WEST INDIES Med Hondo France/Algérie/Mauritanie (1979), 115 min Le 05.10. à 20 h 45 Le 15.10 à 16 h 30
TOUKI BOUKI Djibril Diop Mambéty Sénégal (1973), 88 min Langue : français/wolof Prix de la critique internationale/Festival de Cannes 1973 Le 06.10. à 18 h 30 Le 08.10. à 18 h 30
CHRONIQUE DES ANNÉES DE BRAISE Mohammed Lakhdar-Hamina Algérie (1975), 177 min Langue : français/arabe algérien Palme d’or/Festival de Cannes 1975 Le 14.10. à 18 h 45 Le 17.10. à 18 h 45
YAABA Idrissa Ouédraogo Burkina Faso/France/Suisse (1989), 87 min Langue : Mooré – Sous-titres : finnois/suédois Prix FIPRESCI et Prix du Jury oecuménique/ Festival de Cannes 1989 Le 21.10. à 16 h 30
YEELEN Souleymane Cissé Mali/Burkina Faso/France (1987), 107 min Langues : Bambara et Peul – Sous-titres : finnois/suédois Prix du Jury/Festival de Cannes 1987 Le 24.10. à 16 h 30 Le 13.11. à 16 h 30 Le 18.11. à 18 h 45
___________________________________________________ Dans la série ELOKUVAN HISTORIA (Histoire du cinéma) :
LES FRÈRES LUMIÈRE / LUMIÈREN VELJEKSET: SUOMEN ENSIMMÄINEN ELOKUVAESITYS (Première projection en Finlande 28.06.1896) France (1895-1897), 90 min Le 02.11. à 17 h 00
LA PASSION DE JEANNE D’ARC / JEANNE D’ARCIN KÄRSIMYS Carl Theodor Dreyer France (1928), 83 min Le 16.11. à 17 h 00
HIROSHIMA, MON AMOUR / HIROSHIMA, RAKASTETTUNI Alain Resnais France/Japon (1959), 90 min Prix Méliès 1959 Le 04.01.2022 à 18 h 45 Le 09.01.2022 à 18 h 15
__________________________________________________________ Ne pas manquer également :
ADIEU L’AMI / YKSINÄISET SUDET Jean Herman France/Italie (1968), 115 min Le 17.11. à 21 h 20 Le 20.11. à 19 h 45
LES SIFFLEURS / VIHELTÄJÄT Eino Ruutsalo Finlande (1964), 81 min Le 29.12. à 16 h 30
Festival international du film de Helsinki – Amour & Anarchie 16-26 septembre 2021
Le Festival international du film de Helsinki – Amour & Anarchie a lieu chaque année, depuis 1988, en septembre. Il fête cette année sa 34e édition et se déroulera du 16 au 26 septembre 2021. Le Festival s’ouvrira avec « Annette », drame musical du cinéaste français Leos Carax et se clôturera avec « Bergman Island » de la réalisatrice française Mia Hansen-Løve.
Le Festival Amour & Anarchie – le plus grand festival du film de Finlande et, également, le plus accessible –, met en valeur de nouveaux films inventifs, visuellement étonnants et controversés, révèle les talents prometteurs de demain. Parfois décoiffant, mais à voir !
En raison de la pandémie du coronavirus, la vente des billets a été limitée à seulement 50% de la capacité normale des salles qui, bien évidemment, mettent tout en oeuvre pour assurer la sécurité des spectateurs. Certains films peuvent même être visionnés en ligne.
Les salles Bio Rex, Kinopalatsi, Kino Regina, Cinema Orion, Maxim, Korjaamo Kino, Kino Engel, Kino Tapiola, Riviera, WHS Teatteri Union, Kino K 13, Finnkino Itis et Tripla assureront un total de 600 projections.
Cette année, au programme des quelque 180 longs et 170 courts métrages du monde entier présentés lors des 11 jours de cette 34e édition, une sélection des meilleurs films français et francophones dernièrement sortis, dont :
ANNETTE (2021) Leos Carax France – 139 min Film d’ouverture – Drame musical en anglais 16.9. à 17 h 15 – Bio Rex 16.9. à 20 h 45 – Bio Rex
SOUS LE CIEL D’ALICE / SKIES OF LEBANON (2020) Chloé Mazlo France – 107 min 17.9. à 16 h 15 – Cinema Orion 18.9. à 21 h 15 – Maxim 2 23.9. à 16 h 30 – Korjaamo Kino 24.9. à 20 h 45 – Maxim 2 26.9. à 18 h 45 – Cinema Orion
CIGARE AU MIEL / HONEY CIGAR (2020) Kamir Aïnouz Algérie/France – 100 min 17.9. à 18 h 00 – Finnkino Itis 7 18.9. à 18 h 15 – Kinopalatsi 10 20.9. à 18 h 30 – Kinopalatsi 10 22.9. à 20 h 45 – Korjaamo Kino
JOSEP (2020) Aurel France/Espagne/Belgique – 71 min Film d’animation 17.9. à 18 h 30 – Kino Engel 2 19.9. à 11 h 30 – Cinema Orion 20.9. à 21 h 00 – Korjaamo Kino 21.9. à 18 h 30 – Kino Engel 1 26.9. à 15 h 30 – Kino Engel 1
LA NUIT DES ROIS /NIGHT OF THE KINGS (2020) Philippe Lacôte Côte d’Ivoire/France/Canada/Sénégal – 93 min 17.9. à 18 h 30 – Kino Regina 18.9. à 21 h 00 – Kino Regina 19.9. à 20 h 00 – Finnkino Itis 7 22.9. à 14 h 15 – Bio Rex 23.9. à 21 h 00 – Korjaamo Kino 25.9. à 18 h 45 – Cinema Orion
GAGARINE – KIERTORADALLA (2020) Jérémy Trouilh, Fanny Liatard France – 98 min 17.9. à 19 h 00 – Kinopalatsi 2 25.9. à 16 h 00 – Bio Rex
LE DERNIER REFUGE / THE LAST SHELTER (2021) Ousmane Samassekou Mali/France/Afrique du Sud – 85 min Documentaire 17.9. à 20 h 30 – Finnkino Itis 7 19.9. à 21 h 00 – Korjaamo Kino 20.9. à 20 h 30 – Maxim 2 23.9. à 21 h 00 – Tripla Bio Rex 4
SLALOM (2020) Charlène Favier France – 92 min 17.9. à 20 h 45 – Kinopalatsi 10 18.9. à 18 h 00 – Kino Engel 1 19.9. à 20 h 45 – Kinopalatsi 10 21.9. à 20 h 30 – Kino Engel 1 22.9. à 18 h 00 – Kino Engel 1
SEIZE PRINTEMPS / SPRING BLOSSOM (2020) Susanne Lindon France – 73 min 17.9. à 21 h 15 – Maxim 2 18.9. à 18 h 30 – Korjaamo Kino 22.9. à 21 h 00 – Tripla Bio Rex 4 26.9. à 14 h 45 – Maxim 2
CALAMITY (2020) Rémi Chayé France/Danemark – 85 min Film d’animation 18.9. à 11 h 45 – Bio Rex 22.9. à 21 h 30 – Kinopalatsi 1 23.9. à 18 h 30 – Tripla Bio Rex 5 25.9. à 15 h 30 – Kinopalatsi 8 26.9. à 16 h 15 – Kinopalatsi 2
DEUX / YHDESSÄ (2019) Filippo Meneghetti Belgique/France/Luxembourg – 99 min 18.9. à 14 h 00 – Korjaamo Kino 20.9. à 18 h 30 – Korjaamo Kino
UN TRIOMPHE / SUURTA TEATTERIA (2020) Emmanuel Courcol France – 105 min 19.9. à 18 h 30 – Bio Rex 24.9. à 21 h 30 – Kesäkino Engel (séance en plein air)
Sembène Ousmane (12.4.2006)
LA NOIRE DE… / BLACK GIRL (1966) Ousmane Sembène Sénégal/France – 65 min 22.9. à 21 h 00 – Maxim 1 24.9. à 18 h 45 – Kino Regina Lire l’entretien avec Ousmane Sembène accordé en avril 2006 lors de sa venue à Helsinki, invité de la Cinémathèque finlandaise (www.cinefinn.com)
ADN / PERINTÖ (2020) Maïwenn France – 90 min 23.9. à 21 h 00 – Bio Rex 25.9. à 21 h 30 – Kesäkino Engel (séance en plein air)
BERGMAN ISLAND (2021) Mia Hansen-Løve France – 112 min 26.9. à 18 h 30 – Bio Rex 26.9. à 21 h 15 – Bio Rex
Alors que les salles de cinéma ont été fermées de longs mois (pandémie oblige !) et sont sur le point de rouvrir prochainement à Helsinki, tout en sachant que rien ne remplacera jamais le grand écran, restent néanmoins les incontournables du petit écran qui, en termes de diversité, qualité et disponibilité, offrent de quoi se divertir !
LOLA (1961) Un film de Jacques Demy Avec Anouk Aimée, Marc Michel Diffusion sur AREENA :https://areena.yle.fi/1-19465(disponible jusqu’à fin juin 2021)
Pour les nostalgiques du Festival de Sodankylä… et autres cinéphiles, à voir impérativement sur AREENA une vidéo de Jacques Demy à Sodankylä en 1987, invité du Festival du film du soleil de minuit – 10 minutes magiques ! https://areena.yle.fi/1-50810867
À Nantes, la jeune Cécile, 14 ans, rencontre Michel, un aventurier qui repart en Amérique sans savoir que Cécile attend un enfant de lui. Des années plus tard, Cécile est devenue Lola, mi-danseuse, mi-entraîneuse à l’Eldorado, un cabaret du port de la ville. Elle est restée fidèle à l’amour du marin, et son petit garçon vit avec elle. Frankie, un marin de Chicago juste débarqué, lui rappelle le beau Michel, qui justement revient à Nantes, fortuné.
A voir également sur AREENA en rapport avec JACQUES DEMY :
LES PARAPLUIES DE CHERBOURG / CHERBOURGIN SATEENVARJOT (1964) Film de Jacques Demy Avec Catherine Deneuve, Nino Castelnuovo, Anne Vernon Palme d’or – Cannes 1964 https://areena.yle.fi/1-92607(disponible jusqu’à fin juin 2021)
MICHEL LEGRAND, SANS DEMI-MESURE / MICHEL LEGRAND, ELOKUVAMUSIIKIIN MESTARI (2018) Documentaire de Grégory Monro https://areena.yle.fi/1-50364551(disponible jusqu’à fin 2021)
VARDA PAR AGNÈS / VARDA, AGNÈSIN SILMIN (2019) Le dernier film documentaire réalisé par AGNÈS VARDA qui nous a quittés en mars 2019 https://areena.yle.fi/1-50268299 (disponible jusqu’à fin 2021)
COUP DE TORCHON/ AURINGONPIMMENYS (1981) Un film de Bertrand Tavernier Avec Philippe Noiret, Isabelle Huppert, Stéphane Audran, Jean-Pierre Marielle (disponible https://areena.yle.fi/1-50361219 (disponible jusqu’au 17 juin) Lucien Cordier, unique policier d’une petite bourgade africaine, est un être faible. Sa femme le trompe, les proxénètes le provoquent ouvertement, le représentant de l’ordre est la risée du village. Rabroué par son supérieur, Lucien entre dans une folie meurtrière.
« Il y a deux personnes en moi, Maria et La Callas… » Maria Callas, la femme, l’artiste. Montage d’archives exceptionnelles, enregistrements musicaux, images d’entretiens… Ce film documentaire de Tom Volf nous fait découvrir de nombreux documents inédits.
LA GARÇONNE – KAKSOISELÄMÄÄ (2020) Mini-série télévisée policière française en six épisodes de 52 minutes créée par Dominique Lancelot et réalisée par Paolo Barzman.
Paris dans les Années folles, Louise Kerlac (Laura Smet) est témoin du meurtre de Berger, un ami. Les tueurs sont des agents de l’État. Elle doit se cacher pour se protéger : elle se rend à la police pour se disculper, et prend l’identité de son frère jumeau…
MATISSE VOYAGEUR, EN QUÊTE DE LUMIÈRE / MATISSE JA VALON LUMO (2020) Film documentaire de Raphaël Millet https://areena.yle.fi/1-50496936(disponible jusqu’en août 2022)
RENOIR ET LA PETITE FILLE AU RUBAN BLEU / RENOIR JA TAULUN TARINA (2019) Film documentaire de Nicolas Lévy-Beff https://areena.yle.fi/1-50294245(disponible jusqu’en 2022)
TOULOUSE-LAUTREC, L’INSAISISSABLE / TOULOUSE-LAUTREC, MONTMARTREN TAITEILIJA (2019) Film documentaire de Gregory Monro https://areena.yle.fi/1-50282039(disponible jusqu’à décembre 2021)
AMANDA (2018) Film de Mikhaël Hers Avec Vincent Lacoste, Isaure Multrier, Stacy Martin https://areena.yle.fi/1-50176599 (disponible jusqu’à mi-août 2021)
UNE HISTOIRE FINLANDAISE / SUOMEN TARINA RANSKALAISITTAIN (2017) Film documentaire de Olivier Horn https://areena.yle.fi/1-3703411(disponible jusqu’en 2022) https://dailymotion.com/video/x7pbgqr(disponible aussi hors Finlande) (version originale en français avec sous-titres en finnois) Lire l’article UNE HISTOIRE FINLANDAISE de OLIVIER HORN (03.12.2017)
ISABELLE HUPPERT, MESSAGE PERSONNEL / LÄHIKUVASSA ISABELLE HUPPERT (2019) Dans un documentaire rare, réalisé par William Karel, l’actrice raconte son parcours artistique, mêlant souvenirs et anecdotes. https://areena.fi/1-50484152(disponible jusqu’en 2022)
ALBERT CAMUS, L’ICÔNE DE LA RÉVOLTE / ALBERT CAMUS, IKUINEN KAPINOITSIJA (2020) Film documentaire de Fabrice Gardel et Mathieu Weschler https://areena.yle.fi/1-50591144(disponible jusqu’à fin 2022)
LES PARAPLUIES DE CHERBOURG / CHERBOURGIN SATEENVARJOT (1964) Film de Jacques Demy Avec Catherine Deneuve, Nino Castelnuovo, Anne Vernon Palme d’or – Cannes 1964 https://areena.yle.fi/1-92607(disponible jusqu’à fin juin 2021)
MICHEL LEGRAND, SANS DEMI-MESURE / MICHEL LEGRAND, ELOKUVAMUSIIKIIN MESTARI (2018) Documentaire de Grégory Monro https://areena.yle.fi/1-50364551(disponible jusqu’à fin 2021)
VARDA PAR AGNÈS / VARDA, AGNÈSIN SILMIN (2019) Le dernier film documentaire réalisé par AGNÈS VARDA qui nous a quittés en mars 2019 https://areena.yle.fi/1-50268299 (disponible jusqu’à fin 2021)
LE HAVRE (2011) Film de Aki Kaurismäki https://areena.yle.fi/1-2133261 (version originale en français avec sous-titres en finnois !) Lire ENTRETIEN AVEC AUBERI EDLER(12.06.2015) sur cinefinn.com) N. B. : VOIR TOUS LES FILMS DE AKI KAURISMÄKI SUR AREENA !
DERBY GIRL (2020) Mini-série télévisée française en 10 épisodes d’une vingtaine de minutes, créée par Nikola Lange et Charlotte Vecchiet. Genre : Comédie https://areena.yle.fi/1-50572799(disponible jusqu’à décembre 2021)
Un magnifique spectacle dans le somptueux cadre du Manège des rochers de Salzbourg dont les quatre-vingt-seize arcades abritent les musiciens et les chanteurs d’opéra, alors qu’au coeur de cet écrin se déroule un ballet équestre envoûtant qui met en selle et en scène les écuyers de l’Académie du spectacle équestre.
Rencontre entre la musique sacrée mozartienne dirigée par Marc Minkowski et l’art équestre chorégraphié par Bartabas. L’équation est magique !
A cette occasion, lire les articles ci-dessous (parus en avril 2004) sur l’Académie du spectacle équestre et Mikaela Soratie, cavalière finlandaise sélectionnée par Bartabas parmi les 11 élèves écuyers faisant partie de la première promotion 2003/2004 de l’Académie.
Lorsque le Château de Versailles devint résidence officielle, Jules-Hardouin Mansart construisit deux édifices jumeaux pour abriter les quelque 600 chevaux du roi Louis XIV, mais aussi les écuyers, les palefreniers, les musiciens et les pages. Elevées à partir de 1679 et achevées dès 1683, les Ecuries de Versailles furent alors menées à leur point de perfection. La Grande Ecurie Son nom ne doit rien à sa taille – identique à celle de la Petite Ecurie – mais vient du fait qu’elle était placée sous l’autorité du Grand Ecuyer qui avait la charge des chevaux de main parfaitement dressés pour la chasse ou la guerre, et réservés à l’usage des rois et des princes. Elle servit de cadre à de nombreuses manifestations royales, carrousels ou courses de bague dont le Roi Soleil était friand. La Petite Ecurie Dirigée par le Premier Ecuyer, elle abritait carrosses, voitures, chevaux d’attelage, mais aussi des montures ordinaires qui étaient à la disposition de la Cour.
Le 25 février 2003, l’Académie du spectacle équestre, dirigée par Bartabas, a ouvert ses portes dans la Grande Ecurie du Château de Versailles.
Bartabas, fondateur du célèbre Théâtre équestre Zingaro, a installé à la Grande Ecurie un centre de formation et de création artistique pour des cavaliers de haut niveau.
Cette nouvelle activité permet également au public de redécouvrir la majestueuse architecture des écuries et du manège royal restaurés et réaménagés par l’architecte Patrick Bouchain.
En visitant l’Académie, le public découvre une école unique de formation au spectacle équestre. Il peut assister soit aux Matinales des écuyers, soit aux Reprises musicales. Les Matinales des écuyers Tous les matins, les écuyers et les chevaux de l’Académie du spectacle équestre exécutent en musique passages, piaffers et autres figures de haute école dans ce lieu qui retrouve ainsi sa vocation initiale. La Reprise musicale (chorégraphiée par Bartabas) Les écuyers réunis exécutent un carrousel en musique, révélant ainsi au spectateur le fruit d’un travail en commun, suivi d’un intermède musical et d’une improvisation équestre.
Transmission du savoir équestre et enseignement
La maîtrise du savoir équestre s’acquiert lentement, à la vitesse d’un homme et d’un cheval qui (s’) apprennent. Ce qui s’apprend passe par l’échange entre le maître et son élève, entre le cavalier et son cheval. Il s’agit donc bien de mettre en place une pédagogie dont chacun sera le relais : de Bartabas aux écuyers titulaires, des écuyers titulaires aux élèves.
Considérant l’équitation comme un art, il semble normal qu’il soit enseigné comme d’autres arts majeurs et associé à d’autres pratiques artistiques telles que la danse, l’escrime, le chant et les arts plastiques. En ce sens, l’Académie du spectacle équestre est unique au monde. C’est la première école où d’autres arts côtoient l’équitation.
A l’Académie, toutes ces disciplines ont une raison d’être. – La danse et les arts martiaux : pour la connaissance et la musculation du corps ; capacité pour le corps d’absorber et de comprendre le mouvement du cheval: – L’escrime artistique : pour développer la rapidité et les réflexes. – La musique et le chant : histoire et décryptage de la musique pour développer le sens du rythme ; la technique du chant pour développer la personnalité des élèves: – Le dessin et la sculpture : pour améliorer les connaissances morphologiques du cheval et sa représentation.
Par ailleurs, les élèves participeront à un véritable travail de création. Le spectacle proposé dans le manège et mis en scène par Bartabas aura l’ambition d’être un spectacle d’une haute exigence artistique. Comme le Maître l’exprime lui-même sous la forme d’un précepte : « L’aboutissement de notre art, c’est le spectacle : l’élan et la grâce… le brillant, la finesse, la légèreté. »
Initiateur de l’Académie du spectacle équestre, Bartabas est l’acteur majeur de l’évolution de l’art équestre dans le monde.
[A noter qu’aujourd’hui toutes les représentations – dont le spectacle « La Voie de l’écuyer » Opus 2021 – sont annulées jusqu’à nouvel ordre en raison de la situation sanitaire.
Dès la reprise des représentations du spectacle : « La Voie de l’écuyer » – tous les samedis à 18 h 00 et dimanches à 15 h 00 – Manège de la Grande Ecurie du Château de Versailles]
Si Versailles nous était conté… Une Finlandaise dans les écuries du Roi Soleil
Versailles. L’air est vif en cette matinée ensoleillée sur la Place d’Armes. Face au Château de Versailles, deux magnifiques édifices – la Grande Ecurie en symétrie parfaite et harmonieuse avec la Petite Ecurie – forment, par la noblesse de leur architecture, le décor grandiose de la prestigieuse Place d’Armes.
Après avoir traversé la Cour d’honneur de la Grande Ecurie, aujourd’hui cadre de l’Académie du spectacle équestre dirigée par Bartabas, on parvient à la carrière où s’échauffent à la longe quelques chevaux. Puis on entre dans le manège, magnifique écrin de bois habillé de miroirs aux lustres en feuilles de Murano, où quatre cavaliers répètent le prochain spectacle des Reprises musicales sous la direction artistique et technique du Maître. Parmi ces quatre élèves écuyers, une Finlandaise, Mikaela Soratie.
Mikaela n’en revient toujours pas. « J’ai la chance de vivre mon rêve le plus cher en ayant intégré l’Académie de Bartabas. Lorsque j’ai posé ma candidature, je ne pensais vraiment pas être retenue », confie-t-elle. Mikaela, 21 ans, a la modestie de sa jeunesse qui n’a d’égal que son émerveillement. Il n’empêche que les critères de sélection étaient très sévères et que seuls des cavaliers de haut niveau ont été retenus. Mikaela monte à cheval depuis l’âge de 5 ans et a vécu toute sa vie au milieu des chevaux. Soutenue par sa mère, Susie Soratie, entraîneur professionnel de dressage, elle a fait partie de l’équipe nationale finlandaises ‘jeunes cavaliers’ (médaillée d’argent aux championnats nationaux) et suivi un cursus scolaire qui lui a permis de pratiquer parallèlement le dressage de compétition.
Ainsi, en 2002, après un appel à candidature international, 11 candidats sur 150 sont retenus et recrutés pour deux ans à l’Académie du spectacle équestre. La plupart des élus sont des Français, dont un seul représentant de la gente masculine ! Hormis Mikaela, font également partie du groupe une Américaine et une Russe. L’aventure commence donc pour Mikaela lorsqu’elle arrive en mars 2003 à Versailles. « C’est une chance inouïe de pouvoir habiter à Paris et travailler dans la prestigieuse écurie du Château de Versailles », s’exclame-t-elle. Pour ce qui est de la langue, elle n’a aucun problème. Avant de venir en France, elle avait déjà un bon niveau de français (qu’elle dit avoir amélioré depuis). Elle a été élève au Lycée franco-finlandais durant les 9 premières années de sa scolarité qu’elle a terminée dans un collège sports-études.
Cette première promotion se compose de huit élèves écuyers et de trois écuyers titulaires. Chacun a sous sa responsabilité un jeune cheval à former et un cheval confirmé à travailler individuellement. Les journées sont longues pour tous, et aucun ne ménage sa peine.. Ainsi, Mikaela se rend tous les matins aux écuries à 7 heures. Elle monte un des chevaux qui lui ont été attribués avant que le public n’arrive. Puis, de 9 heures à 12 heures, la matinée se passe à entraîner les chevaux en musique devant le public : ce sont les Matinales des écuyers. Après une pause d’éjeuner d’une heure et la monte de son troisième cheval, l’après-midi de Mikaela se divise en cours de danse, de chant, d’arts plastiques et d’escrime. Mais la journée n’est pas finie pour autant. Vers 17 heures, Mikaela retourne aux écuries et travaille dans le manège son quatrième cheval. Ce n’est que vers 19 heures, fourbue, qu’elle peut enfin considérer avoir quartier libre ! On pourrait croire, à ce rythme, que les week-ends sont bienvenus et procurent un repos salutaire bien mérité. Que nenni ! Les élèves écuyers sont plus que jamais sollicités car, en plus des Matinées, ils offrent l’après-midi au public le spectacle de la Reprise musicale. Mais pour Mikaela tout n’est que moment d’exception. Ce qui continue de la stupéfier, par exemple, c’est l’assurance qu’elle a acquise en public : « Jamais je n’aurais imaginé pouvoir chanter chaque fin de semaine devant 500 personnes. A travers la danse et le chant, j’ai appris énormément sur moi-même et, grâce à ça, j’ai beaucoup plus confiance en moi. » Elle confie également qu’être associée à un tel projet, pouvoir travailler avec Bartabas, le suivre dans la préparation d’un spectacle est un rêve. Elle estime aussi avoir énormément progressé en équitation. « Pour ce qui est de l’avenir, j’envisage de m’inscrire à l’université en Finlande ou en France. J’aimerais tout de même avoir un métier. Mais je continuerai, de toute façon, à travailler avec les chevaux. Je veux voir jusqu’où mes capacités me mèneront », conclut-elle.
On termine par une visite des écuries. Les écuyers s’affairent dans la sellerie. Leurs costumes sont signés Van Noten, grand couturier belge, et les selles sont toutes du non moins célèbre Hermès. L’élégance est de mise ! Après tout, nous sommes dans les écuries du Roi Soleil. Sous les hautes arcades en pierre de taille, on aurait presque l’impression d’être dans une église. Les stalles de métal et de bois abritent une trentaine de chevaux pour la plupart lusitaniens (chevaux qui ont fait la gloire de l’Ecole de Versailles au XVIIIe siècle), à robe crème et aux yeux bleus. Etonnants équidés au regard liquide, comme appartenant à un autre âge, comme venus d’ailleurs !
Après une pause de près de deux siècles, il est formidable de retrouver les chevaux dans les écuries de Versailles. Le souffle créateur et artistique de Bartabas leur a redonné vie et âme, a permis à Versailles de renouer avec son passé.
PERSONAL SHOPPER (2016) Un film de Olivier Assayas Avec Kristen Stewart, Lars Eidinger, Sigrid Bouaziz Prix de la Mise en scène – Festival de Cannes 2016 FRII (Finlande) : Jeudi 29 avril à 21 h 00 FRII (Finlande) : Dimanche 2 mai à 23 h 00
Maureen, une jeune Américaine à Paris, s’occupe de la garde-robe d’une célébrité. C’est un travail qu’elle n’aime pas mais elle n’a pas trouvé mieux pour payer son séjour et attendre que se manifeste l’esprit de Lewis, son frère jumeau récemment disparu. Elle se met alors à recevoir sur son portable d’étranges messages anonymes…
Un film troublant qui, à l’époque, n’a pas fait l’unanimité des critiques et n’a pas vraiment suscité l’intérêt des spectateurs. Toutefois, « Personal Shopper » a été récompensé du Prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2016. A chacun de se faire une opinion. Dans tous les cas, c’est un film qui ne laisse pas indifférent.
L’occasion également de découvrir les multiples facettes de cet amoureux du cinéma, notamment celui de Ingmar Bergman, dans l’entretien réalisé en 2018 lors de la XXXIIIe édition du Festival du film du soleil de minuit de Sodankylä.
ENTRETIEN AVEC OLIVIER ASSAYAS… sous le soleil de minuit
Olivier Assayas, cinéaste français, était l’invité du Festival du film du soleil de minuit de Sodankylä (Finlande) qui s’est déroulé du 13 au 17 juin 2018. Présent au Festival en 2014, il revient cette fois pour conduire une Master Class et présenter l’oeuvre d’Ingmar Bergman dont on célèbre cette année le centenaire de la naissance. Olivier Assayas a eu la possibilité d’interviewer le maître suédois en 1990 et, suite à cette rencontre, il a tiré de ces entretiens un livre intitulé « Conversation avec Bergman ». De la quinzaine de longs métrages qui ont fait sa renommée – entre autres « Irma Vep » (1996), « Demonlover » (2002), « Carlos » (2010), « Après mai » (2012), « Sils Maria » (2014), « Personal Shopper (2016) –, Olivier Assayas est également venu présenter « L’eau froide » (1994), son cinquième film récemment restauré, rare en projection, et qui est finalement, après 24 ans, distribué aux Etats-Unis. Témoin de sa génération, Olivier Assayas nous donne à voir déjà avec « L’eau froide », dans une ambiance musicale rock post-soixante-huitarde, ce qui deviendra son univers de prédilection, à savoir une jeunesse sentimentale, désorientée et insoumise.
Invité du Festival du film du soleil de minuit en 2014 pour présenter votre film « Sils Maria », vous repassez la ligne du Cercle polaire en cette année du centenaire de la naissance d’Ingmar Bergman pour nous parler du maître suédois que vous avez interviewé en 1990 et conduire, ici, une Master Class, à la suite de laquelle sera projeté un de ses films « Nattvardsgästerna » / « Les communiants » (1962). Au vu de votre actualité cinématographique, on se demande avec tous ces projets réalisés ou en cours de réalisation, comment vous avez pu trouver le temps de vous offrir une petite récréation, ici, à Sodankylä ? Je suis venu, effectivement, en 2014 au Festival, et Sodankylä fait partie de ces festivals où on a l’impression que les gens aiment non seulement le cinéma, mais aiment le cinéma pour de bonnes raisons. Et, comme on se trouve dans un environnement assez simple, mais chaleureux, vivant et original, j’en avais, du coup, gardé un très bon souvenir. Et, cette fois-ci, il se trouvait que je venais de finir la restauration d’un de mes films des années 90 qui est « L’eau froide », un film qui avait été bloqué pendant des années pour des questions de droits, qui n’était jamais sorti et qui vient de sortir finalement aux Etats-Unis. Donc, le film est montré un peu à droite et à gauche, notamment, ici, à ce festival. Et, comme c’est un film qui est marqué, voire très marqué par l’inspiration de Bergman dans le sens où j’avais quand même à l’esprit un film comme « Monika » quand je faisais « L’eau froide » – enfin, très modestement –, ou disons que le personnage de Harriet Andersson dans « Monika » a beaucoup inspiré le personnage de Christine dans « L’eau froide », je trouvais que c’était une bonne occasion à la fois de montrer ce film dans un contexte qui lui ressemble et de parler de Bergman… D’autant plus que j’ai écrit un essai sur Bergman qui va être publié dans Film Comment, dans leur prochain numéro de Juillet-Août, pour essayer de réfléchir à la place de Bergman dans le cinéma contemporain.
L’un de vos premiers films « L’eau froide », qui n’a pas été présenté au public finlandais depuis des années, est donc projeté au cours de ce festival. « L’eau froide » est votre premier film à être sélectionné à Cannes en 1994 ; il raconte la révolte, la fugue de deux adolescents désorientés dans les années 70. Est-ce qu’il raconte aussi en partie votre histoire ? Quelle est la part de vous-même que vous investissez dans vos films en général ? Qu’on soit autobiographique ou qu’on soit dans la fiction, je crois qu’on parle de soi-même : soit on parle des faits matériels de sa vie, soit on parle de ses propres fantasmes, de son imaginaire. L’un et l’autre, me semble-t-il, renvoient à des choses assez intimes d’une certaine façon. Disons que « L’eau froide » est un mélange des deux, mais peut-être que c’est un film plus directement autobiographique que d’autres films. C’est dans le sens où je l’ai tourné au lycée où j’allais, dans les paysages qui sont ceux de mon enfance. Je me suis vraiment inspiré aussi d’anecdotes, de circonstances de mon adolescence de cette période-là. Donc, il y a des choses qui sont très directes. Et il y en a d’autres qui sont tout à fait exceptionnelles, évidemment, pour en faire une histoire, mais le film est quand même constitué de toutes sortes de flashs un tout petit peu autobiographiques.
Quel est, des 17 longs métrages d’Aki Kaurismäki qui vont faire prochainement l’objet d’une rétrospective au Festival de La Rochelle fin juin, celui qui a votre préférence ? C’est une question difficile. D’abord, pour ce qui est du Festival de La Rochelle, c’est intéressant parce qu’ils vont justement faire aussi une rétrospective de Bergman. Et, donc, le texte dont je parlais précédemment qui va paraître dans Film Comment, je l’ai écrit, à l’origine, comme une présentation pour la rétrospective de Bergman au Festival de La Rochelle. J’ai beaucoup d’admiration pour Kaurismäki ; j’aime beaucoup ce cinéaste. J’ai envie de dire que j’aime moins les films avec les Leningrad Cowboys, disons les films qu’il a fait un tout petit peu de la main gauche, ou même les films français auxquels je suis moins attaché. Mais j’aime tous ses films finlandais. Et même si je les mélange un tout petit peu, je les mélange avec la même admiration. Ses acteurs sont formidables. Par ailleurs, j’aime beaucoup la liberté avec laquelle il fait ses films. Et puis je trouve que sous son ironie très mordante, il y a en réalité une sensibilité, une humanité très profondes. Les films que je préfère de Kaurismäki me touchent beaucoup, notamment « Au loin s’en vont les nuages » (« Kauas pilvet karkaavat » – 1996).
Vous avez coécrit un livre avec le cinéaste suédois Stig Björkman intitulé « Conversation avec Bergman », résultat d’une rencontre et d’une longue interview en 1990. Dans quelles circonstances avez-vous rencontré Ingmar Bergman mais, avant cela, qu’est-ce qui a provoqué cette rencontre ? A cette époque, en 1990, c’est quand même quelques années après « Fanny et Alexandre » (1982) ou « Après la répétition » (1984), et donc c’est à un moment qui correspond à une période de silence de Bergman qui durait déjà depuis plusieurs années. Le dernier entretien qu’il avait donné en France, c’était sa rencontre avec Serge Daney, au moment de la sortie de « Fanny et Alexandre », soit au début des années 80. Et donc, en 1990, Serge Toubiana, qui était directeur des Cahiers du cinéma à cette époque-là, avait, par l’intermédiaire de Stig Björkman, obtenu une sorte de grand entretien avec Bergman pour les Cahiers. Si Bergman avait rencontré Daney pour Libération début 80, on peut dire qu’un entretien pour les Cahiers du cinéma avec Bergman remontait à très loin. Et, à l’époque, Serge Toubiana, au lieu de proposer de faire cet entretien à l’un ou l’autre des rédacteurs de la revue, s’est dit qu’au fond ce serait peut-être plus intéressant que ce soit un cinéaste. J’avais, pour ma part, écrit pendant plusieurs années aux Cahiers du cinéma mais, à cette époque-là, j’avais déjà commencé à faire des films. Et, du moment où j’ai commencé à faire des films, j’ai cessé d’écrire sur le cinéma, bien sûr… encore que d’aucuns – mais cela reste des exceptions – ont moins de scrupules que moi ! Donc, j’avais fait deux films – « Désordre » (1986) et « L’enfant de l’hiver » (1989) – et Serge Toubiana m’a proposé de faire cet entretien avec Bergman. Il y a eu une sorte de coïncidence très frappante. En fait, je venais de faire mon second film où j’étais venu progressivement à comprendre qu’il y avait quelque chose du cinéma de Bergman qui, presque inconsciemment, me portait, dans le sens où j’avais choisi d’utiliser des personnages centraux féminins très forts et de filmer leurs visages un peu comme j’avais sans doute vu faire. D’une certaine façon, j’étais troublé par la façon dont Bergman s’était un peu invité, de façon presque inconsciente, dans ma manière de faire des films. Et je me suis dit, au fond, c’est peut-être le bon moment pour moi de me confronter à cette question-là. La rencontre s’est donc passée de la façon suivante : Bergman nous recevait trois après-midis de suite dans sa loge, au Dramaten – Théâtre national suédois – où il était en train de monter une pièce, je crois bien que c’était « Peer Gynt » d’Ibsen. On avait donc à peu près deux heures et demie en sa compagnie, trois après-midis de suite. Et assez vite j’ai dit à Serge Toubiana que cela me semblait plus intéressant d’en faire un livre. Donc, les éditions des Cahiers du cinéma ont publié le livre, et les bonnes feuilles de cet entretien ont été publiées par les Cahiers simultanément.
Comment s’est déroulé l’entretien et dans quelle langue ? Parlait-il bien français ou bien Stig Björkman en assurait l’interprétation ? L’interview s’est déroulée en anglais, mais l’anglais de Bergman n’était pas parfait. C’est donc moi qui ai fait la transcription et la traduction en français. Je pense que ça ne pouvait pas être traduit de façon brute par quelqu’un qui n’aurait pas été sur place et qui n’aurait pas compris ce qu’il voulait dire. Donc, le fait que j’étais présent et que j’interprétais ce qu’il disait m’a permis d’être très fidèle à ses propos et à sa pensée. Et, de son côté, Stig Björkman a fait publier le livre en suédois, qui existe aussi en italien, en allemand, mais pas en anglais.
Pourquoi ce choix des « Communiants » pour votre Master Class ? Ce n’est pas moi qui ai choisi le film, mais le Festival. De toute manière, on m’aurait posé la question, j’aurais sans doute choisi « Les communiants » tout de même, parce que c’est un de ses très grands films, un de ses films les plus importants.
Le rôle des femmes est central dans l’oeuvre de Bergman et les personnages de femmes sont également souvent au centre de vos films. Quels sont les films de Bergman qui vous ont le plus marqué et en quoi ont-ils influencé votre travail ? C’est ce que j’essayais de dire tout à l’heure, c’est-à-dire qu’il y a la figure de Harriet Andersson qui a fortement inspiré le personnage principal de « L’eau froide ». J’ai été hanté par la figure de Harriet Andersson dans « Monika ». Ce n’est pas seulement que cette figure-là a influencé ce film-là spécifiquement, c’est que vraiment, si je devais choisir dans l’histoire du cinéma la performance d’actrice qui m’a le plus impressionné, la présence cinématographique d’actrice qui m’a le plus marqué, c’est sans doute Harriet Andersson dans « Monika ». Je trouve qu’elle arrive à saisir quelque chose d’extraordinaire, d’unique dans une forme de rébellion adolescente mais, en même temps, avec quelque chose d’une humanité profonde. La façon dont Bergman le formulait, il disait : « La caméra l’aime ». Je ne sais pas s’il parlait de Harriet Andersson ou de quelqu’un d’autre mais, en tout cas, ça s’applique de façon frappante à Harriet Andersson. C’est quelqu’un qui a une présence cinématographique qui la dépasse, qui est au-delà de son propre talent, de sa propre personnalité. Donc, cela m’a certainement beaucoup marqué. Un autre film de Bergman qui m’a beaucoup marqué, c’est « L’heure du loup » qui n’est peut-être pas un des films que je préfère, mais je l’ai vu à 13 ans et ce film m’a fait peur, m’a beaucoup impressionné, et c’est resté avec moi. Pour ce qui est de « Scènes de la vie conjugale », que j’ai vu à 19 ans quand le film est sorti, il y avait pour moi l’évidence d’un chef-d’oeuvre absolu du cinéma. Je pense que c’est une oeuvre absolument unique, indépassable presque d’une certaine façon, une sorte de film-somme. Et puis, effectivement, « Les communiants » à cause de la figure du pasteur. C’est une sorte de résumé de la condition humaine moderne, de notre rapport à la métaphysique, et Bergman le saisit mieux que quiconque. Pour finir, je pense que « Fanny et Alexandre » est sans doute son chef-d’oeuvre ; c’est un film-somme aussi.
Connaissez-vous Jörn Donner, réalisateur finlandais mais aussi producteur de « Fanny et Alexandre » et avez-vous vu son récent documentaire « The Memory of Ingmar Bergman » constitué de fragments inédits de deux longues interviews réalisées en 1975 et 1997 (précisément le 14 juillet 1997 – jour de ses 80 ans) ? J’en ai effectivement entendu parler mais je n’ai pas vu, hélas, son documentaire.
Margarethe von Trotta vient de réaliser également un long métrage documentaire « Searching for Ingmar Bergman » dans lequel vous intervenez et qui sortira en France en 2019. Que nous révèle ce documentaire que nous ne connaissions déjà ? Je ne le connais pas non plus. J’ai fait, en effet, un entretien avec Margarethe von Trotta mais je n’étais pas à Cannes où le film a été montré.
A l’occasion de ce centenaire, participez-vous également à des hommages rendus à Ingmar Bergman, des manifestations organisées en France ou à l’étranger ? Il va y avoir cette rétrospective à La Rochelle où je ne pense pas pouvoir me rendre parce que je ne serai pas à Paris à ce moment-là mais, encore une fois, j’ai écrit ce texte de présentation qui a quand même été intéressant pour moi parce que ça m’a permis de faire le point d’une certaine façon. Le texte s’appelle « Où en est-on avec Bergman ? » (*) où j’essaie un peu, de façon très personnelle, de comprendre au fond de quelle manière il est encore présent dans le cinéma contemporain.
Depuis votre dernière venue au Festival du soleil de minuit, en 2014, où vous présentiez « Sils Maria », vous avez réalisé « Personal Shopper » pour lequel vous avez remporté du Prix de la Mise en scène au Festival de Cannes 2016 – à noter que c’est votre première récompense à Cannes (hormis le Prix d’interprétation féminine pour Maggie Cheung dans « Clean » en 2004). Par ailleurs, vous avez écrit le scénario du dernier film de Roman Polanski « D’après une histoire vraie » qui est une adaptation du roman éponyme de Delphine de Vigan. Comment est née cette collaboration ? Je ne connaissais pas personnellement Roman Polanski. On s’était croisés deux fois, mais on ne se connaissait pas du tout. Il se trouve qu’on a le même agent. Un jour, j’ai reçu un message de mon agent François Samuelson qui disait que Roman Polanski souhaiterait beaucoup travailler avec moi l’adaptation du roman « D’après une histoire vraie » de Delphine de Vigan. Cela m’a étonné dans le sens où un travail de scénariste, je n’avais pas fait ça depuis longtemps. J’avais fait ça, en fait, surtout avec André Téchiné dans les années 80, mais avant de faire des films moi-même, et donc, ça remontait à assez loin. Disons que, tout d’abord, ça m’a touché que Polanski me le propose, que ça vienne de ce cinéaste-là. Et puis, il y avait presque cette curiosité de savoir si j’étais encore capable d’écrire un scénario pour quelqu’un d’autre, de voir ce que ça allait donner et quel en serait le processus. Il se trouvait que j’avais le temps de le faire. Je ne connaissais pas du tout le livre, que j’ai lu et qui m’a beaucoup intéressé, je dois dire, même s’il m’a effrayé d’une certaine façon. Je l’ai trouvé à la fois douloureux et très dérangeant. J’ai eu le sentiment que, par certains côtés, le livre était très long, touffu, mais qu’il y avait peut-être moyen de se frayer un chemin. En tout cas, quand j’ai lu le livre, j’ai compris pourquoi il y avait besoin de quelqu’un pour l’adapter. Ça ne me semblait pas simple du tout mais, en le lisant, je voyais à peu près comment il y avait moyen d’en faire un film. Le bilan, c’est que j’ai eu beaucoup de plaisir à écrire et que le processus m’a intéressé, sauf qu’au bout d’un certain temps, évidemment, il y a le moment où je donne le scénario à Polanski qui a plutôt envie de faire un film de Polanski. Et donc, il prend le scénario, le retriture, le met à sa sauce, etc. et, même si je suis là pour l’aider et le fais volontiers avec lui, je continue à penser que ma version était plutôt mieux. Ce n’est sans doute pas vrai, mais néanmoins je me retrouve avec ce genre de frustration qu’on peut avoir quand on est scénariste et non pas réalisateur qui est de rester avec l’hypothèse que « peut-être j’aurais dû le faire moi-même », même si j’adore Roman et que je trouve que c’est un cinéaste de très grand talent. J’avais, pour ma part, écrit quelque chose de plus bergmanien et disons que Roman a tiré quelque chose de plus grinçant qui n’était pas dans mon adaptation.
Votre prochain long métrage « Doubles vies », que vous situez dans le monde de l’édition, sortira début 2019, avec de nouveau Juliette Binoche à l’affiche. Comment vous est venu le sujet de ce film qui met en scène un écrivain et un éditeur en prise avec les nouveaux codes de notre société ? Du fait que je venais de faire deux films en anglais et que le prochain va être en anglais aussi et en espagnol, je crois qu’il y a eu une sorte de malaise, comme s’il y avait la nécessité de revenir à un film qui parlerait au temps présent. Et sans doute aussi parce que j’avais fait, avant « Sils Maria » et « Personal Shopper », deux films d’époque sur les années 70. Il m’a semblé donc qu’il y avait longtemps que je n’avais pas fait un film où je me confrontais au monde contemporain, à Paris, autour de moi. « Doubles vies » est vraiment un film d’acteurs, dans le sens où non seulement c’est écrit pour les acteurs – c’est écrit de ce point de vue-là comme du théâtre, un peu comme Bergman d’ailleurs, même si ce n’est pas un film si bergmanien que ça, enfin moins que d’autres que j’ai faits, car il y a un ton de comédie qui n’est pas celui de Bergman – mais c’est aussi un film d’acteurs dans le sens où j’ai vraiment eu la chance d’avoir tous les acteurs que je voulais dans l’option idéale. J’ai donc eu, d’une certaine façon, beaucoup de plaisir à les regarder et je crois qu’eux-mêmes ont eu beaucoup de plaisir à le tourner. Je pense que c’est un film assez libre, d’où se dégage une certaine légèreté, mais qui effectivement parle des questions qu’on se pose aujourd’hui autour de l’évolution, de la transformation du monde.
Huit ans après « Carlos » qui avait pour interprète principal Edgar Ramírez, vous faites de nouveau appel à cet acteur pour votre projet de film « Wasp Network ». Quelle est l’histoire de ce film et comment vous en est venue l’idée ? C’est une histoire vraie qui est l’histoire d’un réseau d’espionnage cubain au début des années 90 qui a infiltré les organisations anti-castristes à Miami. En fait, c’est un projet qui m’est venu par mon producteur Charles Gillibert. Ce dernier avait rencontré un financier brésilien qui avait les droits de cet ouvrage « Os Últimos Soldados da Guerra Fria » du Brésilien Fernando Morais (disponible en anglais sous le titre « The Last Soldiers of the Cold War: The Story of the Cuban Five » – NDLR), qui est en fait un ouvrage journalistique qui raconte les faits de façon brute. Il m’a donc recommandé de le lire car il pensait que ça pouvait m’intéresser. Et, de fait, je l’ai lu et ça m’a beaucoup intéressé. J’ai trouvé que c’était très fouillis, mais j’avais le sentiment que les faits historiques, la façon dont ils étaient documentés, la possibilité de retrouver des sources, de faire un travail un peu d’historien, similaire au travail aussi que j’avais fait sur « Carlos », c’était quelque chose qui pouvait me correspondre, en tout cas qui m’excitait. Je me suis plongé dedans et ça s’est confirmé. Du coup, j’ai écrit ce film qu’on va tourner au début de l’année prochaine, dans les Caraïbes.
Qu’en est-il de votre projet « Idol’s Eye » avec, entre autres, Sylvester Stallone (Robert Pattinson, Rachel Weisz) ? Aujourd’hui, il est plutôt programmé après « Wasp Network ». C’est un projet auquel je tiens et donc si le financement est là, après « Wasp Network », c’est le film que je fais.
Canal+ finançait pour une grande partie le cinéma français en attribuant 12,5 % de son chiffre d’affaires au pré-achat de films. Or, ayant perdu récemment les droits de retransmission de la Ligue 1 qui constituaient une manne pour la chaîne, pensez-vous que l’on peut craindre pour l’avenir du cinéma français ? Il y a toutes les craintes à avoir. Pour ma part, je ne m’intéresse pas beaucoup à la politique du cinéma dans le sens où je ne la suis pas de près. Mon impression vue de loin et de façon très subjective, c’est que récemment Canal+ a été géré en dépit du bon sens. Donc, au fond, il y a la sanction du mauvais travail d’une équipe qui n’a pas su maintenir la position de Canal+ au coeur du cinéma français. Aujourd’hui, si ça s’arrête, se réduit ou se transforme, cela va être assez violent parce que tout d’un coup le cinéma français va se retrouver à se poser des questions métaphysiques, dans le sens où le cinéma ne marche plus tant que ça à la télévision, exception faite de certains blockbusters avec des stars comiques. Enfin, à part ça, on est plutôt un média qui est en déclin. Les subventions, certes elles existent, tout ça est assez solide, mais est-ce que ça suffit à financer des films ? Je n’en sais trop rien. S’il faut se baser sur un financement déterminé par la salle, la salle c’est, hélas pour 95 pour cent des films, une source de recettes relativement secondaire. Quand je dis que je ne m’intéresse pas à la politique, je vais être obligé de m’y intéresser dans le sens où Canal+ a toujours été la variable d’ajustement des films français. C’est-à-dire qu’en général on réunit le financement et puis on va voir Canal+ et on leur dit ce qui nous manque. Après, eux, ils font la jonction souvent. S’il n’y a plus personne pour faire ça, y compris s’il n’y a plus la volonté politique de faire ça, et là je ne parle pas des films de Danny Boone, je parle de films qui sont plus compliqués à monter, qui sont des films d’auteur, des films qui créent la notoriété ou le prestige du cinéma français à l’étranger, s’il n’y a donc plus la volonté politique que ces films-là existent, sans Canal+, ça ne va pas être simple. Pour ma part, cela fait un moment que je suis un peu à l’écart de ça, c’est-à-dire que comme je fais des films qui sont un peu atypiques, qui sont souvent en anglais, j’ai de ce fait très peu accès au financement du cinéma français. Dans ces cas-là, comme pour mes deux derniers films, Canal+ est présent aussi mais pas du tout au niveau où ils sont présents dans le cinéma français, parce que comme ce sont des films en anglais, ce sont d’autres quotas, d’autres financements. Je dirais que sur un film comme « Sils Maria » ou « Personal Shopper », on a à peu près un tiers de ce qu’ils mettraient sur un film normal français et, par ailleurs, on n’a droit à aucun des autres financements du cinéma français, c’est-à-dire ni SOFICA, ni crédit d’impôt, ni avance sur recettes du fait que ce n’est pas en langue française. Donc, du coup, cela fait quand même un moment, des années que je travaille et que je fais vivre mes films dans un système qui n’est pas celui du cinéma français. Et je m’en réjouis parce que, si c’était le cas, c’est vrai qu’aujourd’hui je me poserais plus de questions que je ne m’en pose.
Le fait de tourner dans une langue étrangère, comme dans vos deux derniers films « Sils Maria » et « Personal Shopper », n’a jamais, semble-t-il, été un obstacle – sans doute parce que vous parlez vous-même plusieurs langues. Quels sont les avantages et les désavantages de tourner à l’étranger ? Le fait d’être à l’aise avec une langue étrangère facilite, entre autres, la communication avec les acteurs. Mes films – et parfois ça m’énerve un peu – sont présentés comme des films importants dans le rayonnement du cinéma français. Et quand j’entends ça, ça me crispe un peu. Certes, je m’en réjouis… néanmoins, quand l’essentiel du cinéma français est subventionné et aidé, il se trouve que, moi, je ne le suis pas.
Quels sont vos autres projets ? On suppose que pour occuper votre temps libre, vous avez sûrement aussi un livre en cours d’écriture (!?) En plus, oui. Mais ça n’a rien ou peu à voir avec le cinéma… et ça nous mènerait un peu loin. Donc, pour ce qui est des projets cinématographiques, c’est surtout « Wasp Network ». Par ailleurs, ce que je suis en train de faire, qui n’est pas littéraire mais qui a à voir avec une passion personnelle, c’est à nouveau la restauration des films de Guy Debord. Je m’étais, en effet, déjà occupé de la restauration de ses films quand j’avais « chapeauté » leur réédition, leur restauration et leur édition en DVD dans un coffret Gaumont. Aujourd’hui, on fait la numérisation 4K des films pour avoir des DCP (Digital Cinema Package : format de la projection numérique – NDLR), pour pouvoir les projeter dans les meilleures conditions possibles et je supervise aussi la traduction anglaise des films qui n’ont jamais été disponibles en anglais. Cela fait des années que j’essaie de trouver la façon de le faire car ils sont très difficiles à traduire. Et donc, finalement, avec l’aide des « Films du losange », j’y suis arrivé.
Propos recueillis par Aline Vannier-Sihvola Sodankylä, le 15 juin 2018
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.